Mots-clés: Thermoélectricité
Découvert puis compris au cours du XIXe siècle grâce aux travaux de Seebeck, Peltier ou encore Lord Kelvin, l'effet thermoélectrique est un phénomène physique présent dans certains matériaux : il y lie le flux de chaleur qui les traverse au courant électrique qui les parcourt. Cet effet est à la base d'applications, dont très majoritairement la thermométrie, puis la réfrigération (ex. module Peltier) et enfin, très marginalement, la génération d'électricité (aussi appelée « thermopile »).
Un matériau thermoélectrique transforme directement la chaleur en électricité, ou déplace des calories par l'application d'un courant électrique.
Un grand nombre des matériaux possédant des propriétés
thermoélectriques intéressantes ont été découverts au cours des
décennies 1950 et 1960. C'est notamment le cas du tellurure de bismuth (Bi2Te3) utilisé dans les modules Peltier commerciaux, ou des alliages silicium-germanium (SiGe) utilisés pour l'alimentation des sondes spatiales dans des générateurs thermoélectriques à radioisotope.
L'utilisation de la thermoélectricité en thermométrie connaît un grand succès depuis le début du XXe siècle et en réfrigération portable depuis les années 2000. Par contre, la thermopile a du mal à émerger car son rendement
est peu élevé et les coûts sont importants, cela les limite à des
utilisations très ciblées en 2005 (il n'y a pas encore de marché de
niche pour la thermopile). Cependant des progrès récents, ainsi qu'un
nouvel intérêt pour la thermoélectricité dû à la fois à la hausse des
coûts de l'énergie et aux exigences environnementales, ont conduit à un
renouveau important des recherches scientifiques dans cette discipline
(voir par exemple1).
Sommaire |
Aspects historiques
- En 1821 un physicien allemand Thomas Johann Seebeck découvre un effet thermoélectrique. Il remarqua qu’une aiguille métallique est déviée lorsqu’elle est placée entre deux conducteurs de natures différentes liés par des jonctions à leurs extrémités et soumis à un gradient thermique (voir effet Seebeck). Il interprète ses observations en postulant un lien entre champ magnétique et différence de température entre les deux jonctions et établit le sens de déviation de l'aiguille pour un grand nombre de couples. Il pense ainsi avoir trouvé une explication à l'origine du champ magnétique terrestre2. En réalité, l'effet observé est d'origine électrique : une différence de potentiel apparaît à la jonction de deux matériaux soumis à une différence de température. L’utilisation la plus connue de l’effet Seebeck est la mesure de température à l’aide de thermocouples.
- En 1834 un horloger français installé à Genève, Jean Peltier, découvre le second effet thermoélectrique : une différence de température apparaît aux jonctions de deux matériaux de natures différentes soumis à un courant électrique (voir effet Peltier).
- En 1838 un physicien germano balte, Heinrich Lenz, montre que de la chaleur est absorbée ou libérée à une jonction thermoélectrique suivant le sens du courant3.
- En 1851 un physicien anglais, William Thomson, (Lord Kelvin) montre que les effets Seebeck et Peltier sont liés : un matériau soumis à un gradient thermique et parcouru par un courant électrique échange de la chaleur avec le milieu extérieur. Réciproquement, un courant électrique est généré par un matériau soumis à un gradient thermique et parcouru par un flux de chaleur. La différence fondamentale entre les effets Seebeck et Peltier considérés séparément et l’effet Thomson est l'existence de ce dernier pour un seul matériau et l'inutilité d’une jonction (voir effet Thomson).
- En 1909 un thermodynamicien allemand, Edmund Altenkirch, calcule pour la première fois correctement l'efficacité énergétique d'un générateur thermoélectrique fondé sur l'effet Seebeck.
- En 1950 un académicien et chercheur russe, Abram Ioffé, découvre les propriétés thermoélectriques des semi-conducteurs ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour la thermoélectricité.
- En 2007 les professeurs Hicks et Dresselhaus découvrent que leurs travaux de 1993, concernant les très petites dimensions de la matière, pourraient avoir des répercussions sur la thermoélectricité en permettant d'augmenter l'efficacité énergétique des générateurs thermoélectriques.
Situation contemporaine et renaissance
Depuis 1960, la recherche scientifique en matière de
thermoélectricité était devenue insignifiante et aucune école de par le
monde n’enseignait plus cette discipline, tandis qu’à l’INPI, seules quelques très rares demandes de brevets avaient encore lieu pour des applications.
- Le premier choc pétrolier de 1973 n’avait rien changé à cette situation. Aux États-Unis, la NASA avait cependant encore produit quelques thermopiles pour le domaine spatial, tandis qu'en France, trois petites entités s’occupaient encore de thermoélectricité, à savoir :
- le centre de recherche de la société CIT-ALCATEL à Bruyère-le-Châtel, dans le service du professeur Marchand qui développa des applications pour le tellurure de bismuth dopé aluminium, notamment pour la montre “thermatron” de Bulova ainsi que pour l'industrie spatiale,
- l’école des mines de Nancy, dans le service du professeur Hubert Scherrer qui élabora des “Bridgman” à base de tellurure de bismuth dopé aluminium,
- la société SEIRMI, un département de la CLINIQUE DU VAL D'OR à Saint-Cloud, fondée par le Docteur Jacques Mugica (créateur du CARDIOSTIM) et le thermodynamicien Hubert Juillet, qui ont élaboré un pacemaker équipé d’une thermopile à base de cuprates.
- En 1996 se produisit un fait nouveau : l’INPI enregistra soudainement de très fortes demandes de brevets d’inventions en matière de thermoélectricité. Les demandes ne cessèrent de progresser d’année en année et en 2005, cette progression devint quasi exponentielle.
- Ainsi, aujourd’hui, soit un demi siècle après Abram Ioffé,on enregistre plusieurs centaines de demandes de brevets à l’INPI, chaque année pour la thermoélectricité, alors qu’avant 1996, les demandes étaient réduites à une ou deux unités par an et le plus souvent, à aucune !
- À présent, la thermoélectricité est à nouveau enseignée, y compris dans les écoles les plus prestigieuses de par le monde. Pour l’instant il n’existe pas d’explication prouvée pour ce regain d’intérêt.
Principes de base, en détail
La conversion d'énergie par effet thermoélectrique (chaleur → électricité ou électricité → chaleur) est basée à la fois sur les effets Seebeck, Peltier et Thomson.
Bref rappel sur les coefficients Seebeck, Peltier et Thomson
Coefficient Seebeck
Une différence de température dT= entre les jonctions de deux matériaux a et b implique une différence de potentiel électrique dV= selon :
Le coefficient Seebeck, également appelé « Pouvoir Thermoélectrique » s'exprime en V.K-1 (ou plus généralement en µV.K-1 au vu des valeurs de ce coefficient dans les matériaux usuels).
Les coefficients Seebeck des deux matériaux sont reliés au coefficient Seebeck du couple selon :
On constate que le matériau b possède un coefficient de Seebeck très
faible alors la mesure consiste à déterminer la valeur du coefficient
Seebeck du matériau a qui vaut:
Coefficient Peltier
Dans le cas de l’effet Peltier, un courant électrique I est imposé à un circuit composé de deux matériaux, ce qui entraîne une libération de chaleur Q à une jonction et une absorption de chaleur à l’autre jonction, selon :
Coefficient Thomson
Au contraire des coefficients Seebeck et Peltier, le coefficient
Thomson peut être défini directement pour un seul matériau. Lorsque sont
présents simultanément un gradient de température et un courant électrique, il y a génération ou absorption de chaleur dans chaque segment de matériau pris individuellement. Le gradient de flux thermique au sein du matériau est alors donné par :
où x est la coordonnée spatiale et τ est le coefficient Thomson du matériau.
Relations entre les coefficients Seebeck, Peltier et Thomson
Kelvin
a montré que les trois coefficients Seebeck, Peltier et Thomson ne sont
pas indépendants les uns des autres. Ils sont liés par les deux
relations :
Principes de la conversion d'énergie par effet thermoélectrique
Pour la réfrigération ou la génération d’électricité par effet
thermoélectrique, un « module » est constitué de « couples » connectés
électriquement. Chacun des couples est constitué d’un matériau semi-conducteur de type p (S>0) et d’un matériau semi-conducteur de type n
(S<0 branches="" ces="" conducteur="" deux="" dont="" est="" i="" joints="" le="" lectrique="" les="" mat="" nul.="" par="" pouvoir="" riau="" riaux="" sont="" suppos="" thermo="" un="">p0>
et n)
du couple et tous les autres couples composant le module sont connectés
en série électriquement et en parallèle thermiquement (voir schéma à
droite). Cette disposition permet d’optimiser le flux thermique qui
traverse le module et sa résistance électrique. Par souci de simplicité, nous raisonnerons dans la suite sur un seul couple, formé de deux matériaux de sections constantes.
La figure à droite présente le schéma de principe d’un couple p-n
utilisé pour la réfrigération thermoélectrique. Le courant électrique
est imposé de telle manière que les porteurs de charge (électrons et trous) se déplacent de la source froide à la source chaude (au sens thermodynamique) dans les deux branches du couple. Ce faisant, ils contribuent à un transfert d’entropie
de la source froide à la source chaude, et donc à un flux thermique qui
va s’opposer à celui de la conduction thermique. Si les matériaux
choisis ont de bonnes propriétés thermoélectriques (nous verrons par la
suite quels sont les paramètres importants), ce flux thermique créé par
le mouvement des porteurs de charge sera plus important que celui de la
conductivité thermique. Le système permettra donc d'évacuer de la
chaleur depuis la source froide vers la source chaude, et agira alors
comme un réfrigérateur.
Dans le cas de la génération d'électricité, c'est le flux de chaleur
qui entraîne un déplacement des porteurs de charge et donc l'apparition
d'un courant électrique.
Efficacité énergétique, rendement et paramètres importants
Rendement ou efficacité énergétique ?
Pour une machine thermique réceptrice (c'est à dire une machine qui convertit du travail en chaleur), l'efficacité énergétique correspond au rapport de la chaleur "utile" au travail reçu. C'est évidemment l'inverse pour une machine moteur.
Les valeurs maximum de ces efficacités sont atteintes pour un cycle de Carnot :
- Pour une machine réceptrice frigorifique :
- Pour une machine réceptrice calorifique (pompe à chaleur) :
- Pour une machine moteur :
Le rendement d'une machine thermique est défini par le rapport
entre son efficacité énergétique et l'efficacité énergétique de Carnot
dans les mêmes conditions. Cette grandeur quantifie le poids des
irréversibilités du processus dans l'efficacité de la machine. L'absence
d'irréversibilité correspond à un rendement maximum de 1.
On remarquera que l'efficacité d'une machine réceptrice n'est pas
nécessairement inférieure à 1, alors qu'un rendement est toujours
compris entre 0 et 1.
Calcul de l'efficacité énergétique d'un système thermoélectrique
Le calcul de l'efficacité énergétique d'un système thermoélectrique
s'effectue en déterminant la relation entre le flux de chaleur et le
courant électrique dans le matériau. Il nécessite l'utilisation des
relations de Seebeck, Peltier et Thomson (voir plus haut), mais aussi
des lois de propagation de la chaleur et du courant électrique.
L'exemple suivant présente le calcul de l'efficacité énergétique dans
le cas de la réfrigération (celui de la génération d'électricité peut
être effectué par des raisonnements analogues).
Reprenons donc le schéma précédent. Dans chacune des deux branches du
couple, le flux de chaleur généré par l’effet Peltier s’oppose à la
conductivité thermique. Les flux totaux sont donc dans la branche p et la branche n :
- et
avec x la coordonnée spatiale (voir schéma), λp et λn les conductivités thermiques des matériaux, et Ap et An leurs sections.
La chaleur est donc extraite de la source froide avec un flux Qf :
Dans le même temps, le courant qui parcourt les deux branches est à l’origine d’une création de chaleur par effet Joule I2ρ/A par unité de longueur des branches. En utilisant l’équation de Domenicali4
et en supposant que le coefficient Thomson est nul (cela revient à
supposer que S est indépendant de la température, voir la relation de
Thomson), la conservation de l’énergie dans le système s’écrit dans les
deux branches :
- et
En considérant des conditions aux limites T=Tf en x=0 et T=Tc en x=Lp ou x=Ln avec Lp et Ln les longueurs des branches p et n, Tf et Tc les températures des sources froides et chaudes, Qf s'écrit :
avec K et R les conductance thermique et résistance électrique totales des branches du couple :
- et
La puissance électrique W fournie au couple correspond à l’effet Joule et à l’effet Seebeck, soit :
L'efficacité énergétique du système de réfrigération thermoélectrique
correspond au rapport de la chaleur extraite de la source froide à la
puissance électrique dissipée, soit :
Pour une différence de température ΔT donnée, l'efficacité énergétique dépend du courant électrique imposé. Deux valeurs particulières du courant permettent de maximiser soit l'efficacité énergétique e soit la chaleur extraite de la source froide Q_f.
Par un raisonnement similaire, l'efficacité d’un couple p-n utilisé en génération d’électricité sera donné par le rapport de la puissance électrique utile délivrée à une résistance de charge r au flux thermique traversant le matériau :
Ici encore, deux valeurs particulières de I maximisent soit
l'efficacité énergétique, soit la puissance électrique délivrée par le
système.
Le maximum d'efficacité énergétique dans des conditions données peut
atteindre des valeurs supérieures à 10 : pour un fonctionnement en
refroidisseur, cela signifie que la puissance pompée en face froide est
10 fois supérieure à la puissance électrique consommée. Ces valeurs sont
néanmoins très inférieures à celles du cycle théorique de Carnot dans
les mêmes conditions : Le rendement d'une système thermoélectrique est
souvent inférieur ou de l'ordre de 10%, alors qu'un système mécanique
comme un réfrigérateur à compresseur a un rendement de l'ordre de 40%.
Paramètres importants pour obtenir une bonne efficacité énergétique
En maximisant ces deux efficacités, on peut montrer qu’elles dépendent uniquement des températures Tf et Tc et d'une grandeur adimensionnelle ZpnTM appelée « facteur de mérite » (TM est la température moyenne du système, TM=(Tf+Tc)/2) dont l'expression est :
On remarque que Zpn pour un couple n’est pas une quantité
intrinsèque au matériau, mais dépend des dimensions relatives des
branches du module au travers de R et K (résistance électrique et conductance thermique).
L'efficacité énergétique du système (en génération d'électricité comme
en refroidissement), et donc le rendement, est maximum lorsque Zpn est maximum, donc lorsque le produit RK est minimum, ce qui est vérifié quand :
Le facteur de mérite Zpn devient alors fonction uniquement de paramètres intrinsèques aux matériaux :
Pour obtenir un rendement maximum, il convient donc de choisir les matériaux constituant le couple de manière à maximiser Zpn.
En règle générale, cela ne revient pas simplement à optimiser
individuellement les deux matériaux pour optimiser leurs facteurs de
mérite respectifs Z=S2/(ρλ). À la plupart des températures
utilisées dans la pratique, et notamment celles utilisées pour la
génération d’électricité, les propriétés thermoélectriques des meilleurs
matériaux de type p et de type n sont similaires. Dans ce cas, le
facteur de mérite du couple est proche de la moyenne des facteurs de
mérite individuels, et il est raisonnable d’optimiser les deux matériaux
indépendamment l’un de l’autre.
L’optimisation de matériaux pour une utilisation dans la conversion
d’énergie par effet thermoélectrique passe donc nécessairement par
l’optimisation de leurs propriétés de transport électriques et
thermiques de manière à maximiser le facteur de mérite :
Un bon matériau thermoélectrique possèdera donc simultanément un coefficient Seebeck élevé, une bonne conductivité électrique (c.-à-d. une faible résistance électrique), et une faible conductivité thermique.
La figure ci-contre montre l'évolution du rendement d'un système
thermoélectrique dans des conditions idéales en fonction du facteur de
mérite ZT. Par exemple, si ZT=1 et que la différence de température est
de 300 °C, le rendement sera de 8 %, ce qui signifie suivant le cas (génération d'électricité ou réfrigération) que la chaleur traversant le matériau convertie en électricité correspondra à 8 % de la puissance maximum théoriquement atteignable, ou bien que la chaleur extraite par le refroidissement correspondra à 8 % de la puissance chaleur théoriquement extractible.
Modules thermoélectriques
Optimisation géométrique
Nous avons vu que les propriétés de conversion d'un couple de
matériaux thermoélectriques constituant un module ne sont pas uniquement
intrinsèques : elles dépendent également de la géométrie du système
(longueur et section des branches du module) dont dépendent la résistance électrique R et la conductance thermique K des branches. Il faut en effet que K soit suffisamment faible pour qu'un gradient thermique puisse être maintenu. De même, R doit être choisie de manière à avoir le meilleur compromis possible entre la puissance électrique et la différence de potentiel
électrique. Une fois les matériaux constituant le module choisis (grâce
au facteur de mérite ZT), il est donc nécessaire d'optimiser la
géométrie du système pour pouvoir obtenir l'efficacité énergétique, la puissance électrique ou la chaleur extraite maximum en fonction de l'application du module.
Modules segmentés
Les matériaux utilisés dans les modules de conversion
thermoélectrique ne sont généralement efficaces que dans une gamme de
température restreinte. Ainsi, l'alliage SiGe utilisé pour
l'alimentation de la sonde Voyager n'est efficace qu'à des températures supérieures à 1 000 K environ. Il peut donc être intéressant, pour des applications où le gradient
de température est très grand, d'utiliser plusieurs matériaux
thermoélectriques dans chaque branche, chacun dans la gamme de
température pour laquelle il est le plus efficace. On parle alors de
module thermoélectrique segmenté.
La figure ci-contre illustre le concept de module thermoélectrique segmenté. Nous avons ici un gradient de température très important (700 K
de différence entre la zone chaude et la zone froide), et aucun
matériau connu n'est efficace dans toute la gamme de température.
Chacune des deux branches du couple est donc formée de plusieurs
matériaux (ici deux pour la branche n et trois pour la branche p).
La longueur de chacun de ces matériaux est choisie pour qu'il soit
utilisé dans la gamme de température où il est le plus efficace. Un tel
module permettra donc d'obtenir une efficacité énergétique, une puissance électrique, ou une chaleur
extraite, nettement plus élevée que si chaque branche n'était composée
que d'un seul matériau. Ainsi, les meilleurs rendement de conversion
obtenus en laboratoire avec ce type de modules sont à l'heure actuelle
voisins de 15 % (ce qui signifie que 15 % de la chaleur traversant le matériau est convertie en puissance électrique).
Les modules segmentés sont cependant d'un prix beaucoup plus élevé que
les modules « simples », ce qui les restreint à des applications pour
lesquelles le coût n'est pas le facteur de choix décisif.
Les matériaux thermoélectriques
Matériaux utilisés dans les dispositifs actuels
Basses températures
Le matériau thermoélectrique le plus couramment utilisé aux basses températures (150 K-200 K), est formé sur la base de Bi1-xSbx (alliage de bismuth et d'antimoine)
et ne présente malheureusement de bonnes propriétés thermoélectriques
qu’en type n (conduction par les électrons), ce qui restreint le
rendement de conversion du système puisqu’aucun matériau n'est efficace
en type p dans cette gamme de température (rappelons qu'un système de
conversion thermoélectrique est constitué à la fois de branches p et n). Curieusement, alors que ses propriétés sont relativement moyennes (ZT~0,6), l’application d’un champ magnétique
permet de doubler le facteur de mérite qui dépasse alors l’unité. Ce
matériau est donc généralement utilisé en association avec un aimant permanent5.
Voisinage de la température ambiante
Le matériau le plus étudié à l’heure actuelle est Bi2Te3 (alliage de bismuth et de tellure).
Il est utilisé dans tous les dispositifs fonctionnant au voisinage de
la température ambiante, ce qui inclut la plupart des dispositifs de
réfrigération thermoélectrique. Les meilleures performances sont
obtenues lorsqu’il est allié à Sb2Te3 (alliage d'antimoine et de tellure) qui possède la même structure cristalline6. Des échantillons de type p comme de type n peuvent être obtenus par de petites variations de composition au voisinage de la stœchiométrie. Dans les deux cas, des valeurs du facteur de mérite ZT proches de 1 sont obtenues au voisinage de la température ambiante7. Ces bonnes valeurs de ZT sont obtenues en partie grâce à la très faible conductivité thermique λ, proche de 1 W.m-1.K-1 dans les meilleurs matériaux.
Températures intermédiaires
Pour une utilisation à moyenne température (550 K-750 K environ), le matériau le plus utilisé est le tellurure de plomb PbTe et ses alliages (PbSn)Te (tellurure de plomb-étain). Les deux composés PbTe et SnTe peuvent former une solution solide complète ce qui permet d’optimiser le gap (bande interdite du semi-conducteur) à la valeur désirée. Les meilleurs matériaux obtenus ont des facteurs de mérite proches de l’unité autour de 700 K8. Cependant, ces valeurs sont obtenues uniquement dans les matériaux de type n. PbTe ne peut donc pas à l’heure actuelle constituer à lui seul les deux branches d’un thermoélément. La branche p est donc généralement constituée d’un matériau de type TAGS (pour Tellure-Antimoine-Germanium-Argent), qui, quant à lui permet, d’obtenir des facteurs de mérite supérieurs à l’unité à 700 K uniquement en type p9. Il apparait donc crucial de développer un nouveau matériau qui puisse être utilisé à la fois en type p et en type n
dans cette gamme de température. Il est en effet plus facile
industriellement d'utiliser le même type de matériau pour les deux
branches (et cela permettrait de plus d’éliminer le tellure fortement
toxique)10.
Hautes températures
Les alliages à base de silicium et germanium possèdent de bonnes caractéristiques thermoélectriques aux hautes températures (au-dessus de 1 000 K) et sont notamment utilisés pour la génération d’électricité dans le domaine spatial11,12. Ce sont notamment des alliages de ce type qui sont utilisés pour l'alimentation en électricité de la sonde Voyager.
Optimisation des matériaux thermoélectriques
L’expression du facteur de mérite ZT=(S2T)/(ρλ) résume à
elle seule la difficulté à optimiser les propriétés de transport d’un
matériau thermoélectrique. Intuitivement, il paraît difficile pour un
matériau de posséder simultanément une bonne conductivité électrique et
une mauvaise conductivité thermique, caractéristique des isolants.
Idéalement, un bon matériau thermoélectrique devrait ainsi posséder tout
à la fois la conductivité électrique d'un métal et la conductivité thermique d'un verre13!
Le numérateur du facteur de mérite ZT, S2σ (σ est la conductivité électrique, inverse de la résistivité électrique :
σ=1/ρ) est nommé facteur de puissance. En génération d’électricité par
effet thermoélectrique, la puissance utile sera d’autant plus grande que
le facteur de puissance sera grand. Malheureusement, le coefficient
Seebeck et la conductivité électrique ne sont pas indépendants l’un de
l’autre, et varient de manière opposée avec la concentration en porteurs
de charge (concentration d'électrons ou de trous, voir semi-conducteur) :
les meilleurs pouvoirs thermoélectriques seront obtenus dans des
matériaux de faible concentration en porteurs tandis que les meilleures
conductivités électriques le seront dans des matériaux à forte
concentration de porteurs. Par compromis, les meilleurs matériaux
thermoélectriques appartiendront donc à la classe des semi-conducteurs.
Le second facteur important dans l’expression du facteur de mérite ZT (en sus du facteur de puissance) est la conductivité thermique :
un matériau aura des propriétés thermoélectriques optimales pour une
faible conductivité thermique. En effet, de manière intuitive, une bonne
conductivité thermique tendrait à s’opposer à l’établissement du gradient
thermique : la chaleur traverserait le matériau sans rencontrer de
résistance. L'optimisation des matériaux nécessitera donc de chercher à
diminuer la conductivité thermique, sans dégrader la conductivité
électrique. Seule la contribution des vibrations du réseau (voir conductivité thermique) devra donc être diminuée, et pas la contribution due aux porteurs de charge (électrons ou trous).
Voies de recherche
Nous avons vu dans le paragraphe précédent que les meilleurs
matériaux utilisés à l'heure actuelle dans les dispositifs de conversion
thermoélectrique possèdent des facteurs de mérite ZT voisins de
1. Cette valeur ne permet pas d'obtenir des rendements de conversion qui
rendent ces systèmes rentables économiquement pour des applications
« grand public ». Par exemple, il faudrait des matériaux pour lesquels
ZT=3 pour pouvoir développer un réfrigérateur domestique concurrentiel.
Pour les systèmes de génération d'électricité (qui pourraient être
utilisés par exemple sur le pot d'échappement de voitures ou camions, ou sur des microprocesseurs),
deux moyens permettraient d'augmenter la rentabilité des systèmes : une
augmentation significative de leurs rendements (avec par exemple
ZT>2), ou bien une diminution des coûts. Le but de ce paragraphe est
de présenter de manière non exhaustive quelques voies de recherche
actuellement suivies, tant dans des laboratoires industriels que
publics.
Structures de basse dimensionnalité
On nomme structure de basse dimensionnalité une mise en forme
d'un matériau pour laquelle une ou plusieurs dimensions sont très
petites par rapport aux autres. C'est par exemple le cas des couches
minces en micro-électroniques
(structure 2D), de nanofils (structure 1D) ou de nanopoudres (structure
0D), par opposition au matériau massif qui possède 3 dimensions. Ces
structures possèdent généralement des propriétés assez différentes du
matériau massif de même composition. Dans le domaine de la
thermoélectricité, le but de la recherche est double : chercher à
améliorer le rendement de conversion en utilisant des structures de
basse dimensionnalité, tout en bénéficiant des systèmes de fabrication
en grande série utilisés en micro-électronique.
L’étude des structures de basse dimensionnalité est devenue très
importante depuis que des améliorations notables du facteur de mérite ZT
y ont été prédites théoriquement puis observées expérimentalement14. Les deux principaux effets observés sont une forte diffusion des phonons par les joints de grains (frontières entre les différents grains constituant le matériau) induisant une diminution de la conductivité thermique de réseau, et des effets de confinement (phénomène de type quantique) des porteurs de charge qui modifient fortement les propriétés de transport électrique (conductivité électrique et coefficient Seebeck).
Des valeurs très élevées du facteur de mérite ZT, de l’ordre de 2,5 à
la température ambiante, ont ainsi été observées en laboratoire dans des
structures en couches minces15.
À l'heure actuelle, ces structures sont principalement envisagées pour
des applications à des températures basses ou moyennes (<150- class="nowrap" span="">200 °C150->
).
Une des principales difficultés est en effet d'obtenir des couches
minces thermoélectriques dont les propriétés ne se dégradent pas avec la
température.
Identification et optimisation de nouveaux matériaux
Principes
Nous avons vu précédemment que pour obtenir un bon rendement de conversion, les matériaux doivent avoir une conductivité thermique la plus faible possible et une conductivité électrique la plus forte possible. Il doit donc idéalement conduire le courant électrique comme un métal, et la chaleur comme un verre.
Différentes propriétés peuvent permettre à la conductivité thermique d’un cristal (les métaux ont une structure cristallisée) de s’approcher de celle d’un verre (les verres sont amorphes). Ce sont principalement :
- Une structure cristalline complexe. En effet la plus grande partie de la chaleur est transportée par les modes de phonons acoustiques. Or un matériau possédant N atomes par maille aura 3 modes acoustiques, et 3(N-1) modes optiques, d’où l’intérêt de structures complexes pour lesquelles N est grand et la majorité des modes de phonon sont des modes optiques qui transportent peu la chaleur16.
- Des atomes faiblement liés au reste du réseau cristallin (par exemple des atomes petits dans une cage grande), ou dont les positions ne sont pas parfaitement définies (sous-positions autour d’un même site, amplitudes de vibrations importantes). Ces atomes induisent un désordre important qui contribue à la diffusion des phonons et donc à la diminution de la conductivité thermique. En revanche, comme ils participent peu à la conductivité électrique, le désordre n'occasionne pas de dégradation trop importante de cette conductivité.
Matériaux prometteurs particulièrement étudiés
Actuellement, trois classes de matériaux sont particulièrement
étudiées suivant ces recommandations (structure complexe et atomes
faiblement liés). Ce sont :
- Les composés de type semi-Heusler, de formule générale XYZ avec X et Y des métaux de transition et Z un métalloïde ou un métal, par exemple ZrNiSn (zirconium, nickel, étain). Ces composés présentent des facteurs de puissance S2σ très élevés, à la fois en type p et en type n. L’une de leurs caractéristiques les plus intéressantes est la possibilité de dopage sur chacun des trois sites, ce qui tend en outre à modifier les vibrations du réseau. Cependant leurs conductivités thermiques sont trop élevées, et les meilleurs ZT obtenus à l’heure actuelle sont de l’ordre de 0,7 à 700 K-800 K17.
- La seconde famille de composés, qui présente un très grand nombre de variétés structurales, est celle des clathrates. Ces composés ont une structure relativement ouverte constituée, pour les composés les plus étudiés à l’heure actuelle, d’un réseau de Si (silicium), GaGe (gallium germanium) ou GaSn (gallium étain) formant de grandes cages dans lesquelles peuvent être insérés des atomes lourds (notamment des terres rares ou des alcalino-terreux)18. Leur conductivité thermique est similaire à celle du verre (l’atome inséré dans la cage diffuse fortement les phonons) alors que les propriétés électroniques, qui sont principalement fonction du réseau, sont bonnes. Les meilleurs facteurs de mérite obtenus approchent l’unité autour de 800 K19.
- La troisième famille très étudiée est celle des skuttérudites. Ces composés ont une structure cubique formée d'un réseau de type MX3 (avec M un métal de transition et X = arsenic, phosphore ou antimoine), avec au centre de ce réseau une grande cage dans laquelle peuvent être insérés des atomes lourds (notamment des terres rares)20,21. Ces composés possèdent des coefficients Seebeck très élevés ainsi qu'une bonne conductivité électrique, mais leurs conductivités thermiques demeurent trop élevées. Les meilleurs facteurs de mérite obtenus sont voisins de 1,4 autour de 800 K22,23.
Applications potentielles
Les applications actuelles et potentielles des matériaux thermoélectriques tirent parti des deux aspects de l’effet Thomson :
D’une part, l’établissement d’un flux de chaleur, opposé à la diffusion thermique, lorsqu’un matériau soumis à un gradient thermique est parcouru par un courant, permet d’envisager des applications de réfrigération thermoélectrique. Cette solution alternative à la réfrigération classique utilisant des cycles de compression-détente ne nécessite aucune pièce mobile, d’où une plus grande fiabilité, l’absence de vibration et de bruit.
Ces propriétés sont fondamentales dans des applications pour
lesquelles la température doit être régulée de manière très précise et
fiable, par exemple pour les containers utilisés pour le transport
d’organes à transplanter, ou pour des applications dans lesquelles les
vibrations constituent une gêne considérable, par exemple les systèmes
de guidage laser ou les circuits intégrés.
De plus, la possibilité de créer un flux thermique à partir d’un
courant électrique de manière directe rend inutile l’utilisation de gaz
de type fréon, qui contribuent à dégrader la couche d'ozone.
Depuis l'an 2000 il existe un marché important pour la réfrigération
par la thermoélectricité pour les glacières portables à brancher sur du
courant électrique 12 volts. (voitures automobiles)
Article détaillé : refroidissement thermoélectrique.
D’autre part, la possibilité de convertir un flux de chaleur en courant électrique permet d’envisager des applications de génération d’électricité par effet thermoélectrique, notamment à partir de sources de chaleur perdue comme les pots d’échappement des automobiles (gain de 5 %24 à 10 %25 du carburant attendu en limitant l'utilisation de l’alternateur), les cheminées d’incinérateurs, les circuits de refroidissement des centrales nucléaires…
Les systèmes thermoélectriques constitueraient alors des sources
d’énergie d’appoint « propres », puisque, utilisant des sources de
chaleur existantes inutilisées.
De plus, la très grande fiabilité et durabilité des systèmes (grâce à
l’absence de pièces mobiles) a conduit à leur utilisation pour
l’alimentation en électricité des sondes spatiales. C’est notamment le cas de la sonde Voyager, lancée en 1977, dans laquelle le flux de chaleur établi entre du PuO2 fissile (PuO2 est radioactif
et se désintègre, c'est donc une source de chaleur) et le milieu
extérieur traverse un système de conversion thermoélectrique à base de
SiGe (alliage de silicium et germanium), permettant l’alimentation de la sonde en électricité (en effet, les sondes spatiales s'éloignant trop du soleil ne peuvent pas être alimentées par des panneaux solaires, le flux solaire devenant trop faible).
Article détaillé : générateur thermoélectrique à radioisotope.
Les systèmes de conversion utilisant l’effet thermoélectrique ont
cependant des rendements faibles, ce qui limite pour l’instant les
thermopiles à quelques applications dans lesquelles la fiabilité et la
durabilité sont plus importantes que les coûts et le rendement. Des
générateurs thermoélectriques permettent de recharger les dispositifs
portables (batterie de mobiles) en cas panne secteur. Comme ce fut le
cas à New York, lors de l'ouragan Sandy.
Voir également
Bibliographie
En l'absence d'ouvrage de référence traitant de la thermoélectricité en français, il est possible de consulter :
- (en) Thermoelectric Handbook, Ed. Rowe DM - Chemical Rubber Company, Boca Raton (Floride) 1995.
- (en) GS Nolas (et al.), Thermoelectric, basic principles and new materials developments, Springer 2001.
- (en) GD Mahan (et al.), Thermoelectric materials: new approaches to an old problem, Physics Today, Vol. 50 (1997), p. 42.
Articles connexes
Pour une meilleure compréhension de cet article, il est intéressant de se référer aux notions développées dans :
- Effet Seebeck
- Effet Peltier
- Effet Thomson
- Pyroélectricité
- Semi-conducteur
- Conductivité thermique
- Conductivité électrique
- Refroidissement thermoélectrique
Lien externe
Notes et références
Cet article est basé en grande partie sur l'introduction de la thèse de doctorat "Étude de skutterudites de terres-rares (R) et de métaux d (M) du type RM4Sb12 : de nouveaux matériaux thermoélectriques pour la génération d’électricité.26
- C. B. Vining, ZT ~ 3.5: Fifteen Years of Progress and Things to Come, 5th european conference on thermoelectrics, Odessa, 2007, texte [archive] (Consulté le 22 mars 2012).
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- Thèse disponible en ligne sur tel.ccsd.cnrs.fr [archive]