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100 jours en Haïti

La terre a tremblé mais la vie continue. Saran Koly journaliste indépendante en immersion dans la perle noire des Antilles.

«Toutan tèt poko koupe, li espere pote chapo». Tant que la tête n’est pas coupée, elle a l’espoir de porter le chapeau: tant qu’on est vivant, il faut lutter sans jamais désespérer.

C'est escortée par deux «agents de sécurité» que je me déplace dans le camp Pétion-Ville Club. Ce qui jusqu'au 12 janvier était un «green» de golf, le plus grand du pays, est devenu un immense camp de réfugiés. Plus de 40.000 personnes y ont élu domicile après le tremblement de terre.

Alexandra et Perrine font partie des brigades qui maintiennent l'ordre dans le camp. Elles n'ont ni gourdin ni menottes. La nuit? Elles patrouillent avec des hommes.

Nous sommes le samedi 10 avril et une centaine de familles volontaires doit être enregistrée et relocalisée à Corail Cesselesse, un site à 20 km de Port-au-Prince.

C'est l'actualité du jour, de la semaine et peut-être des mois à venir.

En trois mois, les urgences se suivent mais ne se ressemblent pas. Avant les grosses pluies, il faut décongestionner le camp et déplacer (avec leur accord) 7500 personnes installées sur des zones à risque. Elles ont plusieurs «options»: soit retourner dans leur maison si elle n'a pas été écrasée et qu'elle a été expertisée, soit trouver une famille d'accueil. La dernière étant celle du site de Corail.
Schématiquement, le camp Pétion-Ville Club se compose d'une ville haute et d'une ville basse.

La presse internationale s'est massée en haut, où les chefs de familles en rang et dans le calme se font enregistrer par l'OIM (organisation internationale des migrations). Pendant ce temps, le porte-parole de CRS (Christian relief service), répond à une série d'interviews.

Il est temps pour moi de redescendre. A ma première visite, deux jours auparavant, je n'avais pas pu m'entretenir longuement avec les résidents.

Le chemin est sinueux. Il faut marcher sur le bord de grandes tranchées d’où s’évacuent les eaux usées. Il a plu toute la nuit. Le sol est boueux, impraticable. Pourtant les vendeurs de fritay (fritures), produits de beauté, charbon... se sont installés au même endroit que d'habitude. Les enfants courent dans tous les sens. Ils circulent par grappe. Des petits curieux demandent: «ayisyen ou ye?» (Vous êtes haïtienne?) ou crient «blanc» (étranger). Les plus téméraires réclament que je leur tire le portrait. Si c'était demandé plus poliment...

Le petit marché a été déplacé quelques mètres plus haut, il est question d'établir une station de bus à l’endroit qu’il occupait avant. Des ouvriers creusent des canaux, ramassent la boue et la transporte dans des brouettes... Assainir, encore et toujours.

L'«assainissement» est le mot à la mode. C’est grâce à ce type d'emploi qu'une partie des habitants arrivent à nourrir leurs familles. Ils font ce que les organisations internationales appellent: du «cash for work». Drôle de nom. Entre nous, un «work» qui ne rapporte pas de «cash» c’est de l’esclavage non ?

D'autres ont créé leurs micro-entreprises. C'est comme ça que je rencontre Rose, 32 ans, un mari et trois enfants. Ses cheveux sont tressés grossièrement et son visage fatigué. Sous la bâche grise USAID, la chaleur est suffocante. Rose ne s'en plaint pas. Elle s'applique et enlève les peaux mortes des pieds de sa cliente. «Avant le tremblement de terre j'avais mon propre studio de beauté, j'ai essayé d'en ouvrir un ici et ça a marché». Mais la vie est dure et elle regrette sa vie d'avant.

Quand je sors de mon «rôle» de journaliste, je réalise à quel point mes questions peuvent paraître indécentes.

Comment oser demander devant tant de misère, et de promiscuité: «Comment vous vous sentez ici?» ou encore «Comment envisagez-vous l’avenir?».
Paroles d'habitants:

«Je ne me sens pas à l’aise, j’ai besoin d’un vrai foyer» m’a dit Katiana, 25 ans, orpheline depuis de nombreuses années. Elle vit dans le camp avec ses deux petits frères. L’un souffrant de la tuberculose est sous traitement depuis 8 mois.

«J’ai une femme et quatre enfants, je n’ai pas encore trouvé de travail pour les nourrir, donc pour passer le temps, je joue aux cartes avec mes amis, ça passe le temps», m’a raconté un père de famille désolé.

Son compagnon de jeu m’a expliqué, dans un anglais impeccable, comment sa vie a changé depuis qu’il a été expulsé des Etats-Unis. Soutien de famille pendant ses années d’exil, cet ancien chauffeur se sent impuissant face à sa condition.

Une phrase revient sans cesse: «On vit au jour le jour en attendant de trouver mieux.»

Déjà trois mois.