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Religion - Le Pape: un patriarche pas comme les autres

Source: lexpress.fr
"Un patriarche pas comme les autres"

Par Propos recueillis par frédérique de Watrigant, publié le 27/12/2010 à 13:00
Des premiers évêques de Rome à aujourd'hui, l'historien Philippe Levillain décrit la transformation du pouvoir pontifical. Et son principe clef: la primauté du pape.

Pierre a-t-il été le premier pape?

Le Pape Benoît XVI
Saint Pierre est considéré comme le premier pape, car il est celui à qui le Christ a légué la charge de créer son Eglise, comme l'atteste la parole de l'Evangile de Matthieu: "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise." L'Eglise - l'ecclésia, signifiant assemblée - rassemble les disciples du Christ, qui a confié à Pierre son Eglise mais lui a laissé aussi la charge de l'organiser, au-delà de sa propre histoire. La première question posée aux apôtres, et à Pierre, sera celle de son organisation. Dans les premiers siècles, l'Eglise est constituée de communautés, qui se sont créées notamment en Orient. La charge pontificale, réservée à l'évêque de Rome, ne se précise qu'à partir du IVe siècle. A ce moment-là, les questions centrales deviendront celles du mode de désignation et du lieu de la papauté. 

Justement, pourquoi Rome?

Philippe Levillain est chargé de la direction éditoriale du remarquable Dictionnaire historique de la papauté (Fayard) et professeur à Paris X-Nanterre. 

Parce que Pierre a été martyrisé et enseveli à Rome. La basilique Saint-Pierre a été construite au ive siècle sur ce que l'on croyait être la tombe de Pierre. Or les fouilles faites par Pie XII ont permis de retrouver le tombeau et d'attester que le premier chef de l'Eglise avait été enterré à l'aplomb même de l'autel pontifical de la basilique. Rome revêt une charge symbolique considérable, qui sera l'un des grands enjeux de la papauté du ive siècle à nos jours. Pour maintenir sa primauté, l'évêque de Rome aura à lutter à la fois dans l'Eglise et contre les puissances temporelles qui chercheront à s'emparer de la papauté, tête d'un formidable mouvement religieux. 

Que signifie la primauté de l'évêque de Rome et comment a-t-elle évolué?

La primauté est liée à Pierre: il est l'apôtre qui a la primauté sur les Douze. Tous les papes n'ont cessé de la défendre. Ils la consolident petit à petit sur les autres évêques, notamment d'Orient. Il est significatif que Benoît XVI ait fait enlever de la fonction pontificale le titre de patriarche d'Occident. Cela montre que le pape n'est pas un patriarche comme les autres, mais est au-dessus des autres. Au fur et à mesure que la figure de la papauté s'incarne dans l'institution, le rôle du pape devient éminent sur le plan doctrinal: il est le gardien du dogme. Cela aboutira à l'infaillibilité pontificale en 1870, dogme qui n'a jamais d'ailleurs été revendiqué. Le pape, soudain cantonné au Vatican par l'unité italienne, perd son pouvoir temporel. Mais, avec l'infaillibilité, il garde un atout majeur, la primauté spirituelle, qui lui confère une autorité magistrale incontestable.

Puissance temporelle, puissance spirituelle, quels sont les pouvoirs du pape?
La puissance temporelle était née du prétendu legs de Constantin, qui avait conféré aux papes des territoires considérables. La puissance spirituelle, de son côté, a toujours existé: pendant des siècles, les papes avaient une arme redoutable, dont on a oublié la portée, qui est l'excommunication. C'est le fameux épisode de Canossa (1077), où l'empereur germanique Henri IV, excommunié par Grégoire VII, viendra demander son pardon au pape pieds nus dans la neige. Avec l'excommunication, le pape a le pouvoir d'exclure de l'Eglise les souverains les plus puissants, qui sont eux-mêmes responsables du salut de leurs peuples. "Hors de l'Eglise, point de salut" signifie, à une époque où le christianisme imprègne les peuples d'Europe, que, si on est rejeté de l'Eglise, on est condamné à l'enfer. Pour les chrétiens, c'est le pire qui puisse arriver. Après 1870 et la perte du pouvoir temporel, la confiance succède à la crainte et les papes deviennent les médiateurs de la paix. L'exemple le plus célèbre en est la médiation de Jean XXIII, en 1962, dans la crise de Cuba, où, à la demande des deux parties, il sauve le monde d'une troisième guerre mondiale. De fait, les papes jouent, à travers les nonces, un rôle très important sur la scène diplomatique internationale. 

La période noire des Borgia

Les papes Borgia, aux xve et xvIe siècles, incarnent la période la plus scandaleuse de la papauté et de l'Eglise: les charges s'achètent et se distribuent, les évêques et les clercs n'ont pas la foi, c'est le règne de la luxure. Le père de César et de Lucrèce Borgia, Alexandre VI, en est le plus célèbre exemple. Les papes étaient alors à la tête de richesses qui aiguisaient l'appétit des grandes familles italiennes. L'Eglise en viendra au bord du chaos. De là naîtra l'antipapisme et la révolte de Luther. Le succès de la Réforme protestante aboutira à l'ouverture du concile de Trente (1545), imposée au pape Paul III par Charles Quint, événement majeur de la renaissance catholique. 

La papauté est-elle nécessaire au christianisme ou est-elle un obstacle majeur à son unité?
L'Histoire a fait la preuve que le christianisme s'est maintenu grâce à la papauté. La mission de la papauté de faire parler tous les chrétiens d'une seule voix, ambition contestée tout au long de l'Histoire par les schismes, a permis de maintenir une assemblée qui soit le plus unie possible et d'exprimer la catholicité de l'Eglise, à la fois centrifuge et centripète: centrifuge, pour que la foi aille jusqu'aux confins du monde ; centripète, pour qu'elle revienne vers le centre et respecter une unité doctrinale. A contrario, on observe que les courants qui divisent l'islam le mettent plus en difficulté que les courants qui divisent l'Eglise catholique. Le christianisme aurait disparu dans beaucoup de pays s'il n'y avait pas eu de pape. Ce qui ne veut pas dire que les papes n'ont pas fait d'erreur. Mais le fait est que le catholicisme a traversé l'Histoire, certes de façon tumultueuse, d'une manière favorable à l'institution pontificale. L'unité de l'Eglise est indissociablement liée à la primauté du pape: à l'intérieur de l'Eglise, où les décisions importantes, depuis l'origine, sont prises en concile mais promulguées par le pape ; à l'extérieur, dans le dialogue avec les autres Eglises chrétiennes, où la primauté est un élément non négociable. C'est pourquoi tous les papes, petits ou grands, y compris au péril de leur vie, ont défendu la primauté, garante de l'unité.