Bioéthique - L’euthanasie, les lobbies et la loi Par Henrik Lindell

Source: temoignagechretien.fr
Le débat sur l’euthanasie, réactualisé cet automne par une propo­sition de loi de sénateurs sur « l’aide active à mourir », nous invite à réfléchir au sens de la vie, à la dignité et à la nécessité d’améliorer les soins palliatifs.

Régulièrement, des situations personnelles médiatisées relancent le débat sur l’euthanasie, interdite en France. Ces dernières années, les Français ont été sensibilisés à cette problématique par le décès de Vincent Humbert, un jeune tétraplégique euthanasié en 2003 par son médecin avec la complicité de sa mère, et par Chantal Sébire, atteinte d’un cancer, qui s’est suicidée en 2008 grâce à l’aide d’un médecin.

L’utilisation par différents groupes de pression de ces drames individuels a contribué à populariser la cause des défenseurs de « l’aide active à mourir ».

Le débat est de nouveau d’actualité avec une proposition de loi de plusieurs dizaines de sénateurs qui souhaitent autoriser l’aide active à mourir .

Des associations catholiques dont l’Alliance pour les droits de la vie ont lancé une pétition pour défendre un principe : « ni euthanasie, ni acharnement thérapeutique ». Un principe qui correspond pour certains à une conviction religieuse et pour d’autres à l’esprit d’une des lois les plus consensuelles jamais adoptées dans ce pays : la loi Leonetti, votée en 2005.

REVOLUTION

Un débat au Sénat devait avoir lieu le 16 novembre, mais il a été repoussé au mois de janvier 2011. Seront alors discutés des amendements provenant de la proposition « relative à l’aide à mourir » faite le 12 juillet par les sénateurs socialistes Jean-Pierre Godefroy, Patricia Schillinger, Raymonde Le Texier et Annie Jarraud-Vergnolle, rejoints par 46 autres dont François Rebsamen (PS), Catherine Tasca (PS) et Marie-Christine Blandin ( Europe Écologie – Les Verts ).

Des élus qui veulent changer la loi Leonetti pour qu’elle intègre notamment cet article : « Toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée pour mourir. »

Cet article, s’il était voté, correspondrait à une révolution en matière de soins donnés aux mourants en France. Des médecins obtiendraient le droit de mettre fin à la vie d’une personne. Les auteurs s’inspirent directement d’une loi en vigueur depuis 2001 aux Pays-Bas autorisant l’euthanasie.

Cette proposition s’inscrit dans une série du même type soumise depuis plusieurs années au Sénat. La dernière proposition date du 13 octobre. Elle porte sur « l’euthanasie volontaire ». Elle a été élaborée par les sénateurs Guy Fischer, François Autain et Annie David, membres du groupe Communiste, républicain et citoyen soutenus par 14 autres dont Robert Hue.

Ils proposent d’introduire cet article dans le droit français : « Toute personne capable, en phase avancée ou terminale d’une affection reconnue grave et incurable quelle qu’en soit la cause ou placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier d’une euthanasie volontaire. »

L’originalité de cette proposition est sa relative imprécision ( qu’est-ce qu’une personne « capable » ? ) et la combinaison des termes « dignité » et « euthanasie ».

Le terme de « dignité », dans ce contexte où on ne l’attendait pas forcément, est utilisé avec insistance par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Avec ses 47 700 membres, c’est une puissante organisation de lobbying.

Elle a le soutien de dizaines de députés et sénateurs, de gauche comme de droite, de journalistes et d’intellectuels de renom. Son président Jean-Luc Romero, ex-UMP, est conseiller régional d’Île-de-France apparenté PS. Son vice-président Alain Fouché est sénateur UMP et auteur d’une proposition de loi pour l’aide active à mourir déposée en 2009.

Le nombre d’adhérents « augmente d’une façon constante depuis trente ans », déclare son délégué général Philippe Lohéac. Les bénévoles ont une moyenne d’âge de 72 ans. L’objectif de l’association est de faire en sorte que l’euthanasie soit autorisée par la loi, comme c’est le cas dans les pays du Benelux.

LOI LEONETTI

Cette cause serait extraordinairement populaire, à en croire tous les sondages faits sur la question. Comme l’a rapporté l’AFP le 2 novembre dernier, « 94 % des Français sont favorables à une loi autorisant l’euthanasie ». Et puis : « Ce chiffre est en hausse par rapport aux résultats d’un sondage similaire publié en mai 2009 (86,9 %). » Une cause peut-être un peu plus complexe que l’image compassionnelle qui l’accompagne souvent.

Commençons par un simple rappel : l’actuelle loi relative aux droits des malades à la fin de vie, du 22 avril 2005, a été adoptée par les parlementaires à la quasi-unanimité ( trois abstentions seulement ).

Avant le vote, son rapporteur, Jean Leonetti, cardiologue, député-maire (UMP) d’Antibes (06), avait mené une large consultation, en organisant 80 auditions pendant neuf mois. Selon ce texte, toute forme d’euthanasie ( suicide assisté, aide active à mourir… ) reste interdite, mais la loi permet de suspendre des actes médicaux qui ont pour effet de maintenir artificiellement la vie et qui apparaissent inutiles et disproportionnés (« acharnement thérapeutique »).

La loi autorise aussi des traitements qui pourraient avoir pour effet secondaire d’abréger la vie si (et seulement « si ») ces derniers permettent de soulager la souffrance, si la procédure est inscrite dans le dossier médical et si la famille du patient a été informée.

Le patient a aussi le droit de refuser des soins, par exemple certaines opérations lorsqu’il est en phase terminale d’un cancer. Cette volonté doit figurer dans le dossier médical. Le médecin doit aussi – toujours – proposer aux patients des soins palliatifs. Les Français connaissent-ils vraiment tous la portée réelle de cette loi ? Et le champs large d’actions qu’elle permet auprès des mourants ? Il est permis d’en douter.


SONDAGES CONTRADICTOIRES

De même peut-on douter de la signification des sondages qui, dans ce domaine comme dans d’au­tres, peuvent dire tout et son contraire (la vie politique française nous en donne des exemples quasi-quotidiens). Prenons le dernier du genre, effectué par l’Ifop du 21 au 22 octobre 2010 pour Sud-Ouest Dimanche.

L’échantillon était de 956 personnes représentatives âgées de 18 ans et plus. La conclusion des sondeurs paraissait claire : 94 % de ces personnes ont dit « oui à l’euthanasie ».

Et à quelle question précise ont-elles répondu « oui »? Celle-ci : « Certaines personnes souffrant de maladies insupportables et incurables demandent parfois aux médecins une euthanasie, c’est-à-dire qu’on mette fin à leur vie, sans souffrance. Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? » Une question légèrement orientée…

Jean Leonetti, qui est résolument opposé à l’euthanasie, a déclaré lui-même qu’il aurait répondu « oui » à la question… Répondre « non » revient à dire qu’on est favorable à la souffrance des personnes mourantes.

Quand on se penche en détail sur ce sondage, on découvre que 58 % des sondés considèrent que la loi devrait permettre l’euthanasie seulement « dans certains cas ». Et 36 % jugeraient qu’elle devrait être appliquée à toutes les personnes atteintes de maladies insupportables et incurables.

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Bref, on passe donc des 94 % annoncés triomphalement par certains lobbies à 36 % de personnes vraiment convain­cues… Quant à l’argumentation précise des sénateurs cités plus haut et de l’ADMD, qui se réfèrent abondamment aux quelques situations individuelles ultra-médiatisées, elle mérite aussi d’être étudiée attentivement.

MINISTRES ET JOURNALISTES PRO-EUTHANASIE

Revenons par exemple sur ce qu’a vécu Chantal Sébire, défigurée et handicapée par une tumeur inopérable, morte à 52 ans le 19 mars 2008. Elle souffrait atrocement. Pour elle, sa vie n’avait plus de sens, si ce n’était sa lutte pour qu’on l’aide à mourir en toute conscience.

Le 17 mars, deux jours avant sa mort, la justice française lui avait refusé le droit de se faire prescrire un produit létal. Elle avait alors dit qu’elle pouvait l’acheter dans un autre pays. Elle est décédée après l’absorption d’un barbiturique.

Sa situation avait suscité une vague d’émotion, relayée dans les médias. Chantal Sébire communiquait elle-même beaucoup avec des journalistes, dont plusieurs ont tenu à défendre sa cause. Tous les jours, à la radio et à la télé, pendant une dizaine de jours nous avons assisté à des « débats » où chacun défendait en réalité l’euthanasie.

Même les enfants de Chantal Sébire souhaitaient sa mort, car sa vie leur paraissait effectivement insupportable. Elle était soutenue par l’ADMD. Son avocat, Gilles Antonowicz, était alors vice-président de l’association. Deux ministres du gouvernement Fillon et une grande partie de l’opposition avaient pris position en faveur d’une forme « d’exception d’euthanasie ». Difficile, dans un tel contexte, de trouver des arguments pour un débat contradictoire.

Essayons justement d’étudier les principaux éléments avancés par les défenseurs de l’euthanasie. Et notamment les trois principaux critères qui permettraient, selon eux, d’y avoir recours. D’une part, la demande explicite et réitérée de mourir.

Ce seul critère paraît évident, mais ne l’est pas. On sait maintenant que même Vincent Humbert, qui paraissait si déterminé à mourir, était pourtant ambivalent. Certains jours, il avait envie de vivre, d’après son kinésithérapeute. Chantal Sébire, elle, pa­raissait plus cohérente. Mais avait-elle vraiment bénéficié d’une aide pro­fession­nelle pour sortir de son désir de mourir ?

En réalité, elle ne se soignait plus. Son dossier médical reste un mystère. Or, on sait que certaines personnes qui se savent condamnées s’enferment dans leur volonté de mourir. Mais des professionnels des soins palliatifs arrivent dans l’immense majorité de ces cas-là – 95 % – à aider la personne à trouver à nouveau goût à la vie.

D’autre part, le critère de la souffrance physique. La médecine progresse énormément dans ce domaine. On peut aujourd’hui calmer la plupart des douleurs physiques et même, dans les cas extrêmes, plonger des patients dans un coma artificiel. C’est tout l’enjeu du développement des soins palliatifs.

À ce titre, il convient de rappeler que l’on trouve très peu de personnel travaillant dans ce domaine de soins parmi les militants de l’ADMD. Une information confirmée par Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD.

Enfin, pour permettre l’euthanasie, il faudrait certifier le caractère « incurable » de la maladie. Or depuis que la médecine existe, elle guérit des maladies considérées auparavant comme incurables. Il s’agit d’une notion relative.

L’étude de ces trois critères permet de comprendre, qu’en réalité, toute décision d’autoriser l’euthanasie est for­cément subjective. Alors que les soins palliatifs se révèlent toujours, très objectivement, utiles. Et ils ne s’apparentent pas à l’acharnement thérapeutique, pratique que même l’Église catholique conteste. Ils permettent en revanche de rendre la vie aussi supportable, voire agréable, que possible.

Soins palliatifs - L’objectif des soins palliatifs est de « soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle » d’une personne « atteinte d’une malade grave évolutive ou terminale ». Ces principes, ainsi que le dispositif légal sur la question, la formation des bénévoles, des témoignages, des conseils pratiques, des adresses permettant de contacter des organismes, un livre qui vient de sortir les recense : Vivre et mourir comme un homme (1). Préfacé par le député Jean Leonetti, il est écrit par Cécile B. Loupan, accompagnatrice bénévole auprès de handicapés lourds et de personnes en fin de vie. Outil d’aide et de soutien pour les personnes concernées, le livre peut aussi servir d’argumentaire contre l’aide active à mourir. Pour Cécile B. Loupan, rencontrée à Paris, il n’y a aucun doute : « l’euthanasie s’oppose aux soins palliatifs ». Dont acte.

1. Publié aux éditions de l’Œuvre, ouvrage écrit en collaboration avec l’Association d’accompagnement bénévole en soins palliatifs