Source: Cyberpress.ca
Publié le 30 décembre 2010 à 05h00 | Mis à jour à 05h00
Le bébé et l'eau du bain
Brigitte Breton
Le Soleil
(Québec) Retrait préventif de la travailleuse enceinte et congé de maternité, du pareil au même? C'est du moins ce que prétend le patronat québécois. C'est aussi ce qu'avance le président d'un groupe de travail de la CSST, Viateur Camiré.
Les centrales syndicales réfutent évidemment ce constat. Sans jeter le bébé avec l'eau du bain, il faut pourtant reconnaître qu'après 30 ans d'existence, ce volet de la Loi sur la santé et la sécurité du travail a besoin d'être resserré.
La protection de la santé et de la sécurité de la travailleuse enceinte et de l'enfant qu'elle porte demeure bien sûr un objectif à préserver. Travail et grossesse sont tout à fait conciliables. Ils doivent l'être puisque 80 % des Québécoises de 25 à 44 ans sont actives sur le marché du travail.
Depuis 1981, il est prévu dans la loi que la femme enceinte (ou qui allaite) qui travaille dans des conditions dangereuses pour elle ou pour son enfant doit être affectée à d'autres tâches qu'elle est en mesure d'accomplir. S'il y a impossibilité pour l'employeur d'éliminer le danger ou de réaffecter la travailleuse, celle-ci peut bénéficier d'un retrait préventif et toucher 90 % de son salaire en restant à la maison.
Selon le patronat, le retrait préventif est devenu la norme et un accès rapide au congé de maternité qui n'existe nulle part ailleurs en Amérique. Il l'assimile même à une mesure sociale et de ce fait, il estime que les employeurs ne devraient pas être les seuls à en assumer le coût. La facture devrait être refilée au régime d'assurance parentale ou à celui d'assurance emploi, et ainsi, être partagée avec les travailleurs.
Nous n'adhérons pas à ce point de vue. Il appartient à l'employeur de s'assurer que le lieu et les conditions de travail sont sécuritaires. Il est aussi de sa responsabilité de réaffecter la salariée à un autre poste. Le programme «Pour une maternité sans danger» est bel et bien une composante de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et non une mesure sociale pro-natalité ou pro-famille.
Des éléments soulevés par le patronat et le président Camiré méritent toutefois d'être examinés plus à fond. A-t-on dénaturé l'esprit de la loi? Certes, les femmes sont plus nombreuses qu'avant sur le marché du travail. Mais est-ce que cela explique totalement que 80 % des travailleuses enceintes ont été retirées du travail en 2008? Les employeurs prennent-ils la peine d'améliorer le milieu de travail ou de dénicher un poste adéquat pour la future maman, comme le stipule la loi? Les organisations syndicales notent que 91 % des retraits préventifs proviennent de secteurs où les outils de prévention font défaut.
Trop précautionneux?
Sommes-nous devenus trop précautionneux en retirant du travail une femme enceinte qui continuera pourtant d'être exposée à des dangers à la maison, au centre commercial et dans les lieux publics? La récente pandémie de grippe A (H1N1) est une bonne illustration de la particularité québécoise. Ici, 2718 travailleuses ont été exclues du travail et indemnisées à cause de cette menace, entraînant un coût supplémentaire de 23,2 millions $ pour la CSST. Aucune autre province n'a agi de la sorte.
Il faut également s'interroger sur le fait que la loi ne soit pas appliquée de façon uniforme dans toute la province. Il est aussi étonnant de voir que la CSST et ses dirigeants ne s'en remettent pas à des experts externes pour suivre l'évolution du programme de retrait préventif et pour déterminer quelles sont les meilleures pratiques à instaurer.
«Pour une maternité sans danger» a permis, selon des chercheurs, de sauver des vies et de donner naissance à des bébés en meilleure santé. Si les fondements du programme demeurent pertinents, cela n'empêche nullement de viser plus d'efficacité et de rigueur dans son application.