Tout responsable politique attentif aux révisions des lois de bioéthique ne peut être qu’interrogatif par les propos de l’ancien ministre de la Recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg, tenus dans le Figaro du 11 novembre. Interrogatifs, tant les propos sont en décalage avec l’actualité bioéthique car les arguments de l’ancien ministre sont rigoureusement les mêmes que ceux utilisés par les partisans de la recherche sur l’embryon, dès 2002.
Alors qu’en 1994, nos premières lois de bioéthique suivaient le fil rouge de l’interdiction absolue de toute recherche sur l’embryon, les premières révisions votées en 2004 après deux ans de débat, ouvraient une brèche en acceptant un système dérogatoire pour une durée de cinq ans. Cependant, les conditions de dérogation représentaient un verrou éthique que bien peu de parlementaires avaient saisi. Rappelons ces conditions :
« Lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques. »
Il s’agissait de mettre au point des thérapies cellulaires à partir de cellules souches. On nous avait promis monts-et-merveilles, tel le professeur Péchanski, spécialiste de la recherche sur l’embryon, qui affirmait lors de l’inauguration de son pôle de recherche d’Évry, en juin 2008 : « Les cellules souches sont des outils thérapeutiques majeurs — démontrés pour les cellules souches adultes, théoriques pour les cellules souches embryonnaires. »
Or, au moment où la loi de 2004 était votée, des progrès spectaculaires étaient connus du grand public et de nombreux articles faisaient état des potentialités thérapeutiques des cellules souches adultes et issues du sang de cordon ombilical, jusqu’à la découverte des cellules IPS, dites reprogrammées, par le japonais Yamanaka.
Un problème insoluble
Tant et si bien que les avantages des cellules souches embryonnaires sont devenus assez vite des inconvénients. En effet, la capacité de ces cellules souches à se multiplier quasiment à l’infini est devenue un problème insoluble, car cette prolifération incontrôlée entraîne des tumeurs. D’autre part, aucune greffe n’a été conduite avec succès, en raison de l’immuno-incompatibilité entre le malade et l’embryon sur lequel ont été prélevées ces cellules souches. Les scientifiques avaient bien prévu une parade en proposant le clonage thérapeutique. Mais la loi de 2004 condamnait très sévèrement tout clonage humain, comme atteinte à la dignité.
Les raisons invoquées pour faire admettre ce système dérogatoire aux législateurs furent celles dont parlent aujourd’hui M. Schwarzenberg : l’urgente obligation de répondre à la demande des malades, la possibilité de mettre au point des thérapies pour traiter des maladies jusqu’alors incurables. Comme il a raison de rappeler cet impératif complètement passé sous silence dans le projet de loi présenté à la fin du mois d’octobre !
Pour toucher à un tel principe, constitutif de notre droit, de notre culture et de notre civilisation, il faut un impératif majeur, un peu comme un cas de légitime défense. Or cet impératif majeur n’existe plus. Depuis la découverte des potentialités thérapeutique des cellules souches adultes et issues du cordon ombilical, il est avéré scientifiquement que l’utilisation des cellules souches embryonnaires est inutile sur le plan de l’efficacité thérapeutique.
La question de l’urgence pour répondre à la souffrance de ceux qui attendent une thérapie cellulaire n’a pas été prise en compte à la hauteur des enjeux dans l’actuel projet de loi. Il aurait fallu afficher la détermination de faire de la France le pays européen pionnier dans la recherche sur les cellules souches issues du sang du cordon et donner un signal fort en direction du prélèvement et de la conservation des unités de sang de cordon, sans craindre de favoriser la création de banques familiales solidaires pour répondre aux besoins de ceux qui souffrent et qui attendent un traitement. Car la France est le pays européen qui comptent le plus de naissances chaque année (plus de 800 000/an). Cela oblige !
Aujourd’hui, ces thérapies ne sont plus du côté de l’embryon. D’ailleurs, bien peu de scientifiques croient encore à l’utilisation des cellules souches embryonnaires pour traiter ces maladies. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet de révision propose de remplacer la finalité thérapeutique par la finalité médicale.
Car les raisons implicites du projet de loi sont l’amélioration des techniques de fécondation in vitro, la modélisation des maladies et l’expérimentation de certains médicaments ou des produits cosmétiques, ou plus simplement encore, la recherche fondamentale sur une réalité si fascinante : l’être humain au début de son développement.
L’Agence de biomédecine dans son rapport annuel de 2008 avait déjà donné l’alerte :
« Les professionnels de l’AMP sont confrontés à cette absence d’un cadre légal pour effectuer des recherches cliniques sur les gamètes et le développement embryonnaire in vitro. Ce type de recherches vise à améliorer le processus de fécondation in vitro et de développement de l’embryon en culture avant son transfert dans l’utérus. Les innovations concernent notamment les techniques de fécondation, les milieux de fécondation et de culture ou les techniques de congélation embryonnaire et ovocytaire [1][...].
L’interdiction des essais cliniques pour tester de nouvelles techniques d’AMP découle de l’interdiction de la création d’embryons à des fins de recherche. Le législateur craignait que l’autorisation de l’expérimentation préalable ne permette de contourner la loi et, notamment, ouvre la possibilité de créer des embryons pour la recherche [2] [...].
L’utilisation d’embryons issus de FIV demeure la seule manière d’avoir accès à l’embryon dans sa phase préimplantatoire, au cours de laquelle des événements physiologiques et biochimiques se déroulent. Il est indispensable de pouvoir les caractériser ou les étudier pour améliorer la connaissance des différentes étapes et en déduire les thérapies possibles des dysfonctionnements [3].
La révision de la loi de bioéthique pourrait être l’occasion de s’interroger sur l’interdiction de réimplanter tous les embryons soumis à une quelconque recherche, quel que soit le traitement auquel il aura été exposé […]. Abolir l’interdiction systématique d’implanter des embryons soumis aux “recherches” permettrait par exemple de prendre en compte les difficultés d’évaluer, en particulier en termes de sécurité, de fiabilité, voire d’efficacité, d’éventuelles nouvelles techniques en AMP [4]. »
Ce qui nous permet d’affirmer aujourd’hui que la substitution de la finalité thérapeutique par la finalité médicale n’a pas d’autre intention que d’autoriser des expérimentations sur des embryons pour optimiser la technique de la fécondation in vitro. L’interdiction des essais cliniques pour tester de nouvelles techniques d’AMP découle de l’interdiction de la création d’embryons à des fins de recherche. Le législateur craignait que l’autorisation de l’expérimentation préalable ne permette de contourner la loi et, notamment, ouvre la possibilité de créer des embryons pour la recherche [2] [...].
L’utilisation d’embryons issus de FIV demeure la seule manière d’avoir accès à l’embryon dans sa phase préimplantatoire, au cours de laquelle des événements physiologiques et biochimiques se déroulent. Il est indispensable de pouvoir les caractériser ou les étudier pour améliorer la connaissance des différentes étapes et en déduire les thérapies possibles des dysfonctionnements [3].
La révision de la loi de bioéthique pourrait être l’occasion de s’interroger sur l’interdiction de réimplanter tous les embryons soumis à une quelconque recherche, quel que soit le traitement auquel il aura été exposé […]. Abolir l’interdiction systématique d’implanter des embryons soumis aux “recherches” permettrait par exemple de prendre en compte les difficultés d’évaluer, en particulier en termes de sécurité, de fiabilité, voire d’efficacité, d’éventuelles nouvelles techniques en AMP [4]. »
La réserve d’embryons surnuméraires destinés à la destruction est devenue un objet de convoitise pour les chercheurs avides d’avancer dans leur connaissance scientifique.
L’argument « laïque »
Quant à l’argument selon lequel le respect de l’embryon serait un article de foi, affirmation « odieuse » dans un État laïque (!), c’est faire preuve d’une grande ignorance à l’égard de notre histoire proche.
Si l’Église catholique a toujours proclamé le respect de l’embryon en raison de la dignité de tout être humain, c’est parce que ce principe est constitutif de la nature même de l’être humain. Elle ne peut pas proclamer autre chose, sans se renier elle-même.
La raison humaine est capable de poser la même affirmation. Tout comme le scientifique qui sait que l’embryon humain est un être humain et qu’il n’existe pas de frontière, ni de rupture entre le moment de la conception et le continuum de développement de l’être humain jusqu’à sa mort naturelle.
Ce n’est pas une question d’opinion, ni un article de foi, mais un constat confirmé par les scientifiques dignes de ce nom.
C’est aussi oublier que ce sont des instances laïques internationales qui, juste après l’effroyable Seconde Guerre mondiale qui vit le triomphe du mépris du droit le plus élémentaire de chaque être humain, à commencer par le droit de vivre, ont voulu affirmer solennellement que le premier principe de notre droit international est le respect de la dignité de tout être humain, quelque soit sa race, sa religion, son état de développement ou sa santé…
Ce principe rappelé tout au long des débats bioéthiques et réaffirmé dans les avis des organismes consultatifs ainsi que dans le bilan des État généraux de la bioéthique, s’inspire de textes antérieurs, comme le préambule de la Constitution de 1946 [5], auquel fait référence celle de 1958, mais également la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 [6].
La convention d’Oviedo
Ce principe sera confirmé plus tard par la convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe en 1997. Cette Convention « pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » a été signée par la France, sans être encore ratifiée. L’ex-ministre de la Santé, Mme Bachelot, avait annoncé que la France ratifierait cette Convention après l’adoption des révisions de nos lois bioéthiques.
Dans son introduction, la Convention d’Oviedo relève l’éventuelle confrontation entre science et morale :
« Conscient des rapides développements de la biologie et de la médecine ; conscients des actes qui pourraient mettre en danger la dignité humaine par un usage impropre de la biologie et de la médecine ; affirmant que les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures [7] … »
La dignité inclut l’intégrité, l’identité et la non-patrimonialité de l’être humain ; elle marque le souci de sa protection [8]. Conscient de l’intérêt de la protection de l’être humain et de la liberté de la science, la Convention n’hésite pas à affirmer qu’en cas de conflit, c’est l’être humain qui doit l’emporter. Elle interdit la création d’embryons pour la recherche et autorise la recherche sur l’embryon pour son bien, tout en respectant les décisions des États membres.
Enfin, la Charte européenne des droits fondamentaux adoptée à Nice en décembre 2000 est devenue un texte juridique contraignant depuis l’adoption du traité de Lisbonne, en décembre 2009. Elle consacre sa première partie à la dignité de l’être humain et déclare dans son article premier que « La dignité est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ».
La dignité de l’être humain est fondée sur sa nature, son humanité et son appartenance à l’espèce humaine. D’où son caractère inviolable. De telle sorte que ce principe est une garantie contre toute utilisation ou manipulation de la vie humaine.
Rappelant que « le principe de dignité de la personne humaine paraît être le principe éthique structurant des lois de bioéthique », les citoyens des États généraux ont rappelé qu’aucune circonstance ne pouvait contredire ce principe : « La dignité, en effet, ne décline pas avec nos forces. Ni la maladie, ni le handicap n’altèrent notre humanité [9]. »
Transgression, régression
Affirmer que la liberté de la recherche ne se situerait que dans la transgression, c’est faire bien peu de cas du scientifique qui mérite plus d’égard : sa science n’est pas au service de la concurrence mondiale, ni des puissances financières, mais au service de l’homme, de tout homme. C’est ainsi qu’il participe au progrès de l’humanité.
C’est aussi une manière de sous estimer ses capacités d’inventivité et de créativité pour avancer dans une direction thérapeutique tant attendue.
Prétendre aujourd’hui qu’il faut libéraliser la recherche sur l’embryon pour répondre à la souffrance est un mensonge et un mépris à l’égard de ceux qui souffrent. Leur dire qu’il faut autoriser la recherche sur l’embryon pour les soigner, c’est faire preuve d’une grande ignorance de l’état actuel des travaux de recherche.
Les malades que nous côtoyons chaque jour ont droit à la vérité : oui, il existe des alternatives à l’utilisation des embryons pour les soigner, des alternatives qui attendent de l’État un soutien et une aide financière car leur traitement relève de la Santé publique et donc de notre responsabilité à tous.
Puissent les parlementaires être très nombreux à le rappeler lors des prochains débats. Ce serait une belle manière de dire à ces personnes souffrantes que nous entendons leur souffrance et qu’ils ont droit à tout notre respect et notre attention.
* Élizabeth Montfort est administrateur de la Fondation de Service politique, présidente de l’Alliance pour un nouveau féminisme européen.
[1] Bilan de l’Agence de Biomédecine, p. 47. Octobre 2008.
[2] Idem.
[3] Idem.
[4] Idem, p. 48.
[5] « Tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », Préambule de la Constitution de 1946.
[6] Article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. »
[7] La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite convention d’Oviedo porte sur la protection des Droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Elle a été signée par les États membres du Conseil de l’Europe le 4 avril 1997.
[8] Convention d’Oviedo, art. 1.
[9] Bilan des États généraux de Bioéthique, rapporteur Alain Graff, juillet 2009.