L’invention critique de la Bible, XVe-XVIIIe siècle de Pierre Gibert.
La plupart des spécialistes font débuter au XVIIIe siècle l’exégèse critique de l’Ancien Testament, quelques précurseurs, rarement lus, recevant parfois un bref hommage. Ce n’est pas l’avis de Pierre Gibert qui, dans cet ouvrage, fait remonter l’analyse critique de la Bible au XVe siècle. Pierre Gibert a publié de nombreux ouvrages, savants ou de vulgarisation, sur la Bible. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’histoire de l’exégèse de l’Ancien Testament. L’Invention critique de la Bible poursuit et complète ses études consacrées aux ouvrages pionniers de Richard Simon (Histoire critique du Vieux Testament, Bayard, 2008) et Jean Astruc (Conjectures sur la Genèse, Noesis, 1999). L’auteur présente les travaux des principaux fondateurs. Ils sont chrétiens ou juifs. Certains, comme Érasme et Spinoza, sont célèbres. D’autres, tels Lorenzo Valla, Elias Levita, Louis Meyer, Richard Simon ou le grand Sébastien Castellion, sont peu connus mais tout aussi fascinants et importants. Les premiers exégètes critiques veulent surtout restaurer dans son authentique splendeur un édifice un peu abîmé. Il s’agit de reconstituer la vérité du texte, d’abord en grec, puis en hébreu, la langue originelle. Mais loin de clarifier les difficultés, ces travaux en font surgir d’autres. Les exégètes s’interrogeront alors sur la composition des écrits de la Bible, leur évolution rédactionnelle, l’identité de leur(s) auteur(s) et parfois même leur historicité, ce qui causera à certains d’entre eux des ennuis avec les autorités religieuses. Pierre Gibert raconte avec brio toutes ces avancées intellectuelles.
Certains pourront penser qu’il s’agit d’un exercice d’érudition sur un sujet académique. Mais ce serait oublier l’importance fondamentale de l’Ancien Testament dans la vie et la culture du monde chrétien. L’Ancien Testament était partout. Il garantissait la validité de la révélation chrétienne. Jusqu’au XVIIIe siècle, la Genèse constitua le récit officiel et rarement contesté de la création du monde et des premiers temps de l’espèce humaine. La création du monde en six jours, l’existence d’Adam et Ève ainsi que celle du déluge et de l’Arche de Noé n’étaient guère mises en doute. Avec la découverte de nouveaux mondes et les progrès de la science, l’exégèse critique a contribué au remplacement de récits mythiques par des connaissances scientifiques. La persistance des idées créationnistes, notamment aux États-Unis, et d’autres résistances montrent que l’approche critique de la Bible est un progrès qu’il convient de défendre. Écrit dans un style élégant et clair, l’Invention critique de la Bible est un livre dense et érudit qui se déguste plus qu’il ne se dévore. Sa lecture enrichira les spécialistes ainsi qu’un public que l’on espère très large.