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Bioéthique - "l'arbitraire d'un pouvoir exorbitant"

Source: genethique.org
Dans Le Monde.fr, le Père Brice de Malherbe, co-directeur du département de recherche d'éthique biomédicale au Collège des Bernardins, livre sa réflexion sur le projet de loi de bioéthique, rappelant à quel point les choix posés en matière de technologie médicale concernent l'ensemble de la société, la sphère des choix individuels et celle des relations sociales étant liées. Il cite à cet égard le dépistage systématique de la trisomie 21 qui aboutit à "l'élimination quasi-totale in utero des enfants concernés" : cas emblématique qui manifeste "l'imbrication entre démarche individuelle et comportement collectif".
Bien qu'il puisse sembler un texte d'équilibre, le projet de loi, s'il était adopté en l'état, renforcerait "nettement l'emprise des adultes sur la vie et le devenir des générations futures". En introduisant l'obligation, pour les médecins, de proposer à toute femme enceinte "des examens de biologie médicale" concernant l'enfant à naître, dès le premier trimestre de la grossesse et au-delà d'éventuels facteurs de risques, le projet de loi accroît "le risque d'une sélection systématique des enfants à naître". Destinée à favoriser "le consentement libre et éclairé" de la femme et à protéger les médecins contre les poursuites, cette obligation tend au contraire à transformer ceux-ci en "agents incitateurs d'une volonté sociale de sélection foetale de masse". En outre, le projet de loi préconise d'élargir le champ des dérogations au principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires humaines en substituant à l'exigence de "progrès thérapeutiques majeurs" celle, plus vaste, de "progrès médical". Brice de Malherbe note que l'exigence "d'intérêt pour la santé publique" disparaît. En outre, la condition d' "impossibilité de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons'" apparaît "purement formelle" car il sera toujours possible d'argumenter a priori l'absence de méthode alternative d'efficacité comparable "tant qu'une telle recherche n'a pas été effectuée". Autrement dit, les embryons humains congelés seront désormais utilisés "non plus pour une recherche hypothétiquement thérapeutique mais bien pour la recherche fondamentale".

Ces pratiques de dépistage prénatal généralisé et de recherche de l'embryon sont déjà répandues et le projet vise à les légitimer et les pérenniser par l'autorité de la loi. "Mais le voulons-nous ?" interroge Brice de Malherbe. Le devenir de l'être humain doit-il dépendre toujours plus du "jugement croisé du 'projet parental' et du 'projet social'" ? L'on se trouve aujourd'hui devant "l'arbitraire d'un pouvoir exorbitant" des adultes : selon qu'il dépend du désir des parents ou de celui des chercheurs, l'embryon humain "est tantôt pris pour l'enfant qu'il est déjà en puissance, ou tantôt réduit à du matériau de laboratoire". Le CCNE expliquait pourtant, en 1986, que notre manière de traiter l'embryon humain "engageait la moralité de notre rapport à la personne humaine toute entière" et "à la collectivité sociale". Si l'enfant à naître est passé au crible de tests biologiques, pourra-t-il, une fois né, advenir à une liberté authentique? Certains reprochent aux catholiques d'introduire leurs convictions religieuses dans le débat bioéthique : il est plus juste de dire que ceux-ci "trouvent dans leur foi en Dieu, ami de la sagesse, la confirmation de positions rationnelles, issues des sciences et de la philosophie. Nul dogme derrière l'affirmation de Tertullien selon laquelle "il est déjà homme, celui qui doit devenir homme" ".

Une éthique juste et raisonnable est inscrite au coeur de tout homme. De nombreuses personnes la découvrent dans la conscience que "le respect de l'être humain dans ses états les plus vulnérables est la condition d'une vie sociale non vaincue par la violence". Au-delà des décisions prises par les parlementaires, nous ne pouvons "nous désengager d'une réflexion en conscience sur des pratiques touchant au cœur des relations interpersonnelles". Le débat doit rester démocratique et donc mené par le Parlement sans être confisqué par l'Agence de la biomédecine.

Le Monde.fr 14/12/10