En économie, l'avantage comparatif est le concept principal de la théorie traditionnelle du commerce international. Il a été approché par Robert Torrens en 18151, et démontré pour la première fois par l’économiste britannique David Ricardo en 1817 dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt. La théorie associée à l’avantage comparatif explique que, dans un contexte de libre-échange, chaque pays, s’il se spécialise dans la production pour laquelle il dispose de la productivité
la plus forte ou la moins faible, comparativement à ses partenaires,
accroîtra sa richesse nationale. Cette production est celle pour
laquelle il détient un « avantage comparatif ». Selon Paul Samuelson (prix Nobel d'économie
en 1970), il s'agit du meilleur exemple d'un principe économique
indéniable mais contraire à l'intuition de personnes intelligentes2.
La conclusion principale de cette théorie est que l’obtention d’un
gain à l’ouverture au commerce étranger est, toujours et indépendamment
de la compétitivité nationale, assurée. Il s’agit d'un argument décisif des théoriciens du libre-échange contre ceux qui prônent le protectionnisme
par peur de ne pas trouver de débouchés, car il réfute l’idée de
« nations moins compétitives » qui ne trouveraient qu'à acheter, et rien
à vendre, dans les échanges transfrontières. Bien sûr, la théorie ne
réfute pas que le commerce international puisse se faire au détriment de
certains pays, lorsque ses modalités ne sont pas celles du
libre-échange (impérialisme, colonialisme,
et autres formes de domination), ni le fait que l'accroissement des
gains d'un pays ne signifie pas nécessairement un accroissement
correspondant du bien-être de ses habitants.
Généralement à la base de l’enseignement de l’économie internationale, cette théorie vieille de deux siècles n’a pas de réfutation formelle. C'est le credo officiel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)3.
La démonstration de David Ricardo est un exercice relativement
simple. Elle répond cependant à de nombreuses hypothèses, explicites ou
implicites, qui la rendent contestable. Depuis 1817, les économistes se
sont donc attachés à lever ces hypothèses, compliquant et enrichissant
la théorie. La validation empirique de cette dernière a, elle aussi,
impliqué une complexification de ses postulats et de ses éléments. Après
Ricardo, nombre d’économistes, dont plusieurs « Prix Nobel » d'économie ont donc associé leurs noms à l’avantage comparatif. On trouve, parmi les plus connus, John Stuart Mill, Eli Heckscher, Bertil Ohlin, Wassily Leontief et Paul Samuelson.
Bien que ces travaux aient toujours confirmé les résultats de
Ricardo, ils en ont précisé certains aspects, et, ce faisant, ont levé
de nouvelles problématiques. À titre d’exemple, la théorie montre que
l’ouverture commerciale accroît la richesse nationale, mais aussi
qu’elle en modifie la répartition au détriment de certains agents
économiques, peut-être les plus pauvres.
Une illustration du principe de l'avantage comparatif (cf. explications au paragraphe Modélisation simplifiée de la théorie classique),
dans un cas fictif confrontant deux groupes d'individus, dont un groupe
est plus efficace que l'autre dans les deux types de production
envisagés (le fromage et le vin). La spécialisation de chacun des
groupes dans la production pour laquelle ils disposent d'un avantage
comparatif et le recours au libre-échange profitent à chacun d'entre
eux.
Sommaire |
Synthèse
Résumé de l'article
D’après la théorie des avantages comparatifs, lorsqu’un pays se spécialise dans la production pour laquelle il est, comparativement à ses partenaires, le plus avantagé ou le moins désavantagé, il est alors assuré d’être gagnant au jeu du commerce international.
Dans un monde
simplifié, composé de deux pays produisant deux biens, si le pays A doit
renoncer à 3 unités du bien x pour produire une unité supplémentaire du
bien y, tandis que le pays B doit renoncer à seulement 2 unités du bien
x pour produire une unité de y, alors chaque pays s’enrichira si A se
consacre à la production de x tandis que B se spécialise dans celle de
y. En effet, le pays A pourra échanger une unité de x contre entre 1/3
et 1/2 d’unité de y (contre seulement 1/3 en autarcie), tandis que le
pays B échangera une unité de y contre entre 2 et 3 unités de x (contre
seulement 2 en autarcie).
La théorie des avantages comparatifs constitue l’un des arguments les
plus solides en faveur de la libéralisation des échanges étant donné
qu’elle réfute de façon logique l’argument protectionniste le plus courant selon lequel le libre-échange condamne tout pays ne pouvant produire aucun bien à meilleur marché que ses concurrents. Toutefois elle démontre uniquement que le libre-échange est préférable à l’autarcie,
et non qu’il est supérieur à toute politique commerciale intermédiaire.
De fait, les prolongements de la théorie des avantages comparatifs ont
abouti à une série de résultats qui nuancent l’argument libre-échangiste
traditionnel.
Conformément à la démonstration de David Ricardo, la spécialisation
des pays en fonction de leurs avantages comparatifs et leur intégration
au commerce mondial est profitable à chacun d’entre eux. Toutefois le
commerce international modifie la répartition des revenus au sein de
chaque nation,
de sorte qu’une partie de la population profite de l’ouverture
commerciale tandis qu’une autre en pâtit. Le mécanisme qui préside à
cette évolution veut que l’intégration croissante des économies suscite,
à productivité identique, une convergence des rémunérations à travers
le monde. En théorie, la mobilité internationale des facteurs de production (des hommes et des capitaux) amplifie ce processus.
Cette nuance pose la question des finalités politiques de l’État :
accroître la richesse nationale ou protéger certains groupes
d’individus, parfois les plus démunis, parfois les plus riches, souvent
certaines industries à des fins électorales. En fait, ce résultat ne
remet pas en cause l’optimalité du libre-échange dans la mesure où la
répartition des richesses peut faire l’objet d’une politique de redistribution interne par l’impôt, qui sera ou non jugée légitime par la population.
Par ailleurs, le développement économique des pays partenaires,
lorsqu’il occasionne la perte d’un avantage comparatif, peut,
théoriquement, réduire le gain à l’échange sans toutefois remettre en
cause son existence. Cette assertion très récente fait l’objet de
critiques au plan théorique et empirique.
Du point de vue empirique, la théorie de l’avantage comparatif peine à expliquer certains flux commerciaux. Une partie du commerce international répond à la différenciation des produits des différentes firmes concurrentes, et non pas seulement à leur compétitivité en termes de coûts. Auquel cas, les consommateurs profitent du commerce international en voyant la gamme des produits proposés s’élargir.
Cette observation s’insère dans une description du marché où la concurrence est imparfaite (présence de monopoles et d’oligopoles)
et où la compétitivité des entreprises est en partie déterminée par la
qualité de leur produit. En fait, si de nouvelles théories économiques
contestent la thèse selon laquelle les échanges commerciaux sont
toujours le résultat de l’exploitation d’avantages comparatifs, elles
renforcent pourtant la conclusion de Ricardo sur le fait que tous les
partenaires bénéficient des échanges4.
Incompréhensions et paraboles
La théorie des avantages comparatifs, bien que relativement simple,
est souvent incomprise, et cela même par une partie des élites
intellectuelles.
Un jour le mathématicien Stanislaw Ulam mit au défi le « Prix Nobel » d'économie Paul Samuelson de lui citer une seule proposition dans toutes les sciences sociales,
qui sans être triviale, soit vraie. Plusieurs années plus tard,
Samuelson proposa comme réponse la théorie de l’avantage comparatif. Il
expliquait que « Cette notion est logiquement vraie car elle n’a pas
besoin d’être démontrée à un mathématicien et elle n’est pas triviale
puisque des milliers d’hommes importants et intelligents n’ont jamais pu
la comprendre d’eux-mêmes ou y croire une fois qu’elle leur eut été
expliquée5.»
Face à cette incompréhension fréquente, les économistes s’ingénient
depuis un demi-siècle à trouver des façons toujours plus simples de
faire comprendre la théorie de l’avantage comparatif.
Dans cette vulgarisation à outrance, Paul Samuelson imagine un avocat qui fait tout mieux que sa secrétaire, et explique qu’évidemment cette dernière ne sera pas licenciée
pour autant. En effet, l’avocat trouve intérêt à déléguer des tâches et
de dégager ainsi un temps supplémentaire pour un travail plus
rémunérateur, le traitement de ses dossiers. À l’évidence, la secrétaire
trouve aussi un grand avantage à ne pas devoir se livrer à un travail
d’avocate.
L’économiste James Ingram6 propose une autre parabole. Un entrepreneur américain a découvert une technologie secrète qui permet de transformer à faible coût des matières premières américaines (bois, blé…) en un produit manufacturé de grande qualité. Forcément, certaines entreprises américaines pâtissent de cette innovation, mais pour autant notre entrepreneur est salué comme un héros national de l’économie de marché. Hélas, un journaliste
enquête et découvre qu’en fait l’entrepreneur échange sur les marchés
mondiaux le bois et le blé contre des produits manufacturés fabriqués à
l’étranger. Soudainement, l’entrepreneur est accusé d’être un traître. Pourtant le fait que sa réussite vienne du commerce ou d’une technologie secrète ne change strictement rien à la richesse américaine, qui de fait est accrue.
La théorie de l’avantage comparatif
La théorie classique
Contexte politique et idéologique de l’œuvre de Ricardo
Article détaillé : Mercantilisme.
David Ricardo écrit Des principes de l'économie politique et de l'impôt en 1817, et y avance que le libre-échange est profitable en toute condition et pour toutes les nations. Cette idée s'oppose avec la pensée dominante de l'époque.
Jusqu’au XIXe siècle, le commerce international est une guerre. Ici la bataille de Scheveningen en 1653, opposant Britanniques et Néerlandais
Le contexte politique de l’Europe depuis la constitution des États-nations à la Renaissance est celui de guerres régulières et du gouffre financier qu’elles représentent. Le but que se sont assigné les auteurs mercantilistes, qui dominent alors la pensée économique, est donc de remplir les coffres du royaume pour en accroître la puissance militaire. Pour ce faire, l’objectif de la politique économique est d’avoir une balance commerciale excédentaire afin de profiter de rentrées d’or et d’en limiter les sorties. Le commerce international est conçu comme un jeu à somme nulle dans lequel les importateurs perdent de l’or quand les exportateurs en gagnent. Le mercantiliste français Antoine de Montchrestien conclut donc en 1615 :
« Les marchands étrangers sont comme des pompes qui tirent hors du royaume [...] la pure substance de nos peuples [...] ; ce sont des sangsues qui s’attachent à ce grand corps de la France, tirent son meilleur sang et s’en gorgent7 »
La politique commerciale des puissances européennes est donc guidée
par la restriction maximale des importations et l’encouragement des
exportations. En France, Colbert établit des manufactures de grande qualité pour convaincre une clientèle européenne exigeante. L’Angleterre et les Provinces-Unies luttent pour le contrôle des mers par l’intermédiaire de leurs Compagnies des Indes.
Le commerce international n’est donc pas du tout caractérisé par le
libre-échange et la coopération économique, mais par la compétition
militaire que se livrent les nations impérialistes d’Europe. Au sein même des nations, les mouvements de marchandises sont aussi très limités par le système féodal. Vauban, par exemple, tente en vain d’assurer la libre circulation des grains entre les provinces françaises.
Toutefois, depuis les Lumières, la pensée économique connaît d’importants changements allant dans le sens du libéralisme. En 1748, dans De l’esprit des lois, Montesquieu fait du commerce une source de paix entre les peuples8. En Écosse, le philosophe David Hume9
croit découvrir une contradiction majeure dans le mode de pensée
mercantiliste. Selon Hume, si un pays accroît sa possession d’or grâce
au commerce extérieur, alors la circulation monétaire sur son territoire
sera accrue et provoquera une envolée des prix et donc une baisse de sa
compétitivité commerciale. Cette dernière incidence aura pour effet de transformer l’excédent commercial en déficit, et Hume de conclure qu’à terme les balances commerciales ne peuvent que s’annuler. Enfin en 1776, le moraliste Adam Smith publie sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Il y démontre que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle il possède un « avantage absolu »,
c’est-à-dire pour laquelle il est plus compétitif que ses partenaires
commerciaux, et à utiliser le surplus de cette production pour
l’échanger contre les biens qu’il a renoncé à produire lui-même.
Dix ans après la parution du célèbre ouvrage de Smith, la France et l’Angleterre signent le traité Eden-Rayneval (1786) allant dans le sens d’une ouverture commerciale, mais celui-ci est dénoncé à la Révolution française. De fait, l’époque de Ricardo est celle des guerres napoléoniennes, des blocus commerciaux qu’elles impliquent, et de leurs lendemains.
La démonstration de Ricardo
La Richesse des nations est sans doute l’œuvre la plus connue de toute la littérature économique, et pourtant son argument en faveur du libre-échange, la théorie de l’avantage absolu,
semble faible. Qu’arrivera-t-il à la nation qui, s’engageant sur la
voie du libre-échange, ne dispose d’aucun « avantage absolu » ? En des
termes simples, que produira-t-elle si les nations avec lesquelles elle
commerce produisent tout avec plus de facilité qu’elle ne le fait ? Ne
risque-t-elle pas de voir toute son industrie disparaître ?
L’objet de la théorie de Ricardo, exposée dans Des principes de l'économie politique et de l'impôt,
est de répondre à cette question en affirmant que même la nation la
plus désavantagée accroîtra sa richesse, si elle opte pour le
libre-échange.
Pour nous faire comprendre ce principe, Ricardo imagine une économie mondiale composée de deux pays seulement, l’Angleterre et le Portugal, produisant deux types de biens, du drap et du vin, dont la qualité est supposée identique. Ricardo place l’Angleterre dans une situation a priori
tout à fait désavantageuse : le Portugal produit plus vite qu’elle à la
fois le drap et le vin. L’Angleterre doit-elle fermer ses frontières
pour éviter que ne s’écroule son industrie ?
Heures de travail nécessaires à la production d’une unité10 |
||
---|---|---|
Pays | Drap | Vin |
Angleterre | 100 | 120 |
Portugal | 90 | 80 |
Pour répondre à cette question il faut analyser les effets de l’alternative envisageable entre l’autarcie et le libre-échange.
En situation d’autarcie, pour produire les deux unités de vins
nécessaires aux deux pays, il faudra 200 heures de travail, tandis que
la production de deux unités de drap demandera 190 heures de travail.
Que se passe-t-il si l’Angleterre produit des draps et le Portugal du vin ?
L’Angleterre met 200 heures de travail à produire deux unités de drap.
Elle économisera donc 20 heures de travail susceptibles d’être
consacrées à un accroissement de la production. Si on suppose qu’elle
consacre ces 20 heures à la production de drap, la production passera à
2,2 unités. Quant au Portugal, il met 160 heures à produire deux unités
de vin, il dispose donc encore de 10 heures de travail pour accroître sa
production, et peut donc la faire passer à 2,125 unités.
On remarque donc que la production mondiale de chacune des deux
marchandises a profité du libre-échange, et que globalement, grâce à
l’échange qui s’ensuit, les deux nations seront plus riches
qu’auparavant, alors qu’elles n’ont pas accru leurs efforts. Bien sûr,
la démonstration de Ricardo part du principe que le but de l'économie
est d'accroître le bien-être matériel des populations, et non d'assurer
la suprématie d'un État sur un autre.
La détermination des prix chez John Stuart Mill
L’explication de Ricardo reste incomplète. Certes, la coopération et
la spécialisation de deux pays dans la production où ils disposent d’un
avantage comparatif accroissent la richesse mondiale, mais comment ce
surplus de richesse sera-t-il partagé ? On ne peut répondre à cette
question qu’en s’interrogeant sur les prix
relatifs des produits, c’est-à-dire sur le nombre d’unités de vin que
devra céder le Portugal pour obtenir une unité de drap anglais, et
symétriquement.
C’est le philosophe et économiste britannique John Stuart Mill qui résout la question dans ses Principes d’économie politique en 184811. Il y montre que la détermination du prix international des produits répond aux principes de l’offre et de la demande.
En effet, pour chaque prix relatif possible, le premier pays souhaitera
exporter une certaine quantité du bien A et importer une certaine
quantité du bien B. Le second pays adoptera une attitude symétrique en
exportant le bien B et en important le bien A. Or, il semble improbable
que les quantités offertes et demandées soient similaires. En fait, il
ne doit, en principe, exister qu’un prix relatif pour lequel l’offre et la demande s’égalisent, il s’agit alors du prix relatif constaté et déterminé par le marché. Ce prix détermine aussi les quantités échangées.
Une des conclusions de John Stuart Mill est que l’ouverture
commerciale profitera davantage aux pays pauvres qu’aux pays riches. En
effet, les désirs de consommation
et les moyens de paiement sont beaucoup plus abondants dans le pays
riche, si bien que le pays pauvre profitera d’une demande plus
importante et plus rémunératrice pour ses exportations. À l’inverse, les
gains à l’échange du pays riche seront limités par le faible pouvoir d'achat de son partenaire. Cette pensée optimiste
(et contestable) ne fait que renforcer l’idée de Ricardo : non
seulement les pays pauvres peuvent s’insérer dans le commerce mondial,
mais ils en profitent davantage que les pays riches.
Modélisation simplifiée de la théorie classique
L’histoire de la pensée économique s’est faite dans le sens d’une
mathématisation croissante, de sorte que les résultats de la théorie des
avantages comparatifs ont fait l’objet de démonstrations recourant aux
outils de l’analyse mathématique.
Les démonstrations qui suivent sont présentes dans la plupart des manuels d’économie internationale12. Bien qu’elles présentent la théorie « classique », elles utilisent des outils de l’analyse « néoclassique ».
Les hypothèses
Pour simplifier le raisonnement, le modèle ricardien repose sur
quelques hypothèses, dont certaines seront levées plus loin. On postule
donc que :
- Le monde ne connaît qu’un seul facteur de production, le travail.
- Immobilité internationale du facteur de production
- Il ne se compose que de deux pays, le pays domestique et le pays étranger.
- Ils ne produisent que deux types de biens : par exemple du vin et du drap.
- Pour ces deux productions, le pays domestique est moins productif que le pays étranger. Ce désavantage est moins marqué pour la production de drap que pour celle de vin.
- Les coûts de transport sont nuls.
- les rendements sont constants et donc les spécialisations internationales sont stables dans le temps
On s’intéresse aux effets qu’aura le libre-échange sur le pays
domestique, dont on suppose qu’il détient un désavantage absolu pour les
deux productions.
Le pays domestique en situation d’autarcie
Le pays domestique produit et consomme donc uniquement du vin et du
drap. Pour la production d’une unité de chacun de ces biens, les
travailleurs doivent consacrer un certain temps. On note :
la quantité de travail nécessaire à la production d’une unité de vin et
le volume de vin produit.
la quantité de travail nécessaire à la production d’une unité de drap et
le volume de drap produit.
représente, par exemple, le coût de production du vin exprimé en quantité d'unité de drap (voir aussi « coût d'opportunité »).
le volume total de travail disponible
On a donc la relation logique suivante qui définit la « frontière des
possibilités de production » (contrainte de production) du pays
domestique :

On utilise des notations similaires accompagnées d’une astérisque pour le pays étranger. (
sera par exemple la quantité de travail nécessaire à la production d’une unité de drap dans le pays étranger).

Prix relatifs en situation de libre-échange
En situation de libre-échange les prix du vin et du drap sont
modifiés car ils prennent en compte l’offre et la demande des deux pays.
Considérant que la monnaie n’est qu’un intermédiaire de l’échange et
que l’économie ne produit ici que deux biens, on considère que le prix
d’une unité de vin est défini par une certaine quantité de draps et
inversement. On note :
le nombre d’unités de vin nécessaire à l’achat d’une unité de drap, c’est-à-dire le prix relatif du drap (par rapport au vin)
le nombre d’unités de drap nécessaire à l’achat d’une unité de vin, c’est-à-dire le prix relatif du vin.
On va ici chercher à définir le prix relatif du drap en situation de
libre-échange, sachant que celui du vin se définit d’une façon
identique. Le prix est défini par la rencontre des courbes d’offres et
de demandes, sachant qu’une transaction ne peut être effectuée que
lorsque la quantité vendue est égale à la quantité achetée.
Offre et demande relatives de drap en fonction du prix relatif (les axes sont inversés par rapport à la logique mathématique, les prix étant par convention en ordonnées.
) dans un contexte de libre-échange entre le pays étranger et le pays domestique.
Sur ce graphique, on définit la demande de drap (une des droites en
rouge), en fonction du prix (sur l’axe des ordonnées), considérant que
la hausse du prix provoque une baisse de la demande et inversement.
L’offre de drap de la part des producteurs est définie en fonction du
prix par la courbe bleue. Selon le prix, l’offre relative peut prendre
trois valeur : 0 lorsque le prix est inférieur aux coûts de production
des deux pays (première section verticale de la courbe),
lorsque seul le pays domestique à un coût de production inférieur au
prix (deuxième section verticale de la courbe) ; enfin l’offre relative
prend une valeur infinie dans le cas où le prix est supérieur au coût de
production des deux pays (dernière section horizontale de la courbe).
Le croisement de la courbe d’offre avec la courbe de demande permet de
définir le prix effectivement observé sur le marché. (1,2 ou 3 par
exemple)

Suivant les règles générales du comportement humain on considère que
l’augmentation des prix décourage les consommateurs, de sorte que la
courbe de demande relative sera décroissante (ici, une des courbes
rouges DR).
La construction de la courbe d’offre relative est moins intuitive :
- Si
, le pays domestique a intérêt à produire du vin (le prix du drap est inférieur au coût de production), ainsi que le pays étranger vu que d’après notre hypothèse
. L’offre relative de drap est donc nulle vu que le monde ne produit que du vin.
- Si
(le prix relatif du drap est supérieur au coût de production du pays domestique et inférieur au coût de production du pays étranger) alors seul le pays étranger a intérêt à produire du vin, et le pays domestique produira du drap. L’offre relative de drap sera donc égale au rapport entre la production mondiale de drap et celle de vin, à savoir :
.
- Si
(le prix relatif du drap est supérieur aux coûts de production du drap dans les deux pays) le pays domestique a intérêt à produire du drap, ainsi que le pays étranger. Auquel cas l’offre de vin tend à être nulle, donc l’offre relative de drap tend vers l’infini (voir Limite (mathématiques élémentaires), cas de la division d’un réel positif par un réel positif tendant vers 0).
On peut donc construire la courbe bleue d’offre relative (OR) et
observer les prix relatifs possibles (ex. des points 1, 2 et 3) en
fonctions des droites de demande relative envisageables.
D’après le graphique, l'équilibre entre offre et demande se fera à
l'intersection des deux courbes (OR) et (DR) ; étant donné qu'aucune
courbe de demande (DR) ne coupe l'axe du prix relatif, le prix relatif
du drap sera borné par l’inégalité :


« Possibilités de consommation » en situation de libre-échange
Pour mettre en évidence les gains à l’échange, il suffit de comparer
les possibilités de consommation en situation d’autarcie et en situation
de libre-échange.
Possibilités de production en autarcie (noir) et possibilités de consommation en situation de libre-échange (rouge).
La « frontière des possibilités de production » permet de définir tous
les volumes de production envisageables avec une quantité de travail
donnée L, de sorte que le pays ne peut accroître la production d’un bien
sans réduire celle d’un autre. La « droite de budget » définit tous les
volumes de consommation possibles, pour un revenu donné lié à une
quantité de travail L donnée en situation d’échange, de sorte qu’il
n’est pas possible d’accroître la consommation d’un bien sans réduire
celle de l’autre.
En situation d’autarcie, la consommation est limitée par la production intérieure, c’est-à-dire par la fonction :

On peut en déduire une fonction affine de coefficient directeur
exprimant la consommation de drap en fonction de celle de vin :


Cette fonction, dite des « possibilités de production », est représentée en noir sur le graphique.
En situation de libre-échange, le pays domestique ne produit que du drap. Une partie
est destinée à l'exportation, et chaque unité est échangée contre
unités de vin.



La consommation de drap en fonction de celle de vin sera donc une fonction affine de coefficient directeur
.

Cette fonction est représentée en rouge sur le graphique. On sait qu’elle est supérieure à la précédente car on a établi que
.
On peut donc conclure que les « possibilités de consommation » sont
plus importantes en situation de libre-échange qu’en situation
d’autarcie. Ce gain à l’échange est représenté par l’écart entre la
droite noire et la droite rouge.

En fait, on remarque que pour une quantité consommée de vin donnée, il
est possible de consommer plus de drap en situation de libre-échange
qu’en situation d’autarcie, et inversement.
Les prolongements de la théorie
Les analyses de David Ricardo et de John Stuart Mill sont faites dans l’optique de leur courant de pensée, celui de l’économie classique qui fonde la valeur des choses sur le travail
nécessaire à leur production. La conséquence de cette influence
idéologique est que, chez Ricardo et Mill, les différences entre pays
sont essentiellement appréhendées en termes de productivité du travail. Les autres facteurs de production, et notamment le capital (machines et équipements) sont négligés.
Multiplication des facteurs de production
Article détaillé : Modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson.
Il revient à deux économistes suédois, Eli Heckscher et Bertil Ohlin, d’avoir au XXe siècle élargi le champ de l’analyse au facteur capital.
L’idée de la théorie Heckscher-Ohlin est qu’il existe des biens dont
la production requiert relativement plus de travail que de capital, et
inversement. Ils postulent par ailleurs que ces deux facteurs de production sont immobiles à l’échelle internationale.
En vertu des lois de l’offre et de la demande selon lesquelles les
prix sont fonctions de la rareté, le prix du capital est élevé dans les
pays où le travail est relativement abondant, tandis qu’il est faible là
où le capital est le facteur de production dominant. Le prix du
travail, c’est-à-dire le niveau des salaires, suit des règles
identiques. Partant de ce principe, on comprend que les pays fortement
dotés en capital auront des coûts de production inférieurs pour les
biens dont la production est plus intensive en capital qu’en travail, l’automobile
par exemple. Ces pays disposeront donc d’un avantage comparatif dans
ces industries. Inversement les pays dont la dotation principale est le
travail profiteront d’avantages comparatifs dans des productions
intensives en travail, le textile par exemple.
La théorie d’Heckscher-Ohlin apporte deux grandes évolutions, l’une
fournit une nouvelle explication sur l’origine possible des avantages
comparatifs, l’autre permet de rompre avec l’hypothèse du facteur de
production unique.
Gagnants et perdants du commerce international
Wolfgang Stolper et Paul Samuelson13
ont, par la suite, cherché à comprendre l’impact qu’avait le
libre-échange sur la répartition des revenus dans un pays donné. Lorsque
le pays s’insère dans le commerce international, il accroît, par sa
spécialisation, l’utilisation du facteur de production dominant de son
économie, ce qui provoque, selon les lois de l’offre et de la demande,
une augmentation de sa rémunération. Inversement, en confiant la
production des biens pour lesquels il ne dispose d’aucun avantage
comparatif, le pays réduit son utilisation des facteurs rares, et en
diminue donc la rémunération. Le modèle de Ricardo montrait que tous les
pays bénéficiaient du libre-échange ; tout en la confirmant, le théorème de Stolper-Samuelson
nuance cette conclusion en indiquant qu’au sein de chaque pays se
trouveront des gagnants et des perdants, ceux qui jusque là étaient
avantagés par leur rareté.
Selon ces mêmes mécanismes, le commerce international devrait, sous
réserve d’une intégration commerciale très poussée (encore loin d’être
atteinte), faire converger les niveaux de rémunération d’un même facteur
à travers le monde (théorème Heckscher-Ohlin-Samuelson).
Déterminants de l’avantage comparatif
Depuis la parution de l’ouvrage de David Ricardo, les économistes ont avancé de nombreuses théories visant à expliquer le différentiel de productivité entre les pays.
Dans la pensée classique, la répartition des avantages comparatifs
entre pays est essentiellement fondée sur des caractéristiques
qualitatives : l’habilité des travailleurs, la détention d’avantages technologiques ou naturels. Nombre d’entre eux sont triviaux. À l’évidence, les pays peuvent être avantagés par leurs ressources naturelles ou par leur climat.
Ceux disposant de pétrole sur leur territoire sont bien évidemment plus
compétitifs pour en exporter que ceux n’en disposant pas. Le climat, de son côté, explique pourquoi la Norvège fait venir ses ananas de contrées lointaines.
La pensée néo-classique a enrichi l’approche des classiques en introduisant des déterminants quantitatifs. Selon Eli Heckscher et Bertil Ohlin, les avantages comparatifs des pays sont respectivement définis par leurs dotations relatives en travail et en capital.
Les pays disposant d’un volume de capital important, c’est-à-dire de
nombreux équipements pour assister les tâches des travailleurs, auront
un avantage comparatif dans la production de biens industriels
nécessitant l’utilisation intensive du facteur capital, comme la chimie, l’automobile, l’aéronautique... Inversement les pays disposant d’une main-d’œuvre abondante profitent de bas salaires qui leur permettent d’être plus compétitifs dans les productions intensives en main-d’œuvre comme le textile ou l’assemblage de biens électroniques.
Au début des années 1950, la tentative de vérification de cette théorie par Wassily Leontief14 sur le commerce extérieur des États-Unis
a conduit à un échec et a montré que ce pays était plutôt exportateur
de biens intensifs en travail, et non en capital comme prévu. Toutefois,
le « paradoxe de Leontief » peut être résolu sans renoncer à
l’explication quantitative des facteurs, à condition d’élargir la notion
de facteur. En effet, les États-Unis sont exportateurs de biens ayant nécessité un important travail qualifié,
tandis que les pays les moins avancés sont exportateurs de biens dont
la fabrication ne requiert aucune compétence (cf. plus bas Validité du modèle HOS).
Dans ce cas, la synthèse des approches quantitatives et qualitatives
permet donc bien d’expliquer les échanges internationaux en se basant
sur une différence de dotation en facteurs de production.
La distinction des facteurs de production peut donc prendre des
formes plus précises et diverses, si on différencie différents types de
travailleurs, différents types de capitaux, différents types de
ressources naturelles...
Enfin, la théorie du cycle de vie du produit a renouvelé l’approche technologique. Selon Raymond Vernon15,
la vie d’un produit se divise en plusieurs étapes, correspondant à
plusieurs phases du commerce international. Dans un premier temps, le
produit tout juste conçu dans un pays riche doit être testé, et le
marché national est alors le plus indiqué, d’autant que le prix encore
élevé du bien correspond au niveau de vie
du pays riche. Arrivant à un stade de maturité, l’entreprise sur le
point de perdre l’exclusivité sur le produit est incitée à le vendre sur
les marchés étrangers avant l’arrivée de ses futurs concurrents.
Le bien, s’il connaît un important succès, est alors produit en des
quantités plus importantes ce qui provoque une baisse de son coût
unitaire de production et donc de son prix. Il devient donc accessible
aux consommateurs des pays moins aisés. Les pays riches détiennent alors
un avantage comparatif. Lorsque le produit atteint un stade de standardisation
et se banalise, sa production devient possible dans les pays à bas
salaires, et l’entreprise, pour maintenir sa compétitivité face aux
concurrents, se doit d’en délocaliser la production dans les pays à bas salaires
pour le réexporter par la suite dans les pays riches. L’avantage
comparatif est donc désormais entre les mains des pays à bas salaires.
Lorsque deux pays ne disposent pas de la même monnaie, et que le taux de change
n’est pas révélateur de l’économie réelle, les coûts monétaires ne
reflètent plus les coûts réels et sont susceptibles de modifier
artificiellement la répartition des avantages comparatifs.
Historiquement, ce problème a longtemps été résolu par les systèmes de
changes fixes (jusqu’au début des années 1970) et/ou d’étalon or. Dans le monde contemporain, après la fin des accords de Bretton Woods en 1973, les taux de change flottants ou semi-fixes introduisent une incertitude sur les gains à l'export. Au sein de zones monétaires, comme la zone euro, le risque de variations de taux de change susceptibles de fausser la concurrence a motivé la mise en place d’une monnaie unique.
La croissance nuisible de l’étranger
Dans un article de 200416, Paul Samuelson a tenté, grâce à la théorie des avantages comparatifs, de déterminer l’impact des progrès techniques
des pays émergents sur la croissance des pays avancés. Il montre qu’un
pays peut voir ses gains au commerce international se réduire lorsque
les progrès techniques réalisés par des pays étrangers viennent
contester sa détention d’un avantage comparatif, et ce faisant réduire
le prix ou le volume de ses exportations. Appliquée à un cas
d’actualité, la conclusion de Samuelson est que, si la Chine
accroît suffisamment sa productivité pour les biens qu’elle importe
actuellement, ses besoins d’approvisionnement en provenance des États-Unis ou de l’Union européenne se réduiront, provoquant une dégradation des termes de l’échange pour ces pays riches.
Cette démonstration est essentiellement théorique, et développe donc
une éventualité non vérifiée jusqu’alors dans les faits. L’étude
empirique des termes de l’échange montre que leur évolution depuis 1980 s’est faite au détriment des pays de l’Asie du sud et de l’est, et que cette dégradation s’est accélérée depuis 199617.
De plus, la conclusion théorique de Samuelson doit être correctement
interprétée : en aucun cas elle ne remet en cause l’existence des gains
mis en évidence par Ricardo, mais précise seulement que ces gains sont
susceptibles de se réduire sous l’effet d’une redistribution des
avantages comparatifs entre pays.
Analyse critique et empirique de la théorie
Au plan scientifique, la théorie économique répond tout à la fois à
un objectif positif, la description des phénomènes observés, et à une
finalité normative, celle de conseiller les agents économiques, et en
particulier l’État. Les rapports entre la théorie et la réalité sont
donc de deux ordres : l’adéquation de l’explication théorique à
l’observation empirique d’un côté, l’impact de la théorie sur l’histoire
des hommes d’un autre.
Impact historique de la théorie
L’œuvre de Ricardo a sans doute fait du Royaume-Uni le chantre du libre-échange en Europe, et a inspiré les vagues de libéralisation du commerce international, d’abord dans les années 1860, puis après 1945.
Mais la description des échanges proposée par Ricardo se retrouve aussi
dans la domination commerciale des nations impérialistes au XIXe siècle.
La naissance du libre-échange
Le champ de blé par John Constable, 1826
Article détaillé : Corn Laws.
La conceptualisation de l’avantage comparatif au début du XIXe siècle s’inscrit au Royaume-Uni dans un débat politique aux aboutissants multiples.
Le Royaume-Uni possède alors l’agriculture la plus productive du monde, et a rattrapé sur le plan économique le retard qu’il avait sur son grand voisin, la France. Les îles Britanniques sont encore le seul territoire où la révolution industrielle
a débuté, et elles s’imposent comme les grandes gagnantes de plus de
vingt ans de guerres européennes. Pour autant, le retour à la paix en 1815,
qui signifie la fin de certaines entraves commerciales, inquiète les
propriétaires terriens de Grande-Bretagne qui parviennent à faire
revoter les Corn Laws, des lois protectionnistes sur les céréales. C’est dans ce contexte que Robert Torrens
fait remarquer, en vain, que la Grande-Bretagne obtiendra davantage de
vivres en produisant des biens industriels à échanger, qu’en se
consacrant elle-même à l’agriculture.
Le raisonnement formel de Ricardo, deux années plus tard, démontre le
principe qui préside l’intuition de Robert Torrens. L’exemple du vin et
du drap est totalement anodin, et fait référence à un ancien traité
commercial entre l’Angleterre et le Portugal, mais Ricardo vise en fait
directement les Corn Laws. Les Principes de l’économie politique et de l’impôt sont une réflexion sur la répartition des revenus entre les classes sociales,
où Ricardo tente de démontrer que la hausse de la population (elle
triple en un siècle), en alimentant la hausse des prix du grain, va
concentrer la richesse nationale entre les mains des propriétaires
terriens oisifs, au détriment des entrepreneurs.
De plus, il pense que l'abrogation des corn laws permettra aux grains
d'être peu chers, permettant ainsi d'empêcher la baisse fatale du taux
de profit, ou dynamique grandiose18,
menant à l'état stationnaire : en effet, les prix du grain augmentant,
les salaires de subsistance versés aux travailleurs auraient dû être
augmentés, et à terme cela aurait rendu le profit presque nul. Selon
lui, une solution à ce problème est l’ouverture commerciale unilatérale
du marché des grains au commerce étranger.
Il est notable que c’est ce dernier argument, et non celui de l’avantage comparatif, qui se révèle décisif. En 1839, les industriels de Manchester fondent l'Anti-Corn Laws League, une association dirigée par Richard Cobden qui combat les intérêts des Landlords. Associée au prolétariat
auquel elle promet que le libre-échange provoquera une chute des prix
agricoles, elle se lance dans un affrontement politique qui dure
plusieurs années. Ricardo est alors mort depuis une vingtaine d’années,
mais Robert Torrens participe au débat et trouve une première objection à
la libéralisation complète en montrant que, par sa puissance, le
Royaume-Uni est susceptible d’améliorer ses termes de l’échange grâce à une faible taxe douanière. En 1845, débute, sur les îles Britanniques, une des plus terribles famines de l’histoire, liée à une maladie de la pomme de terre en Irlande. Celle-ci permet, en 1846, au Premier ministre Robert Peel d’obtenir du Parlement la suppression des Corn Laws.
Cette mesure reste un quasi-inédit historique, vu qu’il s’agit d’une
concession commerciale sans réciprocité, accordée par un pays libre de
toute contrainte (vu qu’il s’agit de la première puissance mondiale).
Mais à l’évidence, un pays ne peut pratiquer le libre-échange tout seul.
C’est ici que la théorie de l’avantage comparatif joue un rôle pour
convaincre les autres puissances, économiquement en retard, d’ouvrir
leurs frontières. Napoléon III est le premier à se laisser convaincre et signe en 1860 un premier traité de libre-échange avec le Royaume-Uni,
alors que les industriels français, se croyant à l’avance condamnés,
crient au « coup d’État commercial ». Devant la réussite de cet accord,
de nombreuses puissances d’Europe comme l’Italie, la Belgique et le Zollverein (future Allemagne) signent des traités semblables.
La logique de l’avantage comparatif dans l’empire britannique
Le principe selon lequel le commerce mondial est toujours profitable
pour tous est séduisant sur le plan théorique, mais est totalement faux
sur le plan historique, ne serait-ce que parce que le libre-échange n’est jamais parfait. L’historien Paul Bairoch19
a décrit les transformations de la production au sein de l’empire
britannique et les désastres qu’a pu causer une théorie pour le moins
mal comprise.
L’œuvre de Ricardo n’est pas consacrée à une étude théorique du commerce international, mais à une critique de la répartition des richesses dans l’Angleterre du début du XIXe siècle. Sa conclusion essentielle est que la rareté des terres fertiles sur les Îles Britanniques provoque la concentration des revenus dans les mains des propriétaires fonciers.
Pour répondre à ce problème, il suggère finalement à son pays de
renoncer à son agriculture au profit de l’industrie, et d’échanger la
production de ses manufactures contre des vivres étrangers.
C’est précisément ce que fera le Royaume-Uni
au cours du siècle : organiser le commerce mondial en termes
d’avantages comparatifs. Mais cette organisation n’est pas celle induite
par les lois du marché dans un contexte de libre-échange : il s’agit en fait de la mise en place d’une division internationale de la production dans le cadre du plus grand empire de l’histoire.
À l’époque de Ricardo, l’Angleterre est la seule grande puissance à avoir connu la révolution agricole,
et son agriculture est donc la plus productive du monde. Elle est
pourtant sacrifiée au profit de l’industrie selon la logique décrite par
Ricardo, provoquant l’essor de la classe ouvrière et l’urbanisation insalubre de la Révolution industrielle. Autosuffisante au début du XIXe siècle, l’Angleterre dépendra pour plus des deux tiers de l’étranger pour son alimentation au début du siècle suivant.
Inversement, si l’Angleterre a renoncé à son agriculture, une de ses nations « partenaires », ou plutôt colonisées, doit renoncer à son industrie. Alors que l’Inde
est le premier producteur de textile du monde, elle voit disparaître
entièrement sa production artisanale de tissu qui ne peut faire face à
la haute productivité de l’industrie cotonnière britannique. L’Inde
va-t-elle produire les vivres dont l’Angleterre a besoin ? Non, car
l’avantage comparatif du pays n’est pas là. L’Inde voit, au contraire,
s’effondrer son agriculture vivrière, sacrifiée par les Britanniques au
profit de la culture de produits tropicaux, comme le coton, le jute, ou l’indigo. La culture du pavot est aussi une de ces productions pour lesquelles l’Inde dispose d’un avantage comparatif. Hélas, la Chine,
principale consommatrice potentielle, a fermé ses ports à ce produit
dont les dirigeants connaissent les effets désastreux sur la population.
L’Angleterre lui livrera donc une « guerre de l'opium » (1838-1842) pour lui imposer ce commerce.
En fait, dans un contexte historique davantage marqué par l’impérialisme
que par le libre-échangisme, la détention d’avantages comparatifs par
les nations les moins puissantes s’est souvent transformée en véritable
malédiction.
Validité empirique de la théorie
Observabilité des avantages ricardiens
Au plan théorique, le modèle proposé par David Ricardo qui repose sur
les différences de productivité relative répond à un si grand nombre
d’hypothèses qu’il semble improbable qu’il soit confirmé par
l’observation des flux internationaux de marchandises. Pourtant, un
grand nombre d’études sont venues le confirmer.
En 1951, une étude20 portant sur les échanges entre la Grande-Bretagne et les États-Unis a par exemple validé le modèle de Ricardo. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la productivité
des travailleurs américains était en moyenne deux fois supérieure à
celle de leurs homologues britanniques dans tous les secteurs d’activité
industriels. Mais comme les salaires américains étaient deux fois plus
élevés, le Royaume-Uni disposait, en fait, de coûts inférieurs à ceux
constatés aux États-Unis dans quelques secteurs. Or l’étude de la
structure du commerce a montré que les britanniques étaient exportateurs
dans ces secteurs et importateurs dans les autres, si bien que les
échanges anglo-américains répondaient bien aux avantages comparatifs de
chacun.
Aujourd’hui les études sur la validité empirique de la théorie
ricardienne se heurtent à un obstacle épistémologique majeur. En effet
le fondement de l’analyse de Ricardo repose sur la comparaison des coûts
relatifs de production en situation d’autarcie, or dans le contexte actuel de la mondialisation économique
il est très rare qu’un pays possédant un désavantage comparatif
continue à produire le bien concerné, de sorte qu’il n’existe aucune
donnée statistique
permettant d’estimer la productivité des différents participants au
commerce international. Or si on ignore la productivité d’un pays pour
la production du bien qu’il importe, on ne peut pas savoir si sa
situation d’importateur dérive de la détention d’un désavantage
comparatif vis-à-vis du pays exportateur. La mesure de l’influence des
coûts relatifs de production sur la structure du commerce international
est donc très difficile21.
Validité du modèle HOS
En 1951, Wassily Leontief a testé le Modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson
sur la structure du commerce extérieur des États-Unis et a montré que,
contre toute attente, ce pays exportait davantage de biens intensifs en
travail que de biens nécessitant beaucoup de capital. Cette observation
empirique est connue sous le nom de paradoxe de Leontief
parce qu’elle entre en contradiction avec les prévisions de la théorie.
En fait, de nombreuses explications à ce paradoxe ont été avancées sans
renoncer aux principes de la théorie, Leontief lui-même ayant expliqué
que les États-Unis étaient en fait une économie relativement abondante
en travail dans la mesure où les travailleurs américains étaient alors
bien plus efficaces que la plupart de leurs homologues étrangers.
La résolution la plus classique du paradoxe consiste à distinguer le
travail qualifié du travail non qualifié. Auquel cas l’intuition de
d’Heckscher et d’Ohlin sur l’importance de la dotation en capital et en
travail est en partie réfutée, mais le raisonnement théorique conserve
toute sa pertinence, vu qu’il suffit de remplacer les deux facteurs de production
d’origine (le capital et le travail) par la nouvelle distinction
(travail qualifié/non qualifié). En 1962, une étude a confirmé la
pertinence de cette résolution du paradoxe en montrant que les
exportations américaines étaient plus intensives en travail qualifié que
les importations22.
Pour vérifier si le modèle HOS restait valable à condition de
dépasser la seule distinction capital/travail, d’autres études ont
multiplié les facteurs de production afin de comparer les prédictions de
la théorie HOS avec les flux commerciaux effectivement observés. Une
étude de 1987, prenant en compte 12 Facteurs de production
(capital, travail, cadres, ouvriers, pâturages ...), a montré que les
prévisions de la théorie n’étaient exactes que dans un peu moins de 70 %
des cas, chiffre en fait relativement faible vu que l’absence totale de
corrélation aurait impliqué un résultat proche de 50 %23.
Globalement, le modèle d’Heckscher-Ohlin n’explique finalement que le commerce Nord-Sud,
c’est-à-dire entre pays dont les structures économiques sont très
différentes. Or le commerce Nord-Sud de produits manufacturés ne
représente qu’un dixième du commerce mondial24.
Le problème du commerce intra-branche
La théorie de l’avantage comparatif explique les échanges de produits
différents entre pays différents. Mais dans les faits, l’essentiel du
commerce international se réalise entre pays semblables qui s’échangent
des produits substituables. Comment, par exemple, expliquer que l’Allemagne et la France
s’échangent mutuellement des voitures ? Cette partie du commerce
international semble échapper aux déterminants décrits par la théorie de
l’avantage comparatif, et a suscité l’apparition de théories
alternatives.
Les théories alternatives
Selon Paul Krugman et James Brander25, ce commerce intrabranche peut s’expliquer par la structure oligopolistique des marchés. Partant du constat que certaines branches d’activités sont dominées par un petit nombre d’entreprises, ils expliquent que le libre-échange se traduit par une mise en concurrence
internationale, dans laquelle les entreprises tentent de se
déstabiliser mutuellement. Pour ce faire, chaque firme tente de
conquérir des parts de marché dans les pays étrangers, et y vend moins
cher que sur son marché national. En pratiquant ce « dumping
réciproque », chaque firme a tendance à gagner des parts de marché à
l’étranger, et à en perdre sur son marché national. Le résultat de
l’ouverture des frontières dans ce contexte d’oligopoles est une
concurrence accrue qui se manifeste par l’échange entre pays de produits
similaires et par la baisse des prix.
Des économistes comme Avinash Dixit, Victor Norman, Kelvin Lancaster ou Paul Krugman, ont par ailleurs montré que la présence des économies d’échelle
pouvait, en l’absence d’avantages comparatifs, susciter des
spécialisations internationales arbitraires dans certaines branches
économiques. Si deux pays ont des productivités identiques dans toutes
les branches d’activités, ils n’ont, selon la théorie de l’avantage
comparatif, aucune raison de se spécialiser. La théorie contemporaine
contredit cette prévision de la théorie classique : les pays ont intérêt
à se spécialiser, car cette spécialisation suscite des économies
d’échelle, à savoir que l’augmentation du volume de la production d’un
bien dans un pays lui permet d’abaisser son coût unitaire de production.
Cependant, cette nouvelle théorie, en levant deux des hypothèses de
Ricardo (celle des rendements constants, et celle de la nécessité de
différences de productivité entre partenaires), ne fait que renforcer la
conclusion finale selon laquelle les échanges sont toujours bénéfiques26.
La dernière grande explication de ce commerce intrabranche est le goût des consommateurs
pour la diversité. Sur chaque marché, les entreprises se font une
concurrence à la fois sur les prix, mais aussi sur la différenciation de
leurs produits. Lorsqu’un pays s’ouvre au commerce mondial, ses firmes
peuvent proposer leurs produits sur les marchés étrangers, où ils seront
plus ou moins compétitifs, autant pour des raisons de coût que de
qualité. L’ouverture commerciale permet alors de réaliser un gain non
mesuré par la théorie de l’avantage comparatif car la gamme de produits
différenciés proposée aux consommateurs est accrue, tandis que les
firmes réduisent leurs coûts de production en disposant d’un marché
élargi permettant la réalisation d’économies d’échelle27.
La défense de l’avantage comparatif
Alors que se développaient les théories alternatives, l’approche du
commerce international en termes d’avantage comparatif s’est elle aussi
renouvelée.
Les défenseurs de la thèse de Ricardo réfutent d’abord le caractère
non explicatif de la théorie des avantages comparatifs, pour les
échanges commerciaux entre pays semblables. Ils font remarquer que le
qualificatif « semblable » est une approximation grossière et que les
pays ne sont jamais identiques. L’analyse des échanges intrabranches
entre ces pays permet de voir que les échanges de type vertical, à
savoir l’échange de produits de qualités différentes, représentent par
exemple 72 % de ce type de commerce au sein de l’Union européenne.
Or cette différenciation des produits, dits « semblables », en terme
qualitatif permet de réintroduire les déterminants ricardiens de
l’échange international28.
L’application de la théorie de l’avantage comparatif dans un modèle
avec deux biens, mais avec plus de deux pays permet, par ailleurs,
d’expliquer le caractère variable des spécialisations. Entre le pays
ayant le meilleur avantage comparatif pour le vin, et celui disposant du
meilleur avantage comparatif pour le drap, se situent, selon une
certaine hiérarchie (dite « échelle d’Edgeworth »)
un important nombre de pays intermédiaires. Si le prix mondial du drap
est élevé, les pays intermédiaires auront plutôt tendance à produire du
drap, et inversement. L’évolution des prix relatifs sur les marchés
mondiaux sera donc susceptible de faire basculer un pays intermédiaire
d’une production à une autre, créant des situations transitoires dans
lesquelles les pays intermédiaires importent et exportent les mêmes
produits.
Toujours selon ce principe de hiérarchie des avantages comparatifs,
pour la production de vin, un pays A peut disposer d’un avantage
comparatif sur B, tandis que B en possède un sur C. Auquel cas, le pays B
importera du vin depuis le pays A, et en exportera vers le pays C. Il
se retrouvera donc importateur et exportateur d’un même produit29.
Autre explication, si un pays tente de créer, grâce à une politique
adéquate, un avantage comparatif dans la production d’un bien A, il
réduira progressivement ses importations et augmentera doucement ses
exportations, passant dans ce cas par une situation intermédiaire, où il
sera importateur et exportateur du même bien30.
Par ailleurs, à l’échelle nationale, toutes les entreprises
produisant un même bien n’ont pas nécessairement la même productivité.
Par analogie aux pays disposant d’avantages comparatifs, les entreprises
disposent d’avantages compétitifs.
Il est possible que dans un pays disposant, globalement, d’un
désavantage comparatif, et étant donc importateur, quelques entreprises
disposent d’un avantage compétitif leur permettant d’exporter30.
Avantage comparatif et libre-échange
La théorie de l’avantage comparatif démontre à l’évidence que le
libre-échange est infiniment préférable au plan économique à l’autarcie,
mais ne permet pas de conclure à la sous-optimalité d’une protection
douanière limitée et ciblée. De fait, les objections au principe de
l’avantage comparatif sont nombreuses.
Cas de protections commerciales
Une première objection est liée à la détermination des termes de l’échange.
Dans la théorie classique, si l’Angleterre se spécialise dans le drap
et le Portugal dans le vin, alors les deux pays y gagneront plus ou
moins selon le prix du vin en drap tel qu’il est déterminé sur les
marchés internationaux. Si un pays est suffisamment puissant
économiquement, il se peut que sa mise en place d’un droit de douane minime contraigne ses partenaires à réduire le prix de leurs exportations afin de maintenir le prix perçu par les consommateurs.
Dans ce cas, le pays puissant profite d’une amélioration de ses termes
de l’échange qui lui permettra d’importer davantage en exportant moins.
Ce raisonnement est incontestable au plan intellectuel, mais dans la
pratique il ne peut s’appliquer qu’à de grandes puissances comme les États-Unis ou l’Union européenne,
qui, en adoptant ce type d’attitude de façon non concertée,
risqueraient de déclencher une guerre commerciale qui réduirait les
gains suscités par l’échange31.
La seconde objection est liée à l’existence de défaillances du marché, et plus précisément d’externalités. Par exemple, si une production permet d’accumuler du savoir-faire, d’accroître la productivité de l’ensemble de l’économie ou encore de lutter contre le chômage,
alors son sacrifice aura un coût non mesuré par la théorie de
l’avantage comparatif. Il est donc possible que la stimulation de cette
production grâce à des protections commerciales ciblées puisse accroître
le bien-être national en protégeant ces externalités, susceptibles
d’apporter une richesse supérieure à celle procurée par le
libre-échange. Là encore, le raisonnement protectionniste est exact et
la mise en place d’une protection ciblée est efficace. Toutefois les
défenseurs du libre-échange signalent que dans la plupart des cas, il
existe de meilleurs instruments que la politique commerciale pour
corriger les défaillances de marché et résoudre le problème des
externalités, comme par exemple la subvention directe des productions
que le gouvernement souhaite stimuler. La politique optimale est alors
idoine et associe libre-échange et intervention étatique
interne. Suivant cette règle, lorsque des pays sont spécialisés dans
des productions connaissant une grande volatilité des prix, ils peuvent
trouver intérêt à associer le libre-échange à une politique interne de
régulation de la production (quota, stocks...)32.
Variations des avantages comparatifs sectoriels
Une augmentation de l'avantage comparatif d'un pays dans un secteur
spécifique (par exemple l'exportation de pétrole suite à la découverte
d'un gisement) peut provoquer un phénomène de « maladie hollandaise » : les exports du pays se concentrent sur un bien, et les autres secteurs exportateurs de l'économie subissent des pertes de compétitivité-prix et doivent s'ajuster à la nouvelle situation.
Les brutales variations de revenus qu'entraînent dans des pays
fortement spécialisés les variations de prix de certains marchés (produits agricoles, matières premières, etc.) perturbent les gains à l'échange des avantages comparatifs. Certains secteurs sont en effet soumis à une autre défaillance du marché :
une grande volatilité des prix. Une solution pour atténuer ces chocs
est d'avoir recours à des fonds de placement pour lisser ces variations
de revenus33.
Influence de la concurrence imparfaite
Enfin la théorie de la concurrence imparfaite,
qui décrit les marchés mondiaux comme dominés par un petit nombre de
grandes entreprises, se faisant autant concurrence sur les prix que sur
les produits, objecte que, contrairement à ce que prétend la théorie
classique, les prix ne sont pas forcément révélateurs des coûts de production. En d’autres termes, une entreprise étrangère, parce qu’elle détient un monopole
sur un produit, peut pratiquer un prix élevé. Or si l’entreprise
étrangère pratique un prix de vente largement supérieur à ses coûts de
production, le gouvernement peut lever une barrière douanière ciblée,
qui, sans réduire le volume du commerce (dans la mesure où il reste
rentable pour l’entreprise étrangère), permet d’accroître la richesse
nationale en améliorant les termes de l’échange. Il semble qu’à nouveau,
la politique commerciale optimale ne repose pas sur le libre-échange
mais sur une protection réduite. Cette proposition protectionniste
rencontre la même objection diplomatique
que la première évoquée ; mais surtout la divergence entre les prix de
ventes constatés et les coûts de production est contestée par l’économétrie et la théorie des marchés contestables,
selon laquelle les monopoleurs tendent à ne jamais imposer de prix
anormalement élevés afin de ne pas laisser se développer une concurrence
éventuelle34.
Variations des facteurs de production
D’autres objections reposent sur la critique des hypothèses jugées
non pertinentes de la théorie de l’avantage comparatif. L’une d’entre
elle poserait, par exemple, le plein-emploi des facteurs de production, et donc l’absence de chômage,
hypothèse qui semble absurde dans le contexte actuel de nombreux pays.
En vérité, le postulat implicite de Ricardo est, plus exactement, le
caractère constant du volume de travail utilisé. D’abord, la question du
commerce international et de ses évolutions est une problématique de
long terme, et les économies ont tendance à corriger les problèmes
d’emploi sur les longues périodes. Par ailleurs, les États modernes
disposent de banques centrales qui tendent, par la politique monétaire, à limiter la variabilité du taux de chômage, autour de son niveau structurel, le NAIRU,
de sorte que les variations à court terme du volume de l’emploi sont
relativement faibles. L’hypothèse implicite du volume constant de
travail est donc une approximation pertinente35.
Dans le contexte de la mondialisation économique, une des hypothèses explicites de la théorie de l’avantage comparatif s’écroule, celle de l’immobilité des facteurs de production. Aujourd’hui, les multinationales
ne rencontrent que peu de difficultés à transférer leurs capitaux d’un
pays à l’autre. Cette mobilité des facteurs n’est en fait pas du tout
nouvelle ; d’abord parce que la mobilité du capital était déjà
importante à la fin du XIXe siècle, ensuite parce que la mobilité des travailleurs
est un des phénomènes historiques les plus marquants de celui-ci.
L’objection populaire à la théorie de l’avantage comparatif est simple :
si les capitaux peuvent passer d’un pays à l’autre, ils auront tendance
à se concentrer autour des « avantages absolus. »
En fait, d’un point de vue théorique, la mobilité des facteurs de
production repose sur les mêmes déterminants que la mobilité des
produits. Comme l’a montré Robert Mundell36,
dans le modèle HOS, les produits passent d’un pays à l’autre en raison
des obstacles que rencontrent les facteurs de production à en faire
autant ; inversement les facteurs bougent lorsque la mobilité des
produits est restreinte. Le commerce international réside dans un
échange de différences, passant soit par les produits, soit par les
facteurs. Si les produits peuvent voyager librement, sans droits de douane et sans coût de transport, le lieu de production importe peu, et les flux de facteurs seront négligeables. À l’inverse, si une entreprise
pense pouvoir réaliser des profits dans un pays étranger, mais que ce
dernier pratique des droits de douane prohibitifs, sa seule chance sera
d’aller produire sur place pour contourner l’obstacle. Dans cette
optique, les effets théoriques des flux de capitaux sont semblables à
ceux des flux de produits dans le modèle HOS : gains de rémunération
pour les facteurs dominants, perte de revenus pour les facteurs dont la
rareté est soudainement contestée. En termes de revenu national, un capital américain investi à l’étranger pour des raisons de rentabilité provoquera une hausse de la production à l’étranger et une baisse de la production aux États-Unis,
mais au final, le gain réalisé en termes de revenu reviendra à
l’investisseur américain. Il est à noter que beaucoup de
libre-échangistes sont hostiles à la libre circulation des capitaux,
mais pour d’autres raisons, en particulier parce que leur forte
volatilité occasionne de l’instabilité dans de nombreux pays, provoquant
bulles et crises financières ou d’endettement37.
Voir aussi
Articles connexes
- syndrome hollandais
- Avantage comparatif révélé
- Contexte : Mercantilisme - Mondialisation économique
- Débat : Libre-échange - protectionnisme
- Rôle du savoir et des réseaux : Pôle de compétence
- Théorie du commerce international : avantage absolu - Modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson - Paradoxe de Leontief
- Auteurs : Robert Torrens - David Ricardo - John Stuart Mill - Eli Heckscher - Bertil Ohlin - Paul Samuelson - Wassily Leontief - Michael Porter
Liens externes
- (fr) Bernard Lassudrie-Duchêne et Deniz Ünal-Kesenci, « L’avantage comparatif, notion fondamentale et controversée », in L’Économie mondiale, CEPII, 2002
- (en) Ricardo’s Difficult Idea, un article de Paul Krugman sur les subtilités de l’avantage comparatif, et la difficulté pour les non-économistes à comprendre ce principe.
Bibliographie
- David Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817-1821 (lire en anglais)
- John Stuart Mill, Principes d’économie politique, 1848 (lire en anglais)
- Bertil Ohlin, Interregional and International Trade, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1933
- Paul Samuelson et Wolfgang Stolper, « Protection and real wage », 1941
- Wassily Leontief, « Domestic Production and foreign trade : the American capital position re-examined », in Économia Internazionale, 7, (1), pp. 3-32, 1953 (traduit en français en 1972, dans B. Lassudrie Duchêne dir., Échange international et croissance, Économica, Paris, pp. 95-129)
- Raymond Vernon, « International Investment and international trade in the product cycle », in Quarterly Journal of Economics, vol. 80, pp. 190-297, 1966.
- Paul Samuelson, « Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization », Journal of Economic Perspectives, été 2004 (lire en anglais)
Références et notes
- Robert Torrens, Essay on the External Corn Trade, J. Hatchard, London, 1815
- Cité dans Krugman et Obstfeld, International Economics - Theory and Policy, 5e édition, 2000, ISBN 0-321-03387-6, page 11
- voir ce document d’introduction au but de l’organisation : Document OMC [archive], p. 14-15
- Paul Krugman, La Mondialisation n’est pas coupable, La Découverte/Poche, 2000 (1996), p. 199
- en anglais : « That it is logically true need not be argued before a mathematician; that is is not trivial is attested by the thousands of important and intelligent men who have never been able to grasp the doctrine for themselves or to believe it after it was explained to them. »P.A. Samuelson (1969), "The Way of an Economist, " in P.A. Samuelson, ed., International Economic Relations: Proceedings of the Third Congress of the International Economic Association, Macmillan: London, pp. 1-11.
- James Ingram, International Economics, Wiley, New York, 1983, cité par Paul Krugman, La Mondialisation n’est pas coupable, p. 119
- Antoine de Montchrestien, Traité d’économie politique, 1615 (Plon, Paris, 1889 pp. 161-162)
- Montesquieu, De l’Esprit des lois, XX - 2, 1748
- David Hume, Of the balance of trade, 1752
- données proposées par David Ricardo, Des Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1821, chap. 7
- John Stuart Mill, Principles of political economy, 1848, book III, chapter XVIII Mill, Principles of Political Economy | Library of Economics and Liberty [archive]
- par exemple Paul Krugman et Maurice Obstfeld, Économie internationale, 7e édition, Pearson Education, 2006
- Wolfgang Stolper et Paul Samuelson, « Protection and Real Wages », Review of Economic Studies, 9: 58-73. 1941
- Domestic Production and Foreign Trade : The American Capital Position Re-examined, 1953, Proceedings of the American Philosophy, vol. 97, p. 332 à 349 ; trad. (1972), in Lassudrie-Duchêne (sous la dir. de), Échange international et croissance, Paris, Économica
- Raymond Vernon, « International Investment and international trade in the product cycle », in Quarterly Journal of Economics, vol. 80, pp. 190-297, 1966.
- Paul Samuelson, "Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization", Journal of Economic Perspectives, été 2004
-
P. Krugman & M. Obstfeld, op. cit., p. 98
- François Régis MAHIEU, Ricardo, économie poche édition Economica 1995
- Paul Bairoch, Le Tiers monde dans l’impasse, Gallimard, 1992
- G. D. A. MacDougall, « British and American Exports : A Study Suggested by the Theory of Comparative Costs », Economic Journal, 61, décembre 1951, p. 697-724
- P. Krugman & M. Obstfeld, op. cit., p.46
- Robert Baldwin, « Determinants of the Commodity Structure of US Trade », American Economic Review, 61, mars 1971, p. 126-145, cité par P. Krugman et M. Obstfeld, op. cit., p. 73
- Harry Bowen, Edward Leamer et Leo Sveikauskas, « Multicountry, Multifactor Tests of the Factor Abundance Theory », American Economic Review, 77, décembre 1987, p. 791-809, cité par P. Krugman et M. Obstfeld, op. cit., p. 73
- P. Krugman & M. Obstfeld, op. cit., p.74
- Paul Krugman et James Brander, « A reciprocal dumping model of international trade », Journal of International Economics, 1983 cité par Emmanuel Combe, Précis d’Économie, Puf, 2005 p. 384
- Paul Krugman, La Mondialisation n’est pas coupable, p. 198-199
- P. Krugman et M Obstfled, op. cit., p. 125-132
- Bernard Lassudrie-Duchêne et Deniz Ünal-Kesenci, L’avantage comparatif, notion fondamentale et controversée [archive]
- Emmanuel Combe, Précis d’économie, PUF, 2005 p.385
- Emmanuel Combe, op. cit. p.386
- P. Krugman & Maurice Obstfeld, op. cit., p. 217-218
- Bhagwati, op. cit., p. 39
- calcul du fonds de placement optimal à mettre en place dans un pays pétrolier [archive], le Nigéria, FMI, 2006
- Bhagwati, op. cit., p. 41
- Paul Krugman, "Ricardo’s difficult idea" [archive].
- Robert Mundell, « International Trade and Factor Mobility », American Economic Review, 47, 1957, p. 321-335, cité par P. Krugman et M. Obstfeld, op. cit., p. 155
- Pour ce genre d’analyse, voir par exemple Jagdish Bhagwati, « The Capital Myth : The Difference between Trade in Widgets and Dollars », Foreign Affairs, mai-juin 1998