– Le Temps: Si le dialogue avec les orthodoxes et les anglicans semble avancer, on a l’impression que les relations œcuméniques entre catholiques et protestants sont au point mort.
– Mgr Kurt Koch: Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Mais il faut reconnaître que les partenaires du dialogue ont changé, et la théologie aussi. Il y a quarante ans, une théologie protestante comme celle de Karl Barth était très ouverte à l’œcuménisme. Aujourd’hui, on assiste à la croissance d’une théologie réformée libérale, qui porte un autre regard sur l’œcuménisme et rend le dialogue plus difficile. Le problème majeur, c’est qu’il n’y a pas de but commun au mouvement œcuménique. Cela est dû au fait que chaque confession a sa propre vision de ce que doit être l’Eglise et, par conséquent, de l’unité des chrétiens. Pour dépasser cet obstacle, nous devons d’abord comprendre comment chaque confession conçoit l’Eglise, ceci afin d’arriver à une vision commune.
– Mais comment le dialogue avec les protestants peut-il avancer dès lors que l’Eglise catholique considère être la seule véritable Eglise du Christ et qu’elle dénie la qualité d’Eglises aux communautés protestantes?
– Les catholiques estiment que la véritable Eglise du Christ est réalisée dans l’Eglise catholique romaine. Mais les orthodoxes et les réformés disent aussi qu’ils sont l’Eglise de Jésus-Christ. Comprenez-moi bien: l’Eglise catholique ne nie pas que les communautés réformées sont des Eglises. Mais elle estime que ces communautés ne sont pas des Eglises au sens où elle-même se comprend.
Il y a deux ruptures fondamentales dans l’histoire du christianisme. La première a été la séparation entre l’Orient et l’Occident. Mais avec les Eglises orientales, nous avons en commun l’ecclésiologie de l’Eglise primitive. La Réforme constitue une autre rupture. Elle a non seulement nié l’ecclésiologie du Moyen-Âge, mais également celle de l’Eglise primitive. Le concile Vatican II avait repris l’ecclésiologie de l’Eglise primitive en espérant que le dialogue œcuménique avec les réformés serait ainsi facilité. Aujourd’hui, nous constatons que ce n’est pas un fondement commun. C’est pourquoi il est important que les réformés nous expliquent mieux leur vision de l’Eglise. J’aimerais également savoir comment les réformés comprennent aujourd’hui la Réformation. Aujourd’hui, après 45 ans d’œcuménisme, la vision de la rupture que cet événement a constitué a-t-elle changé?
– L’unité des chrétiens peut-elle s’accommoder de leurs différences?
– L’unité des chrétiens doit aussi être une réalité visible. C’est un commandement de Jésus: «que tous soient un afin que le monde croie». Mais comment réaliser cette visibilité de l’unité? C’est la question que nous avons à traiter. J’ai l’impression que les réformés se contentent d’une unité invisible ou qu’ils comprennent l’église de Jésus-Christ comme la somme de toutes les Eglises existantes. Mais les catholiques ne peuvent pas accepter cela. De notre point de vue, la somme de toutes les Eglises existantes ne peut être l’Eglise de Jésus-Christ. Cela dit, nous sommes en chemin vers l’unité. Et sur ce chemin, nous devons accepter nos différences. Aucune Eglise ne peut imposer aux autres confessions quelque chose qui les blesserait. Ainsi, les catholiques ne peuvent pas vouloir imposer la papauté aux réformés. De leur côté, les Eglises réformées doivent respecter que l’intercommunion et l’intercélébration ne sont pas possibles pour nous.