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Géographie générale - Chili

Chili
República de Chile
Capitale: Santiago
Population: 16,3 millions (2006)
Langue officielle: espagnol
Groupe majoritaire: espagnol (93,2 %)
Groupes minoritaires: moins d’une dizaine de langues amérindiennes et une langue polynésienne (le rapanui de l'île de Pâques)
Système politique: république unitaire formée de 13 régions
Articles constitutionnels (langue): aucune disposition linguistique dans la Constitution de 1980 (modifiée par la loi 20.050 de 2005)
Lois linguistiques: la loi no 18.962 du 10 mars 1990 du ministère de l'Éducation; la loi no 19.253 d’octobre 1993 établissant des normes pour la protection, la promotion et le développement des Indigènes et créant la Corporation nationale de développement indigène.

1 Situation générale

La république du Chili (en espagnol: República de Chile) est un État situé au sud-ouest de l'Amérique du Sud. Il est bordé au nord par le Pérou, à l'est par la Bolivie et l'Argentine, et au sud et à l'ouest par l'océan Pacifique. Plusieurs archipels — Chonos, île Wellington et le secteur occidental de la Terre de Feu — longent le littoral méridional chilien depuis l'île Chiloé jusqu'au cap Horn.
Le Chili possède aussi les îles Juan Fernández, l'île de Pâques et l'île Sala et Gómez, toutes situées dans le Pacifique-Sud, mais l'île de Pâques est la plus éloignée des côtes chiliennes, soit à 3700 km, alors qu'elle fait partie géographiquement de la Polynésie. Le Chili s’étire démesurément du nord au sud entre sa frontière avec le Pérou et la Terre de Feu; d’une longueur de 4300 km entre Arica et le Cap Horn, le Chili n’est large que de 175 km en moyenne (avec des variantes de 350 km et de 15 km dans l’extrême sud). Enfin, il faut y rajouter une portion de 1,2 million de kilomètres carrés de territoire en Antarctique.
Bref, le Chili est séparé du reste de l'Amérique du Sud (surtout l'Argentine) par la cordillère des Andes. Pays essentiellement longiligne, le Chili présente donc une topographie étrange, soit une longue bande de terre coincée entre deux barrières naturelles: à l'est, la cordillère des Andes et, à l'ouest, l'océan Pacifique. Sa superficie totale, soit celle du Chili continental et celle du Chili insulaire, est de 756 765 km², ce qui en fait un pays plus grand que l'Espagne (504 748 km²) ou la France (543 965 km²).

Administrativement, le Chili est découpé en 13 régions — Tarapacá, Antofagasta, Atacama, Coquimbo, Valparaíso, Libertador General Bernardo O’Higgins, Maule, Bío-Bío, La Araucanía, Los Lagos, Aysén del General Carlos Ibáñez del Campo, Magallanes y de la Antártica Chilena, Región Metropolitana de Santiago —, elles-mêmes divisées en 51 provinces (et 342 communes). La capitale du pays est Santiago de Chile (4,3 millions d’habitants).

CHILI : RÉGIONS ET CAPITALES

Régions Capitales Provinces Communes
Région 1: Tarapacá Iquique 3 10
Région 2: Antofagasta Antofagasta 3 9
Région 3: Atacama Copiapó 3 9
Région 4: Coquimbo La Serena 3 15
Région 5: Valparaíso Valparaíso 7 38
Région 6: Libertador General Bernardo O’Higgins Rancagua 3 33
Région 7: Maule Talca 4 30
Région 8: Bío-Bío Concepción 4 52
Région 9: La Araucanía Temuco 2 31
Région 10: Los Lagos Puerto Montt 5 42
Région 11: Aysén del General Carlos Ibáñez del Campo Coyhaique 4 10
Région 12: Magallanes et Antártica Chilena Punta Arenas 4 11
Région 13: Región Metropolitana de Santiago Santiago 6 52
TOTAL: 13 régions 51 342

Pâques (ou Rapa Nui ; en espagnol: Isla de Pascua ; en anglais: Easter Island) est une petite île de forme triangulaire d'une superficie de 162,5 km², et fait 23 km de long sur 12 km de large. Bien que faisant partie géographiquement de la Polynésie, l'île est administrée par le Chili dont elle est éloignée par 3700 km d'océan.

L'île de Pâques constituait un département (''Departemento'') de la région de Valparaíso, l'une des 13 régions administratives du Chili; au 25 juillet 1974, le département a été transformé en «Provincia de Isla de Pascua». Un gouverneur d'origine insulaire représente le gouvernement chilien et un conseil municipal formé de six personnes s'occupent des affaires locales de l'île. Le chef-lieu est Hanga Roa au sud-ouest de l'île de Pâques.

2 Données démolinguistiques

Le Chili comptait 13,3 millions d’habitants en 2006. Au point de vue ethnique, la majorité des Chiliens sont des Métis (66 %); ils sont suivis des Européens (25 %), des Amérindiens (6 %) et d'autres (3 %) tels que des Asiatiques et des «Proche-Orientaux». Les neuf dixièmes de la population vivent dans la région centrale, entre les villes de Concepción et de La Serena, respectivement au sud et au nord de Santiago.

Au plan linguistique, le Chili paraît plus homogène, car 93,2 % des locuteurs parlent l’espagnol comme langue maternelle. Les autres parlent des langues immigrantes (italien, allemand, arabe, etc.) ou des langues autochtones. Mais il existe deux types d'autochtones: les indigènes du continent et les Polynésiens de l'île de Pâques.

Pour ce qui est des indigènes du continent, il faut distinguer les Aymaras, les Quechua, les Mapuches, les Araucans et les Alakufs, qui vivent généralement dans des «réserves» à l'extrémité méridionale, en Terre de Feu, où subsistent aussi les Yagans et quelques centaines d'Onas. Selon une enquête de 1996, les Mapuches représenteraient 81,3 % des autochtones. Ils seraient suivis des Aymaras (14,1 %) et des autres ethnies (4.36 %) : les Atacameños (1,5 %), les Coyas (0,8 %), les Quechuas (0,5 %), les Yaganes (0,15 %) et les Qawasqars (0,02 %).

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La seule langue autochtone importante est le mapuche (ou mapudungun) parlé par plus de 300 000 locuteurs (sur une population de 900 000) appartenant à la famille araucan; ils vivent au sud de la Région métropolitaine de Santiago, ainsi que dans l’île de Chiloé. Les autres langues sont toutes en voie d’extinction: l’aymara (env. 1000 locuteurs dans la région de Tarapacá, sur une population de 40 000 personnes), le quechua (quelques centaines de locuteurs dans la région de Antofagasta) et le huiliche (quelques milliers de locuteurs dans la région de Los Lagos) de la famille auraucan. Plusieurs autres langues sont disparues depuis une décennie.

Dans l'île de Pâques, vivent encore des Polynésiens parlant le rapanui, une langue de la famille austronésienne (groupe malayo-polynésien oriental (océanien).
Parmi les communautés d'origine étrangère, citons d'abord les Latino-Américains (143 000) des pays voisins, puis les Italiens (34 000), les Allemands (27 000), les Espagnols (9900), les Basques (6800), les Grecs (6300), les Britanniques (5400), les Français (3300), etc.

3 Données historiques

Les côtes du Chili actuel reçurent leurs premiers habitants vers 10 000 ans avant notre ère. Ces populations vivaient de cueillette, de chasse ou de pêche et maîtrisaient peu l’agriculture et l’élevage. C’est au nord du pays que se développa, au début du premier millénaire, la civilisation la plus élaborée, celle des Atacameños. On sait peu de choses au sujet de la langue de ce peuple, de ses croyances et de son mode de vie. On sait néanmoins que les Atacameños possédaient des troupeaux de lamas, dont ils mangeaient la viande et tissaient la laine, et qu’ils vivaient dans des maisons de pierres et vivaient regroupés en citadelles.
Avant que les Européens n'envahissent la région, des populations amérindiennes y habitaient, notamment les Mapuches et un certain nombre d’Aymaras. Au XVe siècle, les tribus du Nord furent soumises aux Incas du Pérou. En 1520, l'explorateur portugais Fernand de Magellan fut le premier Européen à visiter l'actuel Chili en débarquant sur l'île Chiloé; il explora le sud du Chili et nomma Patagonia («Patagonie») et Tierra del Humo («Terre de Fumée») les rives du détroit qui lui permit d'atteindre l'océan Pacifique. C’est en apercevant des feux de camp indiens que Magellan aurait appelé ce lieu «Terre de Fumée», mais la région fut rebaptisée par le roi d'Espagne Tierra de Fuego («Terre de Feu»). Quant à Patagonia, la légende rapporte que Magellan aurait vu des indigènes portant des masques à tête de chien; à l’instar d’un personnage de roman, appelé El Gran Patagon (le Grand Patagon), qui portait aussi un masque à tête de chien, il aurait formé le mot Patagonia. Enfin, le territoire du Chili aurait été appelé Tchili, du nom des indigènes qui la peuplaient et qui signifie dans leur langue «neige»; l’origine du mot Chile (en espagnol) proviendrait peut-être d’un mot mapuche, Chilemapu, qui signifie «le pays froid».

C'est à partir de 1535, soit à la fin de la conquête espagnole du Pérou par Francisco Pizarro, que l'un de ses capitaines, Diego de Almagro, commença la conquête des terres du Chili. Après trois années de vaines recherches pour trouver de l’or, l'expédition d’Amalgro, qui s'était heurtée aux redoutables Mapuches, retourna au Pérou. Les Espagnols leur donnèrent le nom de Araucanos (du quetchua auca, qui signifie «insoumis»), un terme qui englobe aussi les Pichunches et les Huilliches.

3.1 La colonisation espagnole

L'empereur Charles Quint envoya en 1540 Pedro de Valdivia conduire une nouvelle expédition à travers le sud du Chili. Valdivia se heurta à une solide résistance de la part des Mapuches, mais réussit néanmoins à fonder plusieurs colonies, dont Santiago de la Nouvelle-Estrémadure en 1541, Concepción en 1550 et Valdivia en 1552.

Puis les Mapuches se soulevèrent massivement en 1554 et massacrèrent un grand nombre d’Espagnols, dont Pedro de Valdivia lui-même; ils dévastèrent toutes les villes, excepté Concepción et La Serena. Les Mapuches demeurèrent la seule grande tribu indigène à résister aux assauts des Espagnol. Les combats continuèrent de façon intermittente pendant toute la période coloniale qui s'étendit de 1541 jusqu'en 1818. Ce sont d’ailleurs les maladies (typhus, variole, syphilis, etc.) contractées au contact des Européens, qui affaiblirent les Mapuches au point qu'ils ne furent plus considérés comme dangereux. Il n'en demeure pas moins que la résistance mapuche, qui dura plusieurs siècles, détermina jusqu’à un certain point le caractère militaire du Chili.

En 1557, l'Espagne prit officiellement possession du territoire chilien. Le Chili fut d'abord une dépendance de la vice-royauté du Pérou, avant d'avoir son propre gouvernement dirigé par un gouverneur et un tribunal royal. Le développement du pays fut lent, notamment en raison de l'absence de mines d'or ou d'argent susceptibles d'attirer les Espagnols. De plus, le Chili restait éloigné des grands centres péruviens de colonisation et était réputé difficile d'accès. C’est pourquoi le Chili a toujours moins intéressé l’Espagne que les autres territoires de l’empire. Cependant, en 1700, l'avènement des Bourbons au trône d'Espagne amena au Chili une importante immigration de Basques et de Catalans. En 1770, le vice-roi du Pérou prit possession de l’île de Pâques.

Lors de la colonisation espagnole, l'essentiel du pouvoir revenait à la petite élite blanche de propriétaires fonciers. Venaient ensuite les artisans et les petits propriétaires; la classe populaire rassemblait finalement les métis et les indigènes, qui travaillaient à moindre frais dans les mines et sur les exploitations agricoles. Au cours de cette époque, l’Église catholique, responsable de l’évangélisation, joua également un rôle fondamental dans l’éducation et la culture, surtout en implantant la langue castillane.

3.2 La conquête de l'indépendance (1818)

Les premiers mouvements nationalistes survinrent au XVIIIe siècle. L'invasion de l'Espagne par Napoléon en 1808 entraîna à Santiago la formation d'une junte de «patriotes». Deux mouvements principaux se développèrent: les «royalistes», d'une part, et les «patriotes», d'autre part. Leurs combats aboutirent à une première victoire (en 1810), date à laquelle, avec d'autres colonies espagnoles, le pays rompit tout lien politique avec l'Espagne. Le conseil municipal de Santiago destitua le gouverneur colonial du Chili et délégua ses pouvoirs à une Assemblée de sept personnes.

Bien qu'officiellement indépendant de l'Espagne dès ce moment, le Chili resta en guérilla contre les troupes espagnoles envoyées du Pérou, lesquelles entreprirent une reconquête entre 1814 et 1817. Toutefois, sitôt débarrassés de Napoléon en Europe, les Espagnols revinrent en force en profitant des rivalités entre Chiliens. Le vice-roi du Pérou réunit une troupe de 4000 hommes et entreprit la reconquête du Chili. Les «Patriotes», avec Bernardo O’Higgins (fils naturel d'un Irlandais) à leur tête, subirent une cuisante défaite en octobre 1814 à Rancagua, face aux forces royalistes. Réfugié à Buenos Aires, O'Higgins obtint l'appui du général argentin José de San Martin, qui venait de «libérer» l'Argentine. Celui-ci lança son armée des Andes à l'assaut du Chili. Le 12 février 1817, la défaite de l’armée royaliste à la bataille de Chacabuco mit un terme au contrôle des Espagnols sur le nord du Chili. Ce n'est qu'en 1826 que les dernières troupes espagnoles furent définitivement chassées au sud du pays.

Le Congrès chilien se réunit le 18 février 1817 et proclama le Libertador, José de San Martín, gouverneur du Chili; celui-ci déclina le poste et Bernardo O’Higgins fut désigné «Directeur suprême du Chili», avec des pouvoirs extraordinaires. Au moment de son investiture, il promulgua le décret suivant:

Le décret qui nous donna le nom de Chiliens

Près de soixante jours après la bataille de Maipú, nous qui sommes nés au Chili commençâmes à nous nommer Chiliens. Ce fut notre première lettre de citoyenneté et s'étendit à tous les indigènes ou indiens du pays.

Ainsi, le stipule un décret daté du 3 juin 1818 à Santiago et publié dans la Gazette ministérielle du Chili, le 20 de ce même mois.

Son texte est le suivant :

«Après la glorieuse proclamation de notre Indépendance, obtenue grâce au sang de ses défenseurs, il serait honteux de permettre l'usage de formules inventées par le système colonial.

L'une d'entre elles est de désigner par Espagnols ceux qui, par leur sang, ne sont pas liés à d'autres races, jusqu'à maintenant dites mauvaises [Indiens]. Étant donné que nous ne dépendons plus de l'Espagne, nous ne devons pas nous appeler Espagnols, mais Chiliens. Par conséquent, j'ordonne que dans tout texte juridique, qu'il s'agisse de preuves dans des procès criminels, de pureté du sang [lignage], de publications de bans de mariage, de certificats de baptême, de confirmation, d'union matrimoniale ou d'enterrement, en lieu et place des termes Espagnol originaire de tel endroit, en vigueur jusqu'à présent, on substitue ceux-ci : Chilien originaire de tel endroit; on remarquera en outre, au sujet de la formule qui distingue les classes, qu'il n'y a pas lieu de faire de différence par rapport aux Indiens, que l'on doit nommer Chiliens, conformément à ce qui a été dit plus haut.

Que ce droit soit transcrit à Monseigneur le Gouverneur de l'Évêché, afin qu'il le communique aux cures de ce diocèse, en les chargeant de le faire observer; qu'il soit aussi communiqué aux corporations et juges d'État concernés; étant bien entendu que toute infraction représentera une adhésion déficiente au système de l'Amérique et constituera un motif suffisant pour ouvrir un procès infamant sur le comportement politique du contrevenant et lui appliqué les sanctions qu'il mérite.»

Promulgué par Bernardo O'Higgins Riquelme

La première préoccupation de O'Higgins fut la lutte contre les royalistes, ainsi que la préparation de l’expédition de libération du Pérou; il se soucia aussi d’organiser l’État et l’administration publique. L’une des réformes les plus significatives fut l’ouverture des relations commerciales «avec tous les pays du monde», par réaction au monopole exigé jusqu’alors par l’Espagne. L’esclavage fut aboli. On établit la liberté de la presse et le premier journal chilien, Aurora de Chile, vit le jour. Des députés furent désignés par les «conseils locaux» de différentes régions et de réunirent en congrès. Un Tribunal suprême de justice fut créé, qui permit d’en finir avec les procédures résolues en Espagne.

3.3 La réaction anti-espagnole

Bernardo O’Higgins O'Higgins dirigea le pays en dictateur jusqu'en 1823, puis il fut obligé de démissionner face à l'hostilité populaire. Le Chili connut ensuite une période de dictatures et d'agitations politiques où alternèrent libéraux et conservateurs. Plusieurs fois, les libéraux échouèrent dans des tentatives de renverser les conservateurs (1835, 1851 et 1859). Les diverses républiques se succédèrent les unes aux autres, avec des périodes de guerres civiles, d'alternance politique entre les conservateurs, les libéraux et les radicaux.

Mais, ce qui demeure frappant au cours de cette période, c’est que, de façon générale, les Chiliens développèrent de forts ressentiments contre l’Espagne, pour ne pas dire une «haine farouche». Les intellectuels parlaient souvent d’«obscurantisme colonial» et du «Royaume madrilène des Ténèbres» lorsqu’ils faisaient allusion à l’Espagne. Bref, les Chiliens se souvinrent de la période coloniale comme d’un moment sombre de leur histoire. Voici ce que déclarait, en 1885, José Victoriano Lastarria, un ministre chilien, lors de son Discours inaugural (Discurso Inaugural) au Parlement:

Quand l’Espagne commença à perdre les privilèges et les garanties de sa liberté, quand elle commença à ériger en crimes le culte des beaux-arts et des sciences qui ne se présentait plus enveloppé dans les attraits de la scolastique et que le Saint-Office se mit à menacer de mort les propagateurs de vérités qui n’étaient plus théologiques, alors, Messieurs, s’établit solidement au Chili le règne du Conquérant: celui des Philippe, si funeste à l’humanité comme à la civilisation par son despotisme brutal et absurde; celui de Charles II avec son fanatisme imbécile et sans nuances; celui des Ferdinand et des Charles ses successeurs, défenseurs obstinés de leur pouvoir discrétionnaire, d’une autorité, d’une autorité épouvantable et d’une monstrueuse Inquisition qui leur servait de soutien en même temps qu’elle les terrorisait. Tels furent les monarques dont le sceptre ignominieux s’imposa durant trois siècles au Chili, domination ignorante, oppressive et punissante.

Puisque la classe politique et intellectuelle chilienne prétendait récuser tout l'héritage ibérique, il fallait emprunter les modèles étrangers: ce fut avec la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne.

- L'influence britannique

Les dirigeants chiliens favorisèrent d’abord les rapprochements avec la Grande-Bretagne, qui devint un partenaire commercial incontournable. La quasi-totalité des navires qui transitaient au Chili battait pavillon britannique. Un voyageur européen qui arrivait au Chili pouvait aussi constater l’omniprésence britannique par les tramways hippomobiles, les romans anglais vendus partout, les crieurs de journaux qui offraient aussi bien le Chilean Times que l’Unión ou le El Mercurio, ou encore le Club de la Unión fondé en 1843 par une loi rédigée en anglais et que lisaient très majoritairement les sujets de Sa Très Gracieuse Majesté britannique. Autrement dit, le Chili pouvait paraître, jusqu’en 1885, une véritable colonie anglaise, même si les Allemands étaient très présents.

- L'influence allemande

De fait, l'immigration allemand fut particulièrement importante entre 1840 et 1860, surtout lors de l'expansion de l'empire colonial allemand. Beaucoup d'Allemands s'installèrent dans le sud du Chili, notamment dans les territoires mapuches. Un visiteur français, C. de Cordemoy, écrivait avec raison: «Les Allemands remplacent peu à peu les Anglais.» À partir de 1890, les échanges commerciaux avec l'Allemagne dépassaient de beaucoup ceux d'avec la France. K. Krebs et G. Pommerenke, deux commerçants allemands, en témoignent: «Nous vendons ici couteaux et charrues, jouets de Nuremberg et locomotives Borsig, bas et confections, soldats de plomb et canons Krupp.» C'est l'Allemagne prussienne qui habilla l'armée chilienne. Pendant de longues décennies, les Allemands assurèrent la formation militaire des Chiliens. Aujourd'hui encore, l’uniforme des gardes des palais et monuments nationaux rappellent étrangement la garde-robe de la Wehrmacht, dont le fameux casque de la Wehrmacht, modèle 1940. Le livre de Adolf Hitler, Mein Kampf, est encore étudié à l’École militaire chilienne (Escuala Militar) et se trouve en vente chez tous les bouquinistes de Santiago.

- L'influence française

Mais de nombreux intellectuels, sensibles au culte des Lumières et nourris des oeuvres des Rousseau, Michelet, Hugo, Lamartine, Lamennais, etc., propagèrent les idées françaises. Dès 1850, tout Chilien cultivé lisait le français. Les journaux chiliens diffusaient de larges extraits des écrivains français, dont Alexandre Dumas, Eugène Sue, George Sand, Jules Verne, Émile Zola, Guy de Maupassant, etc. Le système d'éducation reprit les règlements napoléoniens des écoles, l'institution du baccalauréat, les manuels scolaires et autres stéréotypes français. À la Bibliothèque nationale de Santiago, selon les décennies, entre 35 % et 45 % des volumes prêtés étaient des oeuvres françaises. Le poète romantique français Alphonse de Lamartine, dont l'oeuvre sembla bouleverser une partie de la société chilienne, inspira toute une génération de jeunes qui luttaient pour le libéralisme. Ils prenaient d'ailleurs souvent des pseudonymes tirés des oeuvres de Lamartine. Ainsi, Lastarria s'appelait Brissot; Francisco Bilbao, Vergniaud; Pedro Urgate, Danton; Manuel Bilbao, Saint-Just; Santiago Arcos, Marat, etc.
Ce rayonnement du français était appuyé par une base démographique. Selon les statistiques officielles de l'époque, 8413 Français (sur un total de 35 528 immigrants européens) seraient entrés entre octobre 1888 et fin 1890, ce qui donne une idée de l'importance de l'immigration à cette époque. À la fin du XIXe siècle, les recensements révélaient que les Français constituaient la «quatrième colonie étrangère» du Chili après l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne. Au point de vue économique, les Français installés au Chili investissaient surtout dans le commerce de luxe (parfumerie, coiffure, joaillerie, mode, etc.), les ameublements, les grands magasins — les Casas Francesas étaient des succursales du Printemps ou des Galeries Lafayette — et les établissements vinicoles. Les Français et les Franco-Chiliens disposaient de leurs propres écoles (privées), dont plusieurs sont encore vivantes aujourd'hui. Cette influence eut des conséquences sur le vocabulaire, tant chilien que franco-chilien, dont l'apparition d'une forme de français inspiré de l'espagnol, le fragnol. Mme Amanda Labarca, une universitaire qui a oeuvré pour la cause de l'émancipation des femmes dans les années soixante, écrivait dans El Mercurio de Santiago, le 3 avril 1968: «Nourris du lait de la Révolution française, nous avons reçu et copié du lexique français les noms de tous les phénomènes socio-économiques dont nous débattons.»

Évidemment, cet amour du fait français ou d’une certaine France était une autre façon pour bien des Chiliens de raviver leur aversion pour l’Espagne. Après 1910, l'influence française se fit moindre au profit des influences espagnoles, italiennes et allemandes.

Au moyen de leurs écoles bilingues, ces «colonies» britanniques, allemandes et françaises ont contribué à la constitution d'une «offre de programmes scolaires multilingues», ce qui eut à son tour une influence dans le choix des différentes langues européennes pour l'apprentissage des langues étrangères. Comme il faut s'y attendre, cette offre multilingue traditionnelle, qui entretenait plusieurs options dans les langues étrangères, est aujourd'hui menacée par la domination grandissante de l'anglais comme seule langue étrangère. Les langues les plus affectées par ce processus sont, comme sur les autres continents, le français en premier lieu, mais aussi l'allemand et l'italien.

3.4 L’agrandissement du territoire

Au temps de la colonie espagnole, les frontières avaient été délimitées de manière assez aléatoires dans des régions qui paraissaient alors sans intérêts. Durant cette période du XIXe siècle, la politique extérieure du Chili fut marquée par une série de conflits avec les pays voisins: d’abord avec le Pérou et la Bolivie en 1839 (bataille de Yungay), puis avec l'Argentine en 1843. Ce dernier conflit prit fin en 1881, avec un traité qui accorda la moitié de la Terre de Feu au Chili. À partir de 1840, le gouvernement chilien livra le territoire des Mapuches à la colonisation européenne (Allemands, Anglais, Italiens, Yougoslaves, Français, etc.), ce qui entraîna le déclin définitif des populations indigènes. En 1865, le Chili fut entraîné dans une nouvelle guerre contre l'Espagne (1865-1866). Par la suite, les Espagnols ne remirent plus jamais en cause la souveraineté chilienne.
En 1879, le Pérou (encouragé par les Britanniques qui avaient de forts intérêts économiques dans la région), allié à la Bolivie, déclara la guerre au Chili et l'entraîna dans la guerre du Pacifique (1879-1883). Vainqueur de ce conflit en 1883, le Chili agrandit considérablement son territoire en annexant la province bolivienne d'Antofagasta et la province péruvienne de Tarapacá. Le Pérou lui céda également Tacna et Arica, à la condition d'organiser un référendum dix ans plus tard. Bien que ne parvenant pas à se mettre d'accord sur les conditions du plébiscite, les deux pays signèrent néanmoins les clauses régissant le territoire en 1928: Tacna devint possession du Pérou et Arica revint au Chili.
En 1888, le Chili annexa l'île de Pâques (164 km²), le capitaine Dom Policarpo Toro ayant pris possession de l’île au nom de son pays. Après l'annexion chilienne, les terres des Pascuans furent louées à une compagnie écossaise basée au Chili pour favoriser l'élevage intensif des moutons. La population polynésienne fut parquée dans le village de Hanga Roa, entouré de barbelés; la liberté de circuler fut considérablement réduite. Ce n'est qu'en 1966 que les Pascuans devinrent des citoyens chiliens, avec droit de vote; l'île fut alors rattachée à la province de Valparaiso du Chili. Les premières liaisons commerciales Chili-Pâques-Tahiti commencèrent dès 1967.

3.5 Le XXe siècle et les aléas de la politique

Dès le début du XXe siècle, le pays bénéficia d’un grand développement industriel dû à l’exploitation des mines de cuivre en grande partie financées par des sociétés nord-américaines. Pendant ce temps, les problèmes sociaux s’accumulèrent et des partis ouvriers virent le jour. En 1925, l’armée rétablit un régime présidentiel à la place du régime parlementaire qui avait été instauré en 1891. La crise mondiale de 1929 toucha durement l’économie. En 1938, un gouvernement de Front populaire s’installa; il alterna avec celui des chrétiens sociaux. En dépit de la mise hors-la-loi du communisme, (1948-1958), le Chili sut se faire la réputation d’«un pays de tradition démocratique et progressiste». L’expérience de démocratie chrétienne tentée par E. Frei Montalva (1964-1970) fut observée avec intérêt par les pays d’Amérique latine.

Avec l'arrivée de l'élection présidentielle de 1970, l'opposition de gauche réussit à s'unifier et fonda l'Unité populaire. Le parti désigna Salvador Allende comme candidat. Allende devient alors le premier président élu à partir d'un programme socialiste au sin d'un pays non communiste. Le président Allende mit rapidement en application les promesses faites durant sa campagne.

Il transforma son pays en «État socialiste». Une partie importante de l'économie passa sous le contrôle de l'État, comme les mines, les banques étrangères et les entreprises monopolistiques, qui furent toutes nationalisées. Mais l'opposition de droit mena un dur combat contre le gouvernement socialiste de Salvador Allende, sans oublier la mainmise des États-Unis dans les rouages politiques. À Washington, Henry Kissinger, alors secrétaire d'État, déclara: «Je ne vois pas pourquoi nous nous croisons les bras sans agir en regardant un pays devenir communiste par l'irresponsabilité de son propre peuple.»

Le 11 septembre 1973, les militaires s'emparèrent du pouvoir, et le président Allende trouva la mort lors de l'assaut du palais présidentiel par l'armée. Aujourd'hui, on évoque officiellement le «suicide» d’Allende dans le tristement célèbre palais de la Moneda! Comme il est d'usage dans presque tous les coups d'État en Amérique du Sud, les États-Unis avaient trempé dans l'affaire.

3.6 Le régime Pinochet

Le général Pinochet devint, en juin 1974, le «chef suprême de la nation». Aussitôt, il suspendit la Constitution et le Parlement, imposa une censure totale et interdit tous les partis politiques. Il lança le pays dans un régime de répression et une campagne de terreur. Des milliers de personnes furent arrêtées; beaucoup de Chiliens furent torturés, exécutés ou contraints à l’exil, tandis que d'autres furent emprisonnées durant des années ou «disparurent» à tout jamais. La dictature militaire ne donna des signes symboliques de relâchement qu'à la fin des années soixante-dix, tout en demeurant un État policier.

À la suite d'un attentat auquel il échappa en septembre 1986, Pinochet renforça encore la répression («Plan Condor»). Un premier signe de retour à la démocratie apparut en février 1987 avec le retour des partis politiques. Le 5 octobre de la même année, Pinochet organisa un plébiscite visant à reconduire son mandat après mars 1989 jusqu'en 1997, mais le NON l'emporta majoritairement. Pinochet annonça qu'il prolongeait son mandat jusqu'en mars 1990.

Durant le régime autoritaire de Pinochet, les autochtones subirent, eux aussi, une forte répression, car de nouvelles lois de 1979-1980 — les décrets-lois nos 2568 et 2750 — réduisirent leur liberté d’action et leurs mauvaises conditions de vie, ce qui constitua une menace manifeste pour leur survie, ainsi que pour le maintien de leurs terres et de leurs cultures.

3.7 Un retour à la démocratie

En décembre 1989, des élections démocratiques amenèrent à la présidence de la République le démocrate-chrétien Patricio Aylwin. Son gouvernement de «concertation nationale» réussit à normaliser les rapports entre l’armée et la société chilienne, et travailla à la consolidation de la croissance économique. Lors de l'élection présidentielle de 1993, le candidat démocrate-chrétien de la Concertation nationale pour la démocratie, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, fut élu président. Mais le gouvernement chilien dut pourtant faire face à un développement de la pauvreté dans certaines catégories de la population, ainsi qu'à une augmentation de la violence et de l'insécurité dans les villes. Une nouvelle loi indigène, la loi no 19.253, fut promulguée en 1993: elle reconnaissait le droit historique des communautés indigènes du Chili à leurs terres ancestrales et créait la CONADI, la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena (la Corporation nationale de développement indigène) chargée de faire respecter les droits des peuples indigènes.

Après avoir intégré l'APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) à la fin de l'année 1994, le Chili envisagea de rejoindre l'ALENA, l’Accord de libre-échange nord-américain, qui regroupe aujourd'hui les États-Unis, le Mexique et le Canada. Le 25 juin 1996, le pays devint membre associé du Mercosur. Le 10 mars 1998, le général Pinochet quitta le commandement de l'armée de terre pour entrer dans un climat hostile au Sénat et y occuper un siège à vie («senador vitalicio»). En octobre 1998, le général Pinochet fut arrêté par la police britannique, à la suite d’un mandat d’Interpol présenté par le juge espagnol Baltasar Garzón. Ce dernier réclamA l’extradition vers l’Espagne de l’ancien chef de la junte militaire, afin de le juger pour des délits de «génocides», «tortures» et «disparitions» commis pendant la dictature. À l’issue d’une «saga» judiciaire de dix-sept mois, le ministre britannique de l’Intérieur rejeta la demande d’extradition du général Pinochet vers l’Espagne; ce dernier put ainsi retourner dans son pays, où la Cour d’appel de Santiago du Chili vota, le 23 mai 2000, la levée de son immunité parlementaire, ouvrant ainsi la voie à un procès de l'ex-dictateur pour des crimes et violations des droits de l'homme, commis sous son régime entre 1973 et 1990.
Il faut souligner que les Forces armées chiliennes sont restées étroitement impliquées dans les structures économiques du pays, depuis les participations financières dans les grandes unités productives jusqu’à la perception d’un impôt direct sur toutes les matières premières exportées. À l'heure actuelle, il paraît invraisemblable que l'ancien dictateur soit jugé dans son propre pays. Le vieux général Pinochet pouvait toujours compter sur l'appui de milliers de militants néo-nazis et «pro-pinochetistes» et même la complicité de l'État en la matière.
Le 16 janvier 2000, Ricardo Lagos, membre du Parti socialiste, candidat de la Concertation démocratique de centre-gauche, au pouvoir depuis dix ans, fut élu président du Chili avec 51,3 % des voix. Il s'est engagé à faire des droits de l'homme une priorité de son gouvernement et s'est prononcé en faveur d'un jugement d'Augusto Pinochet et en faveur d'un plébiscite pour l'adoption d'une nouvelle constitution nouvelle. Celle-ci devrait «achever» la construction de la démocratie au Chili qui semble avoir définitivement tourné la page de l'ère Pinochet.
En mars 2006, Verónica Michelle Bachelet Jeria, une socialiste chilienne, est devenue présidente de la République. Parlant couramment l'espagnol, le portugais, le français, l'anglais, l'allemand et un peu de russe, Mme Bachelet est ainsi la première femme de l'histoire à accéder au poste de chef de l'État dans son pays et la sixième en Amérique latine. Ancienne ministre de la Défense, elle fut torturée et exilée sous la dictature du général Augusto Pinochet. Son père, un général de l'armée chilienne, a été tué sous la dictature. Quant à Pinochet, il perdit son immunité et dut faire face à des poursuites judiciaires, dont trois procès pour des assassinats d'opposants à son régime. Il est décédé à 91 ans, le 10 décembre 2006, sans qu'aucune des procédures judiciaires intentées contre lui n'aient pu aboutir.

4 La politique de non-intervention

Il n’existe guère de loi linguistique au Chili. Même la Constitution de 1980 (modifiée par la loi 20.050 de 2005) ne contient aucune disposition linguistique, ce qui est très significatif. L’espagnol est de facto la langue officielle du Chili, car il n’y a pas de document juridique qui le proclame. Le pays ne connaît pas de problème de préséance linguistique avec ses langues minoritaires, toutes autochtones, puisque celles-ci ne sont parlées que par fort peu de locuteurs et qu’elles ne jouissent d’aucun prestige. Bref, le Chili ignore les problèmes de préséance linguistique entre des langues en conflit.

Toute la vie publique ne se déroule qu’en espagnol, que ce soit au Parlement, dans l’Administration publique, les cours de justice, les services de santé, l’économie, les médias, etc. C’est pour cette raison que le Chili n’a d’autre politique linguistique que la non-intervention à l’égard de la langue officielle.
L’un des très rares documents juridiques à mentionner la langue (espagnole?) est la loi no 18.962 du ministère de l'Éducation (10 mars 1990). Il s’agit d’une loi organique constitutionnelle sur l’enseignement (Ley Orgánica Constitucional de Enseñanza). L’article 13 mentionne les objectifs généraux que les élèves doivent atteindre:

Articulo 13

a) Adquirir y valorar el conocimiento de la filosofía, de las ciencias, de las letras, de las artes y de la tecnología, con la profundidad que corresponda a este nivel, desarrollando aptitudes para actuar constructivamente en el desarrollo del bienestar del hombre;

b) Adquirir las habilidades necesarias para usar adecuadamente el lenguaje oral y escrito y apreciar la comunicación en las expresiones del lenguaje;

c) Adquirir los conocimientos que le permitan apreciar las proyecciones de la ciencia y tecnología moderna;

[...] Article 13

a) Acquérir et valoriser les connaissances de la philosophie, des sciences, des lettres, des arts et de la technologie, avec la qualité qui correspond à ce niveau, en développant des aptitudes pour agir de façon constructive au développement du bien-être de l'humanité.

b) Acquérir les habilités nécessaires pour utiliser adéquatement la langue orale et écrite, et apprécier la communication dans les registres d’expression du langage.
c) Acquérir les connaissances qui permettent à l’élève d'apprécier les données de la science et de la technologie moderne.
[...]
Même le mot «espagnol» ou «castellano» n’apparaît pas dans la loi, ce qui témoigne du peu d’importance accordée à la «protection» de la langue officielle.

5 Une politique linguistique ou indigéniste?

Pour ce qui est des autochtones, le Chili a adopté une politique dûment décrite dans la loi no 19.253, promulguée le 27 septembre 1993, qui reconnaît le droit historique des communautés indigènes à leurs terres ancestrales et qui créait en même temps la CONADI, la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena (la Corporation nationale de développement indigène) chargée de faire respecter les droits des peuples indigènes. La loi, dans son libellé espagnol, est intitulée Ley num. 19.253 Establece Normas Sobre Protección, Fomento y Desarrollo De Los Indígenas, y Crea La Corporación Nacional De Desarrollo Indígena (Loi no 19.253 établissant des normes sur la protection, la promotion et le développement des Indigènes et créant la Corporation nationale de développement indigène). Il ne s’agit pas d’une loi linguistique, mais d’une loi indigéniste comptant quelque 80 articles. Les dispositions concernant la langue sont donc peu nombreuses.

5.1 Une loi indigéniste

L’article 1er de la loi 19.253 proclame que l'État reconnaît que les indigènes du Chili sont les descendants des groupes autochtones vivant sur le territoire national depuis la période précolombienne, qui conservent des caractéristiques ethniques et culturelles propres en fixant la terre comme le fondement principal de leur existence et de leur culture :

Artículo 1

El Estado reconoce como principales etnias indígenas de Chile a: a Mapuche, Aimara, Rapa Ni o Pascuenses, la de las comunidades Atacameñas, Quechuas y Collas del norte del país, las comunidades Kawashkar o Alacalufe y Yámana o Yagán de los canales australes.

Article 1er

L'État reconnaît comme les principales ethnies indigènes du Chili: les Mapuches, les Aymaras, les Rapanuis ou Pascouans, les communautés atacameñas, quechuas et collas du nord du pays, les communautés kawashkar ou alacalufe et les Yámanas ou Yagán des régions australes.

L'État reconnaît comme principales ethnies indigènes du Chili, en les nommant expressément, les Mapuches, les Aymaras, les Rapanuis (ou Pascuans), les Atacameñas, les Quechuas et les Collas du nord du pays, les Kawashkar ou Alacalufe et les Yámanas ou Yagán des régions australes. Dans le même article, l'État s’engage à respecter, protéger et promouvoir le développement des indigènes, de leurs cultures, familles et communautés, en adoptant des mesures adéquates et en protégeant les terres indigènes, en veillant à leur exploitation adéquate, à leur équilibre écologique et en veillant à leur expansion.

L’article 2 considère comme «indigènes» ceux qui sont nés de père ou de mère indigène, ceux qui descendent des ethnies indigènes habitant le territoire national, même s’ils ne possèdent pas un nom de famille indigène, ceux qui maintiennent les caractéristiques culturelles d'une certaine ethnie indigène, ce qui comprend la pratique d’un mode de vie, des coutumes ou une religion.
L’article 13 de la loi 19.253 précise que les terres des indigènes ne pourront être aliénées, ni saisies, ni enregistrées, ni acquises par prescription, sauf entre les communautés ou personnes indigènes d'une même ethnie. Cependant, il sera possible de les grever après autorisation de la Corporation nationale de développement indigène. En vertu de l’article 26, le ministère la Planification et de la Coopération, sur proposition de la Corporation nationale de développement indigène, pourra établir des zones territoriales de développement indigène — des réserves — dans lesquels les organismes de l'administration de l'État détermineront des politiques au bénéfice des indigènes et de leurs communautés. Pour fixer ces zones territoriales, il faudra tenir compte des à la fois des espaces reconnus comme ancestraux dans lesquels ont vécu les ethnies indigènes, de la haute densité de la population indigène, de l’existence de terres communes, de l’homogénéité écologique («homogeneidad ecológica») et de la dépendance des ressources naturelles pour l'équilibre de ces territoires (p. ex, les bassins, les rivières, les rives, la flore et la faune).

L’article 29 de la loi no 19.253 de 1993 précise que, dans le but de protéger le patrimoine historique des cultures indigènes et les biens culturels du pays, il sera exigé un rapport préalable de la Corporation nationale de développement indigène pour:

a) la vente, l'exportation ou toute autre manière d'aliénation à étranger du patrimoine archéologique, culturel ou historique des indigènes du Chili;
b) la sortie du territoire national de pièces, documents et objets de valeur historique dans le but d'être exhibés à l'étranger;
c) l'excavation de cimetières historiques indigènes pour des fins scientifiques, moyennant la procédure établie par la loi no 17.288 et son règlement, ainsi que le consentement de la Communauté insérée;
d) la substitution de toponymes indigènes.
À l’article 30, la loi no 19.253 de 1993 crée un département du nom de Archivo General de Asuntos Indígenas («Archives générales des affaires indigènes»), avec siège dans la ville de Temuco, qui réunira et conservera autant les documents officiels produits sur les matières indigènes, que les photos, instruments, données enregistrées, etc., qui constituent le patrimoine historique des indigènes du Chili. La Direction des bibliothèques, des archives et des musées (Dirección de Bibliotecas, Archivos y Museos) pourra organiser, sur proposition du directeur national de la Corporation nationale de développement indigène, des sections similaires dans d'autres régions du pays relativement à des groupes et à des cultures indigènes particulières.

Les articles 34 à 37 de la loi 19.253 portent sur la participation indigène («De la Participación Indígena») au sein des services de l'administration de l'État et des organisations à caractère territorial, lorsqu’ils traitent des matières qui concernent les questions indigènes. Voici le libellé de l’article 34:

Artículo 34

1) Los servicios De la administración del Estado y las organizaciones de carácter territorial, cuando traten materias que tengan injerencia o relación con cuestiones indígenas, deberán escuchar y considerar la opinión de las organizaciones indígenas que reconoce esta ley.

2) Sin perjuicio de lo anterior, en aquellas regiones y comunas de alta densidad de población indígena, estos a través de sus organizaciones y cuando así lo permita la legislación vigente, deberán estar representados en las instancias de participación que se reconozca a otros grupos intermedios.
1) Les services de l'administration de l'État et les organisations à caractère territorial, lorsqu’ils traiteront des matières qui concernent ou sont en relation avec des questions indigènes, devront écouter et considérer l'avis des organisations indigènes qui sont reconnus par cette loi.
2) Sans préjudice de ce qui précède, dans les régions et communes de haute densité à population indigène, les autochtones devront être représentés dans les instances de participation reconnues avec d'autres groupes intermédiaires par le biais de leurs organisations et lorsque le permet la législation en vigueur.
Le texte est ambigu dans la mesure où il pourrait laisser entendre que les autochtones ont le droit de demander des services dans leur langue, ce qui n’est pas le cas. L’Administration s’engage seulement à consulter les autochtones lorsque certaines décisions les concernent. Précisons que, même dans les assemblées autochtones (par exemple, chez la Mapuches), l’État a imposé l’usage du «castillan», la langue officielle, pour des raisons de relation interethnique et interculturelle.
L’article 39 de la loi 19.253 traite de la Corporation nationale de développement indigène (Corporación Nacional de Desarrollo Indígena). Cet important organisme est chargé de promouvoir, coordonner et exécuter, le cas échéant, l'action de l'État en faveur du développement «intégral» des personnes et des communautés indigènes, notamment dans les aspects économique, social et culturel, et de promouvoir leur participation à la vie nationale. En outre, la Corporation nationale de développement indigène dispose des obligations suivantes:

Article 39

a) Promouvoir la reconnaissance et le respect des ethnies indigènes, de leurs communautés et des personnes qui l'intègrent, et Sa participation la vie nationale;
b) Promouvoir les cultures et les langues indigènes, ainsi que le système d'éducation interculturelle bilingue, en coordination avec le ministère de l'Éducation;
c) Stimuler la participation et le développement intégral de la femme indigène, en coordination avec le Service national de la femme;
d) Assumer, quand on le sollicitera, la défense juridique des indigènes et de leurs communautés dans les conflits portant sur les terres et les eaux et, exercer des fonctions de conciliation et d’arbitrage, conformément avec ce qui est prévu dans cette loi;
e) Veiller à la protection des terres indigènes à travers les mécanismes déterminés par cette loi et permettre aux indigènes et à leurs communautés l'accès et l'extension des terres et des eaux grâce au «Fonds respectif» («Fondo respectivo»);
f) Promouvoir le développement des indigènes, veiller à leur équilibre écologique par l'élaboration économique et sociale de ses grâce au «Fonds de développement indigène («Fondo de Desarrollo Indígena») et, dans des cas spéciaux, solliciter la déclaration de zones de développement, conformément avec cette loi;
g) Maintenir un Registre des communautés et des associations indigènes («Registro de Comunidades y Asociaciones Indígenas») et un Registre public des terres indigènes («un Registro Público de Tierras Indígenas»), sans préjudice de la législation générale sur le Registre de la propriété originaire («Registro de la Propiedad Raíz»);
h) Agir comme arbitre face aux polémiques qui sont suscitées entre les membres de diverses associations indigènes, en ayant la possibilité d’émettre des avertissements, d’imposer des amendes, voire de prononcer leur dissolution (sans instance d’appel).
i) Veiller à la préservation et la diffusion du patrimoine archéologique, historique et culturel des ethnies et promouvoir des études ou des recherches;
j) Suggérer au président de la République des projets de réformes d’ordre juridique ou administratif nécessaires pour protéger les droits des indigènes;
k) Développer toutes les autres fonctions fixées par cette loi.
Dans l'accomplissement de ses objectifs, la Corporation nationale de développement indigène pourra convenir avec les gouvernements régionaux et les municipalités de l’élaboration de politiques et de programmes ou de projets destinés aux personnes et aux communautés indigènes.
Pour ce qui est de l’article 74 (paragraphe d) de la loi 19.253, il est stipulé, en des termes bien vagues, que la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena «devra tenter» (en esp.: «tendrá») de «conserver la langue et l’identité» indigène («conservar su lengua e identidad»).
La plupart des articles de la loi 19.253 sont consacrés à la politique indigéniste. Dans le cadre, de ce document portant sur les politiques linguistiques, il est exclus d’en faire une description complète.
5.2 La politique linguistique
La loi 19.253 de 1993 compte quelques articles traitant plus spécifiquement de la langue et de la culture. Par exemple, l’article 7 porte sur le droit à la culture indigène:

Articulo 7

1) El Estado reconoce el derecho de los indígenas a mantener y desarrollar sus actividades propias manifestaciones culturales, en todo lo que no se oponga a la moral, a las buenas costumbres y al orden público.
2) El estado tiene el deber de promover las culturas indígenas, las que forman parte patrimonio de la Nación chilena. Article 7
1) L'État reconnaît le droit des indigènes de maintenir et de développer leurs activités propres et leurs manifestations culturelles, dans la mesure où cela ne s'oppose ni à la morale ni aux bonnes coutumes et à l'ordre public.
2) L'État a devoir de promouvoir les cultures indigènes, celles qui font partie patrimoine de la nation chilienne.
Pour sa part, l’article 28 est consacré à la reconnaissance, au respect et à la protection des cultures indigènes. Au point de vue de la protection linguistique, cet article est sans contredit le plus important de la loi no 19.253 de 1993, car il compte six paragraphes distincts. Le paragraphe a) énonce que l’État s’engage à protéger l’usage et la conservation des langues indigènes, à côté de l'espagnol, dans les zones de haute densité indigène:
Articulo 28
a) El uso y conservación de los idiomas indígenas, junto al español en las Áreas de alta densidad indígena; Article 28
a) L'usage et la conservation des langues indigènes, à côté de l'espagnol, dans les zones de haute densité indigène;
Le paragraphe b) de l’article 28 prévoit l’établissement, dans le système éducatif national, d'une unité relative au programme qui permet aux élèves d'accéder à une connaissance adéquate des cultures et des langues indigènes et que celle-ci soit évaluée positivement. L’État devra aussi, dans les régions de haute présence indigène, assurer la promotion et la diffusion, dans les stations de radio et les canaux de télévision, des programmes en langue indigène et des programmes d’appui à la création de stations de radio:
c) El fomento ala difusión en las radioemisoras y canales de televisión de las regiones de alta presencia indígena de programas en idioma indígena y apoyo ala creación de radioemisoras y modos de comunicación indígenas; c) Dans les régions de haute présence indigène, la promotion et la diffusion dans les stations de radio et les canaux de télévision des programmes en langue indigène et des programmes d’appui à la création de stations de radio et de modes de communication indigènes;
Le paragraphe d) de l’article 28 prévoit la promotion et l'établissement de chaires d’histoire, de culture et de langues indigènes dans l'enseignement supérieur:
d) La promoción y el establecimiento de cátedras de historia, cultura e idiomas indígenas en la enseñanza superior; d) La promotion et l'établissement de chaires d’histoire, de culture et de langues indigènes dans l'enseignement supérieur;
L’article 32 de la loi 19.253 semble particulièrement important, car il traite de l’éducation bilingue. Intitulée «De la Educación Indígena», cette disposition prévoit, à l’intention des enfants indigènes, un «système d'éducation interculturelle bilingue»:
Articulo 32
1) La Corporación, en las Áreas de alta densidad indígena y en coordinación con los servicios u organismos del Estado que correspondan, desarrollará un sistema de educación intercultural bilingüe a fin de preparar a los educandos indígenas para desenvolverse en forma adecuada tanto en Su sociedad de origen como en a sociedad global.
2) Al efecto podrá financiar o convenir, con los Gobiernos Regionales, Municipalidades u organismos privados, programas permanentes o experimentales. Article 32
1) Dans les zones de haute densité indigène et en coordination avec les services ou les organismes de l'État correspondants, la Corporation développera un système d'éducation interculturelle bilingue afin de préparer les élèves indigènes à un développement de manière adéquate, tant dans leur société d'origine que dans la société globale.
2) À ce effet, il pourra être financé ou convenu, avec les gouvernements régionaux, les municipalités ou les organismes privés, des programmes permanents ou expérimentaux.
Le législateur n’a pas mentionné le niveau scolaire concerné par la loi (maternelle, primaire ou secondaire), mais on peut présumer qu’il s’agit du primaire, comme partout ailleurs en Amérique latine. Selon l’article 33, la loi sur les budgets du secteur public allouera des ressources spéciales pour le ministère de l'Éducation destinées à prévoir un programme de bourses pour les indigènes. Dans la sélection des candidats, la participation de la Corporation nationale de développement indigène devra être prise en compte. Évidemment, l'introduction de cet article dans la loi ne signifie pas nécessairement que celle-ci est appliquée, mais que, du moins virtuellement, elle pourra l'être un jour. La législation relative au bilinguisme vaut pour les habitants de l'île de Pâques; le rapanui est enseigné depuis quelques années dans les écoles pascuanes à côté de l'espagnol.
En vertu de l’article 28 de la loi 19.253, l’État donne l’obligation aux fonctionnaires affectés au registre d’état civil (paragraphe e) d'annoter les prénoms et les noms de famille des indigènes selon la façon exprimés par les parents et conformément aux normes de transcription phonétique en vigueur. Enfin, le paragraphe f) de l’article 28 est consacré à la promotion des expressions artistiques et culturelles et à la protection du patrimoine indigène d’ordre architectural, historique et archéologique.
Dans les tribunaux, l’article 54 de la législation indigène admet que la coutume invoquée en jugement entre des indigènes appartenant à une même ethnie pourra constituer un droit, pourvu que cette coutume ne soit pas inconciliable avec la Constitution de la République.
Párrafo 1
De la Costumbre Indígena y su Aplicación en Materia de Justicia
Artículo 54
1) La costumbre hecha valer en juicio entre indígenas pertenecientes a una misma etnia, constituirá derecho, siempre que no sea incompatible con la Constitución Política de la República. En lo penal se la considerará cuando ello pudiere servir como antecedente para la aplicación de una eximente o atenuante de responsabilidad.
3) El Juez encargado del conocimiento de una causa indígena, a solicitud de parte interesada y en actuaciones o diligencias en que se requiera la presencia personal del indígena, deberá aceptar el uso de la lengua materna debiendo al efecto hacerse asesorar por traductor idóneo, el que será proporcionado por la Corporación. Paragraphe 1
De la Coutume indigène et de son application en matière de justice
Article 54
1) La coutume invoquée lors d'un jugement entre des indigènes appartenant à une même ethnie, constituera un droit, pourvu qu'il ne soit pas inconciliable avec la Constitution politique de la République. En matière pénale, elle sera considérée lorsque cela aurai pu servir comme précédent dans l'application d'une circonstance atténuante de responsabilité.
3) Le juge chargé de la connaissance d'une cause indigène, à la demande de la partie intéressée et dans le cadre des activités ou des procédures dans lesquelles la présence personnelle de l'indigène est requise, devra accepter l'usage de la langue maternelle en se faisant conseiller par traducteur agréé, celui que sera désigné par la Corporation.
Tout juge chargé de la procédure d'une cause indigène, à demande de la partie intéressée et dans le cadre des activités dans lesquelles la présence personnelle d’indigène est requise, devra accepter l'utilisation de la langue maternelle en se faisant conseiller par un traducteur agréé, celui qui sera désigné par la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena (Corporation nationale du développement indigène).
5.3 Le point de vue des autochtones
Les organisations indigènes du Chili n’apprécient guère la politique linguistique de leur pays. Du moins, c’est qui ressort des conclusions du Congrès national mapuche (Congreso Nacional Mapuche), tenu du 15 au 17 novembre 1997, à Temuco (Chili).
- La reconnaissance juridique
Dans le domaine juridique, les Mapuches demandent que le gouvernement reconnaisse leur identité dans la Constitution. Ils sollicitent l’autorisation d’établir des bureaux communaux mapuches, interculturels et bilingues, dans chaque municipalité où ils sont concentrés, afin de promouvoir et de développer la culture mapuche. Ces bureaux communaux mapuches devraient être reliés au réseau informatique des peuples indigènes, avec la CONADI (Corporación Nacional de Desarrollo Indígena) et les services publics. Ils demandent également que la CONADI soit transformée en ministère des Indigènes afin de bénéficier de plus d’autonomie dans les politiques gouvernementales.
- La langue autochtone
En ce qui a trait à la langue elle-même, les Mapuches demandent d’adopter une réelle politique linguistique qui commence par officialiser un alphabet et une grammaire standardisée de la langue mapudugun. Ils désirent obtenir, de concert avec le ministère de l'Éducation et le Conseil national de la culture (Consejo Nacional de la Cultura), la publication d’une série de documents en mapudugun et du temps d’antenne à la radio pour informer leurs concitoyens autochtones sur la loi 19.253 de 1993, ainsi que les nouvelles du mouvement mapuche. Les Mapuches veulent élaborer un programme officiel d’enseignement et d’apprentissage du mapudugun dans les écoles autochtones. Les Mapuches désirent étendre leurs revendications dans les services publics où ils sont concentrés.
- L’éducation interculturelle bilingue (Educación Intercultural Bilingüe)
Dans le domaine scolaire, les autochtones demandent une réforme de l’éducation, de telle sorte que leurs enfants ne soient plus l’objet de discrimination dans les établissements d’enseignement. Ils soulignent que le bilinguisme scolaire et normalisé en fonction de la similitude au castillan, qui utilise la langue autochtone comme un «pont pour imposer la culture dominante», est un système inégalitaire et aliénant. Cette éducation tente de réduire les langues autochtones en une sorte de folklorisation dans laquelle se perpétuent les préjugés ethnocentriques et racistes. Il faudrait que les programmes nationaux incorporent dans les écoles autochtones des éléments de la culture indigène et appliquent une réelle politique d’éducation interculturelle bilingue.
Pour le moment, l’éducation bilingue consiste à passer progressivement de la langue maternelle au castillan. Quant au concept d’«interculturalité» (ou d’inculturalisme), il correspond à l'intégration des communautés autochtones dans un environnement où l'espagnol est la langue commune de la vie publique. Dès lors, il s’oriente vers la perte de sa culture ancestrale pour promouvoir celle de la majorité. Bref, l’éducation interculturelle n’implique aucune échange entre des cultures différentes, car elle se fait à sens unique: c’est la transmission aux autochtones de la culture hégémonique. En outre, l'«interculturalité» est conçue pour un cadre essentiellement rural et confiné dans des «réserves». Selon les Mapuches, le gouvernement réduit ainsi l'existence d'un peuple distinct à une simple modalité éducative, celle qui demeure marginale dans un système centralisé dont les objectifs sont à l’opposé des préoccupations autochtones. Or, l’éducation interculturelle est davantage qu’un enseignement rudimentaire de la langue et d’une culture «exotique» destinée à être exhibée comme on objet d’artisanat, de religion ou de coutume. Pour les associations autochtones, il faut redéfinir le concept d'«interculturalité» (interculturalidad) en considérant celle-ci comme une relation égalitaire entre des cultures différentes et des peuples différents qui ont en commun un projet de coexistence dans le respect et la solidarité. Autrement dit, les Chiliens devraient apprendre des éléments de la culture autochtone.
Par ailleurs, le système éducatif chilien destiné aux autochtones est handicapé par de graves problèmes, dont la pénurie de manuels et de personnel enseignant qualifié. Il faudrait plutôt assurer la formation des enseignants «en éducation interculturelle bilingue» dans les différents niveaux de l’enseignement, sans oublier la préparation et la diffusion du matériel didactique pertinent, dont des instruments informatisés.
Les autochtones du Chili proposent d’augmenter le nombre de bourses d’études de leurs enfants, notamment au secondaire et à l’université. Ces bourses devraient être considérées comme un dédommagement ou une remise de dettes pour les préjudices infligés historiquement aux indigènes.
Le Conseil national mapuche demande au gouvernement de ratifier la Convention no 169 de l’OIT, la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail. Ce document d’une grande importante implique 15 États, dont en Amérique latine, l’Argentine, la Bolivie, la Colombie, le Paraguay, le Pérou, le Venezuela, puis le Mexique, le Costa Rica, le Honduras, le Guatemala, l’Équateur, etc.
- Les demandes
Dans un communiqué de presse daté du 5 juin 1997, les Mapuches affirmaient que rien n’indique que, dans un futur immédiat, il se produira au Chili des changements significatifs à leur égard. Les conditions sociales de la population indigène restent toujours les mêmes depuis des décennies. Par rapport aux normes internationales, la situation des autochtones du Chili semblent mettre en évidence le double niveau de détérioration des conditions de vie des populations indigènes du pays.
Avec regret, les autochtones disent constater une attitude intransigeante de la part du gouvernement face à la demande assidue de diverses organisations représentant les intérêts de la nation mapuche.
Néanmoins, les associations autochtones mapuches formulent les demandes suivantes:
1) «En tenant compte de l’énorme dette historique de la société chilienne en ce qui concerne nos peuples autochtones, nous exigeons du gouvernement une augmentation substantielle des ressources de la CONADI (Corporación Nacional de Desarrollo Indígena) pour obtenir la restitution de terres aux communautés indigènes, ainsi que l'appui financier et technique pour que ces communautés puissent travailler de manière effective.»
2) «De même, nous incitons le gouvernement à développer réellement l'éducation bilingue, de telle sorte que les peuples indigènes soient dans des conditions de préserver et de développer leur identité historique et culturelle.»
3) «Nous rappelons au gouvernement qu'il accélère les démarches législatives pour obtenir la ratification, par le Chili, de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail.»
4) «Nous demandons l’arrêt immédiat de la violence institutionnelle contre le peuple mapuche.»
5) «Nous demandons la constitution d’une table de négociation permanente avec la participation de toutes les organisations mapuche, afin de déterminer ensemble un ordre du jour et les mesures politiques à appliquer en priorité.»
En conséquence, les autochtones du Chili exigent dorénavant que l’État les reconnaisse comme peuples distincts, avec un contrôle sur leur territoire et leurs ressources naturelles, et ce, en exerçant leur autodétermination (Libredeterminación). C’est dans ce cadre que les autochtones, du moins les Mapuches, estiment pouvoir exercer leurs droits complémentaires en matière de justice, d’éducation, de santé d’économie, etc.
Quant aux autochtones (Pascuans) de l'île de Pâques, ils revendiquent depuis un certain temps le droit à une plus grande autonomie et veulent s'affranchir d'une partie du pouvoir central chilien. L'ancien président Patricio Aylwin avait déposé au Parlement un projet d'autonomie pour l'île de Pâques et freiner l'immigration venant du Chili, mais le projet est encore en attente. Les Pascuans plus radicaux réclament maintenant l'indépendance.

Aux cours des dernières années, la population mapuche, aussi bien dans les villes que dans les lieux de vie ancestraux, s’est mobilisée dans un mouvement permanent de protestations et d’actions politiques demandant des solutions face au traitement injuste et à la discrimination auxquels ils ont été systématiquement soumis depuis l’occupation de leur territoire en 1883. Non seulement le sort des autochtones ne s’est guère amélioré en regard de leurs attentes, mais ils ont toujours souffert de discrimination et d’abus, voire de violence policière.
La politique linguistique du Chili s'inscrit dans une politique indigéniste, dont elle ne constitue qu'une infime partie. Elle se limite à l'éducation interculturelle bilingue et à quelques privilèges occasionnels dans les tribunaux et à quelques émissions radiophoniques communautaires. En somme, la politique réellement appliquée se résume à accorder une instruction dans la langue maternelle de l’élève autochtone, puis d'introduire l’espagnol progressivement comme langue seconde. L’objectif est de passer entièrement à la langue seconde, une fois rendu au secondaire. Cependant, beaucoup d'autochtones, surtout parmi les Mapuches, ont dénoncé cette politique «politiquement correcte», où l'espagnol est ajouté aux langues autochtones. Ils croient qu’il s’agit d’une autre tentative, secrète celle-à, de remplacer leur langue par le castillan et d’assimiler les enfants autochtones.
Le système actuel ne répond pas aux besoins des autochtones, parce que ce sont des programmes nationaux qui n’intègrent aucun élément de la culture indigène. Les élèves autochtones sont toujours tenus d'apprendre une autre langue que leur langue maternelle, ce qui n’est pas le cas des autres Chiliens (Metizos). Autrement dit, les autochtones sont obligés de recevoir une éducation bilingue et de développer des habiletés de bilinguisme, alors que les autres Chiliens s’en tiennent à la seule langue espagnole. En somme, la politique chilienne ressemble en cela aux autres pays du continent. L'État laisse entendre que la langue officielle est le castillan (castellano) et que sont reconnues également les langues aymara, mapuche et rapanui. C'est une façon de présenter les choses qui ne correspond en rien à la réalité. D'ailleurs, les associations mapuches demandent justement au gouvernement chilien d'officialiser, au même titre que le castillan, le mapudungun, la langue propre du peuple mapuche et de la région, et de l'utiliser dans les moyens de diffusion de masse et de l'intégrer dans le système éducationnel régional par une éducation bilingue interculturelle. Dans l'état actuel des choses, les autochtones risquent fort d'attendre encore longtemps!
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