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Haïti-Histoire : Le dictateur François Duvalier et la foule

Ndlr : Des réactions très positives ont été enregistrées à Paris, le samedi 14 novembre 2009, à la suite de la lecture de la communication scientifique du journaliste haïtien Wien Weibert Arthus [1], présentée dans le cadre de la journée d’études de l’Ecole doctorale d’histoire de l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne).

Pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’auteur de la communication n’était pas présent pour lire sa communication et participer au débat.

AlterPresse livre un résumé de la communication faite, rédigée par Wien Weibert Arthus, doctorant à l’Université de Paris I en Identités, relations internationales et civilisation de l’Europe (UMR IRICE).

Par Wien Weibert Arthus [2]

Welcome OEA : 30 avril 1963, François Duvalier mobilise la foule pour accueillir la mission d’enquête de l’Organisation des Etats Américains [3]

L’objectif de cette communication est d’analyser, au travers d’un événement précis, les relations entre l’un des plus féroces dictateurs de l’Amérique Latine, François Duvalier, et la foule.

Le 30 avril 1963, une mission d’enquête de l’Organisation des Etats Américains (Oea) arrive à Port-au-Prince, suite à la violation de l’ambassade de la République Dominicaine par les troupes gouvernementales haïtiennes.

La mission est accueillie par des milliers de gens qui chantent, dansent et se saoulent au tafia. Ils sont 30 à 40,000 d’après certains témoins, 100,000 selon la presse officielle et 150,000 dans les mémoires de Duvalier.

Cet attroupement contraste avec la sombre atmosphère que les ambassadeurs s’attendaient à voir dans cette ville qui vient de connaître des moments horribles, selon la description faite par des diplomates latino-américains en poste à Port-au-Prince.

Mais, pour les diplomates qui résident dans la capitale haïtienne, il n’y a rien d’étonnant. En effet, le président haïtien organise régulièrement des rassemblements massifs, question de donner une assise populaire à son régime.

Duvalier agit comme si les armes et les cachots ne suffisent pas pour le maintenir au pouvoir. Il fait rassembler des foules immenses pour célébrer son anniversaire de naissance (7 avril) et celui de son accession à la présidence (22 septembre), commémorer les fêtes nationales (1er janvier, 1er mai, 18 mai, 18 novembre), assister aux exécutions spectaculaires des opposants et, comme en avril 1963, accueillir les personnalités ou délégations étrangères en mission en Haïti.

Qui compose ces foules qui, toujours nombreuses, crient « Vive Duvalier » ? Quel rôle joue le pouvoir dans l’organisation de ces rassemblements ? Quelle est la place accordée aux habitants de Port-au-Prince (la capitale d’Haïti) dans ces manifestations de soutien à Duvalier organisées dans cette ville ?

L’analyse approfondie de la manifestation du 30 avril 1963 permet d’apporter quelques éclairages autour des spectaculaires rassemblements pro-Duvalier et des relations existant entre le président haïtien et la foule.

I.- Une manifestation planifiée et encadrée par le pouvoir

La veille de la manifestation, plusieurs milliers de paysans sont arrachés des provinces et amenés à la capitale à bord des bus, des camions de l’armée et des bateaux des garde-côtes pour venir crier « Vive Duvalier », en face du palais présidentiel, là où le président reçoit la délégation de l’Oea.

En clair, les manifestants ne sont pas toujours des volontaires. Dans la grande majorité des cas, ce sont les Tontons Macoutes (la milice de Duvalier) et militaires de leurs localités qui les enjoignent de faire le voyage vers Port-au-Prince.

Certains débarquent pour la toute première fois dans cette ville, où ils n’ont ni proches parents ni amis. Sur place, ils sont logés dans les écoles publiques, situées non loin du siège de la présidence. Les lieux sont religieusement gardés par les Tontons Macoutes, de manière à éviter toutes formes de désertion.

Les paysans, fraîchement arrivés des provinces, sont rejoints par ceux qui les ont précédés dans le cadre des manifestations antérieures.

Le jour du rassemblement, les camions de l’armée font le tour des bidonvilles de Port-au-Prince et ses banlieues, récupérant des milliers de fanatiques et de manifestants professionnels. Des tambours retentissent parmi les différentes bandes qui paradent.

Du rhum est distribué gratuitement. Les banderoles et slogans sont l’œuvre des proches fidèles. L’armée et la milice se chargent de l’encadrement, question d’éviter des infiltrations d’opposants.

Selon les commentaires du journaliste Bernard Diederich, François Duvalier est, en ce sens, un remarquable maître de cérémonies. La principale tâche qui est confiée à la foule, c’est de reprendre en chœur les slogans et chansons composés à la gloire du président, Papa Doc. Et, selon les observations de l’ambassadeur de France en Haïti, il ne fait aucun doute comme à chaque fois : « la foule ne demande pas mieux que de se livrer à des réjouissances carnavalesques ».

Est-ce qu’on peut pour autant parler d’une foule pro-Duvalier ?

II- Une foule pro-Duvalier ?

Originellement, la foule qui acclame Duvalier n’est pas idéologiquement homogène.

Il y a, bien entendu, les fanatiques ou bénéficiaires du pouvoir qui, sans contrainte, adulent Duvalier. Il y a aussi ces paysans, emmenés de force de leur province, qui ne sont forcément ni duvaliéristes ni opposants.

A cette catégorie s’ajoutent les habitants des bidonvilles pauvres de Port-au-Prince qui, s’ils ne sont pas forcés, sont attirés par le rhum et l’ambiance.

Cependant, en dépit de cette dissemblance idéologique, les gens qui composent la foule peuvent tous, à un moment ou un autre du rassemblement, se reconnaître en Duvalier.

François Duvalier, Noir et d’origine populaire, s’identifie à la majorité des Haïtiens – la population est composée de plus de 95% de Noirs. De plus, médecin de campagne, il est initié au vaudou, religion d’origine africaine pratiquée par la majorité noire, qu’il défend contre le catholicisme.

Par contraste, l’opposition à Duvalier est majoritairement composée de mulâtres et de citadins.

Au sein de la manifestation, on compte très peu d’habitants de Port-au-Prince (utilisons le thème impropre de Port-au-princien de souche, pour bien définir le cadre).

En plus des considérations politiques, la participation limitée des habitants de Port-au-Prince est liée au contexte même de la manifestation du 30 avril.

En 1963, Duvalier a sept ans au pouvoir. Les hommes politiques, journalistes, intellectuels, prêtres, militaires, étudiants, syndicalistes,…, qui sont exécutés ou chassés depuis 1957, et ils sont nombreux, habitaient dans leur grande majorité à Port-au-Prince.

Le 20 avril 1963, Duvalier a limogé soixante-cinq officiers (65) de l’armée, suite à une tentative de coup d’état le 10 avril. Vers la mi-avril, environ 150 personnes, dont des familles entières, se refugient dans des ambassades.

Le jour même de la manifestation, on sent encore, dans la ville, l’odeur de maisons incendiées et des corps brulés vifs quatre jours plus tôt. Dans une telle atmosphère, Duvalier, qui voit sa popularité s’effriter depuis quelques temps déjà, a préféré utiliser une foule de paysans qui, même présents contre leur gré ni sans être au départ des partisans convaincus, peuvent s’identifier à sa personne, pour sa mise en scène dans la capitale sans la participation des citadins.

III.- La voix de la foule : le projet de Duvalier

En convoquant la foule, Duvalier vise deux objectifs : donner à la délégation de l’Oea une preuve de sa popularité et, par la même occasion, assurer sa conservation du pouvoir.

La foule est mobilisée dès le début de la journée, alors que la délégation doit être reçue au palais vers 17 heures. Les délégués arrivent à l’heure dite, mais le président ne les reçoit qu’une vingtaine de minutes plus tard.

Au cours de cette attente, certainement planifiée, les émissaires de l’Oea reçoivent les échos de ces milliers de voix qui soutiennent le président. Et, Duvalier ne se contente pas de réunir la foule pour chanter et crier son nom sans le jeu du contact direct avec eux à travers son arme favorite : la parole.

Le spectacle est parfaitement décrit par deux journalistes, Bernard Diederich et Al Burt :

« Duvalier vient d’apparaître au balcon. Il lève les bras dans un geste de victoire… En bas, la foule échauffée par l’alcool et l’enthousiasme… Le bruit des tam-tams se fait lancinant. Les danseurs se tire-bouchonnent et les choristes serinent comme il se doit : « Duvalier ou la mort »… Enfin Duvalier apparait au micro. Les Tontons Macoutes et les autres officiels se tiennent près de lui…A petits gestes, il réclame le silence à la foule assemblée. Puis il commence à parler ».

Dans son adresse à la foule, Duvalier n’utilise pas de texte écrit.

Son discours est un ensemble de slogans, dont le sens est parfois imperceptible, mais dont l’effet sur la foule, le rhum aidant, est immesurable. Le message est entrecoupé par des « Vive Duvalier », « Duvalier ou la Mort ».

Tout à coup, une partie de la foule se met à crier : « Duvalier à vie ».

Quand ce cri lui parvient, enfin, le président, dans une sorte de dialogue avec la foule, répond : « Si c’est votre désir, c’est votre volonté que je sois le huitième président à vie de notre histoire, je suis prêt à répondre au vœu de la nation ».

Plusieurs éléments, cependant, montrent que le « Duvalier à vie », lancé au milieu de la foule et repris en chœur par celle-ci, a fait partie de la mise en scène.

D’abord, le président, dont le mandat constitutionnel arrive à terme en mai 1963, s’est fait réélire illégalement et refuse de partir malgré les pressions de l’administration de John Kennedy.

De plus, dans la photographie utilisée par Duvalier dans ses Mémoires pour illustrer la manifestation du 30 avril, on lit dans une des pancartes ‘‘préparées pour la manifestation’’ : « Papa Doc Ou là Pour Tout Temps ».

En guise de conclusion, la mobilisation de la foule du 30 avril 1963, pour accueillir la mission d’enquête de l’Oea en Haïti, n’a rien de spontané.

Elle vise un objectif précis : montrer aux yeux de la communauté internationale que François Duvalier est un président populaire et que son intention de rester au pouvoir témoigne de la volonté populaire.

La foule et la prétendue demande spontanée, adressée en faveur de l’éternel maintien du président au pouvoir, ne sont que des instruments utilisés par Duvalier pour atteindre ses fins.

En juin 1964, il se fait effectivement proclamer président à vie d’Haïti.

Quant à ceux qui sont embarqués des provinces pour venir grossir la foule à Port-au-Prince, ils ne sont pas ramenés dans leurs localités. Ils restent dans la capitale, vivant de petits boulots ou de mendicité, en attendant le prochain rassemblement, au cours duquel ils auront au moins droit à quelques gorgées de rhum.

[1] Doctorant de l’UMR IRICE (Identités, relations internationales et civilisation de l’Europe), Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) le 14 novembre 2009.

[2] Idem

[3] Résumé de la communication présentée à la journée d’études de l’Ecole doctorale d’histoire de l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) le 14 novembre 2009.