En plein cœur de la polémique sur Albert Camus, l’auteur et journaliste français Stéphane Babey, auteur du livre Camus, une passion algérienne paru aux éditions Mille Feuilles, a été convié jeudi dernier par le Centre culturel français d’Alger à animer une rencontre pour justement parler de cet écrivain qui suscite des avis controversés. «Avant d’écrire ce livre à la demande de mon éditeur, j’ai longtemps hésité mais j’ai accepté de le faire à deux conditions : d’abord ne pas faire un livre sur Camus mais avec Camus qui est toujours vivant à travers les débats. La seconde était de parler de cet homme non pas comme auteur ou journaliste mais en tant qu’artiste. Mon livre est un itinéraire camusien et son histoire déchirée avec l’Algérie qui est à l’origine de son œuvre», dira en préambule M. Babey. «Le titre du livre m’est apparu comme une évidence car la passion est un mot qui reflète parfaitement la relation ou le dilemme entre l’auteur et l’Algérie. Une relation faite d’amour et de souffrance. Camus écrit avec son cœur. Il a partagé avec l’Algérie une relation intense pleine d’admiration et de contemplation, c’est pour cela que je m’oppose aux gens qui disent qu’il n’aime de l’Algérie que ses paysages», ajoutera-t-il. Le conférencier prendra pour exemple le reportage de Camus paru dans le journal Alger républicain intitulée «Misère en Kabylie» qu’il juge comme une œuvre détachée de toute orientation politique. «Ce Français d’Algérie avait horreur de l’injustice ; dans ce reportage, il parlait des individus, de l’être humain brisé. Camus, ce passionné, a été mis à l’épreuve. Il a écrit cet article en plein milieu d’un silence général. Il portait sur l’Algérie un regard d’artiste, un regard d’enfant face à une histoire politique», dira-t-il avant de comparer l’auteur à un enfant déchiré par le divorce de ses parents. «Camus a toujours dénoncé mais sans jamais être entendu. Il a été accusé d’être resté silencieux… un silence de deuil, de défaite de l’humain.» Mais ce que ne dit pas M. Babey, c’est que «l’enfant» Camus a fait son choix, sa mère, la France coloniale, dans ce divorce dont il parle. Et ce choix, c’est celui d’un homme en tant que valeur absolue, entité. Quand on parle de tortures, d’exécutions sommaires, de viols, de déculturation, de destruction d’une société, d’un peuple, d’une histoire et d’un pays, on ne peut s’installer confortablement dans cette attitude «détachée de toute orientation politique», qui était le maître d’œuvre de cette colonisation barbare. On ne peut parler de misère et omettre, sciemment, de dire qui en est la cause et sans le dénoncer. Il y avait crime, et l’homme, comme l’artiste, en était témoin. L’homme et l’artiste, Camus l’écrivain et Camus l’homme, ne font qu’un, c’est les deux faces d’une même médaille peu reluisante et c’est tout simplement une mystification pseudo-intellectuelle que de vouloir séparer les deux en encensant l’auteur pour excuser l’homme…
D’ailleurs, l’assistance l’a bien exprimé. La réaction est immédiate et bouillonnante. Un vieil homme lance au conférencier : «Parlez-moi de Henri Maillot, de Maurice Audin. Camus a été récupéré au moment où Sartre avait refusé de l’être. Dans son livre la Peste, il a eu un discours très laïque qui n’est pas le sien. Il a choisi le camp des ‘‘mauvais’’.» Une jeune fille dans la salle soutient les propos du sexagénaire. «Vous avez cité le reportage de Camus, moi je vous renvoie à la réponse de Kateb Yacine parue dans le même journal, c’est là que vous allez découvrir l’erreur de Camus. Il a même refusé de signer une pétition contre l’exécution d’un moudjahid en étant à Alger républicain», conclura-t-elle.
Stéphane Babey tente d’orienter le débat vers un horizon plus plat. «Je suis venu pour parler de Camus l’artiste et, dans ce registre, il n’y a pas de place pour les débats passionnées», déclara-t-il. Face à un public averti, le conférencier essaye de justifier sa démarche mais il ne fait que développer les mêmes idées déjà démontées par la réalité des positions de Camus vis-à-vis de l’Algérie et, surtout, de son combat contre la France pour son indépendance. Toutefois, à la fin de la conférence, Stéphane Babey tourne le dos à Camus en lançant un appel aux autorités françaises pour qu’elles reconnaissent les crimes que la France coloniale a commis en Algérie durant l’occupation et la guerre de libération.