Sur le dialogue vaudou et catholicisme
Quel dialogue peut-il y avoir entre vaudou et catholicisme ?
Le professeur Kawas François vient de publier, aux Editions Henri
Deschamps, l'ouvrage intitulé « Vaudou et Catholicisme en Haïti à l'aube
du XXIe siècle. Des repères pour un dialogue ». Depuis les premiers
balbutiements de l'Etat haïtien, le vaudou et le catholicsime se sont
posés en deux entités antagoniques, même si le peuple haïtien a fait du
synchrétisme catholicisme-vaudou un mode de vie. Après plusieurs siècles
de difficile cohabitation, le professeur François, un jésuite, explore
les conditions pour un dialogue entre deux religions condamnées à
évoluer dans la même sphère sociale. Nous l'avons rencontré autour de ce
nouveau livre.
Professeur Kawas François, pourquoi un nouveau livre avec ce titre
«Vaudou et Catholicisme en Haïti à l'aube du XXIe siècle. Des repères
pour un dialogue » ?
Ce titre traduit une préoccupation intellectuelle qui m'habite depuis de
longues années. Durant mon séjour d'études à l'étranger, j'ai beaucoup
réfléchi sur la société haïtienne; et je me suis rendu compte de la
force du religieux dans l'imaginaire et les pratiques individuelles et
collectives des Haïtiens: le catholicisme, le vaudou, les églises
protestantes, les sectes etc. Je me suis dit que l'étude du phénomène
religieux peut être un terrain fécond pour le chercheur qui essaie de
comprendre et pour les acteurs qui veulent transformer cette société. Je
me suis investi donc dans ce champ. En sociologie, je me suis intéressé
surtout à la religion catholique dans son rapport avec le politique,
notamment à l'Etat et avec la théologie des religions, j'ai travaillé un
peu sur le rapport entre l'Eglise catholique et le Vaudou. D'ailleurs,
la collection que j'ai fondée au Centre de Réflexion et de Recherches
Interdisciplinaires (CRI) en 2003 « la Collection Histoire et Société »,
se situe dans cette perspective, c'est-à-dire, l'étude du phénomène
religieux en Haïti dans ses multiples dimensions: sociologique,
historique, théologique etc. Nous voulons inciter les chercheurs à
s'intéresser à ce domaine de la recherche et à publier le plus possible.
Qu'est-ce que vous voulez apporter de neuf en écrivant ce livre « Vaudou
et Catholicisme » ?
J'ai plusieurs objectifs en écrivant ce livre. Je veux d'abord lancer un
débat autour de cette question qui me parait vitale pour la société; un
débat dans le monde des intellectuels, mais aussi chez les acteurs
politiques et d'autres acteurs sociaux tels que les ONG, les cadres des
églises, notamment ceux de l'Eglise catholique et du Vaudou, les
éducateurs, les cadres des associations de base etc. Le Vaudou demeure
une réalité extrêmement présente dans la société, le catholicisme aussi.
Il y a eu entre ces deux religions beaucoup de malentendus, de conflits
même dans le passé; conflits qui ont crée beaucoup de souffrances, de
refoulements, bref, qui ont fait du tort au pays. Il s'agit aujourd'hui
de voir comment, à la lumière des sciences sociales et des religions, de
l'évolution du statut du Vaudou dans l'Etat haïtien et des nouvelles
approches du Vaudou en cours au sein même de l'Eglise catholique,
arriver à une clarification de l'identité, du statut et de la fonction
de ces religions dans la société et de définir des repères susceptibles
de favoriser un dialogue, une cohabitation pacifique et, pourquoi pas,
une collaboration dans les domaines oú cela est possible.
Vous parliez tout à l'heure de conflits entre ces deux religions dans le
passé, pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
En réalité depuis la naissance de la nation haïtienne, paradoxalement,
le Vaudou, religion d'un secteur important de la population, n'a jamais
eu une existence légale. Il a été mis hors la loi par l'Etat. Le Code
pénal l'a condamné comme un délit et les divers gouvernements lui ont
livré une guerre sans merci. Par contre, l'Eglise catholique a été
reconnue comme religion d'Etat par un grand nombre de Constitutions du
pays (les Constitutions de 1801, 1806, 1816 etc.). D'un autre côté, le
Concordat, signé le 28 mars 1860 à Rome entre l'Eglise catholique et
l'Etat haïtien sous le gouvernement du Général Fabre Nicolas Geffrard, a
aussi fait de l'Eglise catholique, la religion officielle de l'Etat,
sans le nommer explicitement. Des ressources financières et juridiques
énormes ont été mises à sa disposition par l'Etat et des liens très
forts se sont tissés entre ces deux institutions : l'Eglise catholique
et l'Etat. L'un des objectifs majeurs de l'Eglise, qui a été aussi
l'objectif de l'Etat, était de détruire le Vaudou, considéré alors comme
de la superstition, du fétichisme, de l'idolâtrie et le principal
obstacle à la modernisation et à l'évangélisation de la société. C'est
dans ce contexte socio-historique que plusieurs grandes campagnes ont
été organisées conjointement par l'Eglise et l'Etat pour éradiquer le
Vaudou de la société. Plus de cinq campagnes anti-vaudou ont donc été
organisées (1864, 1896, 1912, 1925-1930, 1940-1941). Au cours de ces
campagnes, des temples vaudou ont été perquisitionnés et des objets de
culte saisis et détruits etc.
Comment expliquez-vous cet acharnement de l'Eglise catholique contre le
Vaudou dans le passé ?
Plusieurs variables expliquent ce comportement de l'Eglise catholique
vis-à-vis du Vaudou dans le passé. Elles sont d'ailleurs clairement
exposées dans l'ouvrage. Je ne voudrais pas, en exposant certaines de
ces variables, porter un jugement éthique négatif et superficiel sur les
acteurs qui ont été à l'origine de ces actes. Ce serait tomber dans
l'anachronisme; la pire des absurdités sur le plan historique. Il s'agit
de situer ces acteurs dans leur contexte sociohistorique en vue d'une
meilleure intelligence de leurs pratiques. Nous sommes à la fin du XIXe
et au début du XXe siècle, dans le cadre de la recherche exposée dans le
livre, bien entendu. Les missionnaires catholiques qui travaillaient en
Haïti, durant cette période, étaient tous des Européens. Ils étaient
convaincus, en fonction de leur formation théologique et de leur origine
culturelle, que le Vaudou n'étaient pas une religion, mais plutôt une
forme de polythéisme, d'idolâtrie, de fétichisme et donc une insulte au
culte du vrai Dieu. Or, l'idolâtrie est condamnée dans toute la
tradition juridico-morale de l'Eglise catholique comme un crime contre
la foi. L'évangélisation du pays comportait donc, aux yeux de ces
missionnaires, comme exigence fondamentale la lutte contre le Vaudou.
Ceci n'est qu'un aspect d'une question très complexe. Je vous renvoie au
livre pour approfondir ces questions.
Par ailleurs, ce discours et ces pratiques de l'Eglise catholique
bénéficiaient d'un appui très fort de la part de l'Etat et des élites
urbaines du pays. Ces dernières voyaient dans le Vaudou, des résidus
d'une civilisation africaine arriérée, un réel obstacle à la
modernisation de la société et une honte pour la nation. Il fallait donc
la détruire. J'ai dénoncé également dans le livre une certaine ambiguïté
dans le discours et le comportement de la bourgeoisie et de l'Etat
durant l'époque étudiée. Ils parlaient de modernisation de la société et
d'éradication du Vaudou comme principale cause du sous-développement du
pays, alors que, en même temps, ils mettaient en place et consolidaient
des structures politiques et économiques d'exclusion de la majorité de
la population.
Y-a-t-il eu des intellectuels haïtiens qui se sont opposés à ce courant
anti-vaudou dominant dans l'Eglise catholique, l'Etat et la bourgeoisie
?
Tout un courant d'intellectuels haïtiens, notamment durant l'occupation
américaine (1915-1934), a pris le contre-pied de l'action de l'Eglise
catholique vis-à-vis du Vaudou, appuyée par l'Etat et la bourgeoisie. Le
mouvement indigéniste dont le principal initiateur a été Jean-Price
Mars, médecin et anthropologue, l'Ecole des Griots avec pour principaux
tenants François Duvalier, Louis Diaquoi, Lorimers Denis, le Bureau
d'Ethnologie, fondé par l'intellectuel et homme politique haïtien
Jacques Roumain en 1941 etc. Ils ont, à travers leurs nombreuses
recherches et publications, aidé à la reconnaissance du Vaudou comme
religion. Des conflits importants ont été enregistrés durant la période
1940-1950 entre ces intellectuels et des secteurs importants de l'Eglise
catholique et de la bourgeoisie. L'histoire retient la grande polémique
qui a éclaté entre Joseph Foisset, prêtre catholique, Français et membre
de la Congrégation du Saint-Esprit et Mr Jacques Roumain, autour de la
campagne anti-vaudou de 1940-1941.
Qu'est-ce qui s'est passé exactement dans l'Eglise catholique dans son
rapport avec le Vaudou depuis quelques années?
Beaucoup de choses. Tout d'abord, le Concile Vatican II (1960-1965) qui
représente un événement historique majeur dans l'histoire récente de
l'Eglise catholique. Ce Concile a tracé des orientations nouvelles qui
ont contribué à transformer tant les structures institutionnelles que la
réflexion théologique au sein de l'Eglise. Enrichi par les nombreuses
recherches dans les sciences exactes, les sciences sociales et la
théologie, le Concile, à travers ses nombreux documents, invitent au
respect des cultures nationales, à la prise en compte des valeurs
positives existant dans les traditions religieuses non chrétiennes, une
plus grande ouverture au monde et à l'histoire, une attention
particulière aux questions de justice sociale, de pauvreté etc. Les
manifestations religieuses non chrétiennes ne sont plus considérées
comme du paganisme, de l'idolâtrie, de la superstition, mais comme des
manières légitimes pour des hommes et des femmes d'exprimer leur quête
d'absolu, de chercher et de donner un sens à leur existence, d'apporter
des réponses aux questions existentielles profondes telles que l'origine
de la vie, la question du mal, le sens de la souffrance et de la mort,
la vie après la mort etc. De l'anathème, l'Eglise catholique est passé à
la compréhension, au respect de ces différentes manifestations
religieuses. De fait, on remarque un très grand silence de la hiérarchie
catholique haïtienne sur le Vaudou depuis la clôture du Concile Vatican
II en 1965.
Parallèlement à la Célébration de ce Concile (1960-1965), tout un
mouvement intellectuel s'était dessiné à l'intérieur de l'Eglise
catholique. De jeunes prêtres haïtiens, influencés par le Mouvement de
la Négritude, les travaux de l'Ecole Indigéniste et de l'Ecole des
Griots, les nouvelles recherches en théologie des religions etc.,
dénonçaient les pratiques de l'Eglise catholique vis-à-vis du Vaudou et
exigeaient une prise en compte positive de cette religion dans l'action
pastorale. Ils réclamaient du respect pour les adeptes du Vaudou, une
connaissance approfondie de ce dernier en vue de mieux comprendre
l'homme haïtien. Parmi ces jeunes prêtres, nous citons William Smarth,
François Gayot, Claude Souffrant, Yves et Paul Déjean, les Spiritains du
Petit Séminaire Collège Saint-Martial dont Jean-Claude Bajeux, Max
Dominique, Antoine Adrien etc. Leurs travaux ont été publiés dans des
revues telles que Rond Point, Eglise en Marche, Eglise d'Haïti etc. Par
la suite, à partir des années 1970, de nombreux clercs catholiques
(prêtres, religieux, religieuses), ont réalisé des travaux scientifiques
d'une très grande valeur sur le Vaudou dans des universités européennes
et nord-américaines. Le Concile Vatican II et le mouvement de tous ces
jeunes prêtres des années 1960, les travaux scientifiques sur le Vaudou
etc. allaient aider à la transformation de la catéchèse, la liturgie, la
pastorale sociale de l'Eglise catholique. Des cours de sociologie et
d'anthropologie allaient être intégrés dan le cursus des maisons de
formation. Tout cela a contribué à changer profondément les attitudes et
les comportements vis-à-vis du Vaudou au sein de l'Eglise catholique.
Comment est la situation des rapports entre le Vaudou et l'Eglise
catholique aujourd'hui en 2005, en Haïti ?
Aujourd'hui, nous assistons à une transformation presque complète du
paysage religieux dans la société haïtienne. Le Vaudou présente une
vitalité étonnante et l'Etat haïtien, depuis l'arrêté du 4 avril 2003,
lui reconnaît un statut légal. Parallèlement, nous assistons à une
percée sans précédent des grandes églises protestantes traditionnelles,
des sectes et du mouvement pentecôtiste en général. Si bien
qu'aujourd'hui l'Eglise catholique tend à être minoritaire dans la
société haïtienne. Cette nouvelle situation historique doit
nécessairement l'amener - et aussi les autres églises chrétiennes- à
repenser son rapport au Vaudou. Par ailleurs, comme nous venons de le
mentionner, les acquis de Concile Vatican II, le mouvement intellectuel
des années 1960 au sein du clergé catholique en faveur du Vaudou, les
travaux scientifiques des clercs catholiques à partir de 1970 et la
transformation de la formation des cadres de l'Eglise catholique depuis
plusieurs années ont changé profondément les rapports entre cette
dernière et le Vaudou. Des conflits, ils sont passés à une cohabitation
plus ou moins pacifique. Malheureusement, les anciennes représentations
et pratiques datant d'avant le Concile Vatican II, existent encore
aujourd'hui chez un nombre significatif de catholiques (prêtres,
religieux, religieuses et laïcs) en Haïti.
Qu'est-ce que vous attendez concrètement de la publication de ce livre ?
Ce livre vise essentiellement à aider au dépassement de ces
représentations et pratiques négatives en cours vis-à-vis du Vaudou et
qui datent d'avant le Concile Vatican II, à en inventer de nouvelles qui
tiennent compte des avancées de la théologie catholique des religions,
des données des sciences sociales et même de la pensée officielle
récente de l'Eglise catholique sur le dialogue interreligieux. Cet
ouvrage est aussi une invitation aux responsables de l'Eglise catholique
à mettre en place des équipes pluridisciplinaires de recherche en vue
d'évaluer la situation réelle des pratiques relatives au Vaudou au sein
de l'Eglise aujourd'hui, de réaliser un sérieux diagnostic scientifique
du Vaudou en vue d'établir avec ce dernier des rapports qui tiennent
compte de son identité réelle et de ses richesses en tant qu'expérience
religieuse.
« Vaudou et Catholicisme en Haïti à l'aube du XXIe siècle. Des repères
pour un dialogue » veut aussi inciter les responsables politiques à
prendre conscience de la transformation du paysage religieux dans la
société aujourd'hui, à repenser le statut des religions au sein de
l'Etat et « à créer ainsi un cadre légal capable d'assurer une saine
régulation des religions, de garantir ainsi leur bon fonctionnement et
de canaliser les richesses contenues dans chaque confession vers un
projet de re-fondation nationale »
Notice biographique
Le professeur Kawas François, jésuite, détient un doctorat en sociologie
et une maîtrise en théologie de l'Institut Catholique de Paris. Il est
actuellement professeur de sociologie à l'Université d'Etat d'Haïti. Il
a déjà publié « Les Sources documentaires de l'Histoire des Jésuites en
Haïti aux XVIIIe et XXe Siècles » et « L'Eglise catholique en Haïti à
l'épreuve du pluralisme religieux », parus tous deux, aux Editions Henri
Deschamps en août 2003.