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Géographie générale - Guyane française

Mots-clés: Guyane française, cayenne
Guyane française

(1) Situation géographique

Capitale: Cayenne
Population: 200 000 (est. 2005)
Langue officielle: français
Groupe majoritaire: les créoles (60 %), soit guyanais (38 %), martiniquais, guadeloupéen (6,4 %), haïtien (8 %), saint-lucien, sranan-tongo (6,4 %), surinamien, etc.
Groupes minoritaires: français (14,4 %), portugais (6,9 %), hindoustani (4 %), chinois hakka (3,9 %), taki-taki (3 %), langues amérindiennes (4 %: arawak, emerillon, kalihna, palikour, wayampi, wayana), hmong (1,3 %), etc.
Système politique: département et région d'outre-mer (DROM)
Articles constitutionnels (langue): art. 2 et 75-1 de la Constitution de 1992 de la République française
Lois linguistiques: toutes les lois linguistiques de la République, dont les suivantes: loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion; loi no 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation (loi Haby); loi no 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur; loi d'orientation no 89-486 du 10 juillet 1989 sur l'éducation (loi Jospin); décret no 93-535 du 27 mars 1993 portant approbation du cahier des missions et des charges de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision française pour l'outre-mer (RFO); loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (1994); Code de l'éducation (2000); Loi d'orientation pour l'outre-mer (2000); Loi no 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école (loi Fillon).

1 Données géographiques

Dans le nord-est de l'Amérique du Sud, entre le Surinam et le Brésil, la Guyane française (voir la carte 1) constitue depuis 1946 un département français d’outre-mer, à l’instar de la Martinique, de la Guadeloupe et de l’île de la Réunion (dans l’océan Indien). D'une superficie de 86 504 km², la Guyane française est la plus petite des trois Guyanes: Guyana: 214 970 km²; Surinam : 163 270 km²). C'est l'équivalent de la superficie de l'Autriche: 83 858 km².
En fait, le nom officiel de ce département français d'outre-mer est simplement Guyane. L'adjectif française utilisé dans la dénomination courante ne correspond qu'à un accommodement linguistique provenant de la période coloniale, alors qu'il existait trois Guyanes : la Guyane anglaise (l'actuel Guyana), la Guyane néerlandaise (l'actuel Surinam) et la Guyane française.
La Guyane française faisait partie de ce qu'on appelait les DOM-TOM (voir la carte), mais, depuis la réforme de 2003, la Guyane est devenue un DROM ou DOM-ROM: un département et une région d'outre-mer. En tant que département et région d’outre-mer, la Guyane fait partie de l'Union européenne et constitue plus précisément une région «ultrapériphérique» de l'Europe. À ce titre, la Guyane bénéficie de «mesures spécifiques qui adaptent le droit communautaire en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces régions.

Célébration du 15 octobre à Cayenne
La Guyane forme le plus vaste (équivalant à 16 % du territoire de l’Hexagone: 547 030 km²) et le moins peuplé des départements français d’outre-mer (150 000 hab.). C’est aussi la seule région d’Amérique du Sud où la langue officielle n’est ni l’espagnol ni le portugais, mais le français. Avec le Surinam (de langue néerlandaise) et Guyana (de langue anglaise), la Guyane française compose l’une des trois Guyanes, territoires jadis délaissés par les Portugais et les Espagnols, puis accaparés par les Anglais, les Hollandais et les Français.

La Guyane n'a pas de drapeau officiel, si ce n'est le tricolore français. Le drapeau régional avec l'étoile sur fond jaune et vert n'est reconnu à peu près que par le Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale (MDES). Cependant, la région dispose d'un logo (à gauche) pour désigner la Guyane.

2 Le littoral de la Guyane 

La population de ce département français, équivalant à peu près à la superficie du Portugal, est concentrée à 80 % le long des 320 km de bande côtière bordée par l’océan Atlantique. D’ailleurs, le réseau routier ne dessert que cette frange côtière, et ce, du nord-ouest au nord-est en reliant les villes de Saint-Laurent-du-Maroni (à l’extrémité ouest: 20 000 hab.) jusqu’à Regina (vers l’est) sur le fleuve Approuague, en passant notamment par les villes de Sinnamary (3500 hab.), Kourou (20 000 hab.) et le chef-lieu, Cayenne (70 000 hab., avec sa banlieue de Matoury et de Rémire-Montjoly). Après plusieurs années d'études et de travaux, l’Administration locale a réussi en 2003 à prolonger le réseau routier jusqu’à Saint-Georges-de-l'Oyapock (à l’extrémité est).
3 L’arrière-pays
Tout l’arrière-pays (90 % du territoire) est couvert de forêts tropicales denses et n’est accessible, hormis la voie aérienne, qu’en bateau grâce aux fleuves Maroni (qui sépare le Surinam et la Guyane), Mana, Sinnamary, Approuague et Oyapook (qui sépare la Guyane et le Brésil). En raison des nombreux sauts et dangereux rapides, la pirogue (habituellement à moteur), généralement taillée dans un grand tronc d’arbre, demeure l’embarcation la plus utilisée pour accéder d’abord dans le massif central, puis dans les montagnes de Camopi et enfin dans les monts Tumuc-Humac du Sud guyanais (à la frontière du Brésil).

Ajoutons que la Guyane française forme une sorte d’escalier géant qui descend du sud (montagnes) vers le nord (littoral). Outre la Guyane française elle-même, le département français comprend quelques îles côtières, telles que «les Îlets» (au large de Cayenne de Remire) et les îles du Salut dont l'île du Diable est la plus connue.

(2) Données historiques

1 Les premiers habitants

Les premiers habitants de la Guyane ont été les Amérindiens appartenant aux familles de langues: tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi), arawak (les Arawak et les Palikour), caraïbe (les Kalihna et les Wayana). Avant l’arrivée des premiers Européens (XVIe et XVIIe siècles), on comptait environ 30 000 Amérindiens en Guyane française, puis 25 000 au siècle suivant. Après 1885, la ruée vers l’or et les maladies ont eu pour effet de décimer ces populations qui ne comptaient au début du XXe siècle que 1500 survivants. Présentement, selon les estimations, leur nombre varierait entre 5000 et 9000 individus. Les Amérindiens vivent dans des «zones protégées» à l'accès strictement réglementé par la préfecture de Cayenne.
Sur le plan historico-politique, la Guyane française, à l’exemple du Surinam et de Guyana, fait partie d’une bande de territoires nés dans une certaine marginalité puisque les Guyanes furent dédaignées, après la bulle papale de 1494, tant par les Portugais que les Espagnols. En effet, on sait qu’en 1494 le pape Alexandre VI avait contraint les Espagnols et les Portugais à signer le traité de Tordesillas (voir quelques extraits du traité) qui traçait les limites territoriales entre l'Espagne et le Portugal: tout ce qui serait découvert à l'ouest du méridien appartiendrait à l’Espagne et à l'est (Brésil et Afrique), au Portugal (voir la carte du traité). C’est pourquoi les Guyanes ont été plus tardivement colonisées mais par les Hollandais, les Anglais et les Français. Contrairement aux Portugais et aux Espagnols, les trois pays coloniaux n’y ont jamais pratiqué une politique de métissage triracial. C’est ce qui explique que les Amérindiens y ont reçu un héritage différent.

2 Une colonie au début précaire

Vers 1498, Christophe Colomb passa devant la Guyane sans s’y arrêter. En janvier 1500, Vincent Pinson découvrit la région. Vers 1503, un groupe de colons français se serait installé dans l’île de Cayenne pendant quelques années. Sous le règne d’Henri IV (1589-1610), une première expédition (1604) dirigée par le capitaine Daniel de la Rivardière fit connaître la colonie de la Guyane française. En 1626, le cardinal de Richelieu autorisa la colonisation de la Guyane, mais la ville de Cayenne ne fut fondée qu’en 1637. Deux nouvelles expéditions furent tentées afin de peupler la Guyane: l’une, en 1643, avec l’arrivée de 300 hommes (la Compagnie de Rouen) et l’autre, en 1662, avec quelques 800 recrues (la Compagnie des Douze Seigneurs). Ces expéditions ne donnèrent pas les résultats escomptés puisque, dès 1663, les Hollandais trouvèrent la place vacante et s’y installèrent. Les pluies diluviennes, la promiscuité, les mauvaises conditions d'hébergement, la famine, les épidémies (syphilis, fièvre jaune et paludisme) et les guerres avec les Amérindiens avaient décimé la population française. Dès lors, la Guyane gagna la réputation d'un pays terriblement malsain, dont le peuplement par des Européens était d'avance voué à l'échec, l'homme blanc n'étant pas censé supporter le dur climat équatorial. Quoi qu’il en soit, le duc de Choiseul décida en 1763 (alors que la Nouvelle-France était définitivement perdue) d’envoyer 15 000 Européens pour la colonisation officielle de la Guyane. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir de cette époque que l’implantation française a pu se fixer durablement en Guyane.

Néanmoins, pendant des années, la Guyane fut ainsi occupée tantôt par les Hollandais tantôt par les Français. Puis les rivalités franco-anglaises firent passer la Guyane sous l’autorité de l'Angleterre qui, après s'être emparée du territoire, le céda en 1667 à la Hollande lors du traité de Breda. Enfin, en 1677, l'amiral français d'Estrées reconquit, pour le compte de Louis XIV, le territoire de la Guyane.

3 L’esclavage

La traite négrière et l'esclavage ont été pendant plusieurs siècles les moteurs de l'économie des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Au XVIe siècle, les colons espagnols avaient d’abord obligé les populations amérindiennes à travailler la terre. Ces populations indigènes n’ayant pas survécu aux dures conditions d'esclavage en raison des maladies et du travail harassant, les Espagnols commencèrent alors à importer des Africains dans les colonies parce qu'ils étaient réputés mieux supporter le travail forcé dans le climat éprouvant des Caraïbes et de l'Amérique équatoriale. La France, à l’exemple des autres puissances européennes, n’a pas fait exception et s’est mise aussi à l’esclavagisme.

En 1673, le roi Louis XIV autorisa la création de la Compagnie du Sénégal, qui devait conduire des esclaves noirs aux Antilles et à la Guyane. Cependant, contrairement à la Hollande qui avait organisé la traite des Noirs en faveur du Surinam (plus de 400 000 Africains déportés jusqu’en 1823, année de la suppression de l’esclavage), la France, par la Compagnie de la Guyane, préféra vendre ses cargaisons d‘esclaves à Saint-Domingue (île d’Hispaniola: Haïti et République Dominicaine) plutôt que de les envoyer en Guyane dont le développement économique semblait beaucoup moins important. De fait, plus de 700 000 esclaves furent déportés aux Antilles françaises entre 1673 et 1789, dont 600 000 juste à Saint-Domingue, les autres furent envoyés en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Christophe (devenu aujourd’hui Saint-Kitt-et-Nevis), etc. Au moment de la suppression de l’esclavage en juin 1848, la Guyane ne comptait que quelque 12 500 esclaves. Grâce à cette modeste main-d’oeuvre, la colonie effectua la prospection des forêts, l'établissement de plantations de sucre et l'exploitation du sous-sol. Quant aux efforts de colonisation française, ils se soldèrent par des échecs, la plupart des colons blancs ayant trouvé la mort. C’est pourquoi les Africains déracinés constituèrent très vite la majorité de la population guyanaise.

Afin de «protéger» les esclaves des îles françaises (et la Guyane) contre les excès de leurs maîtres, le ministre Colbert avait obtenu de Louis XIV une ordonnance (en 1685) instaurant un régime précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Ce code, appelé le Code noir, restera en vigueur dans toutes les Antilles et en Guyane jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage par la France), mais il fut rarement respecté. Bien que ce code ne traitât pas des questions de langue, il dépouillait l’esclave de toute son identité. En effet, après le baptême catholique obligatoire, l'Africain devenait un Nègre et changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis était marqué au fer rouge et affecté au travail servile.

Dans l’incapacité ou l’impossibilité d’apprendre la langue du maître, les esclaves s’approprièrent néanmoins les mots de celui-ci en recourant à la grammaire (africaine) qu’ils connaissaient. Du contact entre les maîtres dominants et les ethnies africaines dominées vont naître de nouvelles langues: les créoles. C’est donc à l’époque de l’esclavage que se formèrent les différents créoles. Le terme de créole possède deux étymologies, l'une portugaise



4 Une colonie pénitentiaire




En 1794, la Convention de Paris vota un décret qui abolissait l'esclavage. À partir de cette année-là et jusqu'en 1805, la Guyane servit de lieu de déportation (bagne de Sinnamary) pour les opposants politiques aux différents régimes révolutionnaires qui se succédèrent en France. Cependant, en 1802, le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte provoqua la fuite d'une partie de la population noire de la Guyane, privant ainsi de main-d'œuvre l'économie locale.


 En représailles à l'invasion française du Portugal menée par Napoléon, des troupes portugaises en provenance du Brésil voisin annexèrent la Guyane en janvier 1809. Le Portugal maintint sa souveraineté sur la Guyane jusqu'en 1814, date de son retour à la France, au lendemain de la première abdication de Napoléon. La colonie connut alors une période de stabilité et de développement économique grâce à l'esclavage dans les plantations agricoles. 



Mais l’abolition définitive de l’esclavage à la suite du décret du 27 avril 1848 (appliqué le 10 juin 1848 en Guyane) mit fin à cette relative prospérité. La Guyane, rappelons-le, comptait à ce moment-là quelque 12 500 esclaves. C’est Victor Schoelcher (1804-1893), député républicain français de la Martinique et de la Guadeloupe, qui prépara le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848, lequel a été confirmé par la Constitution du 4 novembre 1848. 

Schoelcher revendiqua aussi l’application du droit commun et la départementalisation pour les quatre colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et la Réunion), mais il échoua sur cette question. Bien sûr, au terme de cette période, la colonie s’était peuplée beaucoup plus de nouveaux arrivants noirs que d’immigrés blancs, et la langue véhiculaire entre les Noirs était devenue le créole guyanais.

Afin de renouveler la main-d’oeuvre, le prince Louis Napoléon (futur Napoléon III) décida, en 1852, «de faire passer un certain nombre de condamnés» en Guyane. Ce fut le début de l’établissement d’une colonie pénitentiaire avec les bagnes de Saint-Laurent-du-Maroni, de Saint-Jean-du-Maroni et des îles du Salût au nord de Kourou (dont l’île Royale, l’île Saint-Joseph et la célèbre île du Diable). Il avait été décidé, dans le but de peupler enfin la Guyane, que les bagnards, tant les hommes que les femmes, devaient rester sur le territoire une durée égale au nombre d'années d'emprisonnement effectuées. Dans l’intention des dirigeants, la colonie pénitentiaire permettait non seulement de soulager les coûteuses prisons françaises, mais également de contribuer au développement économique de la région puisque, à la fin de leur peine, les bagnards devaient rester en Guyane. 

Mais la politique visant à accroître la population s’est encore avérée un échec lamentable bien que, entre 1852 et 1939, la Guyane devait accueillir plus de 70 000 condamnés aux travaux forcés (dont 2000 femmes) qui, appelés «transportés», «déportés» ou «relégués», ont été expédiés de Saint-Martin-de-Ré (près de La Rochelle) vers la lointaine colonie pénitentiaire. 

En juin 1855, un navire français, le trois-mâts Sigisbert-Cézard, fut en difficulté au large des côtes de la Guyane, avec 800 personnes à bord. Il fut dans l'obligation de débarquer des travailleurs tamouls destinés à la Guadeloupe. À Cayenne, ils furent répartis dans différentes plantations. 

À partir de ce moment, des contrats furent conclus afin d'introduire en Guyane un millier de 1000 coolies tamouls par année. Malgré tous les soins prodigués en partance pour la Guyane, tous les encouragements d'ordre financier, l’immigration indienne connut un échec lamentable. En effet, entre 1855 et 1877, plus de 8400 Indiens tamouls des deux sexes furent introduits en Guyane. En 1885, le nombre total des rapatriés s’élevait à 1368 et il ne restait plus que 2931 coolies tamouls en Guyane. En vingt ans, la moitié (soit 4621) des Indiens immigrants étaient décédés. D'ailleurs, en raison de l’importance du taux de mortalité, le gouvernement de Madras (la «Présidence de Madras»: "Madras Presidency") avait, en octobre 1876, interdit l’émigration indienne vers la Guyane. Cette décision des autorités britanniques fut bien accueillie par Victor Schoelcher qui déclara à ce sujet : « Est-on vraiment bien venu à reprocher à l’Angleterre ses ruineuses tracasseries et à se plaindre qu’elle ait fini par interdire l’immigration de ses sujets Indiens vers une colonie qui s’inquiète si peu des diverses clauses de la convention qu’elle a souscrite pour les obtenir?» Puis les immigrants tamouls furent affectés dans les mines d’or, où ils furent décimés dans la plus totale indifférence des autorités coloniales françaises. Aujourd’hui, les rares descendants des survivants tamouls à la Guyane se sont fondus et assimilés dans l’ensemble de la population guyanaise. 

Dans les années 1855, la découverte de gisements aurifères provoqua une ruée vers l'or et l'abandon du travail de la terre par les colons. De plus, près de 90 % des bagnards sont morts des suites du paludisme ou de la fièvre jaune. Durant tout le XIXe siècle, le taux de mortalité avoisinait les 40 % et l’espérance de vie n’était souvent que de quelques mois. Ce n'est qu'en 1938 que furent abolies dans le droit pénal français toutes les peines de travaux forcés. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, la colonie pénitentiaire fut définitivement fermée, mais non sans avoir provoqué au préalable un scandale à travers le monde en raison des excès et des horreurs vécus dans les bagnes de la région. Les derniers forçats regagnèrent la France en 1953. 

Henri Charrière, dit «Papillon», est resté le plus célèbre bagnard de la Guyane française, en raison de ses multiples évasions, dont celle de 1933 et celle de 1941 qui lui a permis de recouvrer définitivement sa liberté. Charrière a rédigé le récit de ses aventures dans un livre à grand succès: Papillon (vendu à plusieurs millions d’exemplaires). Papillon n'a pas vécu le centième de ce qu'il a écrit, car il s'est prêté à lui-même les aventures d'autres nombreux bagnards. Néanmoins, il reste que son récit donne un aperçu condensé et assez réaliste de que pouvait être ce terrible bagne. S’il est vrai que le bagne, appelé la «guillotine sèche» ou la «mangeuse d'hommes», a marqué à jamais la vie des Guyanais de l'époque et celle de leurs descendants, il faut reconnaître que les aspects sordides de la colonie pénitentiaire (et son vocabulaire: transportation, relégation, réclusion, déportation, doublage, quartier disciplinaire, tribunal maritime spécial, etc.) se sont estompés peu à peu dans les esprits. En effet, les anciens bagnes, surtout ceux des îles du Salût, sont devenus aujourd'hui des destinations touristiques incontournables. 




5 Le dynamisme économique et démographique


La Guyane ne connut un certain dynamisme économique qu’à partir de 1885, lors de la ruée vers l’or. Ce sont les chantiers d’orpaillage qui attirèrent des immigrants originaires des Antilles, notamment de Sainte-Lucie. À la fin du XIXe siècle, arrivèrent aussi des Chinois (de Formose, de Singapour et de la Chine) et des Libanais. En Martinique, suite à l’éruption de la Montagne Pelée (le 8 mai 1902), qui avait détruit la ville de Saint-Pierre et causé la mort de 28 000 habitants en quelques minutes, une vague d’émigration survint et la Guyane française devint la principale destination des «réfugiés». C'est pour cette raison que l'on trouve une si forte colonie martiniquaise en Guyane (particulièrement aux environs de Saint-Laurent-du-Maroni et à Rémire-Montjoly près de Cayenne). 

Plus récemment (dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix), des milliers d’Haïtiens et des réfugiés asiatiques (Hmongs) se sont implantés en Guyane, près de Cayenne. Bref, l’arrivée clandestine (au moins 30 000 «sans-papiers») des populations d’Haïti et des pays voisins, surtout le Brésil, le Surinam, le Guyana et la République Dominicaine, constitue le mouvement migratoire le plus important en Guyane française. 

6 Un département français d’outre-mer

En 1946, près de 100 ans après la recommandation de Victor Schoelcher, la Guyane devient un département français d'outre-mer (DOM) à l’instar de la Martinique et de la Guadeloupe, mais aussi de l’île de la Réunion dans l’océan Indien. Le Centre spatial guyanais (CSG), créé en 1964, a contribué à dynamiser l'économie de ce département en devenant un centre mondial de la technologie spatiale (le lancement des fusées Ariane). Le secteur spatial représenterait maintenant 50 % de l'activité économique totale de la Guyane. Même s’il fournit 27 % des emplois, 41 % des impôts locaux d'entreprise et absorbe 59 % des importations, les effets d'entraînement semblent relativement faibles au sein de la population, car cette activité, d’ailleurs très particulière et très technique, demeure une chasse gardée des métropolitains et autres Européens.

Cela dit , la Guyane française revendique maintenant un nouveau statut constitutionnel qui devra être approuvée par un référendum local. Après le «processus de Matignon» commencé par le premier ministre français pour ramener le calme sur la Corse, voici celui «d’Oudinot» destiné à contrecarrer les volontés indépendantistes à Cayenne. Bref, après la Corse, la Guyane française? Aux mêmes maux les mêmes remèdes, le gouvernement français devrait accorder à la région davantage d’autonomie pour freiner les ardeurs séparatistes. L’aboutissement de ce processus d’évolution institutionnelle, qui nécessiterait probablement une révision de la Constitution française, semble pour le moment en état de dormance. 

Le 10 janvier 2010, eut lieu une consultation sur le statut de la Guyane. Il s'agissait de savoir si les Guyanais désiraient que leur DOM devienne une «collectivité d'outre-mer» dotée d'une autonomie élargie, comme le prévoit l'article 74 de la Constitution. La question était celle-ci: «Approuvez-vous la transformation de la Guyane en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, dotée d'une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République?» En cas de victoire du OUI, la nouvelle collectivité aurait pu disposer de moyens supplémentaires conférés par cette autonomie, afin de réglementer en faveur de ses intérêts propres, en dehors des pouvoirs régaliens de l'État. Mais les électeurs ont répondu NON dans une proportion de 69,8 %, rejetant ainsi la transformation du DOM en collectivité d'outre-mer. Dans le cas d'une victoire du NON au référendum du 10 janvier 2010, un second référendum devait avoir lieu le 24 janvier 2010 sur l'article 73 (régime actuel) proposant en sus la fusion du département et de la région en une collectivité unique d'outre-mer. Cette fois, la question était la suivante: «Approuvez-vous la création en Guyane (ou en Martinique) d'une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l'article 73 de la Constitution?» Le gouvernement français avait précisé le sens du référendum du 24 janvier: 

Cette organisation administrative (la collectivité unique donc) ne se traduira pas par aucun changement en ce qui concerne les compétences dont dispose la collectivité ou dans les conditions d’application des lois et règlements. Elle permettra uniquement de mettre fin à l’existence, sur un même territoire, de deux collectivités distinctes qui font de la Martinique et de la Guyane des régions monodépartementales. 

Soulignons aussi les propos du chef de l'État à l’agence de presse GHM : «Ils deviendront (Martinique et Guyane) des départements-régions à collectivité unique dans le cadre du 73, comme aujourd’hui ». Plus précisément, les Guyanais devaient se prononcer sur la création d'une collectivité unique à la place du conseil régional et du conseil général. Les Guyanais ont répondu OUI dans une proportion de 57,4 %. Il convient de souligner le très faible taux de participation: 27,4 % en Guyane et 35,8 % en Martinique. L'enjeu consistait, d'une part, à démontrer aux Français blancs qu'ils avaient intérêt à rester un «département français», eux qui ont toujours été choyés par la France et qui ne sont certainement pas disposés à laisser leurs terres et leur profits aux mains de l'économie guyanaise. Il s'agissait, d'autre part, de faire suffisamment peur aux autres Guyanais qu'ils pouvaient perdre leurs acquis sociaux et que l'aventure était incertaine. Comme la question posée aux électeurs de la Guyane était celle du degré d’autonomie et de responsabilités, la question l’indépendance ne s'appliquait pas, ni aucune question d'ordre linguistique.

Quoi qu'il en soit, les indépendantistes ont une audience plutôt faible, car les véritables préoccupation actuelles concernent surtout l'immigration irrégulière phénoménale, estimée aujourd'hui à 50 000 à 70 000 personnes pour une population régulière estimée à près de 190 000 habitants. Cette immigration entraîne une insécurité grandissante, mal traitée par une justice encore plus sous-équipée qu'en France. Par exemple, le tribunal de Cayenne traite autant d'affaires que celui de Toulouse avec quatre fois moins de personnel. L'autre problème majeur est celui de la santé. Il y a en Guyane française une trentaine de médecins généralistes par 100 000 habitants, quand la moyenne nationale française est de 140 pour 100 000. Alors, la réforme constitutionnelle n'est pas encore pour demain! 




(3) Composition ethnolinguistique

1 Une population très diversifiée

Lors du recensement de 1990, sa population était de 115 000 habitants. En 1997, elle était estimée à 170 000 personnes et devait atteindre plus de 180 000 en l’an 2000. En 2005, cette population dépassait les 200 000. La composition ethnolinguistique de la Guyane française est très diversifiée et reflète bien les événements historiques qui se sont déroulés depuis le XVIe siècle. On y compte plus de 25 groupes ethniques différents parlant chacun sa langue. Outre les Amérindiens, on distingue la population d’origine africaine (descendants des anciens esclaves), les Européens (métropolitains ou anciens colons), les immigrants asiatiques (du début du XXe siècle et des années soixante-dix) et quelques autres ethnies d’immigration plus récente (Brésiliens, Libanais, Surinamiens, Guyanais, etc.). Pour ce qui est du nombre exact de chacune de ces populations, on dispose de données approximatives, et personne ne semble capable de chiffrer avec précision la population guyanaise en raison de l’arrivée massive des immigrants depuis une dizaine d’années, notamment les illégaux ou «sans-papiers». Chaque année, les autorités de la Guyane expulsent environ 15 000 personnes «irrégulières», soit presque un dixième de la population. Proportionnellement, c'est comme si la France expulsait annuellement de son territoire plus de cinq millions de personnes, le Canada, trois millions, et les États-Unis... 26 millions. 

Voici ce que le groupe Joshua Project donnait comme population pour la Guyane française en 2005: 
Groupe Population Pourcentage Langue maternelle Affiliation linguistique
Guyanais mulâtres 71 000 37,9 % créole guyanais (français) créole

Haïtiens 15 000 8,0 % créole haïtien (français) créole

Français 14 000 7,4 % français langue romane

Guyanais blancs 13 000 6,9 % français langue romane

Antillais guadeloupéens 12 000 6,4 % créole guadeloupéen créole

Surinamiens créoles 12 000 6,4 % créole sranan-tongo créole

Caribéens de l'Inde 7 500 4,0 % hindoustani caribéen langue indo-iranienne

Chinois hakka 7 400 3,9 % chinois hakka langue sino-tibétaine

Bushinengués 7 400 3,9 % créole aukan créole

Brésiliens blancs 5 700 3,0 % portugais langue romane

Brésiliens Branco 3 600 1,9 % portugais langue romane

Saramacca 3 200 1,7 % créole saramacca créole

Hmongs 2 900 1,5 % hmong langue hmong-mien

Guyanais noirs 2 600 1,3 % créole guyanais (anglais) créole

Caribes (Amérindiens) 2 100 1,1 % caraïbe langue caraïbe

Arabes libanais 1 900 1,0 % arabe leventin du Nord langue chamito-sémitique

Caribéens javanais 1 900 1,0 % javanais caribéen langue malayo-polynésienne occidentale

Saint-Luciens 1 100 0,5 % créole saint-lucien (français) créole

Arabes syriens 800 0,4 % arabe leventin du Nord langue chamito-sémitique

Palikours (Amérindiens) 600 0,3 % palikour langue arawak

Wayampi (Amérindiens) 600 0,3 % wayampi langue tupi-guarani

Péruviens 500 0,2 % espagnol langue romane

Surinamiens hindiphones 500 0,2 % créole sranan-tongo créole

Arawaks (Amérindiens) 200 0,2 % arawak langue arawak

Emerillons (Amérindiens) 200 0,2 % émerillon langue tupi-guarani

Wayana (Amérindiens) 200 0,2 % wayana langue caraïbe

Juifs français 100 0,0 % français langue romane

Total 187 000 100 % 


Ces résultats sont approximatifs et plus ou moins fiables, mais ils donnent une idée de la complexité d'une population relativement faible numériquement. Aucun groupe ethnolinguistique n'étant majoritaire, il faut effectuer des regroupements. Tous les locuteurs créolophones forment un ensemble de 117 812 personnes, soit 63 % de la population totale. Les créolophones sont suivis des francophones (27 100), soit 14,4 %. Puis il faut ajouter le portugais (6,9 %), l'hindoustani (4 %), le chinois hakka (3,9 %) et plusieurs autres petites langues, dont les langues amérindiennes (caribe, palikour, wayampi, arawak, emerillon, wayana, etc.). 



2 La population d’origine africaine 


La population d’origine africaine ou afro-européenne (composée de Noirs et surtout de Mulâtres issus d’un métissage entre Africains et Français) est de loin la plus importante, car elle forme plus de 60 % de la population. Toutefois, cette population est elle-même très disparate. 

2.1 Les Guyanais créolophones 

Le sous-groupe le plus important est constitué des Guyanais créolophones mulâtres et parlant le créole guyanais. Autrefois majoritaires au pays, ils ne forment plus maintenant que 38 % de la population, soit environ 71 000 personnes. Ils parlent le créole guyanais (à base de français) et la plupart habitent généralement sur le littoral (villes de Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni et Mana) où (voir la carte 1) ils contrôlent encore l’essentiel du pouvoir politique local; seulement une minorité vit dans la forêt équatoriale (villages de Maripasoula, Saül et Regina). Les Guyanais noirs sont beaucoup moins nombreux (env. 2600); ils provenaient à l'origine de la Guyana et parlent un créole à base d'anglais.

À ces Guyanais d’origine s’ajoutent des immigrants créoles de «nationalité française»: surtout des Martiniquais, des Guadeloupéens et un certain nombre de Réunionnais (en provenance de l’océan Indien). Tous ces immigrants parlent respectivement, comme langue maternelle, le créole martiniquais, le créole guadeloupéen ou le créole réunionnais; la plupart connaissent le français en tant que langue seconde. Ces créolophones de nationalité française forment un groupe d’environ 12 000 personnes. Soulignons que le créole guyanais est linguistiquement proche des créoles des Antilles françaises et que l’intercompréhension ne pose pas beaucoup de problèmes. Un Martiniquais, un Haïtien, un Saint-Lucien, etc., comprendra assez facilement le créole guyanais. 

Parmi la population créolophone de nationalité «non française», il faut mentionner la plus importante de toutes les communautés immigrantes: les Haïtiens. En principe, ils sont 15 000 (8 %), mais ils seraient en réalité le double, soit au moins 30 000 (peut-être même 60 000, croient certains) et habitent dans des bidonvilles — dignes des pays les moins avancés — dans la région de Cayenne à la recherche de travail; ils parlent tous le créole haïtien. Il faut ajouter un certain nombre d’autres créolophones originaires de Sainte-Lucie, du Surinam, du Brésil, de Guyana, etc., et parlant, selon le cas, le créole saint-lucien (à base française), le créole surinamien (à base d'anglais) ou le sranan tongo, le créole guyanais (à base d'anglais), le créole aukan (à base d'anglais), le créole saramaccan (à base de portugais), le créole brésilien (à base de portugais) ou encore un mélange de portugais et de créole, etc. Beaucoup de ces nouveaux immigrants ignorent le français (même comme langue seconde).

2.2 Les Noirs marrons

La Guyane compte aussi quelques communautés de Noirs marrons (env. 10 000 personnes): il s’agit principalement des Boni, des Djuka et des Saramaca, auxquels s’ajoutent les Bosh, les Paramaka et les Aluku. Les Noirs marrons sont les descendants d’anciens esclaves surinamiens en rébellion, qui avaient décidé de retourner vivre, comme leurs ancêtres, dans la forêt. C’est en raison de leur mode de vie en forêt qu’on les appelle les «bush negroes» ou «nègres des bois», d’où le terme de Bushi-Nengé (ou Bushinengués) pour les identifier. Les Bushinengués vivent surtout sur les rives du fleuve Maroni (ou l’un de ses affluents) qui délimite la frontière entre le Surinam et la Guyane française (voir la carte 1). Ils constituent, après les Amérindiens et les colons blancs, les premiers habitants originaires du pays. 

En Guyane française, les Noirs marrons sont aujourd’hui considérés (avec les Amérindiens) comme les «hommes du fleuve», car ils servent de piroguiers professionnels pour les voyageurs. Les Boni ou Aluku (env. 5000 personnes) vivent sur la rive droite du Maroni, surtout à Apatou, Papaïchton et Maripasoula. Les Ndjuka (entre 6000 et 10 000 personnes) résident également sur les rives du Maroni, particulièrement à Saint-Laurent-du-Maroni, Apatou et Grand-Santi mais aussi à Kourou et dans la banlieue de Cayenne. Quant aux Saramacca, ils seraient peut-être 8000 (certains disent plutôt 500 seulement). Ils résident à Saint-Laurent-du-Maroni et à Kourou, mais d’autres habitent au sud, sur les rives de la rivière Tampoc (un affluent du Maroni) ou à l’est, sur les rives du fleuve Oyapock, lequel délimite la frontière de la Guyane française et du Brésil. 

Tous les Noirs marrons parlent un créole à base d’anglais et du néerlandais du Surinam, que ce soit l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca. Le terme de taki-taki, appelé aussi «bushi-nengé tongo» ou langue des «hommes des bois», est souvent utilisé pour désigner les langues bushinenguées. Le terme de taki-taki est cependant à éviter, car il sert à désigner indistinctement — et de façon dépréciative — non seulement l’aluku, le boni, le njuka ou le saramacca, mais aussi le créole surinamien et le sranan-tongo du Surinam. Les langues dites bushinenguées n’ont pas fait pour l'instant l'objet d'études linguistiques approfondies. Les Noirs marrons ne parlent pas toujours le français, mais les piroguiers professionnels le connaissent suffisamment pour communiquer avec les Blancs.

Les Guyanais qui parlent le créole martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien ou réunionnais, sinon le taki-taki, sont tous considérés comme des «étrangers» par les créolophones guyanais. Chacune des communautés parle «son créole» dans ses communications «internes». Lorsque deux ou plusieurs interlocuteurs utilisant un créole différent se parlent entre eux, ils ont recours généralement au créole guyanais, voire au taki-taki, parfois au français qui est pourtant la langue de l’école, de l’Administration, du commerce, etc. Les divers créoles de la Guyane demeurent les langues les plus utilisées dans les communications orales et à la radio locale, ce qui témoigne d'une certaine «guyanisation» de la langue véhiculaire parlée. Néanmoins, le français est aussi utilisé lorsque tous les locuteurs le connaissent, sinon c'est le créole guyanais qui sera utilisé ou le taki-taki. De plus, comme beaucoup de Guyanais sont polyglottes, il arrive que des interlocuteurs utilisent plusieurs langues au cours d'une même conversation et passent même d'une langue à l'autre. 

3 Les Européens

Les Européens comptent pour 14 % de la population guyanaise. On distingue deux sortes d’Européens: il s’agit, d’une part, des «métropolitains» (appelés aussi Métros : 7,4 %), qui ne parlent généralement que le français, d’autre part, des «permanents» (Guyanais blancs: 6,9 %), c’est-à-dire les descendants des anciens colons, qui parlent souvent le français (ou le «français des îles») et le créole guyanais (ou, du moins, ils le comprennent bien). 

Les Métros travaillent habituellement au Centre spatial guyanais de Kourou ou dans les centres de recherche scientifiques pour le temps d’une mutation ou la durée d’un contrat relativement court (trois ans ou moins). Quant aux Blancs guyanais «permanents», ils occupent généralement des postes de hauts fonctionnaires, font carrière dans l’armée ou dans la police, ou bien possèdent des commerces importants. Dans les villes de Cayenne et de Kourou, les «quartiers blancs» sont privilégiés dans la mesure où on y trouve de plus de confortables résidences, des pelouses bien entretenues, des voitures européennes, des commerces de standing, des courts de tennis et parfois de petits yachts. En Guyane, les Blancs ne parlent généralement que le français, ce qui peut donner l'impression aux Guyanais polyglottes que les Blancs sont peu doués pour les langues. 

4 Les Amérindiens

La Guyane compte plusieurs communautés amérindiennes (environ 5 % de la population, soit entre 6000 et 9000 personnes) dont les membres sont considérés comme les descendants des plus anciens habitants (probablement quelques milliers d’années) du pays. 

Les Palikour (entre 600 et 1000 locuteurs) habitent dans le sud de la Guyane à Macouria ainsi que dans l’embouchure du fleuve Oyapok, près du Brésil; les Arawak (150-200 loc.) et les Kalihna ou Galibi (entre 2000 et 4000 loc.) vivent près des zones côtières dans l’ouest (Awala-Yalimapo, Paddock-et-Fatima, Saint-Laurent-du-Maroni) alors que les Wayana (200-900 loc.) sont localisés dans le sud (Antécume-Pata, Elaé, Twenké); pour leur part, les Émerillon (200-400 loc.) et les Wayampi (400-600 loc.) habitent le Sud guyanais, c’est-à-dire sous la «ligne» ouest-est entre Maripasoula et Camopi: (voir la carte 1). Chacun de ces peuples parle sa langue ancestrale (palikour, arawak, kalihna ou galibi, wayana, etc.) avec les membres de sa communauté. On compte trois familles linguistiques amérindiennes en Guyane française: la famille arawak (les Arawak et les Palikour), la famille caribe (les Kalihna et les Wayana) et la famille tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi). 

Avant la colonisation européenne, les langues amérindiennes de la Guyane se portaient bien. Aujourd'hui, à cause de l'émigration de beaucoup d'Amérindiens à l'extérieur de leur territoire ancestral, ces langues sont davantage exposées à l'extinction (en raison du nombre de plus en plus réduit de leurs locuteurs). Toutefois, la culture amérindienne est demeurée très vivante. La plupart des Amérindiens, particulièrement ceux habitant la forêt équatoriale dense du Sud, ont su conserver leurs traditions et leurs langues parce qu'ils ont été peu touchés par la civilisation blanche, les difficultés de pénétration du territoire étant considérables. 

Parmi toutes ces langues, le kalihna (ou galibi) de la famille caraïbe semble avoir plus de chance de survivre, car le nombre de ses locuteurs atteindrait les 10 000 avec les pays voisins: Surinam (2500), Guyana (475), Brésil (100), Venezuela (5000). Les Amérindiens savent généralement un peu de français. 

Depuis quelques années, les peuples amérindiens de la Guyane cherchent à obtenir des droits territoriaux de la part du gouvernement français ainsi qu’à faire reconnaître leur identité comme «peuples distincts». Pour le moment, la France ne reconnaît pas de droits territoriaux aux Amérindiens et les territoires visés ont été classés comme des domaines privés appartenant à l’État (ou propriétés dites domiennes [DOM]). Pour les autorités françaises, il n’existe donc pas, juridiquement parlant, de «peuples distincts» en Guyane, mais plutôt des «populations primitives» (1952) ou des «populations tribales» (1970), sinon des «Amérindiens de la Guyane française» (1984) et des «Communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt» (1987), tout cela pour éviter de dire «peuples autochtones», selon l’expression utilisée dans le droit international. Néanmoins, le décret foncier du 14 avril 1987 émis par le gouvernement métropolitain accorde une certaine protection aux Amérindiens en permettant au préfet de Cayenne de prévoir «la concession de zones de parcours aux communautés d’habitants tirant traditionnellement leur subsistance de la forêt». 

Toutefois, ce timide engagement de la Métropole en faveur des Amérindiens irrite quelque peu les Guyanais d’origine qui craignent les revendications spécifiques de la part de chacune des nombreuses autres minorités du territoire. Dans leur ensemble, les Guyanes (française, hollandaise et anglaise) sont assez retardataires en ce qui concerne les droits des Amérindiens vivant sur leur sol: en effet, ces derniers sont démunis de tout pouvoir, et ce, même s’ils occupent l'essentiel du territoire. À défaut de structures officielles (même consultatives) exprimant les intérêts autochtones, il existe des associations amérindiennes vouées à la revendication de leurs droits, notamment l’Union des peuples amérindiens de la Guyane (UPAG), l’Association des Amérindiens de Guyane française (AAGF) et la Fédération des organisations amérindiennes de Guyane (FOAG). 

5 Les Asiatiques et les autres

Pour leur part, les communautés asiatiques (environ 8 % de la population) sont arrivées à partir de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce sont des Chinois (env. 7000 personnes) originaires de Taiwan, de Singapour, de Hong-Kong, du Vietnam et de la Chine continentale; cette société très fermée sur elle-même parle surtout le chinois hakka (en moins important: le cantonais, le min et le yan) et règne sur les petits commerces de détail; le chinois mandarin, en tant que langue de prestige, est enseigné par l’Association culturelle chinoise. À ces immigrants asiatiques s’ajoute une petite communauté de quelque 1000-2000 Libanais (ou Syro-Libanais) arrivés en même temps que les Chinois; les Libanais semblent aujourd’hui compenser leur relative faiblesse numérique par leur poids économique important. Après 1977, se sont présentés des Hmongs (env. 3000) réfugiés du Laos et vivant repliés sur eux-mêmes, essentiellement à Cacao (sur le littoral); ces ex-Laotiens sont devenus dans leur nouveau pays de grands fournisseurs de légumes frais. 

Chacune des communautés «asiatiques» utilise sa langue maternelle pour communiquer avec ses membres, mais la langue véhiculaire de la plupart de ces communautés reste le chinois hakka et le créole guyanais (intercommunautaire), parfois le français.

Plusieurs immigrants proviennent des pays voisins. En effet, la Guyane compte une communauté importante de Brésiliens (env. 10 000 personnes) parlant principalement le portugais (ou un mélange de créole et de portugais) et une petite communauté de Surinamiens (12 000) parlant soit le créole surinamien, soit le javanais, soit une langue bushinenguée. 

6 Des tensions entre autochtones et immigrants

En raison du caractère composite d’une si petite population — presque unique au monde — et des inévitables inégalités sociales, la Guyane française connaît certaines tensions, particulièrement entre les créolophones guyanais, qui se sentent menacés, et les créolophones immigrants de plus en plus nombreux, mais aussi entre les premiers et les Blancs, les Asiatiques, voire les Amérindiens. 
Seuls les créolophones guyanais et les Amérindiens se considèrent comme «autochtones» dans ce pays. Or, l’ensemble des «étrangers» représente une partie considérable de la population guyanaise: plus de 45 % (et probablement davantage avec la présence des clandestins). En 1995, la préfecture de Cayenne estimait la population totale de la Guyane à 150 000 personnes (et 170 000 en 1997), dont 70 000 «étrangers», parmi lesquels il y aurait 30 000 «sans-papiers» ou immigrants clandestins. Or, ceux qui sont perçus comme «étrangers» par les Guyanais peuvent aussi bien être de «nationalité française», tels que les Métropolitains, les Martiniquais et les Guadeloupéens, que des immigrés provenant d’autres pays tels que Haïti, la Guyana, le Surinam, le Brésil et les pays asiatiques.

Dans l’état actuel des choses, les villes de Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou et quelques autres sont pourvues de quartiers à très forte densité immigrée. Quant aux «sans-papiers», ils travaillent ouvertement «au noir» dans les secteurs de la construction, de l’abattage des arbres et de l’exploitation de l’or (ou orpaillage, en particulier de gisements d'origine alluviale), sans compter les milliers d’entre eux qui, grâce à la sous-traitance, ont contribué à l'édification de la base spatiale de Kourou. Les créoles immigrés et les clandestins vivent le plus souvent dans des quartiers sans équipements sanitaires et constituant d’infects bidonvilles. En Guyane française, les différents groupes ethniques forment tous des minorités vivant dans des mondes parallèles, mais si la plupart des communautés créolophones communiquent aisément entre elles, d'autres groupes ne s'interpénètrent que difficilement (Amérindiens, Asiatiques, etc.). Ajoutons aussi qu'en Guyane, il existe trois villes importantes: Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et Kourou. Or, chacune d'elles possède son histoire linguistique et ethnique. Par comparaison, on peut dire que Cayenne est une ville plutôt sud-américaine; Kourou, une ville plutôt européenne; Saint-Laurent, une ville plutôt... guyanaise. 

On pourrait résumer ironiquement la situation en disant que les Blancs sont d’abord les représentants de l’ordre (préfet, hauts fonctionnaires, gendarmes, médecins, anthropologues, etc.), puis les grands patrons des entreprises, les experts techniciens et les scientifiques; pour leur part, les créolophones d’origine guyanaise (peu tentés par les emplois industriels) contrôlent les postes administratifs et les services locaux; les Amérindiens restent toujours de formidables chasseurs et piroguiers; mais ce sont les Chinois qui règnent sur les commerces de détails, les Laotiens qui font pousser les légumes, les Surinamiens et les Brésiliens qui triment dur sur les chantiers, les Haïtiens qui débroussaillent les jardins et ramassent les ordures, etc., sans parler des femmes haïtiennes et brésiliennes qui font le ménage (au noir). On pourrait ajouter que les Américains exploitent la crevette, les Vénézuéliens, le vivaneau, alors que les Canadiens (GUYANOR, CAMBIOR, ASARCO) exploitent les grosses compagnies minières. Avec un chômage réel qui touche 40 % de la population, on peut comprendre pourquoi les immigrants sont devenus des «indésirables», et ce, d’autant plus qu’ils sont à l'origine d'environ 60 % des naissances. Les Guyanais croient aussi que les immigrants surinamiens brésiliens apportent de la violence avec eux.

Se sentant menacés, les Guyanais d’origine accusent la métropole de pratiquer une politique trop souple à l’égard des immigrants, notamment en matière de main-d’oeuvre où le travail au noir est une pratique courante et ouvertement tolérée, d’ignorer les spécificités guyanaises (en matière scolaire) et de ne pas assez investir dans l’économie de la région. Pour le moment du moins, l’État semble pratiquer la politique de l’autruche. Pour sauver les apparences, policiers et gendarmes défoncent presque quotidiennement les portes de domicile des illégaux pour procéder à des contrôles d'identité, alors que le travail au noir constitue une pratique imposée aux immigrés depuis fort longtemps, sans que les autorités compétentes envisagent même un effort de règlement. En effet, les administrations et les patrons gèrent d'un accord tacite ce système très rentable dans une économie fragile. 

Pendant ce temps, l'immigration, légale ou clandestine, se poursuit, et les tensions entre créoles guyanais et immigrés augmentent, ce qui ne présage rien de bon. L’État a beau renforcer la présence des forces de sécurité et multiplier les opérations de reconduite aux frontières, les prisons sont pleines à 300 % et il semble impossible, étant donné le nombre, de sanctionner tous les «sans-papiers». L'intégration culturelle, économique et sociale constitue un problème fondamental en Guyane puisque cette intégration entre les différents groupes sociaux cloisonnés reste encore à faire. C’est pourquoi il convient davantage de parler de société pluriculturelle et pluriethnique que d’une «société guyanaise». Alors que les identités créoles, amérindiennes, bushinenguées, etc., s’affirment de façon assez tranchée, la guyanité semble une notion encore incertaine et floue dans ce pays.
(4) Politique linguistique 

1 Un département français

La Guyane est un département français depuis la loi du 19 mars 1946 et est doté d’un Conseil régional et d’un Conseil général. Par rapport à la France, seules certaines adaptations ont été prévues par la «loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion. Ces adaptations concernent les activités éducatives et culturelles complémentaires relatives à la connaissance des langues et des cultures régionales. Cela étant dit, la Guyane fait partie juridiquement de la France et la politique linguistique qui y est appliquée tient compte de cette réalité juridique incontournable.

En vertu de l’article 2 de la Constitution, le français demeure la langue officielle de ce département: «La langue de la République est le français.» Malgré le grand nombre de langues en usage, seul le français bénéficie d’une reconnaissance juridique. Pour le reste, c’est la politique du laisser-faire. 

Le département est représenté au PARLEMENT français de Paris par deux députés et un sénateur, et par un conseiller au Conseil économique et social. Toute cette élite dirigeante n’utilise que le français. En matière de JUSTICE, les procédures se déroulent toujours en français, mais des traducteurs sont disponibles pour les personnes étrangères «mises en examen», c’est-à-dire celles qui ne parlent pas le français: créoles, taki-taki, arawak, etc. 

2 Les langues de l’Administration

D’autre part, la Guyane compte, grâce à des scientifiques de haut niveau et parlant français, plusieurs centres de recherche importants tels que l’institut Pasteur, l’École nationale du génie rural des eaux et des forêts (ENGREF), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), etc. Qu’il s’agisse du gouvernement ou des centres de recherche, tous les documents officiels ne sont publiés qu’en français. En plus du français, l’anglais est également utilisé dans les communications orales. 

3 Le français dans l’éducation

Dans le domaine de l’éducation, le programme des études est le même qu'en France et la scolarité en Guyane suit un calendrier identique. L'enseignement à la MATERNELLE et au PRIMAIRE se fait uniquement en français et regroupe 25 484 élèves répartis dans 111 écoles. Autrement dit, le gouvernement national ne met pas en application l’article 12 de la loi no 75.620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation (dite loi Haby):

Un enseignement des langues et des cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité.
Le gouvernement n’applique pas davantage l’article 21 de la loi no 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion: 

Le Conseil régional détermine, après avis du comité de la culture, de l'éducation et de l'environnement, les activités éducatives et culturelles complémentaires relatives à la connaissance des langues et des cultures régionales, qui peuvent être organisées dans les établissements scolaires relevant de la compétence de la région.

Il faut ajouter également une loi plus récente adoptée par l’Assemblée nationale française: la Loi d'orientation pour l'outre-mer (ou loi 2000-1207 du 13 décembre 2000) entrée en vigueur le 14 décembre 2000. Ce sont les articles 33 et 34 de cette loi qui concernent tous les DOM-TOM. À l’article 33, on apprend que «l’État et les collectivités locales encouragent le respect, la protection et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales fondées sur leurs modes de vie traditionnels et qui contribuent à la conservation du milieu naturel et l'usage durable de la diversité biologique» et qu’à l’article 34 que «les langues régionales en usage dans les départements d'outre-mer font partie du patrimoine linguistique de la Nation» et qu’elles «bénéficient du renforcement des politiques en faveur des langues régionales afin d'en faciliter l'usage». D’après la Loi d’orientation d’outre-mer, la loi no 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux leur est applicable.

Cependant, puisque la France vient de signer (sans l'avoir ratifié) la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la politique linguistique pratiquée en Guyane française devra être profondément révisée. Dans le domaine de l’éducation et de l’administration, la France devra certainement laisser une place à l’utilisation et à l’enseignement du créole guyanais. D'ailleurs, l'ancien président Chirac, lors d'une réception offerte au palais de l'Élysée en l'honneur des participants à la rencontre internationale des Amérindiens au mois de juin 1996, déclarait: 

La pratique et l'usage des langues locales ne sont en rien un frein au développement ou à l'intégration dans la communauté nationale ou internationale. L'usage nécessaire d'une des grandes langues de communication mondiale ne doit pas faire mourir la connaissance et l'emploi d'une langue de patrimoine. Il faut encourager l'étude de ces langues.

Mais ces voeux pieux ne se sont pas encore transposés dans la réalité. Les dispositifs pédagogiques concernent le programme appelé «Médiateurs culturels et bilingues» et l’enseignement du créole et de la culture créole. Ce programme touchait plus de 300 classes en 2005 (sur un total de 50 000 élèves), le tout dans le cadre de l’enseignement des langues et cultures régionales pour trois heures d’enseignement hebdomadaires. Il n'est pas surprenant que, dans ces conditions, la France aie pris du retard dans le respect de la diversité culturelle et linguistique et soit exclu de tous les organismes internationaux de protection des peuples autochtones. Tôt ou tard, la majorité créolophone risque d’imposer de nouvelles mesures. Pour le moment, seul le créole guyanais bénéficie du statut de «langue régionale» et il peut être enseigné comme langue vivante étrangère. Dans les faits, la quasi-totalité des élèves (98 %) préfère l'anglais, voire l'espagnol, plutôt que le créole. 

En réalité, l’école guyanaise éprouve des difficultés à s’adapter au contexte sociolinguistique multilingue de la Guyane, une situation relativement complexe. Le défi que l'école doit affronter est de tenir compte du plurilinguisme en tant qu’objectif et méthode d’enseignement. Cependant, de nombreux changements doivent se faire non seulement aux niveaux politique et institutionnel, mais également au niveau des pratiques pédagogiques. 

- L'enseignement secondaire et post-secondaire

L'enseignement secondaire, qui se fait aussi exclusivement en français, s’adresse à 14 816 élèves répartis dans 18 collèges, trois lycées professionnels et trois lycées d'enseignement général et technologique. L’enseignement d’une langue seconde devient obligatoire au secondaire (anglais ou espagnol). Une formation professionnelle est assurée en français dans les domaines du bâtiment, de l'agriculture, de la mécanique, de l'électricité et de l'électronique. Enfin, l'Université des Antilles-Guyane dispense (en français) un enseignement supérieur en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Depuis le 1er janvier 2002, l'Institut de formation des maîtres est détaché des Antilles et est devenu autonome. Si l’on fait exception des Blancs, seuls les membres de la communauté parlant le créole guyanais accède généralement aux études universitaires.

- Les difficultés pédagogiques

Cependant, l’Administration locale se rend compte des difficultés pédagogiques qu’entraîne l’enseignement exclusif de la langue française et l’importation du moule métropolitain. N’oublions pas que la moitié des élèves ne sont pas d’origine francophone, ce qui cause forcément des problèmes d’apprentissage dans la mesure où les méthodes pédagogiques ne sont guère appropriées à des élèves dont le français constitue une langue seconde. De plus, les enfants sont scolarisés en français par des instituteurs ignorant souvent tout des langues maternelles des élèves. Notons enfin que la population guyanaise est formée de nombreuses communautés dont certaines sont de tradition strictement orale: beaucoup d’enfants se trouvent ainsi en situation d'infériorité par rapport à la langue de l'écrit, le français. Or, tous ces problèmes ajoutés à ceux des enfants des 30 000 immigrants «sans-papiers» ont favorisé un fort taux d’illettrisme (incapacité de lire un texte simple), sinon d’analphabétisme, ce qui est (presque) une honte pour un département français. Précisons à ce propos que des instituts de formation (ASFO) ainsi qu’une auto-école dispensent des cours en créole. 


- Les manuels de classes


La question des manuels de classes cause aussi des problèmes d’intégration socioculturelle. En tant que département français d'outre-mer, la Guyane vit une situation de dépendance quasi exclusive de la France, non seulement pour ce qui concerne son système éducatif, mais aussi pour son approvisionnement en livres et autres documents pédagogiques. Un enseignant (Alexis Holtz) affirme à ce sujet:

On a des bouquins qui viennent de la Métropole, inadaptés à la situation locale. Certains textes de lecture sont totalement abstraits pour les enfants. La neige à Noël, ici, ça ne veut rien dire. Personnellement, je n'ai jamais travaillé avec ces livres.

C'est que les enfants non blancs évoluent dans un milieu naturel et humain tout à fait différent de celui qui est représenté dans les manuels de classe européens et la plupart d’entre eux se perçoivent facilement comme étrangers dans leur propre pays. Des expériences ont été tentées pour la promotion du créole écrit (concours de dictée) et la diffusion plus large de textes en créole dans la presse locale; elles ont au moins sensibilisé une partie du public et familiarisé celui-ci avec la graphie du GEREC (Groupe d'études et de recherches en espace créolophone). Depuis peu, l'Institut de formation des maîtres (IUFM-Guyane) a mis en places de modules de langues régionales (en créole, en bushinengué et dans quelques langues amérindiennes). 

Par ailleurs, les écoles peuvent maintenant adapter la pédagogie en matière d'histoire et de géographie. En 2000, le ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie a envoyé une note de service aux directeurs et enseignants des écoles et lycées concernant l'«Adaptation des programmes d'histoire et de géographie pour les enseignements donnés dans les DOM» (voir le texte de la note de service no 2000-024 du 16-2-2000). Dans la pratique, on substitue à l'une des quatre premières parties du programme l'étude d'un moment historique spécifique : compagnies des Indes, traite, économie de plantation dans l'espace caribéen ou à la Réunion au XVIIIe siècle. Cette étude permet également de mettre en perspective les abolitions de l'esclavage (1794 et 1848). Dans les lycées, on remplace généralement la question au choix par une 3e question obligatoire : par exemple, l'évolution de la société à la Guyane (ou la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion) du milieu du XIXe siècle à nos jours. 

- L'enseignement aux Amérindiens

L’enseignement aux Amérindiens se heurte à des problèmes particuliers. Comme aux autres groupes ethniques, les instituteurs ne peuvent faire autrement que d’enseigner en français aux enfants amérindiens. Cependant, l’école n’est pas obligatoire pour les enfants amérindiens. «La scolarité est offerte, mais non obligatoire», de préciser la préfecture. Même quand les enfants fréquentent l’école, ils abandonnent régulièrement la classe, le temps d'une chasse, d'une pêche ou de travaux agricoles. Les autorités ferment les yeux et les laissent fréquenter «l'école de la brousse». Selon un fonctionnaire, il semble difficile de faire autrement: «Les forcer à une scolarité classique reviendrait à les déconnecter de leur milieu, à en faire de futurs clochards. Ce serait tout simplement fou.» Au moins, on tente par ce moyen de leur faire apprendre un peu de français. Soulignons que, depuis peu, une expérience est tentée dans une ou deux petites écoles maternelles où les cours sont donnés dans la langue kalihna qui, rappelons-le, est la plus importante langue amérindienne de la région. Des contes pour enfants ont même été rédigés et publiés en kalihna, en wayana, en aluku et en emerillon. Le succès est demeuré très limité en raison du nombre très peu élevé des lecteurs et de la très faible diffusion des ouvrages, dont plusieurs ont été simplement photocopiés.

De façon générale, l'éducation scolaire en Guyane ne donne pas les résultats escomptés. Près du tiers des élèves de 6e année, enregistrent un retard d'au moins deux ans, alors qu'il est de 4 % en Métropole. Plus du tiers des élèves sortent du circuit scolaire sans avoir obtenu de diplôme. Bref, pour la plupart des Guyanais, le français reste une «langue scolaire», en raison du faible niveau de l'éducation, de l'inadaptation des méthodes et de la croissance rapide des effectifs. Le personnel enseignant ne peut pas suivre. Afin de faire face à la pénurie des enseignants et combler le fossé culturel entre les professeurs et les élèves, un collectif d'enseignants locaux a demandé le «prérecrutement de jeunes bacheliers en Guyane» pour leur permettre d'obtenir une formation en alternance jusqu'à la licence. Il faut aussi développer aussi l'enseignement du français comme langue seconde.

4 Les médias

Du côté des médias, les deux principaux titres de la presse écrite guyanaise sont le quotidien France Guyane, et le quadri-hebdomadaire La Presse de Guyane, tous deux en français. S'y ajoutent quelques périodiques locaux et les journaux édités en métropole. On ne trouve que deux petits périodiques indépendantistes écrits en créole: Rôt Kozé et Batwel.

Le service public de radio-télévision est assuré par RFO (Télé-Guyane et Radio-Guyane). La Société nationale de radio et de télévision pour l'outre-mer retransmet des programmes de France-Télévision et diffuse un programme régional en français. Les programmes radio de RFO sont constitués d'émissions produites localement et d'émissions reprises de Radio-France. Des stations locales privées diffusent en français et en créole guyanais, mais 90 % de la musique diffusée est du zouk; or, 95 % de ces zouks sont en créole guyanais et antillais. Quant aux radios privées, elles témoignent d'une extraordinaire vitalité, car toutes les stations locales diffusent leurs émissions en créole. Certaines stations de radio ne diffusent qu'en créole guyanais, entre autres Radio JAM et surtout Radio MIG, qui est l'organe médiatique des indépendantistes guyanais du MDES (Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale) et de l'UTG (Union des travailleurs guyanais). Il existe aussi des stations diffusant en créole haïtien, en créole saint-lucien, en créole martiniquais et en créole surinamien. À partir du réseau RFO, Télé-Guyane diffuse des émissions en créole: 

Nouvel kreol : il s'agit d'un journal de 13 heures en créole, une langue comprise par la quasi-totalité des Guyanais. 

An nou kosé : un débat de société, intégralement en créole, est proposé au public tous les deuxièmes mardis du mois.

Les antennes de Radio-Guyane sont généralement en français, mais elle demeurent aussi le reflet du tableau très diversifié des langues créoles et amérindiennes de la région. Des rubriques patrimoniales, historiques ou pratiques sont régulièrement proposées par des animateurs eux-mêmes locuteurs ou issus de ces communautés. Les animateurs passent du français au créole dans leurs émissions, surtout quand ils souhaitent apporter une touche d’authenticité locale sur une argumentation quelconque. En fait, il s’agit de retranscrire, à la radio, la conversation courante du citoyen guyanais.

Il est à noter que, au mois de mars 1999, un accord a été obtenu entre les représentants de l'État, de la Région et du Département, entre le Parti social guyanais et les indépendantistes plus ou moins virulents (par ordre décroissant: le MDES, le Walwari, le Batwel, etc.) sur un texte de projet d'aménagement de la Guyane et de la refonte des statuts de la Guyane, qui irait plus vers une autonomie (culturelle, sociale, économique), sinon vers une certaine forme d’indépendance. 

5 Les activités commerciales

Du côté des activités commerciales, tout se fait exclusivement en français, du moins en ce qui a trait aux enseignes commerciales, aux affiches publicitaires, aux messages divers adressés aux consommateurs. Les seules exceptions concernent les enseignes des commerçants chinois où l’on retrouve des idéogrammes pour faire plus «exotique». 

Dans les communications orales, le créole guyanais reste cependant très présent. Dans les magasins, le créole est utilisé fréquemment entre deux personnes de même origine qui se connaissent, sinon c'est le français. Dans les banques et dans l’Administration, le français est de mise, mais le créole peut être utilisé à partir du moment où il est la langue commune entre deux interlocuteurs. Et de manière générale, les créolophones utilisent le créole quand ils insultent un «métro» ou, par exemple, un Hmong, lorsqu’ils font une remarque désobligeante ou quand ils veulent simplement se moquer de quelqu'un. Évidemment, il y a aussi des «métros» qui profitent de la non-connaissance du français de certains créolophones pour leur rendre la pareille. 

Rappelons que, en tant que département français, la Guyane française fait partie de la France. Or, étant donné que le français est la langue officielle (art. 2 de la Constitution de la République), toutes les communications formelles doivent se faire exclusivement en français. Il est d’autant plus facile d’utiliser le français en Guyane que c’est la seule langue écrite de la majorité des habitants qui, pour la plupart, parlent le créole et, comme langue seconde, le français. Évidemment, même si le gouvernement national favorise l’emploi du français, il ne peut endiguer l’usage généralisé du créole au sein de la population. Quant à la langue chinoise hakka et aux petites langues amérindiennes, elles sont toutes en voie d’extinction, et les jeunes les apprennent de moins en moins. 

Il semble bien que les langues locales, autant amérindiennes que créoles, ne constituent pas une préoccupation majeure pour les responsables nationaux qui pratiquent à leur égard une politique linguistique de non-intervention, sinon d’indifférence. Il faut reconnaître que, sur le plan juridique, l’Administration locale doit adopter la politique nationale française. Parallèlement, cette même Administration tient malgré tout à conserver les spécificités régionales, dont celle de la langue créole guyanaise, parce qu’elles font partie intégrante de la Guyane. Toutefois, un énorme travail reste à faire afin de trouver un juste équilibre entre la culture française et les cultures locales. Selon plusieurs observateurs guyanais, voilà vingt ans que le gouvernement français laisserait pourrir la situation. Quant à l’Administration locale, son plus grand défi consiste à établir une politique d’intégration sociale des quelque 20 ethnies restées cloisonnées et imperméables les unes aux autres, afin de développer une sentiment d’appartenance nationale, la «guyanité» étant encore une notion floue. 


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