Citation du jour:

N'oubliez pas de faire un don. Nous avons besoin de votre aide en ces temps difficiles.Faire un don.

Politique - Haiti : Crise électorale et effet d’hystérésis

Source: Alter Press
Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 17 décembre 2010

Dans un double mouvement de distanciation critique et d’explication, nous tentons le pari d’une reformulation et d’une recréation pour partager quelques idées sur la crise haïtienne [1]. Recréer, disons-nous, pour la révolution en gestation cet élan essentiel, irrécupérable, de la pensée qui désarme les forces du mal.

De faibles assises matérielles

La crise profonde qui sévit en Haïti est le résultat du fractionnement d’un ensemble social qui n’arrive pas à créer les conditions lui permettant de se reproduire aux plans matériel, intellectuel et moral. On sait qu’une petite élite de 4% de la population, qualifiée par un diplomate américain de « moralement répugnante [2] », s’approprie 66% des richesses nationales, tandis que 16% en détiennent 14 %, que 70 % possèdent à peine 20 % et que les 10 % restants sont privés de tout [3]. Depuis une décennie, 76% de la population ne disposent pas de deux dollars américains par jour pour sa subsistance et 50% ne disposent pas d’un dollar par jour [4]. Ces statistiques, aussi graves qu’elles soient, taisent autant de choses qu’elles en expriment sur l’état de détresse et du dénuement du peuple haïtien.

Avec des assises matérielles aussi faibles, le système sociopolitique a eu besoin pour sa reproduction de faire appel à l’investissement direct international qui a choisi le secteur d’assemblage pour l’exportation comme lieu d’élection de sa politique de mondialisation. Devant la corruption des gouvernements haïtiens, on a, pour ce faire, converti les 20 000 organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans le pays en un État dans l’État au service de l’option idéale de la politique de post-colonisation de l’Occident.

Mais les succès de l’industrie d’assemblage qui ont permis de déstabiliser la dictature des Duvalier ont eu des effets pervers sur l’économie haïtienne. Ils ont encouragé la migration rurale-urbaine, contribué à la multiplication des bidonvilles ceinturant la capitale Port-au-Prince et détruit l’épine dorsale de l’économie paysanne : l’agriculture vivrière ; cette dégradation fut amplifiée par l’élimination du cheptel porcin [5]. Une mauvaise politique que la communauté internationale continue d’encourager après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Le professeur Alex Dupuy a montré les risques inhérents à cette stratégie économique dogmatique qui ne fait que diminuer les emplois dans certains pays pour les relocaliser en Haïti où les ouvriers sont encore moins payés. En effet, les exportations de produits textiles d’assemblage vers les États Unis d’Amérique effectuées dans le cadre de l’Accord de Libre-Échange République Dominicaine-Amérique centrale ont diminué de 13.3% en 2004 à 9.8% en 2008 [6].

De la mémoire à la réminiscence

Sur ces faibles assises économiques, la malédiction politique s’est encore abattue en 2010. Après le tremblement de terre, l’ouragan Tomas et l’épidémie de choléra, maintenant ce sont les élections frauduleuses qui empoisonnent la vie en Haïti. Le groupement INITÉ, érigé en un véritable parti de la méchanceté, a décidé, une fois de plus, de voler les élections. Une fois de plus, disons-nous, en faisant appel à la mémoire, cette tablette de cire molle selon le mot prononcé par Platon dans le Théétète. La catastrophe électorale du 28 novembre 2010 a eu des antécédents, d’abord en 1997 et en 2000 à l’occasion d’élections frauduleuses organisées par le président René Préval, puis en 2006 lors des élections présidentielles. Lors des élections législatives de Mai 2000, on se rappelle que Léon Manus, âgé de 76 ans, président du Conseil Électoral Provisoire (CEP) avait dû s’exiler aux États Unis. Il devait s’expliquer, dans une lettre à Colin Powell, Secrétaire d’État américain, en date du 27 décembre 2000, pour dire qu’il avait fui pour avoir refusé de diffuser les résultats frauduleux que le président René Préval lui avait sommé de déclarer [7]. Le président Aristide devait déclarer par la suite, en 2006, que Léon Manus ne disait pas la vérité et qu’il avait été contraint de faire ces déclarations par la communauté internationale [8].

Mais allant plus loin que la mémoire, il faut faire appel à la réminiscence, comme le recommande Aristote, et remonter à avril 2009. « La réminiscence, dit Aristote, est une sorte de recherche que fait l’esprit dans l’image que le corps lui a transmise [9]. » Lors des élections sénatoriales partielles du 5 avril 2009, le CEP de Gaillot Dorsainvil avait annulé les élections à la Petite-Rivière de l’Artibonite pour empêcher la victoire du candidat Anick Joseph du parti OPL comme sénateur. Également, le même CEP de Gaillot Dorsainvil avait procédé de la même façon contre Benoit Laguerre du parti UCCADE dans le Département du Sud. Cela devait provoquer, entre autres, la démission fracassante de Rodol Pierre, vice-président du dit CEP.

Toute la ruse du monde ne peut masquer la fraude massive des élections du 28 novembre 2010. Nombre d’observateurs ont traqué l’imposture du CEP dans toutes ses dimensions. En particulier James Morrell [10] de Haiti Democracy Project a dénoncé sur son site internet les techniques de fraude (photos à l’appui) qui permettent de lire la grammaire de l’arbitraire et d’entrevoir la portée réelle de cette mascarade. La comparaison des feuilles de pointage (écrites à la main) et des procès-verbaux (dactylographiés) permet de découvrir l’invisible fraude que certains déploient tout leur pouvoir pour circonscrire sinon occulter. Les votes des candidats INITÉ passent de 18 à 118 ou 218, des feuilles de pointage aux procès-verbaux. Les esprits malades du parti INITÉ et du CEP fourmillent d’inventions qui peuplent le processus électoral. Ce qui était perception est devenu connaissance. INITÉ et le CEP de Préval font montre d’une ingéniosité dont les combinaisons subtiles définissent la victoire recherchée par leurs candidats. Ils affichent une diabolique harmonie dans l’obsession qui commande et donne épaisseur à leurs magouilles.

Les conséquences de ces élections du 28 novembre sont désastreuses, surtout pour les jeunes nés en 1980 et qui ont aujourd’hui trente ans. Cette jeunesse-là constitue 70% de la population ne sait comment comprendre les misères quotidiennes qui la néantisent. On lui avait fait croire que la dissolution de l’armée allait résoudre les problèmes. Elle constate que la douleur brute et banale des chercheurs de pouvoir lui enlève son droit de vote. Cette jeunesse se retrouve, malgré elle, frappée par le séisme politique du 28 novembre qui lui enlève sa citoyenneté, sous une tente ambulante, charriant le dégoût de sa destitution. L’anarcho-populisme renouvelle le pouvoir à vie des Duvalier en le baptisant de « continuité » à travers une litanie d’élections dont les résultats sont connus d’avance. Cette jeunesse est dans le creux, dans la déchirure, dans la violence d’un quotidien sans horizon.

Le gouffre aux chimères

La crise électorale haïtienne est le révélateur d’un pays en plein bouleversement. INITÉ a perfectionné les techniques de corruption et de fraude électorale en dépassant les limites connues dans ce domaine. Au fait, la mascarade électorale du gouvernement Préval loin d’être un fait divers éclaire par sa dynamique toute une époque. D’où l’énorme écho qu’elle a dans toutes les couches de la société haïtienne et à travers le monde. Mais aussi l’intérêt des sauveteurs qui s’acharnent à empêcher l’effondrement d’un modèle électoral de gouvernance qui prend de l’eau partout. Processus inexorable pour enterrer vivantes les masses populaires et leurs revendications. Toutefois, la proposition de contestation et de demande de vérification des votes risque d’exhumer nombre de méfaits que le gouvernement Préval voudrait enfouir afin qu’aucune autopsie ne soit possible. La demande de vérification des votes peut déclencher de nouveaux effondrements capables d’ensevelir plus vite le gouvernement Préval, partiellement bloqué sous le dédale des contestations. Cela risque alors de coincer nombre de personnalités internationales connues pour les contorsions infinies dans lesquelles elles se perdent pour masquer et justifier l’inacceptable. Préval est conscient que ce sont des grands mangeurs et il oblige ses supporters à faire des exercices de reptation et à plonger dans la boue de son gouffre aux chimères avant qu’ils commencent à engranger.

Faut-il faire un recomptage des votes pour découvrir un mort dans le cadavre ? N’est-ce pas un risque de trouver dans la caverne d’autres révélations du monde souterrain des élections à la Préval ? Ou s’agit-il d’un moyen de noyer le poisson ? N’y a-t-il pas un cycle de délits commis par le CEP du haut en bas de l’échelle ? Ces délits ne doivent-ils pas être sanctionnés par les tribunaux ? A quoi peut servir la politique de l’autruche de la communauté internationale ? Le CEP a organisé un gâchis le 28 novembre. Pas besoin d’une enquête minutieuse pour comprendre que INITÉ voulait ratisser large à travers le pays et contrôler autant la Chambre législative que la présidence. Les fraudes orchestrées pour les candidats INITÉ à la députation se sont faites sans souci de détails. Les résultats des fraudes orchestrées dans les centres de vote et les bureaux de votes (un centre de vote a plusieurs bureaux de vote) ont été acheminés au Centre de Tabulation des Votes (CTV) dans des procès-verbaux dactylographiés. La cécité est de rigueur dans la manière dont le CTV traite les procès-verbaux qui sont cautionnés par l’aréopage d’INITÉ qui a organisé la fraude à la base de la machine électorale.

Un otage encapsulé nommé Bill Clinton

Les phénomènes décrits précédemment conduisent à la crise électorale actuelle dont la nature particulière résulte de la volonté du président René Préval de se perpétuer au pouvoir à travers son futur dauphin Jude Célestin, quitte à organiser des élections frauduleuses. La corruption est au cœur de la stratégie déployée par Préval pour garder le pouvoir et perpétuer l’incurie dans laquelle il se complait. Pour Préval, son approbation de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) à la hussarde sous-(en)tend plusieurs choses, dont la CONTINUITÉ de son règne. Le vote de l’état d’urgence en avril 2010 représente la quintessence de son travail anti-constitutionnel. Pour Préval, même si la communauté internationale ne marche pas avec lui bras dessus bras dessous, il est persuadé qu’ils avancent dans la même direction.

De solides antécédents sont à la base de son acuité analytique des intérêts en jeu et de son entêtement. La communauté internationale avait bien validé les élections sénatoriales partielles d’avril 2009 réalisées par le CEP de Gaillot Dorsainvil. Il a donc pu apprécier les sous-entendus de la communauté internationale dont la force est de savoir s’allier les médiocres aussi calamiteux qu’ils soient. Pour Préval, le président Bill Clinton est un otage encapsulé dans son projet de continuité, du fait qu’il a enfreint toutes les lois pour lui donner la CIRH dans des circonstances chaotiques. Enfin, Préval sait que même s’il n’inspire pas confiance à cette communauté internationale, cette dernière est plus intéressée à faire de l’argent dans le pactole de la reconstruction de onze milliards de dollars et n’a aucun intérêt à un changement de garde. Ayant compris le positionnement tourné vers l’argent de la communauté internationale, Préval justifie son instrumentation par cette dernière en lui disant qu’il représente le facteur-risque minimum. L’effet d’hystérésis du duvaliérisme

Pour avoir goûté aux effets euphorisants du pouvoir, Préval est un drogué qui tient à sa substance. Son addiction au pouvoir est pire que celle de la cocaïne, de l’héroïne ou du crack. Il ne veut pas rester en manque comme ce fut le cas quand il séjourna à Marmelade de 2001 à 2006. Il lui faut donc sa dose, qu’elle soit administrée par son épouse ou par Jude Célestin. Le mal chez Préval est intentionnel dans sa volonté de perpétuer la bêtise. Il s’est révélé un génie du mal, c’est-à-dire quelqu’un qui utilise toutes ses ressources pour perpétrer des actions criminelles. Mais le peuple haïtien a ébranlé la bêtise coriace de son gouvernement par ses manifestations manches longues contre le bourrage des urnes.

La surdité et l’entêtement du président Préval sont légendaires comme l’a souligné l’ambassadeur américain Janet Sanderson dans un mémo confidentiel révélé par WikiLeaks. Impossible de communiquer avec lui en ce qui concerne sa volonté de rester au pouvoir à travers l’imposition de son dauphin. Haïti récolte ce que les tontons macoutes ont semé. Nous vivons un phénomène d’hystérésis [11], c’est-à-dire de retard des effets sur la cause. La transmission de la compréhension de l’ordre des choses a façonné toute une génération en diffusant l’idée que seuls importent la prise du pouvoir et le statut de chef. Pour tout faire, tout savoir, et jouir de tous les privilèges. Cette conception malsaine a engendré une ruée vers la recherche du pouvoir avec des conséquences en termes de régression civilisationnelle et de génocide culturel. Car le pays se retrouve avec 85% de ses capacités intellectuelles en diaspora.

L’expérience mutilante du populisme duvaliériste et de la gauche populacière de pagaille ont fait fuir les cadres et experts sous d’autres cieux. Le Canada, entre autres, s’est abreuvé à ce réservoir de talents et d’expériences, sans hésiter. Les populismes de droite et de gauche ont exacerbé l’entropie (le désordre) en trahissant le mandat qu’ils ont gagné ou qu’ils se sont donné pour défendre l’intérêt général. Depuis lors, l’annulation des potentialités des Haïtiens ne vient pas essentiellement de l’extérieur. Cette annulation de leurs potentialités sur les plans agricole, industriel, humain est inscrite à l’intérieur des actions des chercheurs de pouvoir qui jalonnent l’espace haïtien. Mais la gouvernance Préval favorise l’accentuation de l’effet d’hystérésis dans d’autres domaines avec de graves conséquences paralysantes sur tout effort de régénération nationale. L’hystérésis se voit particulièrement au niveau du traitement du parlement que Préval a transformé en sa propre chambre d’enregistrement. « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids lourd sur le cerveau des vivants » disait Karl Marx. Vingt ans de gouvernement auraient-ils pu socialiser René Préval au point qu’il ne jure que par le pouvoir ? Ou s’agit-il des dispositions durables aux effets d’hystérésis dont parle Pierre Bourdieu [12] ?

Préval a pris toutes les dispositions pour avoir le trésor de guerre nécessaire afin de corrompre les électeurs. L’érection de la CNE comme entité de soustraction des fonds publics et la liquidation de l’argent de Petro Caribe sont autant de mécanismes mis en branle pour assurer la continuité de son pouvoir. C’est dans ce contexte que la fraude électorale est mise en œuvre pour permettre la continuité du régime. Il s’agit pour la mafia au pouvoir de prendre toutes les dispositions pour bloquer le débat de fond que réclame la société haïtienne sur la misère qui la ronge, sur l’exclusion qui la divise et sur les inégalités qui la maintiennent au fond du trou. Un débat de fond que le gouvernement de Préval refuse avec obstination, mais un débat de fond incontournable si on veut la participation de tous les Haïtiens au relèvement national. Impératif !

À cette étape, l’intervention extérieure joue un rôle important dans la reproduction. Les démocrates ne veulent pas refonder Haïti sur les bases d’exclusion qui ont sapé l’unité nationale pendant plus de deux siècles. En ce sens, la CIRH doit être revue et amendée pour inclure la participation de toute la population, la paysannerie comprise. L’accent mis sur les causes matérielles dans la reconstruction d’Haïti laisse de côté la dimension idéelle qui est pourtant fondamentale dans la transformation de tout système social. Les schémas mentaux de corruption fonctionnent à plein rendement. Les déterminations matérielles ne tiennent pas compte des modes de pensée et du savoir à l’œuvre dans les pratiques des forces productives en présence. Toutefois, les éléments nouveaux introduits par l’aide internationale n’acceptent pas uniquement une simple répétition invariante du statut quo. Les idées nouvelles voudraient s’écarter des pratiques anciennes. Mais ces dernières pour se perpétuer s’articulent à la nouveauté par des transformations et adaptations dignes du combat, entre l’ordre et le désordre dans une organisation sociale, décrit par Edgar Morin [13].

La justice du peuple est plus forte que les voies (il)légales de Préval et de son CEP

La communauté internationale s’engage dans un voyage vers l’inconnu en insistant pour le recomptage des votes. Une folie similaire à vouloir réarranger les chaises longues sur le pont d’un Titanic qui coule [14]. La persistance des élections truquées sous les gouvernements dirigés par Préval est une vérité de La Palice. Le dispositif de fraudes et de corruption organisé par le président Préval pour imposer les candidats INITÉ aux élections législatives et présidentielles a été documenté et reconnu par la presse nationale et internationale. Des observateurs haïtiens américains, canadiens, européens ont écrit sur les forfaitures du CEP et filmé les exactions commises par les partisans d’INITÉ. Les urnes ont été bourrées par INITÉ avec la complicité du CEP et des membres de l’appareil judiciaire à la solde du gouvernement Préval. Le recomptage des votes ne va rien résoudre car les urnes ont été remplies par INITÉ. On ne peut pas trouver le vrai à partir du faux.

La corruption électorale est une constante des dictatures en 1930, 1946, 1950, 1957. On l’a constaté en avril 1961 quand Duvalier se fit réélire pour six ans avant de se déclarer à vie en 1964. Les élections étaient organisées sous la houlette du Département de l’Intérieur et de l’Armée. Après le renversement de Prosper Avril en mars 1990, le mouvement populaire a pu conquérir l’hégémonie politique, s’assurer du contrôle du CEP et déterminer le vainqueur des élections. Les élections générales avaient été programmées le 7 juin 1990 pour fin septembre 1990, puis repoussées le 10 juillet 1990 au 2 novembre 1990, et enfin fixées à nouveau le 26 septembre 1990 pour le 16 décembre 1990. Le CEP renvoya la date du scrutin en ces trois occasions permettant ainsi au populaire Jean-Bertrand Aristide de présenter sa candidature le 18 octobre 1990 et d’être élu le 16 décembre 1990. Pour avoir été au cœur de cet ordonnancement électoral, René Préval se targue souvent d’être passé maitre dans l’art de gagner les élections. En effet, on sait depuis Lévi-Strauss qu’une culture, et a fortiori une culture politique, a des représentations d’une cohérence dépassant les pratiques spécifiques de ses membres [15]. Le président Préval s’est depuis spécialisé dans le contrôle de l’institution électorale comme technique de prise du pouvoir.

La machine d’exclusion du CEP

Le refus de la vérité électorale du président Préval et du CEP est patent dans les multiples pratiques d’exclusion qu’ils ont orchestrées pour mettre en branle une corruption électorale sans précédent. Les observateurs ont noté des électeurs qui avaient des bulletins de vote en main deux jours avant la date du scrutin ; des électeurs et électrices sans carte de vote qui ont été autorisés à voter ; des représentants de plusieurs partis dûment mandatés et qui n’ont pas été autorisés à siéger dans les bureaux de vote ; des bureaux de vote fantômes dans certains centres de vote ; l’absence des juges de paix fraichement nommés par le gouvernement pour faire les constats de fraude ; des sites de bureaux de vote délocalisés à une autre adresse, empêchant ainsi aux électeurs de voter ; un nombre d’électeurs supérieurs au nombre requis par bureau de vote ; des bureaux de vote qui n’ont pas été pas ouverts à l’heure et d’autres qui sont fermés avant l’heure de clôture ; la majoration du nombre de voix des candidats du parti INITÉ dans les procès-verbaux.

Les conditions de possibilité d’une corruption à si grande échelle indiquent l’existence d’un support au plus haut niveau de l’appareil d’État. D’autres indices révélateurs de la volonté corruptrice du gouvernement et du CEP sont les électeurs et électrices qui n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes électorales ; des bureaux de votes vandalisés et les bulletins de vote éparpillés dans les rues ; des urnes bourrées par des partisans d’INITÉ qui ont dormi dans les bureaux de vote la veille du scrutin ; des assesseurs des bureaux de vote remplissant illégalement les urnes ; des listes électorales non apurées et comportant les noms de personnes décédées. Les rapports du RNDDH [16] et d’autres observateurs impartiaux documentent des faits qui ne sont pas de simples accrocs mais plutôt une entreprise systématique de confiscation du droit de vote de la population. Vouloir cacher l’ampleur de ce séisme électoral revient à vouloir se cacher derrière son petit doigt. C’est malheureusement le chemin que semble prendre la communauté internationale en demandant de recompter les bulletins. À moins que cette dernière partage avec Préval un fonds commun de représentations et de présuppositions dans ce que Michel Foucault nomme une « prodigieuse machinerie destinée à exclure [17] ».
*********************************
[1] Leslie Péan, « En marge de la crise électorale actuelle : Haïti au fond du tonneau », Le Matin, P-a-P, Haïti, 12-19 décembre 2010.

[2] Donald E. Schulz, « Political culture, Political Change and the Etiology of Violence », in Robert I. Rotberg, Haiti Renewed – Political and Economic Prospects, Brooking Institution Press and World Peace Foundation, 1997, p. 101.

[3] Health situation in Haiti before the 2010 earthquake, PAHO, January 19, 2010. Voir aussi Haïti – Santé à l’Amérique 2007, Vol. II, PAHO, 2007. Voir enfin World Bank, Haiti Options and Opportunities for Inclusive Growth, June 1, 2006.

[4] Haiti Post-Disaster Needs Assessment (PDNA), March 2010, p. 19.

[5] Josh Dewind and David Kinley III, Aiding Migration The Impact of International Development Assistance in Haiti, Boulder, Westview Press, Inc , 1988.

[6] Alex Dupuy, “Disaster Capitalism to the Rescue : The International Community and Haiti After the Earthquake”, NACLA Report on the Americas, volume 43, numéro 4, July/August 2010.

[7] La lettre de Léon Manus à Colin Powell peut être lue en cliquant sur http://www.webster.edu/ corbetre/ha...

[8] Peter Hallward, « An Interview with Jean-Bertrand Aristide », London Review of Books, Vol. 29 No. 4, 22 February 2007.

[9] Aristote, Opuscules, Traité de la mémoire et de la réminiscence, Chapitre II, 17, Paris, Dumont, 1847.

[10] Haiti Democracy Project, How the fraud was done, December 12, 2010.

[11] L’hystérésis renvoie à un phénomène physique dans lequel la propriété d’un système continue quand la cause qui l’a produit a disparu. On le voit en économie quand le chômage continue d’augmenter même après la fin d’une récession. On le voit sur le plan amoureux quand les sentiments pour l’autre continuent même après qu’il/qu’elle soit parti(e).

[12] Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 135.

[13] Edgar Morin, Sociologie, Paris, Fayard, 1984. Voir aussi Edgar Morin, La nature de la nature, Paris, Seuil, 1977.

[14] Brian Concannon Jr and Jeena Shah, « US will pay for Haitian vote fraud », Boston Globe, December 15, 2010.

[15] Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.

[16] Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Rapport du RNDDH sur les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2010, P-au-P, Haïti, 3 décembre 2010.

[17] Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 22.
*********************************