Le livre d’entretiens avec Benoît XVI, « Lumière du monde », est traversé de bout en bout par l’idée que le monde ne peut s’en sortir sans la rencontre avec Dieu, avec l’Autre
Il faut prendre le chemin de Castel Gandolfo, la résidence de vacances de Benoît XVI. S’asseoir dans un bon fauteuil, en face du pape, avec, dans la cheminée, le feu qui crépite. Et écouter. C’est ce à quoi nous convie ce livre d’entretien (1), et, à vrai dire, il y parvient totalement.
Le ton est libre, simple, léger parfois, lorsque Benoît XVI avoue ne pas utiliser le vélo d’appartement prescrit par son médecin, ou apprécier les films de Don Camillo. Mais au fil de la « soirée », la conversation se fait plus profonde, embrassant les enjeux du monde, de l’Eglise, ou les grandes interrogations spirituelles.
Voilà un livre qui devrait une bonne fois pour toutes faire taire ceux qui font de Benoît XVI un homme fermé, arc-bouté au passé. Celui qui, depuis 2005, est sur le siège de Pierre se montre ici dans une étonnante humilité, avec cette capacité, que sans doute jamais pape n’avait eu avant lui, d’autocritique intellectuelle.
Son regard sur le monde est plein d’espérance, au fait de ses soubresauts, conscient de ses difficultés, des joies et des peines. Si catastrophisme il y a, c’est du côté de Peter Seewald, qui mène l’entretien, et donc certaines questions finissent par agacer par leur ton apocalyptique.
Benoît XVI a bien senti les incompréhensions
Sur l’épisode Ratisbonne, cet aveu : « j’avais conçu et tenu ce discours comme un texte strictement académique, sans être conscient que la lecture que l’on fait d’un discours pontifical n’est pas académique mais politique », puis le constat d’une relance du dialogue islamo-chrétien.
Sur l’affaire Williamson, ce sentiment de ne pas avoir été compris: « leur excommunication n’avait rien à voir avec Vatican II ; elle avait été prononcée en raison d’une transgression au principe de la primauté. Ils venaient de proclamer dans une lettre leur approbation à ce principe; la conséquence juridique étant donc parfaitement claire ».
Mais, souligne-t-il ensuite, « nous avons hélas accompli un mauvais travail d’information du public ». Et surtout, est arrivée « la catastrophe Williamson » : « nous avons commis l’erreur de ne pas étudier et préparer suffisamment cette affaire ».
Sur le Sida, et cette fameuse phrase sur le préservatif, il ne regrette rien. D’une part, l’Eglise fait beaucoup, sur le terrain, pour lutter contre le Sida, et ensuite que « on ne peut pas résoudre le problème en distribuant des préservatifs ».
A cette occasion, il ouvre cependant une porte, en envisageant que l’utilisation du préservatif dans l’intention de réduire le risque de contamination, « puisse cependant constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine ».
La pédophilie, une explosion volcanique
Sur son pontificat, Benoît XVI rappelle les grands axes : oecuménisme, et notamment rapprochement avec l’orthodoxie, une rencontre entre Rome et Moscou étant de l’ordre du « possible ».
Relations avec les autres religions, et en priorité les juifs, qu’il préfère appeler, dit-il, « nos pères dans la foi » que « frères aînés ». A ce propos, il faudrait compter combien de fois Benoît XVI fait référence, de manière explicite, au concile Vatican II, dans la lignée duquel il se situe pleinement.
Appliquer Vatican II
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On peut le lui reprocher. Mais c’est une position constante chez lui, et depuis de nombreuses années : la vraie réforme viendra de la Communion, d’un retour à ce qui est essentiel dans le christianisme, au moyen d’une profonde conversion. Sa conviction: il faut « rendre visible le centre du christianisme et en même temps la simplicité d’être chrétien ».
Benoît XVI est hanté par l’urgente nécessité de reposer la question de Dieu, dans un monde sécularisé. « Nous nous dirigeons vers un christianisme de choix » : c’est de lui que dépend aujourd’hui dit-il encore, « la force générale de l’empreinte chrétienne ».
La « nouvelle Evangélisation »
C’est le grand défi de ce qu’il appelle la « nouvelle Evangélisation », avec ces deux piliers qu’il ne cesse de rappeler, le lien entre foi et raison, et la centralité du Christ comme unique voie de salut.
D’un bout à l’autre du livre, on est frappé par la cohérence d’une pensée persuadée que le monde ne peut s’en sortir sans la rencontre avec Dieu, avec l’Autre : « tant de problèmes doivent être résolus, mais aucun ne le sera si Dieu n’est pas au cœur et ne redevient pas visible dans le monde ».
Au début, non sans humour, Benoît XVI s’autodésigne comme un « petit pape », à côté du « géant » Karol Wojtyla… « Petit » pape ? L’histoire le dira. Mais pape, en tous les cas, capable de porter son regard au-delà des murs du Vatican pour remettre l’Eglise dans la perspective plus vaste de l’histoire de l’humanité et de son salut en ce début de troisième millénaire.
Isabelle de GAULMYN
(1) « Lumière du monde », lancé mardi 23 novembre, est le fruit de 20 heures d'entretiens réalisés entre le 26 et le 31 juillet dans la résidence de vacances pontificale de Castel Gandolfo avec le journaliste allemand Peter Seewald. Ce dernier est un ancien communiste reconverti au catholicisme après une rencontre avec le cardinal Ratzinger.