Science: la Chine rattrape l'Occident

Michel Maziade*
Cyberpresse

La Chine a annoncé il y a quelques mois une nouvelle augmentation de 26% de son budget de recherche, qui atteint 25 milliards de dollars par an. Le budget correspondant du Canada est estimé entre 10 et 12 milliards par an, une hausse d'environ 6% par rapport à l'année précédente. Et la Chine n'a initié cette politique que depuis une dizaine d'années. Lancée dans une économie manufacturière énergique et concurrentielle, la Chine se positionne dans la nouvelle économie de la R&D, des idées et de la technologie scientifiques. Au cours de l'histoire, les pivots centraux du monde, ou les «coeurs» économiques mondiaux, selon l'expression de Jacques Attali, ont basculé sous l'influence des commerçants. Ces coeurs véhiculent les valeurs dominantes de leur époque et ils exercent un contrôle sur les zones géographiques ou politiques en retard sur eux, jusqu'à l'émergence d'un nouveau coeur, concurrent. L'Europe hier, les États-Unis aujourd'hui, demain... l'Asie, particulièrement la Chine. Pour la première fois dans l'histoire du monde, le commerce se superpose à la science!

Cette superposition est désignée, assez académiquement, comme «l'économie du savoir» - une appellation d'apparence anodine. La formule synonyme «commerce de la recherche» devrait pourtant nous alerter. L'objet des transactions mondiales ne sera désormais plus, à la base, constitué de biens ou de services. Les commerçants voudront négocier et exploiter de nouvelles idées scientifiques, sources de changements et de technologies encore insoupçonnées. Ils chercheront et courtiseront les personnes aptes à former le plus grand nombre de scientifiques, à la fois producteurs et matières premières d'idées et de technologies. Ainsi, pour s'offrir la stature de prochain coeur économique mondial, chaque nation devra compter sur la vitesse de son développement scientifique.

L'avenir économique d'une nation réside dans ses jeunes et la Chine favorise un rapatriement résolu de ses jeunes docteurs PhD présentement en diaspora mondiale. Cela contraste avec le nombre de nouveaux doctorants formés au Canada. En 2007, la moitié des étudiants chinois, soit plus de 12 millions de jeunes, poursuivaient des études cycles supérieurs en sciences et génie, en santé et en agriculture, dont 144 000 en dehors de la Chine (52 000 rien qu'aux États-Unis).

En comparaison, nous avions un peu plus de 250 000 étudiants inscrits aux études supérieures dans les mêmes domaines, soit 25% des étudiants inscrits à l'université au Canada. Si l'on désire comparer le nombre de chercheurs formés, la Chine est passée de 18 docteurs PhD en 1978 à plus de 240 000 titulaires d'un PhD en 2009. Le Canada, lui, diplôme en moyenne 4000 jeunes doctorants chaque année, toutes disciplines confondues.

Plus frappante encore est cette forte nouvelle tendance des PhD chinois ayant étudié aux États-Unis de retourner en Chine à l'issue de leurs études. Alors qu'en 1994, 3000 d'entre eux rentraient en Chine, ils étaient 40 000 en 2007, pour une croissance moyenne annuelle de 25%.

Le nombre d'étudiants ou de diplômés retournant en Chine a commencé à augmenter au moment même où le gouvernement chinois a décidé d'investir en R&D. Selon l'OCDE, les dépenses de R&D ont augmenté de l'équivalent de 10 milliards$US annuels en 1995, jusqu'à atteindre l'équivalent de 102 milliards en 2008, ce qui place la Chine au quatrième rang mondial, derrière les États-Unis, l'Europe des 27 et le Japon. En comparaison au Canada, ce chiffre est passé de l'équivalent de 11 milliards$US en 1995, à 23 milliards en 2008.

Tout montre que la Chine a l'énorme volonté de devenir le leader économique sur la scène mondiale au moyen d'une stratégie minutieusement planifiée, favorisant l'attraction des cerveaux. En revanche, ces dernières années, les États-Unis et le Canada

n'ont pas éduqués suffisamment leurs jeunes dans les sciences et technologies pour supporter leurs économies.

Cette montée scientifique de la Chine doit aussi se lire à la lumière de sa croissance économique liée aux biens manufacturés. Par exemple, les exportations chinoises vers les États-Unis ont augmenté de 1600% sur les 15 dernières années, tandis que les exportations américaines vers la Chine n'avaient une croissance «que» de 415%.

Nous désertons l'économie des biens manufacturés et nous sommes maintenant en train de céder sur ce nouveau terrain économique, qui se joue d'abord sur le bassin national des personnes de talents scientifiques. Chose certaine, nos actions montrent une mauvaise attitude face à la R&D. Nous n'en sommes ni contrariés, ni embarrassés, ni inquiets. Il faut nous questionner sur les propos rassurants de nos scientifiques universitaires qui prétextent, en partie à raison, que la science n'a pas de frontières.

Par exemple, des articles dans de prestigieuses revues scientifiques nous présentent des opinions optimistes en regard du phénomène; il ne faudrait ainsi plus parler de «fuite», mais de «circulation des cerveaux». Les propos rapportés du Dre Kuner, une neuroscientifique indienne expatriée, soulignent que, si négative que soit la connotation de «fuites des cerveaux», elle relance la compétitivité et le développement local. D'une façon similaire, A. Goodman, président de l'Institute of International Education de New York, pose que la «fuite des cerveaux est aujourd'hui de moins en moins un problème». Selon lui, un signe fort du niveau d'éducation dans une société s'exprime par le fait de pouvoir travailler au sein d'une autre culture. La productivité scientifique occidentale, en qualité comme en quantité, témoigne de la force de notre imagination. Si elle est encore dominante, elle ne doit pas devenir un prétexte pour nous reposer sur nos lauriers. Dans quelques années, la Chine comptera plus de chercheurs en science, génie, santé et agriculture que l'Europe ou l'Amérique.

* L'auteur est professeur titulaire de psychiatrie à la faculté de médecine de l'Université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada en génétique des troubles neuropsychiatriques.