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SCIENCE ET ETHIQUE - La science promet de nous faire vivre au moins 100 ans !

SOURCE: LE FIGARO
Vivre 130 ans, l'incroyable révolution de la science
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Par Christophe Doré

L'homme, pour la première fois, peut modifier et créer la vie en assemblant des molécules comme des Lego. Les perspectives sont vertigineuses : régénérer ou modifier des organes ou en concevoir de toutes pièces. Et, au bout du chemin, l'utopie hallucinante d'un monde de «post humains» immortels. Un rêve ou un cauchemar ?

Moscou. Devant son tableau noir, l'homme dessine des courbes et des formules mathématiques. Le cheveu blanc, la barbe en bataille et les yeux grossis par ses lunettes à verres épais, il flotte dans son costume froissé d'un beige incertain. Vladimir Skoulatchev n'est pas très soucieux de son apparence. Il a pourtant passé l'essentiel de sa vie à traquer les causes de ce qui nous rend moins beaux, moins toniques et moins agiles: le phénomène complexe du vieillissement.

Si Skoulatchev s'agite devant son tableau noir, c'est pour expliquer comment le médicament anti-âge qu'il a mis au point fonctionne. Pour l'instant, la nouvelle n'a pas fait grand bruit. La communauté scientifique reste toujours sceptique dès qu'on promet la pilule miracle, cette fontaine de jouvence dix fois annoncée et jamais révélée. Pourtant, Vladimir Skoulatchev n'a rien d'un illuminé. Il est membre de l'Académie des sciences russe et doyen de la faculté d'ingénierie biologique de l'université de Moscou. Selon lui, son médicament sera commercialisé d'ici à cinq ans. «Il neutralise le vieillissement des tissus à tous les stades», affirme-t-il. Appuyée par le président Dmitri Medvedev en personne et par le milliardaire Oleg Deripaska, qui finance ses recherches, son entreprise a aussi le soutien de la société d'Etat chargée des nanotechnologies, Rosnano. Elle investit 440 millions d'euros dans l'affaire.

A plusieurs milliers de kilomètres de là, au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, personne ne considère les travaux de Vladimir Skoulatchev comme de la science-fiction. Dans un des nombreux laboratoires de biotechnologie de l'institut, une équipe dirigée par le professeur Leonard Guarente travaille depuis plusieurs années sur un gène qui a la faculté de rallonger la vie de tous les organismes. L'activation de ce gène sur des souris provoque des effets surprenants: elles restent sveltes, en meilleure santé et vivent plus longtemps. Le professeur Guarente espère utiliser ce gène pour des médicaments.

L'ultime frontière: reprogrammer la vie

A travers le monde, des milliers de scientifiques comme ceux que nous venons de présenter explorent les chemins de notre longévité. Ce sont les acteurs d'«une révolution telle que la biologie n'en a jamais rencontré dans son histoire, raconte Joël de Rosnay dans son dernier ouvrage Et l'homme créa la vie. Nous sommes parvenus à l'ultime frontière et pour beaucoup l'ultime tabou: l'écriture ou plus exactement la réécriture du livre de la vie.»
Dès 1958, le savant français Jean Rostand avait prédit ce changement. Devant une assemblée d'érudits médusés, il annonçait l'avènement d'un «homo biologicus» et la «certitude que l'homme vivra beaucoup plus longtemps».
Roland Moreau, médecin et biophysicien, inspecteur général des Affaires sociales et auteur de L'immortalité est pour demain, en est également convaincu. «Aujourd'hui, nous savons que la "machine humaine" est programmée pour une durée de vie déterminée, une longévité moyenne autour de 120 ans. Nous avons donc la possibilité théorique d'atteindre cet âge et pour certains de le dépasser.»

Effacer les inégalités génétiques

Si l'on en croit les statistiques, une fille sur deux qui naît aujourd'hui en France sera centenaire. Et ce serait le cas de tous les enfants qui verront le jour après 2027... «Pour peu que l'hygiène de vie des pays développés ne se dégrade pas», nuance Roland Moreau. De telles perspectives supposent que certains de nos enfants ou petits-enfants fêteront allègrement leurs 130 ans. L'élimination du tabac, la réduction du sucre et des acides gras trans dans notre alimentation, comme l'exercice physique régulier seront les fondations de cette nouvelle longévité. Les possibilités d'effacer l'inégalité génétique et de lutter contre les maladies dégénératives viendront compléter l'édifice. Roland Moreau explique : «Les facteurs génétiques interviennent pour certaines maladies mais aussi pour le vieillissement de nos cellules. Des chercheurs allemands sont par exemple en train d'étudier 138centenaires japonais. Il semblerait que leur équipement génétique un tout petit peu différent soit à l'origine de leur possibilité d'atteindre un âge élevé. Cela n'est qu'un exemple de ce que la science va nous permettre de comprendre, de corriger ou d'imiter.»
Serge Braun, le directeur scientifique de l'association française contre les myopathies (AFM), se doit d'être au top de la connaissance dans ce domaine. «La recherche en génétique est en train d'identifier de nombreux mécanismes du vieillissement, explique-t-il. C'est le cas sur une maladie rare, la progéria, qui touche des enfants mourant d'un vieillissement accéléré. Une équipe de Marseille a pu identifier une protéine qui s'accumule de manière anormale dans leurs cellules. En couplant des médicaments existants, les chercheurs ont réussi à stopper cette prolifération dangereuse. Cela a des effets directs sur les enfants touchés par cette maladie mais aussi sur la compréhension plus géné rale d'un des mécanismes du vieillissement.»
La promesse des thérapies géniques sur ce plan est énorme. Limiter le vieillissement provoqué par des traitements lourds contre le cancer ou le sida, améliorer la fin de vie des personnes âgées, faire reculer efficacement les maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson, tout cela sera possible. Dans combien de temps? Les avis divergent. Il faut une quinzaine d'années pour qu'un médicament bioactif passe tous les tests nécessaires à sa commercialisation. Mais des centaines d'entre eux sont déjà en cours d'expérimentation. Les découvertes qui ont valu le prix Nobel à trois chercheurs américains en 2009 sur le rôle des télomères dans le vieillissement des cellules, comme celles du professeur japonais Yamanaka, qui a trouvé les clés pour transformer n'importe quelle cellule en cellule souche et pour la reprogrammer ensuite, vont décupler les progrès. «C'est déjà là, proclame Joël de Rosnay, et ça peut se résumer en un terme: la médecine régénérative.»
De quoi s'agit-il? On sait déjà cultiver des cellules de la peau, reconstituer des os, des tendons... Mais il sera possible de réaliser ces réparations directement par injection avec des cellules se spécialisant et se plaçant au bon endroit pour combler une défaillance. Des laboratoires s'intéressent pour cela à certains animaux comme la salamandre, dont les facultés régénératives sont stupéfiantes. «Aujourd'hui, on essaie de reconstituer des neurones pour lutter contre Parkinson ou Alzheimer, du pancréas pour produire de l'insuline contre le diabète, confirme Serge Braun. L'arrivée de ces médicaments est pour après-demain.»

L'homme qui vivra mille ans est-il déjà né?

Dans cette quête perpétuelle de la longévité, des portes sont aujourd'hui grandes ouvertes. Non sans provoquer des inquiétudes. «En Europe, nous sommes dans une perspective de longévité naturelle, explique Roland Moreau. L'objectif est d'ajouter de la vie aux années, c'est-à-dire de s'interroger sur les moyens d'augmenter la longévité en bonne santé. Aux Etats-Unis, certains sont en train de franchir l'espace qui sépare la longévité naturelle de la longévité génétiquement programmée. C'est plus inquiétant.»
H +, tel est le nom que s'est donné l'association française transhumaniste. Il résume clairement les objectifs de ses membres: inventer un «plus qu'humain». L'utopie transhumaniste est née aux Etats-Unis dans les années 90. Elle défend cette idée que les sciences et les techniques peuvent améliorer les caractéristiques physiques et mentales de l'homme. Tout ce qui touche aux biotechnologies et à la biologie de synthèse les intéresse puisque l'idée de triturer nos gènes, d'augmenter nos capacités musculaires ou osseuses, immunitaires et cérébrales, en les couplant - pourquoi pas? - à des machines, ne leur pose pas de problèmes majeurs.
Aubrey de Grey, un généticien anglais de l'université de Cambridge au look de gourou néo-hippie, affirme que la vieillesse est une maladie comme une autre. Raymond Kurzweil, l'un des théoriciens du transhumanisme américain, est quant à lui persuadé que, dans une décennie, l'espérance de vie augmentera d'un an chaque année. Volontairement provocateur, Aubrey de Grey pose clairement l'idée d'une immortalité possible. «Il y a 80% de chances que l'homme qui vivra mille ans existe déjà, lâche-t-il sans sourciller, avant d'argumenter. Le corps humain est une machine complexe dont nous n'avons pas les plans. Mais comme toutes les machines, elle est indestructible pour peu qu'on sache l'entretenir correctement et fabriquer les pièces de rechange.» Pour les transhumanistes, le vieillissement est théoriquement réparable et une vie éternelle de nos cellules, envisageable. Faut-il s'en réjouir? Les scientifiques renvoient la balle aux responsables politiques. L'éthique est le problème de tous. Peut-on attendre avant de s'en inquiéter? Pas sûr. Sans doute avons-nous juste le temps d'en rire encore un peu, à l'instar de Woody Allen qui n'a jamais manqué de rappeler que «l'éternité c'est long... surtout vers la fin».