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L’Afrique en rang dispersé face au séisme haïtien

mercredi 27 janvier 2010 Ferdinand Mayega (pour AEM), Montréal, Canada

L’Afrique, continent d’origine des Haïtiens frappés par le séisme d’une ampleur inégalée depuis deux siècles, évolue en rang dispersé au moment où Haïti attend un soutien important de la communauté internationale, notamment de l’Union africaine. Cette diplomatie du mutisme de l’Union africaine est-elle la preuve du peu d’intérêt pour le continent noir de jouer un rôle majeur pour redorer son image auprès du reste du monde, surtout de la diaspora africaine et du peuple d’Haïti ?

En effet, l’Afrique est reconnue pour être une partie du monde qui tend toujours la main et ne donne jamais pour marquer l’histoire par un geste fort. Au moment où Haïti, la première république indépendante noire du monde traverse une situation désastreuse qui interpelle les consciences à relever le défi de la solidarité, de nombreux dirigeants africains observent, impuissants, avec désintérêt, le malheur des sœurs et frères de l’autre bout du monde dont l’histoire rappelle qu’ils n’ont jamais souhaité, de leur propre gré, de se retrouver sur une terre hostile qui bouillonne de colère. Le devoir de mémoire aurait exigé au moins à l’Union africaine d’inviter les Présidents à une action concertée pour venir en aide à Haïti, une excroissance de l’Afrique dans les Caraïbes où les citoyens sont des exilés involontaires à cause de l’esclavage et de la traite négrière. La grandeur d’un geste du cœur ne se mesure pas au poids de ce que l’on donne à autrui pour marquer sa solidarité mais à la volonté de prouver qu’on pourrait donner beaucoup plus si on avait un peu plus de moyens à sa disposition.

L’année 2010 marque le cinquantenaire de l’indépendance des pays africains francophones. C’est une année qu’on a vite fait de qualifier de « l’année de l’Afrique » aussi bien sur le continent à la peau d’ébène qu’en France à cause des festivités marquant cet anniversaire. L’année 2010, c’est aussi l’année de l’Afrique en raison de l’organisation, sur la terre africaine, de la première coupe du monde de football en Afrique du Sud, la locomotive économique du continent et membre du G-20. Malheureusement, cette année 2010 en Afrique coïncide avec le tremblement de terre aux conséquences incalculables pour Haïti.

L’Afrique doit impérativement mettre fin à sa diplomatie du mutisme

Cette année doit également être l’occasion, pour l’Afrique, d’interroger son passé et de constater son présent dans l’optique de mieux baliser son avenir. Aussi, un geste fort remarqué des États africains en direction d’Haïti aiderait à rapprocher les Africains des Haïtiens ainsi que des autres cousins lointains de l’autre bout du monde qui n’ont jamais fait le choix de se retrouver en dehors du continent de leurs ancêtres. L’Afrique doit impérativement mettre fin à sa diplomatie du mutisme, une diplomatie sourde et muette qui ne se fait entendre que lorsqu’elle a besoin de solliciter de l’aide aux pays développés. Il s’agit d’une diplomatie de la honte, inactive qui refuse de poser des actes concrets pouvant l’aider à marquer des points positifs auprès de la communauté internationale. Certes, l’Afrique n’est pas riche, elle n’est pas non plus pauvre. Les problèmes à résoudre en Afrique ne doivent pas constituer un paravent pour refuser de se joindre à l’effort soutenu des autres pays occidentaux ou émergents comme la Chine pour apporter de l’aide après la tragédie sismique en Haïti. L’Afrique doit se réveiller de son sommeil profond qui empêche de se regarder dans un miroir, même lorsqu’il s’agit de porter assistance aux Haïtiens durement endeuillés qui veulent compter aussi sur son soutien. Dès lors, qu’est-ce qu’on attend à Addis Abéba, au siège de l’Union africaine, pour appeler à la mobilisation totale des chefs d’État,des Africains du terroir et de la diaspora pour venir au secours de ce pays ?

Haïti, c’est aussi l’Afrique en exil, un exil forcé, un exil dont l’Afrique a aussi une responsabilité historique à assumer durant plus de trois siècles d’esclavage et de traite négrière. L’Afrique ne doit pas oublier qu’elle a aussi joué un rôle peu honorable dans le sort tragique que traverse le peuple haïtien de se retrouver sur un sol où les calamités naturelles sont une source d’inquiétude permanente. Il serait difficile d’arriver à Ouidah au Bénin et ne pas verser des larmes. En effet, la ville de Ouidah, à 37 km de Cotonou, est le lieu historique des cérémonies du Vodou chaque année en janvier où de nombreux Africains partirent comme esclaves pour fonder des pays comme Haïti.

Des lopins de terre pour les Haïtiens qui veulent s’installer en Afrique, le continent de leur origine

Les dirigeants de l’Union africaine doivent également favoriser l’obtention d’un passeport d’un pays africain du choix du Haïtien qui le solliciterait pour se rapprocher de la terre de ses ancêtres. Par ailleurs, il serait tout aussi encourageant de promouvoir, auprès des chefs d’État africains, la possibilité pour les Haïtiens de pouvoir obtenir des lopins de terre pour ceux qui veulent s’installer sur le continent de leur origine. C’est la raison pour laquelle il faut apprécier, à sa juste valeur, la proposition du Président sénégalais Abdoulaye Wade qui se dit prêt à trouver un espace de terre au Sénégal pour le mettre à la disposition des Haïtiens qui aimeraient s’établir dans ce pays. La RDC et le Gabon ont accordé respectivement des dons de 2,5 millions et un million de dollars. Quant au Maroc , en dehors d’une aide d’un million de dollars, ce pays a envoyé un avion cargo avec 15 tonnes d’aliments et de médicaments. L’ Afrique du Sud , pour sa part, coordonne des opérations de secours à Haïti, grâce à son centre national de gestion des catastrophes (NDMC) et Rescue South Africa. C’est ainsi qu’une équipe de volontaires spécialistes de la réaction d’urgence, des services publics et privés d’urgence, constituée de sauveteurs, de médecins, d’auxiliaires médicaux spécialisés en traumatologie, d’unités de recherche canine K9, de spécialistes du génie civil, de la chimie et de la sécurité est déployée dans ce pays. D’autres pays africains envisagent de soutenir Haïti pour sa reconstruction. Malgré ces bonnes volontés de quelques États sur le continent, nous pensons qu’une action coordonnée de soutien multiforme, notamment financier de tous les pays africains, dans le cadre d’un sommet des États pour la reconstruction d’Haïti organisé par l’Union africaine, aurait eu l’avantage de parler d’une même voix et de mobiliser d’énormes ressources pour ce pays en ruines. Par ailleurs, l’organisation d’un téléthon pour Haïti, au niveau de chaque État, pourrait permettre également d’obtenir généreusement l’appui des citoyens et des entreprises qui veulent participer à l’effort global de reconstruction de ce pays exsangue. Toutes ces masses financières devraient être mises à la disposition de l’Union africaine qui se chargerait d’annoncer la contribution globale de l’Afrique au peuple frère d’Haïti. Ainsi, pour une fois, l’Union africaine, à l’exemple de l’Union européenne, montrerait au reste du monde qu’elle n’attend pas toujours des États développés et que ce continent peut aussi parler d’une même voix en apportant de l’aide à un pays miné par de multiples catastrophes naturelles depuis de nombreuses années.

L’Afrique a aussi le devoir de participer à la reconstruction d’Haïti

Le gouvernement du Canada a organisé le 25 janvier à Montréal, un sommet pour la reconstruction d’Haïti avec la participation d’une quinzaine de pays amis, surtout d’Europe et d’Amérique. Il est important pour l’Afrique de jouer également sa meilleure partition pour la reconstruction d’Haïti dont les citoyens sont d’origine totalement africaine. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Avec ce séisme extrêmement meurtrier et dévastateur pour Haïti, le continent africain doit impérativement marquer d’une pierre blanche son soutien inconditionnel au pays le plus pauvre des Amériques et du monde.

Ici et là, dans les analyses de certains médias du Nord, de plus en plus, on entend souvent parler de « fatalité » ou de « malédiction » d’un peuple qui subit la colère de la divinité suprême. Ce discours malsain est tout à fait injuste et inadapté, voire inconcevable et inadmissible. Il ne doit pas être admis par une diplomatie africaine du mutisme. Ne rien faire en Afrique de vraiment important pour montrer sa solidarité au peuple haïtien meurtri, c’est donner raison à celles et à ceux qui font ces analyses. Autrement dit, c’est accepter, d’une manière générale, que l’Africain où qu’il se trouve sur son sol est toujours appelé à vivre la souffrance devant l’aisance du monde occidental. Le séisme extrêmement dévastateur en Haïti doit être l’occasion pour l’Union africaine, notamment pour les Présidents africains, de réfléchir sur des actions de forte signification à poser pour venir en aide à ce pays. Il serait tout aussi important pour l’Union africaine d’envisager l’organisation d’un sommet sur la diaspora africaine et le développement pour réfléchir à l’apport de ces Africains de l’extérieur à l’essor du continent.

Au lieu de continuer à jouer un rôle passif, même lorsqu’il s’agit de se faire entendre par une diplomatie de l’action, l’Afrique doit porter haut sa voix face au désastre dans le pays de Toussaint Louverture qui doit se retourner certainement dans sa dernière demeure en observant les pays africains évoluer en rang dispersé pour aider leurs frères et sœurs d’Haïti durement frappés par le malheur. | Ferdinand Mayega (AEM), à Montréal, Canada