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Prêtrise, Police et Psychologie, par Lucréce Luciani-Zidane

Pourtant, son discours, plein de bon sens et de rationalité, déplace habilement les enjeux véritables de l'Eglise qu'il ne peut ignorer mais qu'il partage, de fait, de par son engagement dans la chrétienté.

On ne parlera donc plus de la question du mariage sauf à faire remarquer qu'elle n'est pas réglée pour autant sur le fond. Rappelons rapidement que dans la constitution du christianisme, le célibat est prôné par Paul tandis qu'en même temps et de mauvaise grâce (!), le mariage est envisagé (c'est-à-dire toléré) uniquement comme remède à la la sexualité. (1 Co 7,7...9) (Th 4,4)

Encore faut-il souligner (et c'est sur cette ignorance bien répandue du dogme que H. Küng joue pour séduire l'opinion) qu'il s'agit de la sexualité en "tant que telle", c'est-à-dire son "humaine expression" et non pas tant ses excès comme ses déviations (que toutes les religions et certaines morales stoïciennes ont toujours combattues).

Dans une religion (répétons-le dans laquelle aucun prêtre n'a les moyens de se soustraire) et qui traite d'emblée et de manière aussi oxymorique la question du désir, il n'est pas certain que notre prêtre du moment comprenne lui non plus "grand-chose" au fonctionnement de ce qu'il appelle "cette grave pathologie de l'objectivation sexuelle", à savoir donc la pédophilie. Que propose-t-il alors qu'il se garde bien de rappeler ce qui constitue sa foi assortie.... de son job de psychothérapeute ? Eh bien justement, il propose la recette de la psychologie, certain d'avance de trouver un écho favorable dans notre société qui en est saturée.

Pour ce qui est de ses arguments, on reste confondu par leur banalité consensuelle autant que par leur pseudo-libéralisme d'un religieux osant affronter ce qu'il appelle "l'immaturité sexuelle" du clergé. Ce religieux à la mode thérapeutique fait semblant de ne pas savoir que le dogme de l'Eglise auquel il appartient (avec comme condition le sacrifice non moins inconditionnel de sa sexualité par amour "de" Dieu) est absolument inébranlable (!).

C'est ce que rappelle toujours plus le pape (voir à nouveau ses derniers propos parus dans l'édition du Monde, le même jour) et dont c'est la fonction. La question n'est pas du tout celle de "comprendre" la prise de position du Vatican - il n'y a justement aucune psychologie là-dedans - mais plutôt de savoir donc comment les choses sont consacrées depuis toujours.

Comme l'a écrit le regretté philosophe Alain Tête dans un livre fameux autant que méconnu (2002), il n'y a que les ignorants - c'est-à-dire les athées - pour se prêter à croire (!) que le dogme de l'Eglise peut s'ouvrir soudainement à l'amour humain. Entre Eros (l'amour humain) et Agapè (l'amour "de Dieu"), les jeux sont faits comme le démontre la magistrale étude du théologien Anders Nygren (1930), qui vient d'être rééditée.

Et s'il n'y avait qu'une seule phrase pour dévoiler (démasquer) ce fond immuable de chrétienté de l'auteur, ce serait celle-ci : "La masturbation, exercice uniquement narcissique". On est là en plein charabia ! Encore qu'il faille rappeler que ce que le christianisme "hait" le plus fondamentalement (Paul, Pascal, Luther, Kierkegaard) c'est l'amour de soi... (appelé égoïsme dans les cours de cathéchisme). C'est-à-dire la quintessence de l'amour humain, antinomique pour la chrétienté de l'amour "de" Dieu. C'est cela même qui est visé encore et toujours par notre pseudo-sexologue. Comment ne pas voir, comment ne pas lire ici qu'on est - toujours - en peine moralité chrétienne, jamais autant à l'oeuvre dès qu'elle se pique de parler de la sexualité autant que de l'amour ?

Enfin comme la psychologie et la police ne sont jamais très loin ( comme l'a rappelé G. Politzer dans un texte célèbre) on finira sur la proposition de "faire de l'Eglise un lieu sécurisé pour les mineurs". La boucle est bien et bel bouclée. De quelle façon pourrait-on s'y prendre autrement qu'en rendant ces pauvres séminaristes un peu plus... pervers que la religion chrétienne s'y est employée elle-même dans l'adhésion à sa foi ? Ne nous faisons plus leurrer par ce saupoudrage psychologique et social ! La religion chrétienne n'a de cesse que de vouloir sauver que ce qu'elle a d'abord soigneusement dénaturé elle-même, comme l'a démontré Nietzsche et écrit D.H. Lawrence. Soyons plus que jamais vigilants à toutes les défoques idéologiques qu'elle emploie, au fil des époques, pour parvenir à ses fins uniquement eschatologiques. Ne cessons pas de la dénoncer telle qu'elle hait.

Lucrèce Luciani-Zidane est psychanalyste. Auteur de L'Acédie, le vice de forme du christianisme. De saint Paul à Lacan, Editions du Cerf, septembre 2009.