DÉCRYPTAGE - Un nouveau pas a été franchi vers la fabrication de microbes sur mesure qui produiraient de grandes quantités de substances rares.
«Des scientifiques ont créé la première cellule contrôlée par un génome synthétique.» C’est en ces termes sobres que la revue américaine Science a annoncé vendredi la publication, dans ses colonnes, d’une réalisation scientifique majeure dans l’histoire des technologies du vivant. Des chercheurs ont réussi à construire, par synthèse chimique, l’ADN entier d’une bactérie et à démontrer qu’il fonctionne normalement.
C’est là un nouveau pas vers des horizons dont rêvent de nombreuses équipes travaillant dans les biotechnologies: fabriquer des microbes au génome taillé sur mesure et qui, grace à leurs caractéristiques génétiques choisies, produiraient, en fermenteur, des quantité infinies de substances rares, comme par exemple… de l’hydrogène, le Graal des carburants verts.
On en est encore loin. Loin également de cette «vie artificielle» qu’évoque cette expérience de biologie synthétique.
Qu’en est-il exactement? L’histoire se joue aux Etats-Unis, dans l’institut créé par Craig Venter, généticien et grand amateur de courses transatlantiques sur son sublime voilier. Scientifique et entrepreneur de génie, c’est le roi du séquencage de l’ADN, le premier à avoir décrypté le texte génétique d’une bactérie dans les années 90.
Il est surtout l’homme qui, en 2000, a produit la séquence du génome humain, c’est à dire l’enchaînement, dans l’ordre, des 3 milliards d’éléments qui le compose. Et cela, aussi vite qu’un consortium international engagé dans la même course…
Aux cotés de Craig Venter, il y a, depuis toujours, son ainé le Prix Nobel Hamilton Smith. Microbiologiste, il est fasciné par l’usine biologique que constituent les bactéries, avec leur génome si manipulable: ne confie-t-on pas à des colibacilles dotés d’un gène humain, la production ad libitum de l’insuline humaine?
Smith voudrait créer une bactérie dont le génome serait entièrement dessiné par l’homme. Il imagine pour cela de fabriquer une bactérie minimaliste: dotée des seuls gènes indispensables pour faire tourner sa machine vitale et ses unités de production d’enzymes et de protéines, elle serait la charpente de toute une génération d’organismes divers, customisables à gogo, comme un Lego. Une sorte d’organisme vivant universel.
Les obstacles à franchir sont nombreux. Smith, qui a 79 ans à présent, vient de gagner une nouvelle étape, avec le Craig Venter Institute, en synthétisant le génome de la petite bactérie Mycoplasma mycoides. Comment? L’institut a d’abord décrypté la séquence ADN de cette bactérie. Puis elle l’a recopiée, comme on ferait une contrefaçon. Avec force automates, elle a assemblé le million d’éléments d’éléments chimiques qui compose cet ADN bactérien, ce qui fait beaucoup…
On produit aujourd’hui en routine des gènes de synthèse, on a déjà réussi à fabriquer des chromosomes entiers. Mais c’est la première fois qu’un si long ADN est construit. Correctement, de surcroît, comme l’équipe de Venter et Smith l’a vérifié. Placé dans une cellule «porteuse» fournie par un mycoplasme d’une autre espèce (Mycoplasma capricolum), cet ADN synthétique a pris les commandes du système, initié des divisions cellulaires. Résultat: des générations de Mycoplasma mycoides au génome parfaitement synthétique et fonctionnel.