Autoritarisme et dépendance : Les enjeux de la réforme universitaire en Haïti
jeudi 18 mars 2004
Par Jn Anil Louis-Juste, Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti
La vision de pouvoir qui oriente nos pratiques, est nourrie de la dialectique maître-esclave : le premier commande, le second obéit ; alors que le premier dépend du travail du second pour se reproduire. Toute l’histoire du pays se fait et se défait dans le respect scrupuleux de ce modèle colonial. Jusqu’après 200 ans de l’Indépendance, l’économie haïtienne reste extravertie, même si l’extraversion économique épouse aujourd’hui une autre forme. Nous étions un pays réservé à la production agro-exportatrice ; nous sommes devenus vendeurs de force de travail sans « valeur » et consommateurs de produits valorisés depuis les pays impérialistes. L’application néo-libérale a approfondi notre dépendance à l’égard de l’extérieur. Cette nouvelle division internationale du travail fondée sur la mobilité du capital et la dictature du marché, a maintenu la spirale de la dette. De la « dette » de l’Indépendance à la dette du « développement », nous participons au financement de notre dépendance.
Ce modèle d’organisation de la vie et du travail, est doublement imposé : politiquement et culturellement. L’autoritarisme politique de notre système de gouvernement et la dépendance culturelle de notre système éducatif, sont des expressions concrètes de l’imposition socio-économique. Nos gouvernements, les occidentalisés et les occidentaux, dominent les africanisés en empêchant à ces derniers de vivre dans la solidarité et l’harmonie avec la nature. Les premiers imposaient leur religion et leur philosophie. Aujourd’hui, le développement est la nouvelle religion qui domine à travers la foi dans la technologie. Le manque technologique devient la carence à combattre par les nouveaux fidèles aidés de leur pasteur, l’impérialisme. Dans ces circonstances, on a perverti la coopération en la transformant en un instrument de négation de l’autre et d’appauvrissement de la majorité.
Quand tombe l’illusion du développement ou s’ouvre une crise politique créée par la mésentente entre nos gouvernants, ceux-ci ont recours à la répression et/ou à l’invasion comme moyens de restauration de l’« ordre ». Comme au temps de l’esclavage, l’écrasement de l’autre reste la forme de traitement du différend politique. La désobéissance civile ou la rébellion militaire, le mouvement social ou l’action politique n’ont pas eu d’autre sort. En dépit du libre développement de la citoyenneté, initié par nos ancêtres, les esclaves et marrons de Saint-Domingue, à travers leur communication politique gestuelle, le système politique haïtien reste et demeure profondément autoritaire. La rupture politique coloniale ne s’est pas opérée jusqu’aux racines ; la base matérielle de commandement/obéissance qu’est la structure agraire injuste, a été tout simplement transférée à une nouvelle fondation politique. Les propriétaires terriens maintiennent des rapports verticaux avec les travailleurs agricoles et les paysans, parce qu’ils détiennent les moyens d’organisation de la vie et du travail de ces derniers ; les patrons nient aux ouvriers l’existence du contrat de travail, parce que, en plus de la détention des moyens de production, ils considèrent l’emploi créé comme une faveur donnée aux pauvres [1]. C’est pourquoi d’ailleurs, ils confondent le poste de travail avec le travail lui-même. Souvent, disent-ils, « nous donnons du travail aux gens ». En fait, étant donné qu’ils se croient supérieurs aux autres, ils dérobent à ceux-ci la capacité de produire de la richesse, objectivement et subjectivement [2]. En gros, le développement de l’injustice agraire, alimentée de l’injustice fiscale, a renforcé l’autoritarisme politique et consolidé la dépendance culturelle.
L’éducation comme pratique sociale autoritaire et dépendante en Haïti
L’orientation extravertie de notre économie agraire est soutenue par le Code Rural qui organise la vie et le travail du paysan. Ce dernier est obligé de rester sur les habitations et d’y travailler du lundi au samedi pour produire des denrées destinées à l’exportation. Tout déplacement doit être autorisé. Ces dispositions avaient renforcé les règlements de cultures de Toussaint Louverture, qui interdisaient aux soldats-cultivateurs, l’accès à la propriété de la terre.
L’agro-exportation s’opère en Haïti à partir des expériences acquises par les travailleurs dans la chaîne coloniale. Les gouvernants nationaux se soucient très peu de la diffusion technologique dans la paysannerie, et de l’élévation du niveau culturel des paysans. Le taux d’analphabétisme actuel est le plus élevé en signe de cette insouciance. L’école rurale qui s’est implantée depuis 1860 et renforcée durant la première occupation étatsunienne, à travers l’enseignement professionnel, n’était pas à la portée de tous les enfants. La scolarisation laissait à désirer. Par ailleurs, n’était organisée aucune campagne d’alphabétisation à l’intention des adultes. Il a fallu attendre l’arrivée du gouvernement Estimé pour avoir l’Office National d’Education Communautaire. C’est que la qualité de l’agro-exportation ne constituait pas une préoccupation pour nos gouvernants ; la riche fertilité du sol compensait alors l’absence de développement technologique et permettait ainsi de récolter la quantité ou le volume désiré de denrées.
L’éducation scolaire, quand elle existe, est plutôt organisée de manière autoritaire et dépendante. La pédagogie de Comenius reste en vigueur dans nos écoles fondamentales : un maître omniscient distribue des connaissances à des élèves supposés ignorants. Le matériel didactique n’a commencé à s’adapter au milieu qu’à partir de 1980. L’évaluation s’opère au niveau de l’apprentissage et non de l’enseignement ; la performance individuelle est encouragée au détriment du travail scolaire coopératif. L’esprit de solidarité qui animait la prise d’armes de 1803 et le soulèvement général de 1791 est méprisé au profit de l’individualisme.
L’organisation curriculaire de l’école haïtienne ne favorise guère l’éclosion de la créativité. La culture européenne, et particulièrement française, y est enseignée ; la synthèse féconde des cultures amérindienne, européenne et africaine y est, par contre, méconnue. Ainsi les connaissances que porte cette symbiose culturelle, ne franchissent pas la barrière de l’école, même si des enfants qui symbolisent la représentation de la culture nationale, sont admis dans des salles de classe. L’école réprime donc la culture populaire, au point qu’elle interdit jusqu’à un certain moment, l’expression et la communication tant sur les cours de récréation que dans les salles. Dans ces conditions, n’y a-t-il pas lieu de mettre en question le test d’intelligence pratiqué en Haïti, ainsi que l’explication de la déperdition scolaire ou du redoublement comme phénomènes liés au manque d’intelligence ?
La pratique scolaire forme des individus égoïstes, aliénés et bourrés de préjugés ; ce sont des êtres dépendants de réponses étrangères appliquées à des problèmes locaux [3]. Entre l’économie et la politique, se place une éducation scolaire qui déconnecte la première de la seconde. L’économie n’est alors pas pensée selon les besoins de la population haïtienne, et les hommes politiques se prennent pour des étrangers qui s’empressent de s’enrichir pour aller vivre dans des pays pour lesquels ils sont formés depuis longtemps. La tradition de l’exil politique est contenue dans les rapports sociaux de production et de gestion de la chose publique [4]. L’autoritarisme politique et la dépendance culturelle sont particulièrement inscrits dans les schèmes de pensée de l’élève et de l’étudiant haïtiens, à travers le processus de scolarisation. Devenu professionnel ou homme politique, il agit comme il a été formé.
La centralisation universitaire et la dispersion facultaire : des stratégies contre l’autonomie et l’interdisciplinarité ?
L’insouciance de nos gouvernants pour l’éducation, a rejailli sur l’administration universitaire en Haïti. Fondée en 1860 [5], l’Université d’Haïti reste confinée dans la capitale ; les principales villes de province ne sont dotées d’écoles de droit qu’à partir des années 1950. La concentration universitaire s’est accompagnée de la centralisation administrative quand, en 1960, François Duvalier, ayant maté la rébellion de l’UNEH, avait transformé l’Université d’Haïti en Université d’Etat d’Haïti (UEH) : c’était l’université d’un seul chef, le Président à vie de la République, qui nomma et révoqua les recteurs, doyens, professeurs et fonctionnaires, et sélectionna les étudiants devant être admis à l’UEH. Et la pratique du pistonnisme académique s’est instaurée à l’Université [6]. Des personnes de confiance qui transmettent, dans ces cas, les ordres du pouvoir politique.
En dépit des luttes menées par la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens et de l’existence des Dispositions transitoires de 1997 [7], la centralisation reste la marque administrative fondamentale de la gestion universitaire. Les Recteurs et Vice-Recteurs et le Conseil de l’Université agissent sans consultation des communautés facultaires. Le choix du « sage » devant représenter l’Université dans la transition politique de 2004, illustre le mode d’agir de nos gestionnaires universitaires. Dans les facultés, la situation ne diffère pas. Les conseils de coordination agissent comme des seigneurs modernes :ils s’entourent d’un petit groupe de professeurs et cooptent des étudiants les plus entreprenants. Les deux groupes défendent le point de vue de ces seigneurs dans les assemblées et les salles de classe. La participation est ici manipulée.
La centralisation universitaire empêche l’éclosion de la liberté de pensée, en rendant professeurs et étudiants dépendants d’un chef qui oriente le processus de l’enseignement-apprentissage ; la dispersion facultaire renforce la dépendance en empêchant la création d’écoles de pensée haïtienne. L’interdisciplinarité comme mode cohérent d’aborder sous diverses dimensions, un problème quelconque, est alors découragée dans nos pratiques universitaires. L’espace de rencontre est nécessaire pour entretenir des discussions académiques. L’existence de nouvelles technologies d’information et de communication ne saurait résoudre ce problème, puisque l’esprit d’approche unitaire et diverse n’est pas encore constitué au cours de notre histoire universitaire.
En somme, on aurait pu croire que la centralisation universitaire et la dispersion universitaire sont des stratégies pensées de manière délibérée pour lutter contre l’autonomie ou l’interdisciplinarité scientifique, mais la question est d’abord et avant tout politique. Il n’en demeure pas moins vrai que l’objectif politique de contrôle social montre des incidences néfastes sur l’autonomie de pensée.
Luttes universitaires et autonomie du pays
Nous sommes un pays devenu dépendant, parce que la liberté voulue par nos ancêtres, les esclaves et marrons de Saint-Domingue, est confisquée par l’appropriation privée des terres agricoles. L’aristocratie terrienne d’Haïti restreint la liberté à la seule condition d’être gouverné par ses concitoyens et ceci, quelle que soit l’orientation conservatrice de ces derniers.
L’extraversion économique, la singerie politique et le verbiage culturel forment le cadre dépendant de la société haïtienne. Toutes nos politiques économiques ont été pensées selon les besoins de la France et des Etats-Unis ; l’organisation politique du pays est construite selon le modèle français de la démocratie libérale, encore que les pouvoirs législatif et judiciaire demeurent tributaires du pouvoir exécutif. La culture de la forme prime aujourd’hui encore sur la question de fond : l’école haïtienne est instituée contre toute possibilité de rupture d’avec le passé colonial. La pédagogie bancaire interdit aux élèves de poser les problèmes qu’ils confrontent dans leur vie quotidienne, et de penser aux solutions de problèmes proprement nationaux ou locaux. En dépit de l’importance de la mémoire dans la pratique éducative haïtienne, la pédagogie reste amnésique en ce qui a trait à la récupération critique du projet de liberté nourri par nos ancêtres. On répète à l’école, la leçon de la nature agricole de l’économie haïtienne, mais on se soucie peu de poser la question agraire et de connaître nos potentialités minières [8].
Nos luttes universitaires ont, depuis leur origine, posé la question de la dépendance. En 1929, les étudiants de Damien se soulevèrent au cri de : A bas l’Occupation ! Les membres de l’Union Nationale des Etudiants Haïtiens (UNEH, 1960) contestèrent la main-mise de François Duvalier sur les institutions du pays au nom de la liberté de pensée et de l’autonomie de gestion. Des militants de la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens (FENEH, 1986) revendiquèrent l’autonomie au nom du peuple qui a eu besoin d’être alphabétisé, scolarisé et compris. Plus près de nous, le Front de Résistance (2002) a suivi les traces de ces organisations. Donc, le mouvement étudiant a, en quelque sorte, promu une rupture dans les rapports économique, politique et culturel qui régissent la société. Il s’est toujours allié aux luttes et organisations démocratiques populaires. L’autonomie universitaire est « inconcevable » et impraticable en dehors du processus d’émancipation des secteurs majoritaires de la population. A l’université haïtienne est attribuée la tâche de dessiner les lignes directrices de la reconquête de la liberté pleine. Le processus de déconcentration du pouvoir autoritaire à l’intérieur de l’université, peut être, dans ces conditions, un pas vers la récupération de l’Indépendance nationale.
Nos luttes universitaires veulent démocratiser l’avoir, le savoir et le pouvoir. C’est pourquoi elles sont fortement populaires. La participation et l’auto-gestion restent les deux piliers de la lutte pour l’autonomie. Comme principe ou cause première des activités universitaires, l’autonomie porte à la récupération critique du projet de liberté ancestral. L’activité universitaire doit être menée dans la jouissance de l’autonomie didactique-scientifique, administrative, de gestion financière et patrimoniale. Nos luttes universitaires sont des batailles dirigées pour la formation de citoyens libres et autonomes, donc capables de penser et de réaliser, avec leurs concitoyens, la démocratie dans le pays.
Des pratiques sociales autres, nous mèneront à la construction démocratique. La liberté d’apprendre, d’enseigner, d’investiguer et de diffuser la pensée et le savoir, est un principe basique de ces pratiques. Il s’agit de pouvoir : 1) établir ses objectifs en organisant l’enseignement, la recherche et l’extension sans veto politique ; 2) définir ses lignes de recherche ; 3) créer, organiser, modifier des cours ; 4) élaborer le calendrier scolaire et le régime de travail didactique ; 5) fixer des critères et normes de sélection, d’admission, de promotion et de transfert d’étudiants ; 6) octroyer des grades, diplômes, certificats et autres titres académiques.
Cette liberté didactique-scientifique ne peut pas s’exercer sans l’autonomie administrative conçue comme la pleine liberté de : 1) s’organiser à l’intérieur par l’établissement des instances de décision ; 2) élaborer et reformuler ses statuts ; 3) établir son cadre de recrutement du personnel enseignant et technico-administratif, selon le plan didactique-scientifique. Enfin, l’auto-gestion financière et patrimoniale complète la série. Elle consiste à pouvoir élaborer, exécuter et restructurer les budgets, constituer son patrimoine et en disposer. Comme l’a dit Maria de Lourdes de Albuquerque Fávero, l’université doit cesser d’être une industrie de service pour assumer sa fonction d’institution sociale aspirant à l’universalité de la connaissance, à la réflexion et à la critique [9].
Le contenu populaire de nos luttes universitaires est le fondement de la démocratisation de la société haïtienne. Le mouvement universitaire haïtien s’opère contre l’exploitation économique et l’exclusion sociale. C’est en ce sens qu’il rejoint le Soulèvement Général des Esclaves de 1791, qui a su nous ôter les boulets aux pieds, en voulant nous libérer l’esprit.
La question de l’autonomie selon des organisations socio-politiques haïtiennes
La réforme de l’Université d’Etat d’Haïti préoccupe divers secteurs de la société, mais les préoccupations s’expriment surtout au moment de crise. Par exemple, beaucoup d’entre elles ont rejeté la mesure de contrôle prise le 27 juillet 2002 par le régime lavalas. Dans ces positions de rejet s’exprime aussi leur conception de l’Université.
Dans « Luttes universitaires et Démocratie », le professeur Fritz Deshommes a annexé une série de notes de presse dont il est possible de dégager la vision universitaire de chacune d’elles. Nous avons ici tenté d’en repérer les plus significatifs.
Le Conseil de l’UEH, instance suprême de l’institution, la considère comme « l’un des derniers espaces de liberté, de débat et de fonctionnement démocratique dans le pays ». L’Association des Etudiants de la Faculté des Sciences exprime le principe d’autonomie que des professeurs de la même faculté ont développé comme des règles de liberté d’expression académique, de gestion financière et d’inviolabilité de l’espace de l’UEH, alors conçue comme service public.
L’Association Nationale des Agro-Professionnels Haïtiens a condamné la mesure d’intervention du pouvoir, en réaffirmant le principe d’auto-gestion financière.
Il est ici intéressant de relater les positions de deux groupes d’anciens membres de la FENEH : la première s’en tient à l’enseignement de qualité et au service public :
« Nous ne pouvons tolérer que contre toutes les règles d’éthique et de morale, les responsables publics choisissent d’anéantir les efforts consentis par la société haïtienne dans la construction d’une université publique qui, quoi que l’on dise, assure une formation de qualité à la jeunesse haïtienne et commence à offrir une expertise appréciée à la société dans certains champs scientifiques et technologiques »
La qualité ou l’excellence académique semble être orientée vers le marché ; l’université comme prestataire de services, est alors louée. Dans ces conditions, n’est-ce pas de l’incohérence logique ou de l’éclectisme épistémologique à rattacher l’enseignement de qualité au Service public par la vente de services au marché ?
La seconde conception institue l’université dans la crise sociale que traverse le pays. L’esprit universitaire qui se caractérise par la liberté de penser et la pensée libre, doit construire le développement durable. D’où le rôle d’avant-garde dans la recherche des mécanismes et dispositifs devant permettre au pays de sortir de cette crise structurelle et de s’inscrire dans une modernité construite en fonction de nos vécus, de notre histoire, de nos besoins, de notre culture et capable d’assumer une développement durable ».
La note des professeurs de l’IERAH est très laconique ; ils y renouvellent leur croyance dans l’Université-Temple du Savoir. Cette vision prétend déconnecter le savoir de l’avoir et du pouvoir, en isolant l’institution de la société dans laquelle elle a été fondée. Quant à eux, des professeurs de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire se contentent de condamner l’ingérence du pouvoir, en prenant soin de rappeler le principe d’autonomie universitaire.
Par contre, en dépit de la longueur de sa note de protestation, la Fédération des Etudiants Universitaires Haïtiens n’a livré aucune conception de l’université ; elle n’a fait que rappeler le principe d’autonomie, exprimer son adhérence au processus électoral dit démocratique que venaient de perturber des étudiants cooptés par le pouvoir [10].
La Confédération Nationale des Enseignants Haïtiens a une conception plutôt élitiste de l’université ; elle fait l’éloge de l’intelligence et de la compétence tout en affichant un air de mépris à l’égard des organisations populaires qu’elle a même confondues avec des ’bandes de chimère » :
« Tanpri souple minis, kite demokrasi vanse anndan inivèsite a. Nou gen konfyans nan entelijans ak konpetans pwofesè ak etidyan nan inivèsite a pou rezoud pwoblèm nan.
« Yon move mesaj ki fè kwè moun ki save pa ka rezoud pwòp pwoblèm yo, ale wè pou yo ta jwenn solisyon sou kriz peyi a. Talè na tande òganizasyon popilè ak chime okipe lekòl ak inivèsite pou yo mete deyò pwofesè konsekan yo »
Les organisations de femmes partagent la conception de l’Université comme institution du savoir, mais elles l’ont aussi érigée en porteuse d’espoir pour la nation tout entière. De plus, elles l’associent à la quête de la démocratie, plus précisément à celle de la démocratique :
« Les luttes des populations haïtiennes ont clairement démontré la volonté de vivre dans une société où priment le respect des personnes, la liberté d’expression et la participation. »
Par ailleurs, dix organisations du mouvement dit démocratique, dont l’Initiative Citoyenne, la FEUH, l’Initiative de la Société Civile, ont exprimé leur solidarité à la communauté universitaire en rappelant seulement l’article 21 des Dispositions Transitoires, relatif à la responsabilité du Conseil Exécutif dans la gestion académique, administrative et financière de l’UEH.
Il semble que seule la prise de position du Collectif de Professeurs de l’UEH avait inscrit la « crise » du 27 juillet 2002, dans une perspective globale. Le « processus multiforme de destruction des institutions du pays » participe du fonctionnement d’« un Etat oligarchique et prédateur qui a toujours empêché l’émergence d’un authentique projet de développement national. » « L’agression du 27 juillet s’inscrit aussi dans le cadre des politiques dominantes ultra-libérales en application en Haïti depuis 1982 sous la férule du FMI. »
Le CPUEH associe l’université à une vision assez large de l’éducation supérieure, et livre ainsi sa conception de service public universitaire :
« Nous réaffirmons que la construction de la nation haïtienne exige aujourd’hui une option vigoureuse en faveur d’un service public de l’enseignement supérieur capable - grâce à la qualité de sa production scientifique, grâce à sa capacité à adapter des savoirs et des savoir-faire au processus de transformation sociale, grâce aux débats pluriels qu’elle anime, grâce à sa préoccupation constante pour l’étude approfondie des problèmes de notre pays - d’accompagner l’émergence d’un nouveau projet de société qui soit à la hauteur de défis du XXI ème siècle. L’université est appelée à jouer un rôle capital pour que nous puissions sortir de la grave crise de sens qui nous afflige aujourd’hui.
« Le CPUEH est convaincu que l’Indépendance et l’Autonomie de l’UEH sont des principes cardinaux pour la promotion d’une Université critique, seule apte à former des citoyennes et des citoyens capables de poser sérieusement la question de la démocratie fondamentale et substantielle et de s’engager dans sa construction. »
Il ne faut donc pas croire que les luttes universitaires haïtiennes renvoient simplement à l’instauration de l’Etat de droit, nouvelle idéologie de la dictature du marché. Sous prétexte de lutter pour la démocratie, on brandit l’étendard du droit désincarné. Par ainsi, on comprend le mouvement universitaire comme la lutte et l’organisation pour obtenir la satisfaction des droits d’autonomie académique, d’auto-gestion financière, etc. Alors que le mouvement pour l’autonomie dépasse le cadre de l’université pour s’inscrire dans la trame des relations sociales dominantes à transformer au cours du processus de désaliénation de la société. La question de l’autonomie pose donc le problème des enjeux de la réforme universitaire. Faut-il créer en Haïti, une université publique qui singe l’orientation néo-libérale de la société dite du savoir, sous prétexte de modernisation technologique de l’enseignement supérieur ou une Université publique qui poursuit l’œuvre civilisatrice du Soulèvement Général des Esclaves et Marrons de Saint-Domingue, fondée sur la pleine jouissance du travail comme la plus haute signification sociale de la liberté ? N’est-ce pas là , l’occasion de poser sérieusement la question de notre souveraineté populaire au moment de notre troisième occupation militaire [11] ? Le contexte de globalisation économique qui tend à homogénéiser toutes les cultures pour mieux asseoir la domination du capital, reste dans ces conditions, un défi à lever dans la lutte pour l’autonomie de l’université et le recouvrement de l’Indépendance du pays.
Jn Anil Louis-Juste
10 mars 2004
[1] Il s’agit d’une survivance de l’histoire coloniale de la société haïtienne.
[2] En leur faisant accroire par exemple, que la machine est la source du travail, ils sont portés à nier leur propre capacité à changer le monde.
[3] Déjà , en 1847, les Frères de l’Instruction Chrétienne et les Sœurs de Saint Vincent de Paul étaient appelés à nous aider dans la tâche nationale d’éducation des futurs citoyens du pays. Mais, c’est en 1860 que le Concordat de Damien viendra réaliser ce programme. L’instruction religieuse sera modernisée et renforcée. L’administration scolaire, établie sous l’égide de la paroisse, utilisera la chapelle pour répandre cette instruction dans la population.
[4] Etant donné que le système servo-capitaliste haïtien est incapable de produire des richesses pour être distribuées même de manière inégalitaire, des hommes et femmes de pouvoir pillent les caisses de l’Etat pour se donner un train de vie digne d’un prince étranger.
[5] La loi du 29 décembre 1848 prévoyait déjà « l’institution d’une école nationale de Droit (Â…), l’adjonction à celle de Port-au-Prince, de deux écoles de médecine et de chirurgie au Cap et aux Cayes » (Edner Brutus, Instruction Publique en Haïti 1492-1945, p. 166). C’est en 1860 que l’Université d’Haïti commença à fonctionner. Elle se composait alors de l’école de Droit, de l’école de Musique, de l’école de Dessin et de Peinture, et de l’école de Médecine. L’Ecole des Sciences Appliquées ne sera fondée qu’en 1902.
[6] L’école haïtienne est pourtant née sous le régime de l’élitisme et du « pistonnisme ». Une Commission d’Instruction Publique était chargée d’octroyer les rares places disponibles dans les écoles nationales et lycées, aux enfants de l’aristocratie militaire, administrative et/ou terrienne, et aux élèves « de bonne conduite et intelligence » (cf. : article 95 de la loi du 29 décembre 1848) (Edner Brutus, p. 162). D’autres raisons politiques justifiaient le pistonnisme pratiqué sous la dictature de François Duvalier. Il s’agissait de lutter contre la montée de la pensée critique, alors taxée de subversive. Il y a lieu ici de mentionner que l’approche radicale de phénomènes sociaux est liée au mouvement de la réalité et ne peut donc ne pas être une méthode dérivée d’une philosophie qui met en question, toute politique fondée sur l’esprit positif du monde.
[7] Il s’agit des mesures prises le 21 février 1997, par le Ministre de l’Education Nationale, Jacques Edouard Alexis, pour gérer l’UEH, en attendant la publication de la loi portant création de l’université publique autonome d’Haïti.
[8] Le bruit court que le sous-sol de Jacmel renferme un important gisement d’un minerai assez intéressant dans la construction de vaisseaux spatiaux, mais, pour le moment, nous ne disposons d’aucune connaissance sur cette ressource.
[9] In "Autonomia universitairia no Brasil : uma Utopia ?", EPAA, 1999.
[10] Le Front de Résistance n’a pas droit à la publication de sa conception de l’université. Le professeur Deshommes s’est contenté de publier une photo de conférence donnée en août 2002.
[11] Il y a lieu de se rappeler que cette occupation a été préparée en vue d’éteindre les feux populaires de la commémoration du Bicentenaire de l’Indépendance.