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Koji Wakamatsu retrouve la rage de ses oeuvres de jeunesse et dresse un portrait sans concession d’une humanité toujours prête à s’adonner à la barbarie. Le film coup de poing de cette fin d’année.
L’argument : Durant la Seconde Guerre Sino-japonaise, en 1940, le lieutenant Kurokawa est renvoyé chez lui, en héros de guerre, couvert de médailles... mais privé de ses bras et de ses jambes, perdus au combat en Chine continentale. Tous les espoirs de la famille et du village se portent alors sur Shigeko, l’épouse du lieutenant : à elle désormais de faire honneur à l’Empereur et au pays et de montrer l’exemple en prenant à coeur de s’occuper comme il se doit du soldat dieu...
Notre avis : Il est toujours agréable de constater qu’à plus de 70 ans un artiste peut encore être aussi enragé que s’il en avait quarante de moins. C’est le constat qui vient immédiatement à l’esprit à la vision de ce soldat dieu, dernier film en date de Koji Wakamatsu, vétéran du cinéma japonais. Remarqué dans les années 60 pour une série d’oeuvres extrêmes qui se rattachent à la nouvelle vague nippone, le réalisateur n’a jamais fait mystère de son engagement contre toute forme de guerre et de barbarie. Souvent trash, ses longs-métrages les plus célèbres (Quand l’embryon part braconner, Les anges violés ou encore Va va vierge pour la deuxième fois) ont marqué leur temps par leur jusqu’au-boutisme formel et thématique.
Désormais à la tête d’une petite maison de production, le réalisateur s’assure une totale indépendance, tournant les projets qui lui tiennent à coeur sans tenir compte des exigences du marché. Réalisé avec un minimum de moyens (une petite caméra numérique et de nombreux décors naturels) en seulement douze jours, Le soldat dieu retrouve la puissance de ses films passés grâce à un script ramassé autour d’une situation simple, mais ô combien troublante. Afin d’évoquer la barbarie de toute guerre, Wakamatsu se concentre sur le cas particulier d’un simple soldat qui rentre de la guerre sans bras ni jambes. Réduit à l’état d’homme tronc, il devient pour son village le symbole de l’héroïsme japonais dans un pays alors en plein délire nationaliste (le film se déroule de 1940 à 1945). A l’entière charge de son épouse, l’homme n’est plus que l’ombre de lui-même, marqué à vie par les horreurs qu’il a commises lors de la destruction de villages chinois.
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Avec une force incroyable, Wakamatsu filme un être dont le seul impératif n’est plus que de satisfaire ses besoins vitaux : manger, dormir, uriner ou encore d’assouvir ses pulsions sexuelles. En nous renvoyant en pleine figure notre condition de simple mortel, limité et conditionné par nos besoins corporels, le cinéaste parvient à mettre le spectateur mal à l’aise. Souvent à la lisière de l’hystérie, les personnages se déchirent avec une violence psychologique quasiment insoutenable. Les rapports sadomasochistes qui naissent peu à peu entre ces époux devant pourtant jouer au couple modèle font immédiatement penser à ceux de L’empire des sens d’Oshima. Bousculant une fois de plus tous les tabous (les séquences d’amour avec l’estropié sont quand même bien trash), Wakamatsu signe une oeuvre inconfortable qui brasse des thèmes essentiels comme les rapports homme / femme, le pouvoir et la soumission, le patriotisme et l’aveuglement d’une population fanatisée.
Lors d’une conclusion tétanisante qui rappelle tous les crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale à l’aide d’images d’archive, le réalisateur parvient à élargir son point de vue pour en faire une condamnation radicale de toute forme de barbarie humaine. Présenté avec succès au dernier festival de Berlin où l’actrice principale (magnifique il est vrai) a obtenu l’Ours d’Argent de la meilleure interprète féminine, Le soldat dieu s’impose comme un cri de rage salvateur lancé à la face de l’humanité. Certains risquent bien d’être choqués, et c’est tant mieux.