L’événement s’est tenu à Londres, au siège de la Royal Institution de Grande-Bretagne, fondée en 1799 pour rapprocher le peuple et la science. Là furent dévoilés les résultats d’un vaste programme, conduit de 2000 à 2010 par plus 2700 chercheurs de de 34 pays : «Census of Marine Life». (photo Chrysaora fuscescens, Monterey Bay California. Richard Hermann- Galatée films). Cliquez sur les photos pour les agrandir.
L’enseignement essentiel de cette longue entreprise? «Il y a de la vie partout dans les océans. Diversifiée et adaptée aux situations les plus extrêmes: dans les températures à faire fondre le plomb ou à geler la mer, dans les régions sans lumière et sans oxygène, dans celles riches en poisons chimiques», répond Myriam Sibuet. Spécialiste de la vie abyssale à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), elle a assuré la vice-présidence du comité scientifique du Census.
Parmi les révélations de cette décennie, il y a des routes migratoires longues de milliers de
A ce monde macroscopique, il faut ajouter ces milliers d’espèces planctoniques, microscopiques et inconnues, dont l’existence est trahie par l’analyse moléculaire de leur ADN, et dont on ignore encore tout, de leur morphologie à leur rôle écosystémique, certainement immense : Si l’on pouvait le suspecter, ces organismes microscopiques
Les explorateurs ont découvert dans les grands fonds des tapis de bactéries et de récifs de coraux froids, sur des centaines de kilomètres. Et sur les monts sous-marins, au large de la Nouvelle-Zélande, des colonies de millions d’organismes dont les biologistes ne soupçonnaient même pas l’existence. Le Census a aussi permis de localiser les zones les plus riches en biodiversité: les fonds marins à l’approche des régions polaires, le long des bordures continentales, là où les courants froids remontent vers la surface et où les courants équatoriaux divergent.( photo Lysianassoid, nouvelle espèce de crustacé minuscule, découvert en antarctique. Cédric d’Udekem d’Acoz)
Le panorama général révèle que tous les types de régions –dorsales océaniques, monts sous-marins, plaines abyssales, plateaux et marges continentales– sont habités. Mais l’aventure n’est pas terminée : de vastes zones restent inexplorées. L’océan inconnu représente plus de 20% de son volume ; et dans de nombreuses autres zones, très peu d’informations sont disponibles.
Mais, c’est un péché mignon de scientifiques, ils aiment bien aligner des chiffres qui donnent le tournis.
Avec plus de 540 expéditions dans toutes les mers du globe, à toutes les profondeurs, au filet, à la main, en scaphandre, en sous-marin habité ou robotique, les scientifiques ont recensé plus de 6 000 espèces potentiellement nouvelles, dont 1200 ont été nommées et décrites dans des publications scientifiques.
Au terme de ces dix années de recherches, les biologistes sont en mesure d’estimer le nombre d’espèces savent qu’ils ont identifiées depuis le début des sciences marines: 250 000 espèces, soit 20.000 de plus que ce qu’ils ne pensaient. Et encore, on ne compte là que «les êtres organisés», précise
Ce chiffre de 250 000 provient d’une plongée dans l’océan… des archives, en particulier dans toutes les banques de données de biologie marine existantes. Car le Census of Marine Life a aussi accouché de l’Ocean Biogeographic Information System (Obis), une plate-forme informatique qui permet à tout chercheur d’accéder à ces banques de données pour savoir «quelle espèce vit où». Ils accèdent ainsi à pas moins de 30 millions d’observations distinctes.
L’Obis a déjà produit des résultats surprenants en rapprochant les bases de données: ainsi, on a découvert que 235 espèces sont communes aux mers les plus froides, en Arctique et autour de l’Antarctique, malgré les 11000 kilomètres qui les séparent Pour réussir un programme aussi ambitieux, il fallait lancer des questions simples. Myriam Sibuet les pose ainsi: «Qui a vécu dans l’océan? Qui y vit? Combien sont-ils? Et où?»
C’est parce qu’elle a réalisé qu’il n’existait pas de réponses à ces questions simples que la Sloan Foundation (New York) a décidé de consacrer 75 millions de dollars à un programme de recensement de la biodiversité marine. La genèse de cette décision remonte à ce jour de juillet 1996 où se rencontrèrent Jesse Ausubel, vice-président pour les programmes de la Sloan Foundation, et Frederick Grassle, de Rutgers, l’Uuniversité d’Etat du New Jersey (Etats-Unis).
En une heure et demie, le second réussit à convaincre le premier qu’on ne savait pas ce qu’il y a dans la mer, qu’il fallait le savoir, et que cela valait bien un programme de dix ans dont la Sloan Foundation
Bien sûr, les 75 millions de dollars de la Sloan Foundation font pâle figure à côté des sommes dix fois plus importantes que les organismes scientifiques ont consacrées au Census of Marine Life, en payant les salaires des chercheurs, les marins et les campagnes océanographiques. Mais aucun de ces organismes, aucune société savante ne pouvaient dégager autant d’argent pour la création, la coordination au niveau mondial et le démarrage d’un tel programme, plus la mise en route d’Ois. La
Ces soucis ne sauraient doucher l’enthousiasme. Census of Marine Life accouche de lourds ouvrages, publiés par des presses universitaires, de milliers d’articles scientifiques, de films, de photos, de cartes, donnant pour la première fois un panorama du savoir des biologistes marins. Pour la communauté scientifique, et pour le grand public, les sites web créés pour l’occasion permettent de prendre conscience du labeur accompli, de voir images, films, animations pédagogiques.
Fait important pour les discussions sur les stocks de poissons, le recensement donne une meilleure vision des océans du passé, avant l’émergence de la grande pêche industrielle en 1950. Pour les illustrer, Myriam Sibuet évoque ces photos d’une criée, au Danemark, prises à un siècle d’intervalle. On y découvre que la taille des poissons a été divisée par deux ou trois depuis cent ans. En revanche, malgré des données semblant indiquer une moindre abondance du phytoplancton et surtout une diminution de 90% des populations de gros animaux marins, il n’est pas certain que la masse totale de la vie marine ait diminué: les proies de ces prédateurs ont pu augmenter leur nombre, comme le montrent les proliférations de calmars.
Que reste-t-il à faire après cette décennie d’exploration ? Aller à la découverte de ces 750 000 espèces
Forts du Census, les scientifiques peuvent mieux attaquer ces questions complexes, mieux mesurer et l’impact de la pêche, la pollution, les émissions de gaz carbonique et autres activités humaines sur les océans. De toute cette somme de savoir, on tirera, peut-être,les décisions qui amèneront une meilleure gestion des ressources exploitées, ou diminuer la pression exercée sur les océans. Lire ici un article sur la régénération des fonds marins et des ressources marines.
Syvestre Huet