Réaction des hôtes naïfs aux nouveaux parasites
Mots-clés: virulence des parasites, milieu naturel, épizooties
La virulence des parasites peut être un obstacle important à leur
transmission, mais aussi un danger pour les hôtes « naïfs ». Les
parasites, en effet, sont plus virulents avec les hôtes qu’ils ne
« connaissent » pas (Toft & Karter 1990). Au cours de l’histoire
évolutive des systèmes hôtes-parasites, on assiste souvent à une
diminution de cette virulence. Si on prend une représentation très
basique des capacités de dispersion — donc de survie, puisqu’un parasite
qui ne disperse pas subit l’extinction locale et meurt — d’un parasite,
sous la forme de l’équation ci-dessous, on peut comprendre plus avant
le problème de la virulence.
D’après ce modèle, la transmission d’un pathogène — notée R0, qui
correspond au nombre de descendants pouvant être obtenus à partir d’un
individu — décroît en fonction de la virulence — ainsi que de �, qui est
la mortalité naturelle de l’hôte. Si un parasite possède un cycle
direct, son « intérêt » n’est donc pas d’être trop virulent — sauf si la
mort de l’hôte est nécessaire pour le bouclage du cycle, ce qui impose
une autre formulation de R0. D’autre part, un hôte tué trop rapidement
par le parasite n’est pas forcément en situation de transmettre les
stades qu’il porte à l’hôte suivant, ce qui est désavantageux pour le
parasite. Ce type de considérations explique que des virus avec un
faible temps de latence et une virulence très importante (l’exemple type
étant sans doute Ebola) représentent un risque pandémique faible. La
coévolution entre les hôtes et leurs parasites — à une très grande
échelle de temps, rappelons nous que Combes (1995) parlait
d’interactions durables — à fait qu’on assiste souvent à une diminution
de la virulence de ces derniers. Cette diminution de la virulence ne
signifie pas pour autant, et il est important de le souligner, que toute
interaction durable évolue vers du mutualisme. Il est donc intéressant
d’observer ce qui se produit quand on expose en parallèle des hôtes
naïfs (n’ayant jamais rencontré le parasite) et des hôtes habituels, qui
vivent avec le parasite depuis un temps — à l’échelle de l’évolution —
long. Cette manipulation permet de simuler la situation rencontrée dans
le cas ou on introduit un parasite dans un écosystème qui n’est pas le
sien, et les impacts potentiels sur les hôtes d’un parasite moins bien
adapté.
Approche expérimentale en milieu naturel
Une expérimentation de ce type a été menée par Sasal et al. (2000).
Leur expérience consistait à infester artificiellement des gobies
(Pomatoschistus microps, poisson vivant sur les fonds sablo-vaseux le
long des côtes européennes) par les stades appropriés du digène
Labratrema minimus. Les P. microps venaient de quatre régions d’Europe,
toutes exposées à la présence de L. minimus. À partir d’une souche du
premier stade infestant de L. minimus présentant peu de variance
génétique, les P. microps ont été infestés expérimentalement. Une partie
des poissons venait du lieu de prélèvement des stades infestants de L.
minimus utilisés, les autres étaient infestés par d’autres souches de ce
parasite. Ce protocole permet de déterminer les effets potentiels de
l’introduction accidentelle d’un parasite en même temps que l’hôte,
quand on choisit d’augmenter par transfert d’individus la taille d’une
population, ou dans les cas où les individus d’un réserve colonisent le
milieu environnant. Si une partie des poissons de l’échantillon avaient
déjà été infestés par L. minimus (à l’exception de ceux de la région de
Cadiz, qui venait pourtant d’une zone ou le parasite est endémique), ils
n’avaient jamais rencontrés la souche utilisée pour l’expérience (sauf
évidemment pour le groupe contrôle, capturé dans l’étang de
Salses-Leucate—qui de plus est issu d’une population isolée
géographiquement des autres échantillons). Le nombre de métacercaires
encystés au premier jour de l’infestation expérimentale et après 30
jours (autopsies pour mesurer les effets du parasite) sont montrés
figure 6. L’étude de Sasal et al. se clôt sur un constat intéressant. Le
manque de preuve que les parasites infestant des hôtes naïfs leur
causent plus de dommages — le nombre d’infestations de la figure 6, et
les autres données fournies dans leur article vont globalement dans ce
sens — ne signifie pas nécessairement l’absence d’effet délétères (les
baisses de fitness sont particulièrement difficiles à caractériser en
milieu naturel). Ce constat ne fait que « souligner les limites de notre
connaissance » sur ce sujet : l’idée que la virulence résulte d’une
mauvaise adaptation à l’hôte n’est pas nécessairement exacte, et est
susceptible d’évoluer.
Élevage et épizooties : une relation controversée
Nous l’avons vu juste avant, l’idée qu’un hôte naïf paye plus cher le
prix du parasitisme n’est pas forcément exacte dans toutes les
situations, et d’autres facteurs que l’adaptation sont suscpetibles
d’intervenir dans la détermination de la virulence — et donc des dégâts —
du parasite. Cependant, comme le faisait remarquer Nowak (2007) dans un
numéro récent de l’International Journal for Parasitology, il existe
des cas — ici l’aquaculture — pour lesquels l’évolution des parasites
est soumise à des conditions peu naturelles, et donc difficilement
prévisibles. Et les effets des parasites infestant des hôtes
« cultivés » et passant aux hôtes sauvages peuvent être très importants,
comme le faisait remarquer Krkosek et al. (2006) avec le pou du saumon
L. salmonis (avec des données expérimentales sans équivoque sur les
effets du parasite). Deux nuances sont à apporter aux constats de
Krkosek et al.. D’une part, les travaux en laboratoire menés par Jones
et al. (2006) n’ont pas réussi à obtenir d’importants succès
d’infestation des saumons roses (utilisés par Krkosek et al.) par L.
salmonis, ce qui peut indiquer que les effets de ce copépode sur le
saumon sauvage sont très limités. D’autre part, Beamish et al. (2006)
ont montré que suivant les années, la population de saumon survivait de
manière variable, ce qui peut encore une fois minimiser l’impact du
parasitisme sur la survie des populations naturelles du saumon
sauvage—les travaux de Beamish et al. prennent en compte la coexistence
entre des poissons d’élevage et des poissons sauvages. Cette controverse
sur les relations entre parasitisme et aquaculture nous enseigne
plusieurs choses. D’une part, les résultats des études de terrain et de
laboratoire ne sont pas nécessairement en accord. Les études de terrain
sont beaucoup plus difficiles à mener — aussi bien dans leur logistique
que dans l’analyse des résultats, le laboratoire permettant de contrôler
un maximum de conditions. D’autre part, sur des études longues, il est
important de considérer les fluctuations naturelles de la population. La
différenciation entre les variations intrinsèques et celles liées au
parasitisme n’est pas nécessairement évidente. La question de
l’information qu’il faut fournir aux décideurs dans ce cas — quel est
l’impact de l’aquaculture ? — est délicate, et cette situation la pose.
Faut-il appliquer le principe de précaution ou croire les études en
laboratoire ? Ces questions font de plus en plus partie de la vie
quotidienne du scientifique.