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Géographie générale - Martinique

Département français d'outre-mer

Martinique

(France)


Capitale: Fort-de-France 
Population: 400 000 (2005)
Langue officielle: français 
Groupe majoritaire: créole martiniquais (96 %) 
Groupes minoritaires: français (4%) et créoles guadeloupéen, haïtien, guyanais, réunionnais, etc. 
Système politique: département et région d'outre-mer (DROM)
Langue coloniale: français
Articles constitutionnels (langue): art. 2 et 75-1 de la Constitution de 1992 de la République française
Lois linguistiques: toutes les lois linguistiques de la République, dont les suivantes: loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion; loi no 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation (loi Haby); loi no 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur; loi d'orientation no 89-486 du 10 juillet 1989 sur l'éducation (loi Jospin); décret no 93-535 du 27 mars 1993 portant approbation du cahier des missions et des charges de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision française pour l'outre-mer (RFO); loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (1994);Code de l'éducation (2000); Loi d'orientation pour l'outre-mer (2000); Loi no 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école (loi Fillon).

1 Situation géographique

La Martinique (Matinik en créole) fait partie des Antilles françaises et constitue, depuis 1946, un département français d’outre-mer (c.-à-d. un DOM). Avec une superficie de 1100 km², mesurant 70 km de long et environ 30 km de large, la Martinique est le plus petit des départements d'outre-mer. La Martinique, comme la Guadeloupe, est située au coeur de l'arc des Petites Antilles dans la mer des Caraïbes, à égale distance des côtes du Venezuela et de l’île d’Haïti (voir la carte régionale).
Contrairement à la Guadeloupe qui forme un archipel de huit îles, la Martinique ne constitue qu’une seule île (voir la carte des communes). La Martinique et la Guadeloupe sont séparées (voir la carte régionale) l’une de l’autre par une île non française: l’île de la Dominique (de langue anglaise) appelée aussi «la Dominique». Ainsi, les deux voisines les plus proches de la Martinique sont les îles anglophones de la Dominique (au nord) et de Sainte-Lucie (au sud).
La ville de Fort-de-France est la capitale administrative, mais elle représente également le centre économique de ce département français d’outre-mer. On ne compte que trois villes importantes: outre Fort-de-France (94 050 habitants), ce sont les villes de Le Lamentin (35 007 habitants) et de Schoelcher (20 815 habitants).
Depuis la réforme de 2003, la Martinique, comme la Guyane, est devenue un DROM ou DOM-ROM: un département et une région d'outre-mer.
 En tant que département français, la Martinique fait partie de l'Union européenne au sein de laquelle elle constitue une «région ultrapériphérique». À ce titre, elle bénéficie de «mesures spécifiques» qui adaptent le droit communautaire en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de la région. L'État français est représenté par le préfet établi à Fort-de-France et trois sous-préfets à Trinité, au Marin et à Saint-Pierre.
Le drapeau de la Martinique présenté au haut de cette page est un drapeau traditionnel, non officiel (seul le tricolore est officiel), adopté le 4 août 1766. Il s'agit des anciennes armes de la colonie, un drapeau de la marine marchande française formé de quatre serpents blancs. Depuis quelque temps, des mouvements se font sentir pour adopter un autre drapeau, lequel serait davantage un symbole de la souffrance des Noirs devant l'esclavage.

2 Données démolinguistiques

La population de la Martinique était de 381 325 habitants lors du recensement de 1999, mais celui de 2008 révèle une population de 400 000 habitants. Les Martiniquais sont très majoritairement formés de «gens de couleur», puisque 87 % d'entre eux sont des Noirs, des Mulâtres ou d’origine indienne ou asiatique. Parmi la population noire, les Martiniquais constituent le groupe le plus important; ils sont suivis en nombre par les immigrants guadeloupéens, haïtiens, guyanais et réunionnais. Tous les Martiniquais dits «de couleur» parlent le créole comme langue maternelle; s'ils sont nés en Martinique, ils parlent le créole martiniquais, sinon c'est, selon le cas, le créole guadeloupéen, le créole haïtien, le créole guyanais, etc. 
Voici un exemple du créole martiniquais (L.F. Prudent, 1983):
Une dame: Kréyol sé lang nou Martiniké... alo nou ka palé kréyol... tandis que, en France, c'est le français qu'on parle. Alors comme nou za abitué palé kréyol nou, sé kréyol nou ka palé... Question : Ah bon! ès ou ka konsidéré kréyol la kon an lang ou kon an patwa ?
La dame: ében, an ka konsidéré kréyol la pou mwen c'est un, c'est une... c'est la vie du pays. Paske antan Kristof Kolon quand on a découvert Martinique, Matinik dékouvè, sé kréyol nou ka palé. Nou sé dé, nou désandan Afritÿen, alo nou oblijé ka palé kréyol...Wé ! Nou désandan Afritÿen é anko dot, nou ka fè désandan Lafrik, ehh. Amerik [...] Alo, kan ich nou pati an Frans nou ka fyèr di wè ich nou pati an Frans... Mé lè i déviré vini Matinik, i ka palé fransé, i ka di'w : "Oh dis Manman tu sais... J'ai vu quek-choz là-bas, hein !"
Une dame : Le créole c'est notre langue à nous, Martiniquais... tandis que... en France, c'est le français qu'on parle... alors, comme nous sommes déjà habitués à parler notre créole, eh bien nous parlons notre langue naturelle... Question : Très bien ! Est-ce que vous considérez le créole comme une langue, comme un patois... ?
La dame : Eh bien, pour moi le créole je le considère... c'est un c'est une... c'est la vie du pays... Parce que, du temps de Christophe Colomb, quand on a découvert la Martinique, découvert la Martinique, nous parlions créole. Nous sommes des, nous sommes des descendants d'Africains, alors il n'est pas surprenant que nous parlions créole... Ouais ! Nous sommes descendants des Africains, euh... des Américains [...] Alors, quand nos enfants partent pour la France nous sommes fiers pour eux de tout ce qu'il leur arrive... Mais lorsqu'il est de retour en Martinique, il parle français, il se met à vous dire : "Oh dis maman, tu sais... j'ai vu des choses là-bas, hein !"
Le créole martiniquais est très proche de celui de la Guadeloupe et d'Haïti, ainsi que des formes de créoles parlées dans les îles anciennement francophones telles que la Dominique et Sainte-Lucie; ce sont des créole à base lexicale française. Toutefois, des précisions s'imposent malgré tout. Un Martiniquais créolophone qui n'a jamais quitté son île aura beaucoup de difficultés à comprendre le créole haïtien ou le créole guyanais; il percevra facilement des différences avec le créole guadeloupéen, mais le créole saint-lucien (de Sainte-Lucie) et dominiquais (la Dominique) lui paraîtront assez familiers, malgré la présence de nombreux termes d'origine anglaise. Voici un exemple de créole martiniquais et de créole guadeloupéen qui, bien que différents, présentent des similitudes:
Français Créole guadeloupéen Créole martiniquais
Peuples créoles du monde entier,
donnons-nous la main.
Tout pep kréyol ki asi latè an nou ban nou lanmen. Tout pep kréyol ki asou latè annou ba kò-nou lanmen.
Le créole ne représente pas qu'une langue ou qu'un groupe ethnique, mais toute une philosophie. Kréyol a pa selman on lang o ben on pep sé tout on filozofi. Kréyol pa anni yon lang, anni yon nasion moun, sé tout an filozofi.
Nous sommes créoles, et donc nous parlons créole.
Nou sé kréyol sé pouki nou ka palé kréyol. Nou sé Kréyol, kidonk sé kréyol, nou ka palé.
Le créole est la puissante langue de notre patrie, car il est parlé par tout le monde. Sé Kréyol ki met lang a kaz an nou pas sé li tout moun ka palé. Sé kréyol ki lang poto-mitan nou davwè sé'y tout moun ka palé.
Même si tous les Martiniquais dits «de couleur» parlent tous le créole, y compris dans les communes les plus éloignées, il est à peu près impossible de ne pas pratiquer le français d'une façon ou d'une autre. Regarder la télé, écouter la radio, lire la presse, effectuer des achats, aller chez le médecin, ce sont là des activités quotidiennes qui se font majoritairement, voire exclusivement en français. Il existe encore des personnes très âgées ne parlant que le créole, mais elles font l'objet de remarques amusées ou étonnées lorsqu'il est possible de rencontrer ces représentants d'une époque considérée comme révolue, lesquels se comptent aujourd'hui par quelques dizaines. Par ailleurs, certains Martiniquais, surtout des Mulâtres élevés «à la métropolitaine», s'amusent à parler un mélange de créole et de français, qui ne ressemble pas à grand-chose et qui est popularisé à la radio par des présentateurs (notamment sur NRJ) essayant en vain de parler une forme de langage qu'ils ne maîtrisent pas toujours. Bref, si la population martiniquaise a le créole comme langue maternelle, le français est plus qu'une langue seconde dans la plupart des cas; c'est souvent la seconde langue maternelle après le créole. Autrement dit, beaucoup de Martiniquais ont deux langues maternelles: le créole et le français.
Quant à la population blanche, elle demeure très minoritaire (9 %) et se partage, d’une part, entre les Blancs-Pays ou Békés — les descendants des premiers colons français — parlant le français et généralement aussi le créole, et, d’autre part, les Blancs-France, c’est-à-dire les Métropolitains résidant en Martinique pour la durée d’un contrat (généralement de trois ans), qui ne parlent que le français métropolitain.
Ceux qu’on appelle les Békés — mot provenant de «Blancs du quai» parce qu’ils s’y trouvaient autrefois en train de vérifier leurs marchandises — forment une petite communauté d’environ 2000 à 3000 personnes qui se croient souvent propriétaires de la Martinique et qui contrôlent à peu près toute l’économie de l’île, notamment dans les marchés d’alimentation à grande surface et l’hôtellerie d’affaires; ils possèderaient, en fait, plus de 50 % des richesses de l’île.  Les Békés parlent le «français des îles», c'est-à-dire une forme de «français de France», hormis quelques expressions typiquement locales et un accent particulier et généralement le créole (ils le comprennent tous). 
Quant aux Métros, on les appelle Bancs-France ou Zoreilles. Comme à l’île de La Réunion, les Métropolitains sont surnommés Zoreilles parce que, d’une part, comprenant mal le créole, ils feraient constamment répéter et passeraient ainsi pour être «durs d'oreille», d’autre part, parce qu’ils seraient en Martinique pour «tout surveiller». Les Métros comptent quelques milliers de fonctionnaires dépêchés par Paris en Martinique et ils occupent la plupart des postes de direction dans le secteur public et parapublic. Répétons-le, ils ne parlent généralement que le français métropolitain. 
Les deux communautés blanches vivent relativement en marge de la population noire, mais les Békés auraient conservé un complexe de supériorité tant à l'égard des Métropolitains qu'à l'égard des Noirs; rappelons que les Békés ont des origines aristocratiques. Quant aux Noirs et aux descendants des immigrants indiens, ils occupaient traditionnellement des emplois d’ouvriers agricoles ou des emplois de services, alors que les plus instruits d'entre eux, notamment les Mulâtres, accaparaient divers postes de l’administration publique et de la politique locale. Toutefois, la situation est en train de changer depuis au moins une décennie et les emplois sont moins compartimentés qu'auparavant entre Blancs, Mulâtres et Noirs. Toutefois, il y a encore des Noirs qui considèrent les Blancs martiniquais comme «sales Békés esclavagistes», tradition oblige, sans doute!

3 Données historiques

L’histoire de la Martinique est liée à celle des Antilles, donc à la colonisation européenne et à l’esclavage pratiqué durant deux siècles par les Espagnols, les Anglais, les Français et les Hollandais. Néanmoins, la présence humaine aux Antilles s’est manifestée bien avant l’arrivée des Européens. Ainsi, des archéologues ont trouvé en Martinique et dans le reste des Antilles des outils en pierre dont l’appartenance est attribuée aux Amérindiens, leur ancienneté étant estimée entre 3000 à 3500 ans. En réalité, l'histoire connue de l’île commença quelque 1500 ans avant Christophe Colomb quand s'y installèrent les Amérindiens arawaks originaires des côtes vénézuéliennes.
3.1 Les premiers occupants amérindiens
Les premiers occupants connus semblent être les Arawaks venus du Venezuela vers 300 ou 400 ans avant notre ère. En 295 (avant notre ère), une éruption de la montagne Pelée fit fuir les Arawaks qui quittèrent alors la Martinique et ne revinrent sur l’île que vers l’an 400. D’ailleurs, une soixantaine de sites arawaks ont aujourd’hui été inventoriés et ils témoignent de l'existence de villages habités arawaks. 
Cependant, vers 1200 de notre ère, une nouvelle civilisation amérindienne apparut dans l’île: les Caraïbes ou Kalina. Il s’agit d’un peuple amérindien réputé belliqueux venu des Guyanes et qui envahit la Martinique et extermina peu à peu tous les Arawaks (sauf les femmes). Les Caraïbes furent décimés à leur tour peu après l’arrivée des Européens.
3.2 Le bref passage de Christophe Colomb
Lorsque Christophe Colomb débarqua en Martinique, le 15 juin 1502 (lors de son quatrième voyage), il fit la connaissance des Caraïbes puisque les Arawaks avaient déjà disparu depuis le XIIIe siècle. Les Amérindiens auraient appelé l’île Madinina, ce qui signifie «l'île aux fleurs». Colomb aurait baptisé l’île du nom de Martinique en l’honneur de son patron, saint Martin. Redoutant les terribles Caraïbes pour leur anthropophagie, Colomb quitta l’île et, par la suite, les Espagnols ne s’intéressèrent plus à la Martinique. Ainsi, ils laissèrent la place aux Français et aux Anglais.
3.3 La colonisation française
Le cardinal de Richelieu, au nom du roi Louis XIII, créa la Compagnie des Isles d’Amérique (1635-1650) afin de coloniser les îles des Petites Antilles. La véritable conquête de la Martinique commença avec l’arrivée d’un aventurier français, Pierre Belain d’Esnambuc, le 15 septembre 1635. En 1550, la canne à sucre était déjà devenue la seule culture des îles aux Antilles. 
Les premiers contacts entre les Amérindiens caraïbes et les Français avaient été plutôt cordiaux, mais à force d’être progressivement spoliés de leurs terres les Caraïbes opposèrent une vive résistance aux Français. Puis, après plusieurs années de conflits, tant avec les Anglais qu’avec les Caraïbes, les Français sous la gouverne de Beausoleil finirent par chasser définitivement (en 1658) les Caraïbes de la Martinique; ces derniers se réfugièrent dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent.
3.4 La traite des esclaves
Pendant deux siècles, la Martinique, comme d’ailleurs toutes les autres Antilles, vécut sous le règne de l’esclavage. On sait que ce sont les Espagnols qui avaient commencé à importer des Africains dans leurs colonies afin de remplacer les populations amérindiennes qui ne survivaient pas aux dures conditions d'esclavage en raison des maladies et du travail harassant. C’est que les populations noires d’Afrique étaient réputées mieux supporter le travail forcé dans le climat éprouvant des Caraïbes et de l'Amérique équatoriale. La France, à l’exemple des autres puissances européennes, n’a pas fait exception et s’est mise aussi à l’esclavage. En Martinique, les Français importèrent leurs premiers esclaves dès 1635 afin de fournir la main-d’oeuvre nécessaire à la culture de la canne à sucre. Toutefois, de 1656 à 1814, Anglais et Français se sont régulièrement disputé la Martinique; ainsi, pendant près de deux siècles, l’île fut tantôt anglaise tantôt française, jusqu’au traité de Paris de 1814 qui céda définitivement la Martinique à la France.
En 1673, le roi Louis XIV autorisa la création de la Compagnie du Sénégal, qui devait conduire des esclaves noirs aux Antilles et à la Guyane française. Cependant, contrairement à la Hollande qui avait organisé la traite des Noirs en faveur du Surinam (plus de 400 000 Africains déportés jusqu’en 1823, année de la suppression de l’esclavage par la Hollande), la France, grâce à la Compagnie de la Guyane, préféra vendre ses cargaisons d’esclaves à Saint-Domingue (aujourd’hui, république d’Haïti et République dominicaine) plutôt que de les envoyer en Guyane française dont le développement économique semblait beaucoup moins important. 
De fait, plus de 700 000 esclaves furent déportés aux Antilles françaises entre 1673 et 1789, dont 600 000 juste à Saint-Domingue; les autres furent envoyés en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Christophe (devenu aujourd’hui Saint-Kitts-et-Nevis), etc. En 1710, le nombre des esclaves s’élevait à 21 000 pour l’île de la Martinique. Quelques décennies plus tard, en 1745, la Martinique comptait environ 80 000 habitants dont 65 000 esclaves. Au moment de la suppression de l’esclavage en juin 1848 en Martinique, on dénombrait un peu plus de 72 000 esclaves. On aura intérêt à lire le fameux Code noir, une ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer le régime de l’esclavage et précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Ce Code noir, qui resta en vigueur dans toutes les Antilles et en Guyane française jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage par la France), fut rarement respecté. Bien que ce code ne traitât pas des questions de langue, il dépouillait l’esclave de toute son identité. En effet, après le baptême catholique obligatoire, l'Africain devenait un Nègre et changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis était marqué au fer rouge et affecté au travail servile.
C’est Victor Schoelcher (1804-1893), alors sous-secrétaire d'État à la Marine chargé des colonies, qui prépara le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848, lequel a été confirmé par la Constitution du 4 novembre 1848. En Martinique, le 23 mai 1848, à la demande du conseil municipal de Saint-Pierre (la capitale de l’époque), le gouverneur de l’île, le général Rostoland, proclama un décret solennel dont les deux premiers articles énonçaient ce qui suit:
 
Article 1er
L'esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique.
Article 2
Le maintien de l'ordre public est confié au bon esprit des anciens et des nouveaux citoyens français.
Devenu député de la Martinique et de la Guadeloupe, Schoelcher revendiqua aussi l’application du droit commun et même la départementalisation pour les quatre colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et la Réunion), mais il échoua sur cette question; cent ans plus tard, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française et la Réunion deviendront des départements français. Bien sûr, au terme de cette douloureuse période, la colonie martiniquaise s’était peuplée massivement de nouveaux arrivants noirs et la langue véhiculaire entre les Noirs était devenue le créole martiniquais. Enfin, c’est vers 1840 seulement que les Noirs furent christianisés par l’Église catholique. Auparavant, les Noirs étaient certes baptisés, mais ensuite laissés à eux-mêmes; d’ailleurs, beaucoup de prêtres possédaient eux-mêmes des esclaves.
Cela dit, l'esclavage continua sous une autre forme lorsque fut imposée le Code de l’indigénat qui correspondrait aujourd'hui à une autre forme déguisée d’esclavage des populations autochtones en les dépouillant de toute leur identité. Grâce aux pratiques discriminatoires imposées par le Code de l'indigénat (en vigueur de 1887 à 1946), les Blancs continuèrent de jouir de privilèges considérables.
3.5 Les nouveaux immigrants
Mais la suppression de l'esclavage ne pouvait que nuire à l'économie de plantation de la Martinique qui pouvait supporter difficilement des coûts de main-d'oeuvre importants. C’est pourquoi, de 1853 à 1985, la France décida d’importer plusieurs milliers de travailleurs immigrants (dénommés «coolies») originaires des comptoirs français de l’Inde. Considérés comme dociles, ces «coolies» venaient travailler aux Antilles pour une durée, en principe, de cinq ans. Beaucoup d’entre eux restèrent sur place à la fin de leur contrat, fondèrent une famille et devinrent bientôt des Martiniquais à part entière, tout en conservant leur religion et leurs habitudes culinaires.
Vers la fin du siècle, un millier de Chinois débarquèrent également dans l'île et, un peu plus tard, d’autres immigrants arrivèrent, cette fois-là, de la Syrie et du Liban. C’est ce qui explique que la population martiniquaise est aujourd’hui formée d’une palette ethnique assez variée, puisqu’on y compte non seulement des Noirs africains (la majorité) et des mulâtres, mais aussi des Indiens, des Chinois et des Syro-Libanais, sans oublier les Blancs-Pays (les «Békés»).
Tous les nouveaux immigrants d’Asie ou du Proche-Orient ont maintenant perdu leur langue d’origine et ont adopté le créole martiniquais comme langue maternelle. Les Blancs «békés» parlent le français mais aussi le créole alors que les Blancs-France (les «Métros») ne parlent que le français. Bien que vivant en relative harmonie, les différents groupes ethniques de la Martinique n'en continuent pas moins de se distinguer et de se méfier les uns des autres selon de subtiles distinctions.
3.6 Une amélioration très lente
Sous les derniers rois de France (Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe), la Martinique n’évolua que faiblement sur le plan des droits humains, bien que à partir de 1830 les Noirs et les mulâtres aient obtenu en principe les mêmes droits que les Blancs. Précisons aussi, que, contrairement à la Guadeloupe, la Martinique resta plus longtemps royaliste et demeura plus fidèle à l’Ancien Régime. Quoi qu’il en soit, la IIIe République de 1870 marqua un réel progrès, car non seulement le suffrage universel masculin fut institué, mais l’enseignement public obligatoire, laïc et gratuit, fut étendu à tous les Martiniquais (1881). Toutefois, la situation des classes ouvrières resta précaire, car la scolarisation des enfants entraînait des dépenses supplémentaires auxquelles les parents ne pouvaient pas toujours faire face. En réalité, le niveau de vie des Martiniquais "de couleur" ne connut une amélioration significative que vers le milieu du XXe siècle. En 1898, on comptait 175 000 habitants en Martinique, dont 150 000 Noirs et mulâtres (85 %), 15 000 Indiens (8,5 %) et 10 000 Blancs (5,7 %).
En 1902, suite à l’éruption de la montagne Pelée (le 8 mai 1902), qui avait détruit la ville de Saint-Pierre et causé la mort de 28 000 habitants en quelques minutes, une importante vague d’émigration s’ensuivit et la Guyane française devint alors la principale destination des réfugiés martiniquais. C'est pour cette raison que l'on trouve une si forte colonie martiniquaise en Guyane, particulièrement aux environs de Saint-Laurent-du-Maroni et à Rémire-Montjoly près de Cayenne. C’est Fort-de-France qui est devenue la capitale de la Martinique après la destruction de la ville de Saint-Pierre.
3.7 La départementalisation
Le 19 mars 1946, près de 100 ans après la recommandation du député Victor Schoelcher, l’Assemblée nationale française adopta la loi dite de l’assimilation, qui transformait les «Quatre Vieilles» colonies (la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane française) en départements français. Ainsi, l’île de la Martinique devint un département français d’outre-mer (DOM). Depuis la loi du 19 mars 1946, la Martinique est dotée d’un Conseil régional et d’un Conseil général. Ce nouveau statut apporta une certaine richesse économique, mais la situation sociale ne s'améliora que lentement et à travers une succession de nombreux conflits sociaux (1948, 1954, 1956, etc.). En 1963, le gouvernement français créa le BUMIDOM, le Bureau des migrations des départements d'outre-mer, afin de soulager la région du fardeau démographique et de l’accroissement du chômage: le départ annuel de 10 000 Antillais vers l'Hexagone, afin d’occuper des fonctions subalternes dans la fonction publique (PTT, hôpitaux, administrations diverses), a constitué une solution temporaire, sans que les problèmes de fond n’aient été abordés.
La décennie soixante-dix vit la montée de revendications indépendantistes nourries à la fois par le marxisme et par le modèle cubain; ces mouvements connurent un certain apaisement lors de l’adoption de la loi du 2 mars 1982, qui érigeait la région en collectivité territoriale et faisait de la Martinique une des 26 Régions françaises. Les élites politiques martiniquaises reçurent alors un surcroît de responsabilités dans le développement économique de leur département, qui devint largement subventionné à la fois par l'État français et par l'Union européenne. Cependant, la transformation de l'économie et de la société martiniquaise, bien que nécessaire en raison de l’effondrement de l’industrie sucrière, s’avéra difficile pour la population qui a dû se rendre à l’évidence: l'ancienne économie basée sur une agriculture d'exportation (banane, rhum et canne à sucre) n'avait plus qu'un avenir fort limité en Martinique. Dorénavant, l’industrie prometteuse, c’est davantage le tourisme et l’industrialisation.
Aujourd’hui, les Martiniquais ont définitivement remis en cause la solution de l’émigration (maintenant disqualifiée) vers la Métropole. Du côté de l’État français, le recours systématique aux subventions a fini par devenir une «forme d’assistanat perpétuel» dans une île où le taux de chômage avoisine parfois les 35 %. Enfin, en Martinique comme en Guadeloupe, la problématique identitaire martiniquaise n’a pas été résolue, puisque l’assimilation à la culture européenne, surtout depuis l’intégration à l’Union européenne, s’avère en totale contradiction avec la réalité géostratégique de la Martinique au sein des Antilles. Par ailleurs, depuis plusieurs années, les Martiniquais créolophones s’impliquent davantage dans la gestion de l'île et la nomination d’un «Métro» à un poste-clé ne va plus de soi. À ce sujet, les années quatre-vingt-dix ont été marquées par des grèves dont la revendication principale portait sur l'égalité des traitements entre Blancs et Noirs occupant des postes identiques.
Le 10 janvier 2010, eut lieu une consultation sur le statut de l'île. Il s'agissait de savoir si les Martiniquais désiraient que leur île passe du statut de DOM à celui de «collectivité d'outre-mer» dotée d'une autonomie élargie, comme le prévoit l'article 74 de la Constitution. La question était celle-ci: «Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, dotée d'une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République?» En cas de victoire du OUI, la nouvelle collectivité aurait pu disposer de moyens supplémentaires conférés par cette autonomie, afin de réglementer en faveur de ses intérêts propres, en dehors des pouvoirs régaliens de l'État. Mais les électeurs ont répondu NON dans une proportion de 79,3 %, rejetant ainsi la transformation du DOM en collectivité d'outre-mer. Dans le cas d'une victoire du NON au référendum du 10 janvier 2010, un second référendum devait avoir lieu le 24 janvier 2010 sur l'article 73 (régime actuel) proposant en sus la fusion du département et de la région en une collectivité unique d'outre-mer. Cette fois, la question était la suivante: «Approuvez-vous la création en Martinique (ou en Guyane) d'une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l'article 73 de la Constitution?» Le gouvernement français avait précisé le sens du référendum du 24 janvier:
Cette organisation administrative (la collectivité unique donc) ne se traduira pas par aucun changement en ce qui concerne les compétences dont dispose la collectivité ou dans les conditions d’application des lois et règlements. Elle permettra uniquement de mettre fin à l’existence, sur un même territoire, de deux collectivités distinctes qui font de la Martinique et de la Guyane des régions monodépartementales.
Soulignons aussi les propos du chef de l'État à l’agence de presse GHM : «Ils deviendront (Martinique et Guyane) des départements-régions à collectivité unique dans le cadre du 73, comme aujourd’hui ». Plus précisément, les Martiniquais devaient se prononcer sur la création d'une collectivité unique à la place du conseil régional et du conseil général. Les Martiniquais ont répondu OUI dans une proportion de 68,3 %. Il convient de souligner le très faible taux de participation: 35,8 % en Martinique et 27,4 % en Guyane. Comme la question posée aux électeurs de la Martinique était celle du degré d’autonomie et de responsabilités, la question l’indépendance ne s'appliquait pas, ni aucune question d'ordre linguistique. L'enjeu consistait, d'une part, à démontrer aux békés qu'ils avaient intérêt à rester un «département français», eux qui ont toujours été choyés par la France et qui ne sont certainement pas disposés à laisser leurs terres et leur profits aux mains de l'économie martiniquaise. Il s'agissait, d'autre part, de faire suffisamment peur aux autres Martiniquais qu'ils pouvaient perdre leurs privilèges acquis et que l'aventure était incertaine.

4 La politique linguistique

Rappelons que la Martinique fait partie de la France et la politique linguistique qui y est appliquée tient compte de cette réalité juridique incontournable. Ainsi, en vertu de l’article 2 de la Constitution, le français demeure la langue officielle de ce département: «La langue de la République est le français.» 
Comme dans tous les départements français d’outre-mer (DOM), tous les textes nationaux de la République y sont applicables, mais certaines adaptations ont été prévues par la «loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion». Ces adaptations concernent les activités éducatives et culturelles complémentaires relatives à la connaissance des langues et des cultures régionales. 
Il faut ajouter également une loi plus récente adoptée par l’Assemblée nationale française: la Loi d'orientation pour l'outre-mer (ou loi 2000-1207 du 13 décembre 2000) entrée en vigueur le 14 décembre 2000. Ce sont les articles 33 et 34 de cette loi qui concernent tous les DOM-TOM. À l’article 33, on apprend que «l’État et les collectivités locales encouragent le respect, la protection et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales fondées sur leurs modes de vie traditionnels et qui contribuent à la conservation du milieu naturel et l'usage durable de la diversité biologique» et qu’à l’article 34 que «les langues régionales en usage dans les départements d'outre-mer font partie du patrimoine linguistique de la Nation» et qu’elles «bénéficient du renforcement des politiques en faveur des langues régionales afin d'en faciliter l'usage». D’après la Loi d’orientation d’outre-mer, la loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux leur est applicable. 
Malgré la présence du créole parlé par presque toute la population (à l’exception des «Métros» qui résident en Martinique de façon temporaire), seul le français bénéficie d’une reconnaissance juridique. Pour le reste, c’est la politique du laisser-faire.
4.1 La législation et la justice
Le département de la Martinique est représenté au Parlement français de Paris par quatre députés et deux sénateurs, et par un conseiller au Conseil économique et social. Toute cette élite dirigeante n’utilise que le français. En matière de justice, la procédure se déroule toujours en français, mais des traducteurs sont disponibles pour les personnes étrangères «mises en examen», c’est-à-dire celles qui ne parlent pas français ou des immigrants qui, dans certains cas, ne connaissent que le créole (ou toute autre langue). Néanmoins, certains juges, considérés comme plus complaisants, tolèrent les discussions informelles en créole.
4.2 L'Administration publique
Dans l’Administration publique, les communications se déroulent généralement en français puisque c’est la langue officielle, mais le créole est largement utilisé dans toutes les communications orales. Soulignons que les créolophones martiniquais (surtout les mulâtres) et les Blancs békés occupent une place majoritaire dans l’administration publique, ce qui assure au créole et au français un usage quasi exclusif. Dans plusieurs localités ou communes, toutes les communications orales ne se déroulent qu’en créole, bien que les documents écrits ne soient rédigés qu’en français.
4.3 L'école
L'enseignement public en Martinique est le même qu'en France et suit un calendrier identique. L’enseignement au primaire et au secondaire n’est assuré qu’en français. En 1997, selon les données du Secrétariat d’État à l’outre-mer, l'enseignement du premier degré (écoles maternelles et primaires) accueillait 55 569 élèves dans 273 établissements. L'enseignement du second degré (public et privé) accueillait 48 760 élèves dans 76 établissements (20 lycées et 40 collèges). De plus, deux lycées d'enseignement agricole permettent de préparer un BEPA (Brevet d'enseignement professionnel agricole) d'exploitation (spécialité: agriculture des régions chaudes; dominante: floriculture, élevage bovin et avicole), un BEPA Services (dominantes: secrétariat, accueil et ventes de produits horticoles et de jardinage), ainsi qu'un BTA (Brevet de technicien agricole) option Services. Quant à l'université Antilles-Guyane, elle dispense un enseignement en Martinique où campus de Schoelcher regroupe quelque 5500 étudiants. En outre, l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) a été ouvert en 1992.
Cela dit, le département de la Martinique peut légalement accorder un place à l’enseignement du créole. D’ailleurs, l’article 21 de la loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion permet, en principe, un enseignement en langue régionale:
Article 21
Le Conseil régional détermine, après avis du comité de la culture, de l'éducation et de l'environnement, les activités éducatives et culturelles complémentaires relatives à la connaissance des langues et des cultures régionales, qui peuvent être organisées dans les établissements scolaires relevant de la compétence de la région.
Ces activités, qui peuvent se dérouler pendant les heures d'ouverture des établissements concernés, sont facultatives et ne peuvent se substituer ni porter atteinte aux programmes d'enseignement et de formation définis par l'État.
En 2005, quelque 2240 élèves dans 97 classes et 35 écoles dispensaient un enseignement du créole (langue et culture régionale), selon le premier dispositif d'information et de sensibilisation. De plus, 229 élèves dans huit classes et quatre écoles pratiquaient le deuxième dispositif dans lequel le créole est traité au titre de «langue vivante». Bref, 2469 élèves, sur un total de 47 643 élèves du secteur public, suivaient un enseignement du créole, soit environ 5 % de la population scolaire. Les textes officiels prévoyaient que l'apprentissage de la langue régionale au primaire se déroule comme un enseignement d'initiation selon diverses modalités, soit celui d'une langue vivante étrangère. Malgré ces possibilités, les parents préfèrent de loin l'anglais au créole. L'anglais est une langue internationale auréolée de prestige, ce qui défavorise le créole.
Par ailleurs, le système actuel, tel qu’il est appliqué en Martinique, passe sous silence les difficultés pédagogiques qu’entraîne l’enseignement quasi exclusif de la langue française et l’importation du «moule pédagogique métropolitain». Comme beaucoup d'élèves n'ont pas le français comme langue maternelle, les méthodes pédagogiques en usage peuvent causer des problèmes d’apprentissage, étant donné qu'elles peuvent se révéler inappropriées à des élèves dont le français constitue presque une langue seconde.
La question des manuels scolaires peut aussi causer aussi des problèmes d’intégration socioculturelle. En tant que département français d'outre-mer, la Martinique vit une situation de dépendance quasi exclusive de la France, non seulement pour ce qui concerne son système éducatif, mais aussi pour son approvisionnement en manuels et autres documents pédagogiques. Tous les enfants non blancs évoluent dans un milieu naturel et humain tout à fait différent de celui qui est représenté dans les manuels de classe européens et la plupart d’entre eux se perçoivent facilement comme «étrangers dans leur propre pays», surtout quand on sait que les élèves martiniquais apprennent l'histoire de France, non celle de la Martinique. Or, tous ces problèmes ont favorisé un fort taux d’alphabétisme — 7 % à 10 % en Martinique contre 1% en France — et d’illettrisme (incapacité de lire un texte simple), ce qui peut être considéré comme une «honte» pour un département français. 
Ce quasi-échec dans l'apprentissage scolaire montre que le système éducatif ne produit pas les effets escomptés. Bien que les programmes officiels autorisent une référence au contexte local, l’usage d’exemples locaux ne permet pas d’inculquer aux élèves les fondements de la culture créole en raison de la dilution qu’elle subit. Le corps d'inspection martiniquais de l'Éducation nationale en est venu, en octobre 2002, à la conclusion qu'il fallait modifier le programme national et instaurer un contenu appelé les «humanités créoles», avec un horaire, un enseignement particulier et des contrôles chez les élèves. Pour les inspecteurs, les causes de l'inadéquation des apprentissages scolaires viennent du fait que ces programmes sont essentiellement conçus: 
- pour un pays riche et développé; ils sont mis en œuvre dans une «région ultrapériphérique, en retard de développement», selon les termes de l'Union européenne; ils ne peuvent prendre en compte que très imparfaitement cette spécificité;
- pour un pays de type continental, alors qu'ils sont mis en œuvre dans une région dont la principale caractéristique est l’insularité;
- pour un pays au climat tempéré, alors que la Martinique est un pays tropical;
- pour un pays qui a une longue histoire inscrite en Europe, alors que la Martinique a une histoire récente dont le vécu est aux Antilles. 
Pour ces raisons, l'enseignement actuel ne favoriserait pas la construction identitaire des élèves martiniquais. Au contraire, il favoriserait chez eux des difficultés particulières, car il leur offrirait des modèles avec lesquels ils ne se reconnaissent pas et auxquels ils peuvent difficilement s’identifier. Afin que les propositions n’apparaissent pas comme vides de sens, elles prendraient la forme d’un enseignement obligatoire du créole, qui devrait bénéficier d’un horaire spécifique (une ou deux heures hebdomadaires pendant toute la scolarité. Il ne s'agit pas d'activités scolaires, mais bien d'un enseignement structuré avec des contrôles relatives aux connaissances. On devine comment ont réagi les autorités françaises.  C'est clair: le Ministère n'acceptera jamais un enseignement consacré aux «humanités créoles», comme le préconisent les inspecteurs martiniquais. Quant à l'inspecteur général du gouvernement français, il a jugé ces propositions «effarantes» et a demandé de ne pas diffuser ce texte et de ne plus en parler, bref de le jeter aux poubelles!
Pour les élèves qui réussissent, le niveau de français dans les classes martiniquaises est tout aussi élevé que le niveau métropolitain, pour ne pas dire supérieur dans bien des cas. Mais c'est l'inverse en mathématiques et en sciences.  Évidemment, la situation décrite par le corps d'inspection de la Martinique s'appliqueraient tout aussi bien à la Guadeloupe. 
Cela étant dit, les Martiniquais ont appris pendant longtemps uniquement l'histoire de France, pas tellement celle de la Martinique (ou de la Guadeloupe). Mais, en 2000, le ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie a envoyé une note de service aux directeurs et enseignants des écoles et lycées concernant l'«Adaptation des programmes d'histoire et de géographie pour les enseignements donnés dans les DOM» (voir le texte de la note de service no 2000-024 du 16-2-2000). Dans la pratique, on substitue à l'une des quatre premières parties du programme l'étude d'un moment historique spécifique : compagnies des Indes, traite, économie de plantation dans l'espace caribéen ou à la Réunion au XVIIIe siècle. Cette étude permet également de mettre en perspective les abolitions de l'esclavage (1794 et 1848). Dans les lycées, on remplace généralement la question au choix par une 3e question obligatoire : par exemple, l'évolution de la société à la Martinique (ou la Guadeloupe, la Guyane ou La Réunion) du milieu du XIXe siècle à nos jours. 
4.4 Les médias et la vie économique
Du côté des médias, la presse écrite en Martinique compte un quotidien francophone, France-Antilles, plusieurs hebdomadaires ou mensuels régionaux complétés par la diffusion des journaux édités en France. Il existe aussi plusieurs journaux en créole (presse populaire). Le service public de radiotélévision est assuré par RFO (Réseau France Outre-Mer) sur deux canaux. La Société nationale de radio et de télévision pour l'outre-mer retransmet des programmes de France-Télévision, d’Arte et de la Cinquième, et produit des programmes régionaux en français. Comme un peu partout aux Antilles, les stations de radio locales privées témoignent d'une extraordinaire vitalité et diffusent pratiquement toutes leurs émissions en créole; ajoutons que 90 % de la musique diffusée est du zouk et que celui-ci est toujours en créole martiniquais, guadeloupéen, guyanais, haïtien, etc. Deux chaînes de télévision privées, Antilles-Télévision et Canal-Antilles, auxquels s'ajoute un réseau de télévision câblé (Martinique TV-Cable), viennent compléter le paysage audiovisuel de cette partie des Antilles françaises.
En matière d’information, Radio-Martinique diffuse, du lundi au vendredi, une session d’information à 5 h en créole, d’une durée de dix minutes. Le créole est aussi utilisé de manière ponctuelle dans les différents journaux d’information. Parmi les programmes, citons du lundi au vendredi une chronique en créole à 5 h 45, d'une durée de trois minutes; un journal des auditeurs de dix minutes en créole; une émission de débat en créole permettant aux auditeurs de s’exprimer sur tous les thèmes de société, du lundi au vendredi de 16 h à 18 h;  une émission en créole retraçant l’actualité de la semaine de manière humoristique, le dimanche de 9 h à 11 h ; etc.
Dans le domaine de la vie économique, le français occupe une place importante qu'il partage en partie avec le créole. Dans le monde des entreprises, le créole n'est à peu près pas employé, sauf dans des contextes bien précis tels qu'une altercation ou une saute d'humeur; il serait, par exemple, impensable de tenir une réunion d'entreprise en créole. En revanche,  le créole est généralisé chez les ouvriers et les travailleurs des classes sociales moins favorisées. La publicité en créole reste limitée, car elle est généralement perçue par les commerçants comme peu rentable. L’écoulement des marchandises continue de se faire grâce à la langue française. Lorsque la publicité en créole est utilisée, c'est pour donner une couleur locale à certains produits.
Tout compte fait, la politique linguistique du gouvernement français consiste simplement à ignorer la langue locale, le créole martiniquais, dans le cadre de l’administration de l’État et de l’éducation institutionnalisée. Cette pratique est relativement similaire à celle de bien des pays où la langue coloniale a supplanté les langues locales. À cet égard, la France n’a pas fait pire ou mieux que la Grande-Bretagne et les États-Unis. Cependant, puisque la France vient de signer (sans la ratifier) la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la politique linguistique pratiquée en Martinique devrait être profondément révisée. Sur le plan de l’éducation et de l’administration, la France devrait probablement laisser une place plus importante à l’utilisation et à l’enseignement du créole martiniquais. Rappelons qu’il existe certains mouvements autonomistes en Martinique, et ils font parler d’eux.
Pour conclure, il faut bien admettre que le créole et le français ne sont pas en situation de véritable concurrence, mais en situation de complémentarité. D'un point de vue sociolinguistique, le contexte martiniquais pourrait être comparé à la distinction arabe dialectal / arabe standard dans les pays arabophones ou encore au chinois dialectal / mandarin dans des régions sinophones.
 
Dernière mise à jour: 15 mai 2010

Bibliographie

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