Dans un entretien accordé à Futura-Sciences, Francis Rocard, spécialiste de Mars et responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Cnes, revient sur les grands objectifs de la mission Maven et le rôle du Cnes.
- Découvrez en images le paysage de Mars
Les découvertes importantes de ces dernières années, auxquelles la France a largement contribué, ont renforcé l’intérêt de remonter plus loin dans le passé de Mars que ne le permettent aujourd’hui les missions en activité autour et sur la Planète rouge. En effet, en localisant des sites où affleurent les roches les plus intéressantes pour l’exobiologie, les scientifiques poussent les agences spatiales à planifier des missions susceptibles de s’y poser pour y découvrir des traces de matières organiques, voire de la vie.
Les réponses à cette question passionnante ne sont pas seulement au sol. Un des aspects souvent méconnus de l’exobiologie martienne concerne son atmosphère. Comme le souligne le professeur Jean-Pierre Bibring de l’Institut d’Astrophysique spatiale (CNRS d’Orsay), « Les conditions d’habitabilité d’une planète ne se résument pas seulement à sa distance à son étoile ». La température sur Terre est due moins à sa distance au Soleil qu'à la composition de son atmosphère. « La Terre pourrait se situer dix fois plus loin du Soleil qu’elle ne l’est aujourd’hui, pour peu que son atmosphère ait les bons gaz à effet de serre, la vie pourrait perdurer ».
La formation de la vie dépend de l'atmosphère
Ce qui est vrai pour la Terre l’est tout autant pour Mars. L’étude de son atmosphère pourrait nous en apprendre beaucoup sur les conditions d’habitabilité qui ont prévalu pendant la première centaine de millions d’années de sa formation. Sur cette question, les scientifiques sont peut-être à l’aube d’avancées considérables. C’est du moins le pari fait par la Nasa, qui vient de donner son feu vert au développement de la mission Maven (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN Mission). Il s’agit d’une sonde qui sera lancée en 2013, spécifiquement conçue pour étudier l’atmosphère martienne et ses interactions avec le vent solaire à travers quatre grands objectifs :
- établir l'échappement atmosphérique et son rôle sur l'atmosphère de Mars au cours du temps ;
- déterminer l'état actuel de la haute atmosphère, l’ionosphère, et son interaction avec le vent solaire ;
- évaluer les taux actuels d'échappement des atomes et molécules neutres et des espèces ionisées ainsi que les mécanismes qui les contrôlent ;
- identifier les rapports isotopiques des composés stables de l'atmosphère martienne.
Mars a-t-elle connu un cycle de l'eau similaire à la Terre ? C'est une des questions auxquelles devra répondre Maven. © Esa/Medialab
Il s’agit d’un projet ambitieux auquel participe le Cnes, qui finance au Centre d’études spatiales des rayonnements (CESR – CNRS) la fourniture d’un spectromètre d’électrons SWEA (Solar Wind Electron Analyser). Cet instrument, qui est une contribution à un instrument américain plus complet constitué de différents spectromètres, va s’intéresser à l’environnement ionisé de la planète.
Pour le comprendre, « on a besoin de connaître cet environnement en terme d’électrons et d’ions, à la fois sur un plan qualitatif et quantitatif » explique Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Cnes, à qui nous avons demandé de nous éclairer sur les attentes des scientifiques.
Pourquoi l'eau à l'état liquide de Mars a disparu ?
Aujourd’hui, l’atmosphère de Mars est ténue et la pression au sol si faible « qu’elle rend l’eau à l’état liquide instable, ce qui explique pourquoi elle existe seulement à l’état gazeux et sous forme de glace ». On suppose que très peu de temps après sa formation, Mars était entourée d’une atmosphère dense, épaisse et humide avec un cycle de l’eau complet et donc « une présence de l’eau à l’état liquide en surface, comme le suggère fortement la découverte récente d’argiles ». Cette disparition de l’état liquide de l’eau s’expliquerait par la perte de l'atmosphère. L’effet de serre s’est alors beaucoup atténué, la pression et la température ont baissé, ce qui a eu pour effet de perturber le cycle de l’eau. Concrètement, tous les processus liés à l’eau liquide ont disparu et Mars est devenue une sorte de désert glacé, morne et désolé.
Pour avancer sur l’histoire primitive de Mars, les chercheurs veulent comprendre pourquoi et comment cette atmosphère s’est progressivement amoindrie. Pour y parvenir, Maven « va mesurer quantitativement le taux de perte des composés atmosphériques qui en quelque sorte « s’échappent » dans le milieu interplanétaire ». « Ces mesures seront ensuite intégrées dans un modèle afin de pouvoir extrapoler aux taux d'échappement tout au long de l’histoire de la planète et de comprendre le ou les mécanismes prépondérants qui ont été à l’œuvre depuis la formation de Mars ». Ces processus, ou mécanismes d'échappements, « sont très complexes et s’imbriquent les uns aux autres ». On en dénombre 4 ou 5 qui peuvent aboutir à une perte de l’atmosphère. Mais le paramètre clé est certainement l’absence de champ magnétique protecteur (*, voir les notes en bas de page) qui explique cette perte de matière de l’atmosphère. Aujourd’hui, Mars n’a pas de champ magnétique dipolaire interne, de sorte que son atmosphère « se trouve en contact direct avec le vent solaire. Celui-ci entre en contact avec la haute atmosphère de Mars à des vitesses importantes (de 400 à plus 1.000 km/s en fonction de l’activité du Soleil) ». Le rôle du vent solaire est fondamental, car il produit « un certain nombre d’interactions qui vont aboutir à ce phénomène de perte de composés atmosphériques ». Des ions atomiques et moléculaires, des atomes neutres et des électrons vont ainsi s’échapper dans des proportions que l’on ne connaît pas aujourd’hui. « On s’attend à ce que Maven détermine quelle est la masse d’atmosphère qui s’échappe par seconde dans l’espace et la nature des matériaux qui s’y perdent ».
Tout comme il est difficile de disserter sur le passé de l’atmosphère martienne, son futur est également imprévisible, il est bien difficile « de dire aujourd’hui si cela va aboutir à la perte totale de l’atmosphère. Mais Maven devrait nous donner la réponse ».
La question de la vie en filigrane
Bien que la mission Maven ne dispose pas d’une instrumentation permettant de détecter des traces de vie avérée ou même des vestiges, une meilleure connaissance de l’histoire de l’évolution de l’atmosphère et notamment de son environnement primitif peut nous éclairer sur l’habitabilité de cette planète. Ce que l’on peut dire aujourd’hui, c’est « que de nombreux indices laissent penser que la vie sur Mars a pu trouver des conditions favorables pour se développer ». L’étude des roches sédimentaires montre « que de l’eau à l’état liquide a vraisemblablement coulé jusqu’à 700 millions d’années après la formation de la planète (**) ». Les résultats de la mission Maven concernant l’atmosphère pourraient donc renforcer la crédibilité de ces hypothèses, incitant les scientifiques à multiplier les missions ultérieures pour réaliser des analyses au sol.
Notes
* : L’histoire de l’atmosphère martienne ne peut pas être dissociée de celle du champ magnétique de la planète. Aujourd’hui, des indices solides montrent que Mars possédait un « champ magnétique dipolaire interne relativement intense qui créait une magnétosphère qui la protégeait des rayonnements solaires et autres radiations spatiales ». En raison de sa petite taille, le cœur de Mars s’est refroidi rapidement et a fini par se figer de sorte que l’effet dynamo, induit par des mouvements de convection de la matière au voisinage du noyau, s’est arrêté. La convection s'arrêtant, le champ magnétique interne s’est éteint. Il ne subsiste plus aujourd’hui que des reliques de ce champ interne sous la forme de régions magnétisées en surface.
** : On sait que sur Terre la vie serait apparue vers 500 millions d’années. Et certains scientifiques supposent même qu’elle a pu apparaître à plusieurs reprises durant cette période tourmentée, de sorte qu’une centaine de millions d’années pourrait s’avérer suffisante pour que la vie apparaisse si les conditions environnementales sont remplies.