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Philosophie - Qu'est-ce-que la rhétorique ?

La rhétorique (du grec ancien ῥητορικὴ [τέχνη] / rhêtorikề [tékhnê], « technique/art oratoire »), désignant au sens propre « l'art de bien parler », est l'art ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage. La rhétorique est à la fois la science (au sens d'étude structurée) et l'art (au sens de pratique reposant sur un savoir éprouvé) qui se rapporte à l'action du discours sur les esprits. À ses débuts, la rhétorique s'occupait du discours politique oral avant de s'intéresser de manière plus générale aux textes écrits et surtout aux textes. Les termes « rhétorique » ou « sophistique » sont souvent utilisés avec un sens péjoratif, quand on souhaite opposer les paroles creuses de l'action, ou séparer l'information de la désinformation, de la propagande, ou encore pour qualifier des formes douteuses de discours pseudo-argumentatif.

Une question rhétorique est une question dont la réponse est implicite.

Histoire de la rhétorique


La rhétorique, qualifiée par Roland Barthes de métalangage (discours sur le discours), a comporté plusieurs pratiques présentes successivement ou simultanément selon les époques.

La rhétorique n’a jamais été abandonnée au long de l’histoire. Mais, selon les époques, elle a eu des statuts bien différents. En schématisant fortement son évolution, on peut dire qu’elle a constamment oscillé entre une conception sociale et une conception formaliste et qu’elle a fini par mourir au XIXe siècle, avant de renaître, de manière spectaculaire au XXe siècle.

La conception sociale est celle qui mise principalement sur le discours en public et la controverse (philosophique et politique surtout). Cette conception de la rhétorique a surtout été défendue durant l'Antiquité par les sophistes, Démosthène, Cicéron et Quintilien. L'approche formaliste se focalisant, elle, sur les techniques discursives, et notamment sur celles qu'étudiait l'élocution (voir Ramus, Dumarsais, Pierre Fontanier, Gérard Genette, le Groupe µ entre autres). Dès la basse Antiquité, en effet, à la suite de la disparition de la cité antique, la fonction politique de la rhétorique s'est perdue : l’éloquence perd son statut d'instrument politique pour devenir simple fin recherchée en elle-même. On conçoit que la rhétorique se réduise alors à l'étude des ornements relevant de l'elocutio. C'est pourquoi l'approche sociale de la rhétorique tend à maintenir intacte l'opposition entre rhétorique et poétique, la seconde à l'abolir voyant dans les deux disciplines une études des structures des textes et discours.

On peut constater parallèlement que progressivement, chacune des parties du grand édifice conceptuel qu’elle constituait a pris son indépendance, tant dans le domaine des disciplines théoriques que dans celui des disciplines pratiques. D'un côté, le raffinement des mécanismes de démonstration a débouché sur la logique formelle. L'art mnémotechnique est devenu autonome et s'est séparé de la rhétorique. La linguistique et plus précisément la stylistique ou la pragmatique ont repris le relais de bien des analyses de la rhétorique.

La rhétorique chez les Grecs

Dans l'Antiquité la rhétorique s'intéressait à la persuasion dans des contextes publics et politiques, comme les assemblées et les tribunaux. À ce titre, elle s'est développée dans les sociétés ouvertes et démocratiques avec des droits de libre expression, de libre réunion, et des droits politiques pour une partie de la population.

C'est le premier des sept arts à maîtriser dans le cursus scolaire du monde gréco-romain comme la grammaire, la dialectique, la géométrie, l'arithmétique, l'astronomie et la musique. Les théoriciens de la rhétorique (Anaximène, Aristote, Démétrios, Cicéron, Quintilien, Hermagoras, Hermogène, d'autres encore) ont formalisé la discipline, tant sur le plan pratique que sur le plan théorique.

Dès les origines, la rhétorique a eu un versant pratique et un versant théorique et philosophique. D’un côté, elle s'est constituée en ensemble de recettes se mettant à la disposition de l'orateur ou de l'écrivain. Mais, très tôt, on s’est avisé qu'elle mobilisait des questions théoriques de première importance. En effet, elle situe son action dans le monde du possible et du vraisemblable. "Elle se prononce sur l'opinion, non sur l'être; elle a sa source dans une théorie de la connaissance qui se fonde sur le vraisemblable (eikos), le plausible et le probable, non sur le vrai (alethes) et la certitude logique." [1] En s'occupant du vaste domaine des sentiments, des opinions, la rhétorique pose des questions comme la crédibilité, le lieu commun ou l'évidence, que la sociologie ou les sciences du discours assumeront par la suite.

Les origines

La rhétorique en tant que discipline autonome naquit vers 465 avant J.-C en Grèce antique lorsque deux tyrans siciliens, Gelon et Hiéron, exproprièrent et déportèrent les populations de l'île de Syracuse pour le peuple de mercenaires à leur solde[2]. Les natifs de Syracuse se soulevèrent démocratiquement et voulurent revenir à l'état antérieur des choses, ce qui aboutit à d'innombrables procès de propriété. Ces procès mobilisèrent de grands jurys devant lesquels il fallait être éloquent. Cette éloquence devint rapidement l'objet d'un enseignement dispensé par Empédocle d'Agrigente, Corax et Tisias (à qui est attribué le premier manuel), enseignement qui se transmit en Attique par les commerçants qui plaidaient conjointement à Syracuse et à Athènes.

Les sophistes

La rhétorique fut ensuite rendue populaire au cinquième siècle avant Jésus-Christ par des professeurs itinérants connus sous le nom de sophistes qui donnaient des cours de rhétorique (notamment). L'objet central de leur préoccupation était le "logos" ou de manière générale tout ce qui avait à voir avec le discours. Ils définirent les parties du discours, analysèrent la poésie, distinguèrent les synonymes, inventèrent des stratégies d'argumentation. Leur fin était en effet de permettre de comprendre les types de discours et les modes d'expressions les plus à mêmes de convaincre leur auditoire et d'accéder aux plus hautes places dans la cité. "Les Sophistes s'adressent à quiconque veut acquérir la supériorité requise pour triompher dans l'arène politique". [3]

Les grands sophistes les plus célèbres furent Protagoras, Gorgias, Prodicos, l'un des premiers à étudier le langage et la grammaire, et Hippias d'Élis, une véritable encyclopédie vivante qui prétendait tout savoir. Protagoras est considéré comme le père de l'éristique, l'art de la controverse. Son enseignement repose sur l'idée que sur n'importe quelle question, on peut soutenir deux thèses contraires. Gorgias était surtout connu pour le travail du style de ses textes épidictiques. Il développe une véritable prose d'art pour remplacer la métrique et la musicalité du vers [4].

Démosthène

Le plus grand rhéteur grec fut sans doute Démosthène. Il s'engage rapidement dans la politique et attaque durement Philippe de Macédoine dans ses Philippiques. L'art rhétorique de Démosthène est rien moins qu'orthodoxe. Ses discours bouleversent l'ordre traditionnel des parties du discours (exorde, narration, preuve et épilogue). Il joue beaucoup des métaphores, comparaisons et autres paradoxes. Surtout, il compte sur les changements de ton, tantôt familier, tantôt solennel, tantôt jouant sur les sentiments, tantôt calme et posé. Il n'hésite pas à manipuler son public, l'invectivant ou l'interrogeant tour à tour.

Rhétorique à la période hellénistique


À l'issue des conquêtes d'Alexandre le Grand et des guerres des diadoques, le centre de gravité économique et culturel du monde grec se déplace de la Grèce continentale vers le royaume séleucide d'Antioche : graduellement, les rhéteurs d'Asie mineure rompent avec la tradition attique du discours. Dans un premier temps, ils font évoluer l'art rhétorique grec en mâtinant la pureté du dialecte attique de formes du grec ionien parlé en Asie Mineure : c'est la raison pour laquelle les atticistes qualifient ces orateurs d'Asiani ou Asiatici. Peu à peu, le terme d'asianisme finit par désigner, non plus une forme de langue, mais un style bien reconnaissable, fondé sur un discours pleins d'artifices, d'expédients techniques et jouant sur les sonorités. On attribue les premiers principes de ce style au rhéteur Hégésias de Magnésie (Lydie, vers 320-280 av. J. Chr.), lequel s'appuyait sur l'œuvre de l'orateur athénien Carisios (vers -300), lui-même épigone de Lysias (445 av. J. Chr. / 380 av. J. Chr.). L'asianisme, né en réaction à la rhétorique d'Attique, s'impose comme une forme de discours plus brillante et plus efficace, mais il tombe graduellement dans l'enflure et le pathos, l'exagération, les effets faciles, les tournures maniérées et recherchées.

La rhétorique chez les Romains

Les Romains chez lesquels l'art oratoire était devenu une partie importante de la vie publique, tenaient les rhéteurs grecs en si grande estime qu'ils engagèrent certains d'entre eux dans leurs écoles. La rhétorique romaine repose donc largement sur des bases grecques bien qu'elle ait préféré une approche pratique à des réflexions théoriques et spéculatives. Cicéron (106-43 avant JC) et Quintilien (35-100) furent les deux rhéteurs romains les plus importants et leur travaux s'inscrivent dans la lignée d'Isocrate, de Platon et d'Aristote.

Bien que peu connu à l'époque romaine, la Rhétorique à Herennius (parfois attribué à Cicéron bien que sans doute à tort) est un des premiers textes de la rhétorique latine. Son auteur était probablement un rhéteur latin de l'Île de Rhodes et pour la première fois une analyse systématique de l'elocutio et tout particulièrement des trois styles (simple, moyen et sublime)[5]. La Rhétorique à Herennius fournit un aperçu des débuts de la rhétorique latine et au Moyen-Âge et à la Renaissance il fut largement publié et fut utilisé comme un manuel de base de la rhétorique.

Cicéron

Qu'il ait écrit ou non la Rhetorica à Herennius, Cicéron, à côté de Quintilien (le professeur de rhétorique romain le plus influent) est considéré comme le rhéteur romain le plus important. Son œuvre inclut le De Inventione oratoria, De Oratore (un traité complet des principes de la rhétorique sous forme dialoguée), les Topiques (un traité rhétorique des lieux communs dont l'influence fut très grande à la Renaissance), le Brutus (un dialogue sur les rhéteurs les plus célèbres) et l'Orator (une défense du style de Cicéron)[6].

Cicéron a laissé un grand nombre de discours et de lettres qui posent les bases de l’éloquence latine pour les générations à venir. Ce fut la redécouverte des discours de Cicéron (comme la défense de Archias) et de ses lettres (à Atticus) par des érudits et écrivains italiens tels Pétrarque qui fut à l’origine du mouvement culturel de la Renaissance.

Quintilien

La renommée de Quintilien est très grande depuis l'Antiquité. Sa carrière commença comme plaideur dans un tribunal. Sa réputation grandissait tant que Vespasien créa une chaire de rhétorique pour lui à Rome. Le plus haut point de l’œuvre de sa vie fut Institutio oratoria, un long traité où il discute de l’entraînement pour être un rhéteur accompli et recense les doctrines et opinions de nombreux grands rhéteurs qui l’ont précédé.

Dans les Institutes oratoria, Quintilien montre l’organisation nécessaire des études de rhétorique qu’un futur orateur doit suivre. La première phase commence par l'apprentissage du langage qui doit être assuré par des nourrices s'exprimant dans un langage impeccable[7]. La deuxième phase (à partir de 7 ans) repose sur l'apprentissage chez le grammaticus de la lecture, de la découverte de la poésie, il fait des rédactions (comme raconter des fables)[8]. La troisième phase débute vers 14 ans. Il s'agit de découvrir la rhétorique en rédigeant des narrations (panégyriques élémentaires, parallèles) et des declamationes ou discours sur des cas hypothétiques[9].

La rédaction de discours dans un cadre pédagogique ou pour s’entraîner se répandit et se popularisa sous le nom de « déclamation ». Les différentes phases de l’entraînement rhétorique en lui-même étaient au nombre de cinq et furent suivies pendant des siècles :

* Inventio (invention)
* La dispositio (disposition, ou structure)[10]
* L’elocutio (style et figure de style) [11]
* la memoria (apprentissage par cœur du discours et art mnémotechnique)
* L’Actio (récitation du discours)[12].

Quintilien tente de décrire non seulement l’art rhétorique mais aussi la formation de l’orateur parfait comme un citoyen politiquement actif et soucieux de la chose publique. Sa mise en avant de l’application de l’entraînement rhétorique dans la vie réelle témoigne d’une nostalgie pour l’époque où la rhétorique était un instrument politique important et en partie une réaction contre la tendance croissante dans les écoles romaines de rhétorique à séparer les exercices scolaires et la pratique juridique réelle.

Bien qu’en général il ne soit pas considéré comme un rhéteur, Saint Augustin (354-430) avait reçu une formation en rhétorique et fut un temps professeur de rhétorique latine. Après sa conversion au christianisme, il s’intéressa aux arts païens afin de diffuser sa nouvelle religion. Ce nouvel usage de la rhétorique est étudié dans le quatrième livre de De Doctrina Christiana qui pose les bases de ce qui deviendra la homélitique, la rhétorique du sermon.[13

La rhétorique au Moyen-Âge

Une des figures centrales dans la renaissance de la rhétorique classique fut Érasme (c.1466-1536). Son ouvrage, « De Duplici Copia Verborum et Rerum » (1512), connut plus de 150 tirages à travers toute l’Europe et devint l'un des manuels de base sur le sujet. Son traitement de la rhétorique est moins étendu que celui des ouvrages classiques de l’Antiquité mais fournit une analyse classique de la « res-verba » (de la matière et de la forme du texte). Son premier livre traite de l’elocutio montrant aux étudiants comment utiliser les tropes et lieux communs. Le deuxième recouvre l’inventio. Il insiste largement sur la variation si bien que les deux livres insistent sur la manière d’introduire la plus grande variété dans le texte. L'Éloge de la Folie eut également une influence considérable sur l’enseignement de la rhétorique à la fin du XVIe siècle. Son plaidoyer (encomium) en faveur d’une qualité telle que la folie fut à l’origine d’un exercice populaire dans les écoles de grammaire élisabéthaine, nommé plus tard adoxography, qui exige des élèves de faire l’éloge de choses inutiles.

La rhétorique française au XVIII et XIXe siècle


César Chesneau Dumarsais fut le plus grand spécialiste français de la rhétorique.

Pierre Fontanier fut un grammairien français. Il est l'auteur de deux manuels qui recensent et étudient de manière systématique les figures de style. Ces deux ouvrages formèrent la base de l'enseignement de la rhétorique en France au XIXe siècle. Il s'agit du Manuel classique pour l'étude des tropes (1821) et de Des figures autres que tropes (1827) inséparables l'un de l'autre[14]. Tombées en désuétude au XXe siècle, les œuvres de Fontanier ont connu un regain de faveur depuis 1968, lorsque Gérard Genette les a rééditées chez Flammarion. Les Figures du discours constitue l'aboutissement de la rhétorique française[15]. Les Figures du discours représente une des tentatives les plus rigoureuses pour définir avec précision le concept de figure, pour établir un inventaire systématique et pertinent. Mais Fontanier veut également définir le plus rigoureusement possible le concept de figure de style. "Le souci fondamental de Fontanier, qui s'était déjà exprimé avec force dans sa critique de Dumarsais, c'est en effet de définir ce concept le plus rigoureusement possible, dans son extension et sa compréhension, et de dresser un inventaire scrupuleusement fidèle, dans le détail de ses exclusions et de ses annexions, à la lettre et à l'esprit de la définition."[16]

La définition que donne Fontanier de la figure de style se rapproche de la conception des stylisticiens car il la comprend comme écart. Il écrit en effet: "Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours [...] par lesquels le langage [...] s'éloigne plus ou moins de [...] l'expression simple et commune."[17

Rhétorique moderne

La différence essentielle avec la rhétorique ancienne est que la contemporaine n'entend plus fournir des techniques, mais à un caractère scientifique, en ceci qu'elle veut dégager les règles générales de la production des messages. Il ne s'agit plus de former des rhéteurs mais de réfléchir sur les rhéteurs.

La rhétorique contemporaine de langue française [18]

Cette renaissance se produit en trois endroits distincts. Trois néo-rhétoriques de langue française naissent dans la seconde moitié du XXe siècle: elles sont la rhétorique perelmanienne, la rhétorique des figures (illustrée par Roman Jakobson, Gérard Genette et le Groupe µ), et l'école française de rhétorique issue des travaux de Marc Fumaroli.

Chez des philosophes du droit (comme Chaïm Perelman, professeur à l'Université libre de Bruxelles), elle entendait occuper le terrain laissé vacant par une logique qui s'était formalisée au point de perdre peu à peu le contact avec la réalité pratique. Cette rhétorique, aujourd'hui illustrée par Michel Meyer, successeur de Perelman, étudie les mécanismes du discours social général et de son efficacité pratique; elle se penche par exemple sur la propagande politique ou commerciale, et la controverse juridique ou philosophique. La «nouvelle rhétorique» a été initiée par Chaïm Perelman dans son ouvrage écrit en 1958 avec Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l'argumentation, la nouvelle rhétorique. À la suite d'Aristote ou d'Isocrate, l'ouvrage s'inscrit dans la grande tradition rhétorique de la théorie du discours persuasif. Le but est à l'origine d'essayer de savoir comment fonder les jugements de valeur. L'argumentation et son rôle prépondérant dans la rhétorique sont les éléments fondateurs de cette "nouvelle rhétorique". Il faut toutefois noter que cette école n'a eu qu'une influence tardive et controversée (années 1990) sur la réflexion menée en France.

L'autre cadre qui permet la résurrection de la rhétorique est la poétique contemporaine, issue du structuralisme et de la sémiotique. Dans les années 1960, la linguistique a en effet été en quête de structures linguistiques qui seraient spécifiques à la littérature, recherche que la stylistique ne permettait pas de mener. Dès 1958, Roman Jakobson donnait une nouvelle jeunesse au couple métaphore-métonymie, et dès 1964 Roland Barthes notait que la rhétorique méritait d'être repensée en termes structuraux. Ce qu'ont par exemple fait dans les années 1960 et 70 les travaux de Tzvetan Todorov, de Gérard Genette, de Roland Barthes ou du Groupe µ de l'Université de Liège, portant essentiellement sur les mécanismes sémiotiques à l'œuvre dans la figure. Les travaux du Groupe µ, visant à une rhétorique générale, ont permis d'adapter la notion de figure à d'autres sémiotiques que la langue, comme par exemple à la sémiotique visuelle. On peut y agréger le travail de Georges Molinié, en Sorbonne. Par contre, les travaux riches et exemplaires de Louis Marin s'inscrivent seulement en partie dans cette tendance.

Distinctes l’une de l’autre parce que s'inscrivant dans des traditions différentes, la néo-rhétorique de l’argumentation et la néo-rhétorique des figures, ont de nombreux points en commun, qui ont été mis en évidence par Jean-Marie Klinkenberg : elles étudient en effet toutes deux comment le sens circule dans un groupe social, et surtout comment il peut évoluer.

Sous l'impulsion de Marc Fumaroli, fondateur de la Société internationale pour l'histoire de la rhétorique, avec Nancy Struever et Brian Vickers, se développe, à partir des années 1970 et sur la base des études de la Renaissance et du classicisme, une école française de rhétorique qui incarne vraiment ce qu'on nomme le "rhetorical turn" - marqué par la création d'une chaire de rhétorique au Collège de France et l'édition d'une Histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne qui valut à Marc Fumaroli la consécration du Prix Balzan [19]. Cette école française de rhétorique vient de marquer trente ans de travaux [20]. Ces recherches rencontrent celles issues de la réflexion de philologues hellénistes et latinistes sur les Sophistes et sur Cicéron, tels que Jacques Bompaire, E. Dupréel et Jacqueline de Romilly. Se forge ainsi une école française de rhétorique dont les préoccupations s'étendent de la mythologie indo-européenne (Georges Dumézil) aux travaux de Jacques Derrida sur la voix, en passant par le Moyen-Age latin (Alain Michel), la Renaissance (Pierre Laurens), le 17e (Roger Zuber, Marc Fumaroli) et l'époque moderne et contemporaine. Cette école française de rhétorique est critique à la fois du formalisme des théories de l'argumentation et de l'absence des données historiques du structuralisme sémiotique: elle fonde la rhétorique dans le fait culturel - la philosophie antique avec Nicole Loraux,Barbara Cassin et Carlos Lévy, l'histoire littéraire avec Delphine Denis et Antoine Compagnon, la sociologie et l'anthropologie des représentations avec Bruno Latour, Marcel Detienne et Philippe-Joseph Salazar, les études de gestion avec Romain Laufer (HEC-International), les études littéraires et de théorie de l'art, dans les travaux, entre autres, de Marc Fumaroli et de ses disciples historiens de la culture et de l'art telles que Françoise Waquet et Colette Nativel.

Le système rhétorique[21]


Il est traditionnel depuis Quintilien de distinguer cinq éléments dans la rhétorique. Ces phases sont surtout connues sous leur nom latin (parce que le traité de rhétorique de Quintilien a été longtemps pris comme base d’enseignement) : inventio, dispositio, elocutio, actio, memoria. Chacune de ces étapes suppose ou appelle l'élaboration ou l'intervention de disciplines distinctes (stylistique pour l'elocutio, logique pour la dispositio, etc.).

* Invention (inventio : art de trouver) : tout ce qui concerne la recherche des idées et leur développement en fonction du sujet à traiter et des destinataires à toucher. Inséparable de la topique.
* Disposition (dispositio) : tout ce qui concerne la construction du discours, ses différentes parties, ses transitions, etc.
* Élocution (elocutio) : tout ce qui concerne les procédés touchant au style, aux sons, aux rythmes, etc.
* Action (actio) : les moyens à mettre en œuvre pour dire et jouer le texte qu'on prononce, comme le ferait un acteur. C'est la partie la plus externe de l'art oratoire.

Exemples: la gestuelle et la prononciation.

* Mémoire (memoria) : les moyens de retenir un texte préalablement composé, ou d'improviser à partir d'un « stock » de formes pré-définies.

Invention
L'invention (ou inventio ou heurésis) est la première des cinq grandes parties de la rhétorique. L'invention est la recherche la plus exhaustive possible de tous les moyens de persuasion relatifs au thème de son discours et est traitée dans la topique. Ces moyens sont les suivants: les sujets, les preuves et les arguments, les lieux, les techniques de persuasion, les techniques d'amplification.

L'invention est toujours d'un mixte entre deux choses différentes. D'une part, ce qui est directement commandé par le sujet de la cause (notamment dans le genre judiciaire), et qui concerne précisément les choses dont on va parler. Cette partie est donné à l'orateur qui doit ensuite l'inclure dans son discours. D'autre part l'ensemble des procédures logiques et discursives qui déterminent le développement du discours : i.e. les lieux les plus propres à orienter l'argumentation (ce qui inclut donc, dans le judiciaire, les preuves).[22

Disposition

La disposition étudie la structure du texte et les figures de style. Cette partie centrale a eu même tendance à devenir l'unique objet de la rhétorique.

Chaque discours retrouve la même structure classique :

* exorde ou introduction (captatio benenvolentiae), captation de la bienveillance de l'auditoire
* narration et proposition (narratio) exposé des faits et exposé des motifs
* probation (probatio) ensemble des preuves que l'on expose
* refutation (refutatio)
* péroraison (ou conclusion).


Figures de rhétorique (ou figures de style)

Typologie des figures de style

Les figures de style relèvent de la typographie. Il s'agissait à l'origine d'une partie de la rhétorique avant de devenir l'élément le plus analysé et le plus discuté de la rhétorique.

Les classifications habituelles des figures de style sont parfois insatisfaisantes (par exemple, parler de "figures de mots" ne permet pas de savoir si ces figures affectent le sens ou la forme des mots). Et par ailleurs, les figures de sens peuvent affecter des ensembles d'un niveau supérieur au mot (comme la phrase, ou un texte entier). Dautres classements sont donc possibles. Par exemple, le Groupe µ distingue les métaplasmes (figures morphologiques), les métasémèmes (figures sémantiques), les métalogismes (figures logiques et figures de la référence) et les métataxes (figures de la syntaxe).
Typologie des figures[23] Figures de grammaire  Figures de pensée  Figures de mots (tropes)
chiasme  antithèse  métaphore
ellipse  comparaison  métonymie
inversion  euphémisme  synecdoque
périphrase  hyperbole  antonomase
pléonasme  ironie 
litote

Rhétorique et philosophie

Platon oppose deux rhétoriques :

* la rhétorique sophistique, mauvaise, est constituée par la logographie, qui consiste à écrire n'importe quel discours et a pour objet la vraisemblance, l'illusion ;
* la rhétorique de droit ou rhétorique philosophique, qui constitue pour lui la vraie rhétorique qu'il appelle psychagogie (formation des âmes par la parole).

Pour Platon (dont deux dialogues concernent précisément la rhétorique : le Gorgias et le Phèdre), l'essence de la philosophie reposait dans la dialectique : la raison et la discussion mènent peu à peu à la découverte d'importantes vérités. Platon pensait que les sophistes ne s'intéressaient pas à la vérité, mais seulement à la manière d'y faire adhérer autrui. Ainsi il rejetait l'écrit et recherchait l'interlocution personnelle, l'ad hominatio. Le mode fondamental du discours est le dialogue entre le maître et l'élève.

Toute l'histoire de la rationalité en philosophie est traversée par le débat mis en forme par Platon entre la rhétorique, qui argumente sur des opinions probables et transitoires (donc, pour lui: fausses, ou du moins faussées), et la philosophie, qui argumente sur/vers des vérités certaines; sur d'une part une raison du bon sens, du lieu commun, une raison raisonnable, et d'autre part une raison tranchante, absolue, détachée des hommes tels qu'ils vivent. Toute l'histoire de la philosophie politique en est le reflet: depuis Platon il y a une politique du vrai, de l'absolu, du dogme, et des politiques du possible, du relatif, du négociable - ce qui était précisément comment les Sophistes définissaient la pratique rhétorique, bonne pour eux, de la démocratie délibérative[24].

La rhétorique selon Aristote

À la génération suivante, en revanche, Aristote compose (à côté de sa Poétique ) un traité de rhétorique qui légitime pleinement cette discipline.

Aristote, en distinguant trois types d'auditeurs, distinguait ainsi trois genres rhétoriques, chacun trouvant à s'adapter à l'auditeur visé et visant un certain type d'effet social : le délibératif, le judiciaire, l'épidictique (ou démonstratif). Le délibératif s'adresse au politique et son objectif est de pousser à la décision et à l'action (a pour fin le bien); le judiciaire s'adresse au juge et vise l'accusation et/ou la défense (a pour fin le juste); le démonstratif fait l'éloge ou le blâme d'une personne (a pour fin le beau, en terme actuel: la valeur). A chaque discours s'accorde une série de technique et un temps particulier : le passé pour le discours judiciaire (puisque c'est sur des faits accomplis que porte l'accusation ou la défense), le futur pour le délibératif (on envisage les enjeux et conséquences futures de la décision objet du débat), enfin présent essentiellement mais aussi passé et futur pour le démonstratif (il est question des actes passés, présents et des souhaits futurs d'une personne). Le judiciaire a le syllogisme rhétorique ou enthymème comme instrument principal, le délibératif privilégie l'exemple et l'épidictique l'amplification.

Rhétorique et poétique

La rhétorique, née dans le milieu judiciaire, couvre potentiellement l’ensemble des messages sociaux, y compris les textes à visée esthétique. La pensée classique avait envisagé, à côté de la rhétorique, l’existence de la poétique, œuvrant dans le monde de l'imaginaire. Mais les textes à visée esthétique, parce qu'ils appartiennent à l’espace du vraisemblable, relèvent aussi d'une rhétorique comprise dans un sens large. De sorte qu'entre poétique et rhétorique, les passages sont possibles : des concepts élaborés dans le cadre de la seconde ont été sans difficultés transposés à la première.

Notes et références

1. ↑ Article Rhétorique par Philippe Roussin, p.167, in Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, 1995
2. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.90 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
3. ↑ Henri-Irénée Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, p.85 sq., Paris, 1964
4. ↑ voir Gorgias, Défense d'Hélène, 9
5. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.97 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
6. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.97 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
7. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.99 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
8. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.99 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
9. ↑ L'ancienne rhétorique de Roland Barthes, p.99 in L'aventure sémiologique, Paris, 1985
10. ↑ Voir livre III à VII des Institutes oratoria sur l'inventio et la dispositio
11. ↑ Voir livre VIII à X des Institutes oratoria sur l' elocutio
12. ↑ Voir livre VIII à X des Institutes oratoria sur la memoria et l' actio
13. ↑ voir Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et la fin du monde antique, Paris, 1983.
14. ↑ Voir l' Introduction de Gérard Genette, p.6, in Fontanier, Les Figures du discours, Paris, 1977
15. ↑ Voir l' Introduction de Gérard Genette, p.5, in Fontanier, Les Figures du discours, Paris, 1977
16. ↑ Voir l' Introduction de Gérard Genette, p.9, in Fontanier, Les Figures du discours, Paris, 1977
17. ↑ Voir Fontanier, Les Figures du discours, p.64, Paris, 1977
18. ↑ Voir l'article de wikipedia anglophone, Rhetoric, pour un compte rendu de la riche tradition nord-américaine
19. ↑ Histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne 1450-1950, Marc Fumaroli (dir.), Paris, Presses Universitaires de France, 1999, contributions inter alia de Cesare Vasoli, Peter France, Antoine Compagnon, Philippe-Joseph Salazar. ISBN 2130495265
20. ↑ "Trente ans de recherches rhétoriques", Philippe-Joseph Salazar (dir.), Dix-Septième Siècle, 236, LIX (3), 2007, 421-426 ISBN 978-2-13-056096-8
21. ↑ Formule prise dans l'article Rhétorique par Philippe Roussin, p.168, in Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, 1995
22. ↑ Sur l'invention, voir Dictionnaire de rhétorique et de poétique, p.209, de G. Molinié et M. Aquien, Paris, 1996
23. ↑ Picoche J., Marie-Luce Honeste, « Les figures éteintes dans le lexique de haute fréquence » in Revue trimestrielle de langue française, no 101 : Les figures de rhétorique et leur actualité en linguistique, février 1994, p.118-119.
24. ↑ Voir les travaux de Barbara Cassin

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