HAITI TREMBLEMENT DE TERRE: On peut reconstruire une ville nouvelle à Port-au-Prince même

Interview - L'Agence française de développement décrypte pour TF1 News les problématiques de la reconstruction d'Haïti. Elle estime notamment qu'il est possible de rebâtir une ville solide, aux normes de sécurité, sur les ruines de la capitale.

Louis Jacques-Vaillant est le responsable du département Amérique latine et Caraïbes de l'Agence française de développement. Institution financière, l'AFD fait partie du dispositif français de l'aide publique en faveur des pays pauvres.

TF1 News : Vous revenez d'Haïti où vous avez réalisé une mission d'évaluation. En quoi consistait-elle concrètement ?
Louis-Jacques Vaillant : Tout d'abord, il s'agissait de réconforter nos collègues installés sur place et qui vivent désormais dans des conditions difficiles. Nous voulions également vérifier comment l'agence pouvait redémarrer son activité et plus globalement comment le pays pouvait repartir étant donné que les structures mêmes de l'Etat ont été durement touchées, avec de nombreux ministères détruits et de hauts-fonctionnaires tués. Enfin, il s'agissait de réfléchir à la problématique de la reconstruction et de participer à la première réunion des bailleurs de fonds, organisée par l'Union européenne, pour évaluer les besoins.

TF1 News : Au regard de votre expérience sur les séismes précédents, quelle sera la principale difficulté de la reconstruction en Haïti ?
L.-J. V. : Elle provient en fait de la situation d'avant-séisme : l'Etat haïtien était très faible et la situation économique et sociale très difficile. Le tremblement de terre a évidemment aggravé la situation. Dans l'immédiat, il ne faut surtout pas que les camps d'urgence perdurent. Et sur le long terme, il faut se poser trois questions.

TF1 News : Lesquelles ?
L.-J. V. : Tout d'abord, nous devons connaître la vision de l'Etat haïtien et sa stratégie économique. Ce sera l'objectif de la conférence internationale qui se tiendra fin mars ou début avril. Le gouvernement devra nous présenter une stratégie claire de redressement. Ensuite, il faut s'interroger sur la manière de coordonner correctement l'action des bailleurs de fonds et des ONG. Il ne faut pas que chacun agisse dans son coin. Il s'agira également de l'un des objectifs de la conférence internationale. Enfin, nous devons aborder la question de la réalisation effective de la reconstruction et de la maîtrise d'œuvre des opérations. Différents fonctionnements sont possibles. Le meilleur nous semble être la création d'une agence haïtienne d'investissement et de reconstruction.

"Réfléchir sur l'aménagement du territoire"

TF1 News : Paradoxalement, le séisme n'est-il pas une "chance" pour offrir aux survivants des logements décents, en dur et aux normes antisismiques, à la place des bidonvilles actuels ?
L.-J. V. : Au-delà de la reconstruction en elle-même, c'est en effet l'occasion de réfléchir sur l'aménagement du territoire. Quelle doit être la politique en matière agricole afin d'assurer la viabilité du monde rural et de la sécurité alimentaire ? A Port-au-Prince, quelle doit être la relation entre les habitants et le territoire, par exemple les équipements publics ? Quelle doit être la relation entre la capitale et les principales villes du pays ? Tout ceci suppose de mettre en place un schéma d'aménagement urbain. Et cela peut impliquer de reconstruire la ville sur la ville avec des matériaux antisismiques. Mais il y a là un problème à gérer entre le court terme, c'est-à-dire le relogement rapides des sinistrés, et le long terme, c'est-à-dire l'avenir de la ville. Les élus locaux haïtiens ont un grand rôle à jouer.

TF1 News : A Port-au-Prince, faut-il reconstruire aux mêmes endroits ou ailleurs, quitte à déplacer les habitants ?
L.-J. V. : Avant le séisme, Port-au-Prince n'était pas très dense. Elle avait plutôt tendance à s'étaler. La reconstruction doit permettre de réfléchir à une densification afin de ne pas étirer la ville et surtout éviter que les camps de réfugiés ne s'étendent. Il est donc tout à fait possible de construire une "ville nouvelle" à l'emplacement même de la catastrophe. Il est vrai également que nombreuses personnes sont retournées vivre dans leur ville d'origine. C'est l'occasion d'investir dans ces localités pour les relancer.

"L'Etat haïtien doit amener sa vision des choses"

TF1 News : Qui doit-intervenir : Etats, ONG, organisations internationales, diaspora, secteur privé ?
L.-J. V. : Le sujet sera débattu lors de la conférence internationale. Avec notre expérience, nous estimons qu'il faut un maître d'ouvrage fort qui concentrera le financement puis gérera les opérations en les faisant mettre en œuvre par des structures dédiées financées par les bailleurs de fonds, avec la participation de la diaspora. Tout ceci dépend d'un cadre politique et stratégique qui doit être décidé par le gouvernement. Pour être efficace, il faut qu'il s'appuie sur une politique à moyen terme explicite, des actions stratégiques mises en place par les ministères et une agence de mise en œuvre forte. C'est à l'Etat haïtien de nous amener sa vision de choses, pas aux bailleurs de fonds ni aux ONG.

TF1 News : Haïti est un pays très inégalitaire : comment éviter que la reconstruction ne profite aux Haïtiens les plus riches aux dépens de la grande majorité des plus démunis ?
L.-J. V. : La catastrophe a touché toute les classes sociales. Les gens qui possédaient des biens immobiliers les ont retrouvés par terre et ne valant plus rien. On peut espérer un sursaut de la population, qu'elle devienne plus solidaire.

TF1 News : Combien de temps durera la reconstruction ?
L.-J. V. : Si par malheur, on en revenait à une situation pré-séisme, cela pourrait durer très très longtemps. On peut en effet imaginer un scénario catastrophe avec une "bidonvillisation" des camps de réfugiés. Il faut le refuser. Dans une optique positive, reconstruire durera entre cinq et dix ans.