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N°117, l’histoire des atomes

L’élément 117 seul manquant dans la ligne n°7 de la classification périodique de Mendeleïev a été découvert en avril 2010 par une équipe internationale de scientifiques.1 Cette découverte marque le point culminant de la recherche des éléments superlourds qui a lieu depuis deux décennies pour étendre la classification périodique. 6 atomes de l’élément 117 ont été observés en faisant se percuter des ions calcium sur une cible en berkélium au cyclotron JINR U400 à Dubna, l’un des plus puissants accélérateurs d’ions du monde. Cette expérience a duré deux ans (250 jours de préparation du berkélium, 90 jours de purification et de préparation de la cible, 150 jours de bombardement et d’analyse des résultats).

Reste à savoir comment n°117 s’appellera… Et les autres atomes au fait ? Nous allons voir que l’origine des noms des éléments chimiques est parfois bien surprenante, entre mythologie, couleurs, lieux, personnages, voire saveur... Entre histoire et science.

Un atome est la plus petite partie d’un corps simple pouvant se combiner chimiquement avec un autre. C’est en particulier sur cette notion d’atome que reposent les sciences de la matière modernes. On définit par élément chimique, ou simplement élément, une catégorie d’atomes ayant en commun le même nombre de protons dans leur noyau atomique, ce nombre, noté Z, définissant le numéro atomique de l’élément (comme le n°117 ci-dessus !). Les propriétés chimiques sont déterminées par les électrons autour de l’atome en lien avec le numéro atomique.

Ca ne vous dit rien ? Mais si, je suis sûr que vous en connaissez plein des éléments chimiques !

Il est souvent fait référence à Lavoisier en tant que père de la chimie moderne. Il participa à la réforme de la nomenclature chimique2 avec Berthollet dans les années 1780, révolutionna la chimie en introduisant l’idée que les minerais pouvaient être réduits à leurs éléments atomiques. Dans les décennies suivantes, la découverte d’un nouveau minerai (nommé avec le suffixe « a ») fut désormais considérée comme l’équivalent de la découverte de l’élément nouveau correspondant (nommé avec le suffixe « ium »), ce qui fut accompagné du système de désignation par symbole des éléments atomiques par leur nom latin abrégé à une ou deux lettres, proposé par Berzelius en 1813.

L’Antiquité

De nombreux éléments étaient déjà connus dès l’Antiquité, comme l’or (-3400), l’argent (-5000), le plomb (-6500), le soufre, ou encore le carbone (-1200), ce dernier provenant du terme latin carbo désignant le charbon. Lavoisier choisit d’appeler cet élément « carbone » pour le distinguer du mot « charbon » français. L’origine du cuivre est plus originale : ce terme dérive du latin Cyprium et du grec [Kypros], désignant l’île de Chypre où l’on a trouvé les premières traces d’un minerai de cuivre il y a 6 000 ans. Rien d’original jusque là, sauf que l’île doit, elle, son nom aux nombreux cyprès que l’on y trouve ; étonnant, non ? Savez-vous pourquoi l’un des plus vieux métaux connu de l’homme, l’étain, possède le symbole Sn ? Celui-ci provient de son appellation latine stannum, connectée à l’indo-européen stag qui signifie couler. Et pour le mercure et son symbole Hg ? C’est moins évident, car Hg provient du grec [hydrargyros], de [hydôr] = eau, et [argyros] = argent. Le mercure possède de nombreuses appellations, dont celle empruntée au dieu romain des marchands aux pieds ailés Mercurius, en lien avec la mobilité de ce métal liquide, mais aussi le dérivé anglo-saxon quicksilver, dont le préfixe quick provient de langues germaniques anciennes et signifie « vivant ». Le fer, connu depuis plus de 7 000 ans (Âge du Fer), provient du latin ferrum. Cependant, plus de 15 racines européennes et indo-européennes ont été recensées, ayant notamment donné l’anglais iron, et au moins 213 mots dans plus de 100 langues différentes.

XIIIe – XVIIe siècles

L’arsenic, identifié en 1250 par Magnus, est nommé à partir de l’arabe al-zarnīkh signifiant « doré », en référence au minerai orpiment utilisé comme pigment par les anciens. Au XVe siècle, l’antimoine métallique est décrit pour la première fois par Agricola. En Égypte ancienne, le terme sdm désignait le sulfure d’antimoine utilisé comme fard à paupières. Ce terme donna le nom latin stibium à l’origine du symbole Sb. La désignation arabe al-ithmīd qui fut latinisée conduisit à antimonium. Diverses étymologies fantaisistes ont été attribuées a posteriori à l’antimoine, comme le grec [anti + monos], traduit par « ennemi de la solitude » car cet élément aurait toujours été trouvé avec d’autres métaux ; ou encore 400 ans trop tard, [anti + monachus], « contre les moines » car au Moyen-Âge il rendait malade les moines auxquels l’alchimiste Valentin l’aurait administré. En 1526, le zinc fut découvert par Paracelsus. Son nom provient du haut-germanique zinke = dent, en lien avec sa forme à la sortie des fourneaux. La découverte du phosphore en 1669 par Brand posa de nombreux problèmes d’identification. Ce nom, qui provient du grec [phôs] = lumière, [ferô] = je porte, a été attribué tout d’abord au phosphore blanc phosphorescent en présence d’oxygène, mais aussi à toutes les substances luminescentes : la pierre de Bologne (sulfure de baryum), le phosphore d’Homberg (chlorure de calcium), de John Canton (sulfure de calcium) et de Baldwin (nitrate de calcium).

En 1700, on connaissait seulement 13 éléments, à savoir : C, S, Fe, Cu, Ag, Sn, Sb, Au, Hg, Pb, As, Zn, et P. Pourquoi ceux-ci ? Ce sont essentiellement des corps faciles à obtenir ou même existant à l’état natif (minerais purs). Depuis 1770 environ, les découvertes se sont alors succédées à un rythme à peu près régulier. Mais surtout, c’est la révolution de la chimie qui s’est amorcée : Sir Robert Boyle, avant 1700, a montré par un très gros travail que les gaz « existent », qu’on peut les peser. C’est le début de la fin pour la théorie des quatre éléments (Terre, Air, Feu, Eau). Lavoisier systématise l’utilisation de la balance : c’est la chimie quantitative qui démarre et va permettre de nombreuses découvertes. Au fait, il n’a découvert aucun élément !

XVIIIe siècle : des mythes à la science

Les croyances et les mythes populaires ont beaucoup contribué à l’appellation de certains éléments. Ainsi, pouvez-vous imaginer quel métal a un nom qui signifie « gobelin » ? Il s’agit du cobalt, découvert en 1737, dont le nom provient de l’allemand kobold. Il désigne les lutins des mines dans les légendes germaniques, qui empêchaient la production de ce métal par le procédé de production usuel. De même, le nickel isolé en 1751 par Cronstedt, tire son nom de l’allemand kupfernickel, signifiant « cuivre du diable » (de kupfer = cuivre, et nickel = démon), qui empêchait par un mauvais sort d’extraire le cuivre du minerai. En fait, ce n’était pas un minerai de cuivre, mais bien de nickel. Le magnésium n’est pas magnétique me direz-vous ! Pourtant l’origine de ces deux mots est commune. Découvert en 1755 par Black, le magnésium doit son nom au grec [Magnèsia], préfecture de la Thessalie en Grèce, d’où l’on extrayait la magnésie (carbonate de magnésium), mais où de grandes quantités de minerais d’oxydes de fer étaient aussi présentes, magnétisant ainsi les minerais de magnésium. Par ailleurs, le manganèse découvert par Gahn en 1774 emprunte aussi son nom aux pierres de Magnésie, dans lesquelles il était abondamment présent. Les deux éléments magnésium et manganèse ont par ailleurs très souvent été confondus.

Le XVIIIe siècle, c’est aussi la découverte des premiers éléments gazeux. Peu après l’hydrogène (1766), un autre gaz fut découvert en 1772, par Rutherford. Du préfixe privatif grec a = sans et [zôè] = vie, l’azote fait référence à l’asphyxie qu’il provoque. Le nom ne convenant pas à tout le monde, Chaptal proposa en 1790 le nom nitrogène, du grec [nitron] = nitre, ici dans l’acception salpêtre, et [geinomai] = engendrer, car l’azote de l’air se retrouve dans du salpêtre. Cette appellation donna tous les dérivés français de racine nitr- (nitrate, nitrite, nitro…), ainsi que la désignation anglo-saxone nitrogen et bien sûr le symbole N. En 1774, l’oxygène découvert par Joseph Priestley doit son nom à une erreur : Lavoisier choisît les mots grecs [oxys] = acide + [geinomai] = engendrer, car il pensait que cet élément était indispensable pour donner lieu à la formation d’un acide. Un autre gaz, le chlore, découvert la même année par Carl Wilhelm Scheele, provient du grec [chlôros] = jaune verdâtre, en lien avec la couleur de ce gaz.

Parmi les subtilités de l’étymologie des éléments, il existe un élément qui doit son nom à un autre élément : il s’agit du molybdène découvert par le même Scheele en 1778, qui vient du grec [molybdos], désignant le plomb ! En effet, la molybdénite, un minerai opaque et noir, a longtemps été confondue avec celui de plomb. Dans la série des symboles particuliers, savez-vous d’où vient le W représentant le tungstène ? Alors que le mot tungstène provient du suédois tung sten, « pierre lourde », rappelant la grande densité du minerai scheelite dans lequel on a trouvé cet élément en 1773, le W réfère à un autre minerai nommé wolframite, et signifiant « bave de loup » ! En 1556 Agricola observait ainsi que ce minerai présent lors de la préparation de l’étain engloutissait ce dernier, comme les loups qui engloutissent leur proie. Le nom wolfram est recommandé par l’UICPA, mais le terme tungstène reste très utilisé.

En 1782, le tellure fut identifié par Freiherr von Reichenstein, qui le nomma du latin Tellus, déesse romaine de la Terre. Puis en 1789, l’uranium découvert par Klaproth reçut son nom d’après la planète Uranus afin de célébrer le grand événement astronomique qu’a constitué la découverte, intervenue 8 ans auparavant, de cette planète. Uranus a reçu ce nom par référence au dieu grec du ciel Ouranos, père des Titans, et qui forme avec Gaïa déesse grecque de la Terre, le couple divin le plus ancien. C’est ainsi qu’en 1797 le titane, découvert aussi par Klaproth, reçu ensuite son nom des Titans de la mythologie grecque, et non pas en référence à ses propriétés de dureté extrême.

Les couleurs ont aussi donné leur lot de dénominations, puisqu’en 1789 le zirconium découvert par Klaproth provient de l’arabe zarkûn, « couleur or » du minerai zircon. En 1794, le chrome, découvert par Vauquelin, doit son nom du grec [chrôma] = couleur, en référence aux nombreuses couleurs des composés à base de chrome. En 1798, Vauquelin découvrit un nouvel élément en étudiant des béryls et émeraudes, qu’il appela glucinium, symbole Gi, du grec [glykys] = sucré, en référence, mais oui, au goût de cet élément ! Vous aurez peut-être deviné quel nom lui est attribué aujourd’hui : il s’agit du béryllium, extrêmement toxique ! En effet, notant que les minerais d’yttrium découverts peu avant avaient aussi un goût sucré, Klaproth proposa l’appellation béryllium du grec [bèryllos] = béryl, faisant référence à l’émeraude. Ce n’est qu’en 1949 que l’UICPA confirma le nom béryllium, le plus utilisé.

Dans des élans de nationalisme exacerbé, les localisations géographiques ont aussi beaucoup servi d’inspiration à la désignation des nouveaux éléments. Ainsi en 1793, le strontium découvert par Klaproth doit son nom à la ville écossaise Strontian. La fin du XVIIIe siècle a notamment vu la découverte de plusieurs terres rares en Suède, près de la ville d’Ytterby. Gadolin en étudiant le minerai d’Yttria, la pierre noire d’Ytterby, montra qu’elle était composée à 38 % de nouveaux éléments sous formes de mélanges d’oxydes. En 1843 Mosander sépara l’yttrium, l’erbium et le terbium. Le siècle suivant, dix nouveaux éléments furent trouvés dans l’Yttria de Gadolin, dont l’ytterbium, mais aussi l’holmium, nommé d’après la ville de Stockholm (anciennement Holmia), le scandium et le thulium, nommés d’après la Scandinavie. Les autres éléments furent le gadolinium en 1880 en hommage à Gadolin, le dysprosium (1886, du grec [dysprositos] = difficile à obtenir), et le lutécium découvert par le parisien Urbain en 1907. Tous ces éléments chimiques sont aujourd’hui principalement utilisés dans l’industrie électronique, notamment dans les technologies d’écran de télévision.


Début du XIXe siècle : l’électrolyse


L’avancée de la science n’affaiblit pas l’influence de la mythologie, mais celle-ci se fait plus subtile. Ainsi en 1801 le vanadium est nommé d’après la déesse scandinave de la beauté Vanadis, en lien avec les splendides et nombreuses couleurs de ses composés. Le columbium découvert en 1801 par Hatchett dans un minerai américain, fut renommé officiellement niobium par l’UICPA en 1950, de Niobé, fille du demi-dieu grec Tantale. La découverte l’année suivante d’un autre élément dans un minerai similaire conduisit justement au tantale. La divinité romaine des blés Cérès, donna son nom à l’astéroïde découvert le 1er janvier 1801, puis 2 ans plus tard au nouvel élément cérium découvert par Klaproth. De même, la découverte de l’astéroïde Pallas en 1802, nommé d’après la déesse grecque de la sagesse Pallas Athéna, fut saluée par la dénomination du palladium l’année suivante. Arrêtons-nous un instant sur cet élément, car son histoire est particulière : il est le seul des 118 éléments connus aujourd’hui, qui fut isolé et, au lieu de voir sa découverte annoncée dans un journal renommé, fut mis en vente dans un magasin minéralogique ! Le découvreur Wollaston, ayant monté une activité lucrative d’extraction de platine, trouva le palladium dans les résidus de platine, mais souhaita en révéler le moins possible sur les secrets de son activité, créant ainsi la fureur de la communauté scientifique. Peu après, ne désirant pas une nouvelle dispute, il publia sa découverte du rhodium, à partir aussi d’un minerai de platine, et nommé d’après la couleur rose des sels RhCl3, du grec [rhodochrys] = couleur rose (lequel a donné aussi rhododendron). En 1803 deux nouveaux éléments sont identifiés : l’osmium, du grec [osmè] = puant, par référence à la forte odeur entre le poivre et le chou pourri de l’oxyde d’osmium, et l’iridium, du grec [Iris], déesse grecque de l’arc-en-ciel, par référence aux couleurs variées des sels d’iridium.

L’électrolyse a été une seconde révolution pour la découverte de nouveaux éléments, notamment les métaux alcalins. En 1807, le potassium et le sodium sont découverts par Davy. Le potassium de l’allemand potaschen signifiant les « cendres en pot » de végétaux, et le sodium d’un ancien terme « soda » d’origine égyptienne désignant les efflorescences de carbonate de sodium, Na2CO3, sur les bords des Lacs Amers. Jusqu’au Moyen-Âge, aucune différence n’était faite entre eux, tous deux appelés d’après l’arabe Al-qali. Klaproth fit la distinction en 1797 : « kali » issu des cendres de végétaux et « natron » pour l’origine minérale. En 1813, Berzelius choisit la nomenclature Kalium et le symbole K, ainsi que Natrium et le symbole Na. Le calcium et le baryum, que Davy découvrit en 1808, lui doivent quand même leur nom actuel, du latin calx = chaux (oxyde de calcium), et du grec [barys] = lourd, en référence à sa densité. En 1817, Arfwedson découvrit le lithium dans la pétalite. Cette origine minérale, par opposition aux composés de sodium et de potassium, fut responsable de son nom, du grec [lithos] = pierre.

Le bore, trouvé en 1807 par Gay-Lussac et Thénard, provient de l’arabe bauraq = brillant. Le silicium (1823) trouvé abondamment dans les roches silicatées comme le sable, est dérivé du mot silex. Le terme grec [ioeidès] = violet a donné son nom aux vapeurs d’iode en 1811. La même année, Berzelius et Gahn observèrent une nouvelle substance très odorante en étudiant un procédé photographique. Croyant tout d’abord avoir trouvé du tellure, ils firent un petit clin d’œil à ce nouvel élément aux propriétés identiques, en le nommant « sélénium », du grec [Selènè] = lune. En 1825, l’aluminium est nommé d’après le latin alumen = amer, comme l’amertume de la pierre d’alun utilisée comme astringent au Moyen-Âge. En 1826, le brome fut nommé du grec brômos, puanteur, en lien avec l’odeur irritante de ses vapeurs. Le ruthénium découvert en 1844 par le Russe Karl Klaus, provient du latin Ruthenia, désignant la Russie ou l’Ukraine au Moyen-Âge.

Fin du XIXe siècle : la spectroscopie

La troisième révolution de la découverte des éléments fut l’invention de la spectroscopie. Grâce à l’étude de l’influence du renvoi de la lumière par les matériaux sous forme de rayons ou « raies », il fut dès lors possible d’identifier de nouveaux éléments. Ainsi, en 1860 le césium ouvrit le bal. Robert Bunsen (comme les becs) examinant une eau minérale, trouva en plus des raies attendues du sodium, potassium, lithium, calcium, et du strontium, deux raies bleu clair inconnues. Il choisit le terme « césium », du latin caesius = bleu ciel, pour le nom de ce nouvel élément. Suivit le rubidium, du latin rubidus, rouge foncé. En 1861, le thallium est nommé d’après le grec [thallos] = rameau vert. Le nom de l’indium, découvert en 1863, ne provient pas de l’Inde, mais du latin indicum = colorant bleu indigo d’Inde.

Mais la plus brillante découverte par cette méthode est sans conteste celle de l’hélium, car il ne fut pas trouvé sur Terre ! Son observation en 1868 indépendamment par Janssen et Lockyer, dans le spectre de la lumière émise par le soleil, lors de l’éclipse de la même année, donna ainsi son nom, du grec [hèlios] = soleil. Il fallut attendre 1895 pour que Ramsay prouve son existence sur Terre.

En 1875, le gallium fut découvert par Lecoq de Boisbaudran, qui honora son pays, du latin Gallia = France. Des rumeurs non certifiées sont restées, autour du latin gallus, coq, en lien avec son propre nom Lecoq. Toujours est-il qu’en 1879, il découvre le samarium dans le minerai samarskite, lui-même devant son nom à un inconnu Samarskij-Byhovec qui l’a découvert. Il fut ainsi le premier à donner réellement son nom à un élément ! Nous verrons qu’ensuite ce phénomène est plutôt devenu une règle. En 1886, le germanium découvert en Saxe par Winkler, faillit s’appeler neptunium, après la découverte de la planète Neptune. Le nom neptunium était cependant déjà utilisé par le niobium.

Plus la science avançait, plus les éléments étaient difficiles à trouver. Beaucoup d’expérimentateurs, Ampère, Davy, Gay-Lussac, Lavoisier et Thénard, tentèrent pendant 74 ans, et avec des conséquences parfois dramatiques (certains y ont perdu leur vie), d’isoler un nouvel élément à partir de l’acide fluorhydrique. Ce fut finalement Moissan qui réussit en 1886 à isoler le fluor, nommé du latin fluor = écoulement, d’après l’utilisation du minerai fluorite pour liquéfier les résidus de production de métaux. Le nom « fluorescence » en dérive car la fluorite émet de la lumière lorsqu’on la chauffe.

Tentez ensuite d’imaginer comment ont pu être découverts les gaz rares, connus pour être inertes chimiquement ? Ce fut Ramsay qui permit la découverte de toute la série, créant une nouvelle colonne non prévue dans la toute nouvelle classification périodique de Mendeleïev ! En 1895, en étudiant les anomalies de l’azote, il isola par distillation de l’air un gaz inattendu : l’argon, du grec [argos] = inerte. Ses travaux lui permirent de découvrir en six semaines le néon (du grec [neos] = nouveau), le krypton (du grec [kryptos] = caché), et le xénon (du grec [xenos] = étranger) et de les confirmer par spectroscopie. Deux prix Nobel en 1904 récompensèrent Rayleigh (physique), et Ramsay (chimie) pour la découverte de l’argon et de la famille des gaz nobles.

XXe siècle : la radioactivité

Bien entendu, les travaux de Pierre et Marie Curie et leur découverte du phénomène de radioactivité furent encore une révolution pour le monde des éléments chimiques. En 1898, en étudiant un minerai d’uranium de Bohème, ils trouvèrent un taux de radioactivité supérieur à l’uranium seul. Le polonium fut tout d’abord découvert, et nommé en l’honneur de la Pologne, leur pays d’origine. Le 26 décembre 1898, ils annoncent la découverte du radium, nommé d’après le terme latin radius = rayonnement, car les radiations de cet élément sont 3 millions de fois plus intenses que celles de l’uranium. Le radon suivi en 1899, en observant les divergences de taux de radiation du radium. Ils devinèrent l’émission de ce gaz radioactif, et le nommèrent d’après la contraction de « radium + émanation ».

L’actinium fut découvert par Debierne, qu’il nomma du grec [aktis] = rayonnement. Le protactinium, découvert en 1917 par Meitner et Hahn, doit son nom du préfixe du grec proteros = précédent, car il précède l’actinium dans la série de désintégration de l’uranium.

La saga des terres rares n’était pas encore finie, et en 1901 l’avant dernier élément fut trouvé à Paris par Demarcay : l’europium. Je vous laisse deviner d’où vient le nom Europa.

La découverte du hafnium, du latin Hafnia, ancien nom donné à la capitale danoise Copenhague où cet élément a été isolé en 1929 par Coster, fut l’une des plus controversées, notamment en raison de multiples paternités et des ravages de la première guerre mondiale puis de la guerre civile en Russie.

Les nationalismes montant ont ensuite beaucoup mouvementé la recherche et la dénomination des nouveaux éléments. Ce furent des chercheurs allemands qui en 1925 isolèrent le rhénium, nommé en référence à la région allemande Rheinland (Rhénanie). Peu après ils annoncèrent à tort la découverte de l’élément 43 qu’ils nommèrent masurium. Cette découverte ne fut pas confirmée, et les historiens soupçonnent l’influence du nationalisme allemand dans le choix des noms, car la Rhénanie et la Mazurie furent les lieux des plus grandes victoires allemandes pendant la première guerre. Il fallut attendre 1937 pour que l’élément 43, le technétium, soit découvert par Perrier et Segrè à l’université de Palerme. Il est le premier élément isolé à être absent dans la nature car instable, et uniquement produit par la technique de l’homme. La proposition refusée de « panormus » (le terme latin pour Palerme), après celle de florentium pour le prométhium, les inclinèrent à choisir ce nom moins polémique. Cependant le nationalisme des chimistes était toujours bien présent, et la française Perey nomma sa découverte en 1939 « francium ».

En 1940, l’astate est découvert par Corson. Son nom provient du grec [astatos] = instable, en référence au caractère instable de tous les isotopes de cet halogène radioactif.

Mais déjà les premiers transuraniens (éléments plus lourds que l’uranium) étaient intensément recherchés lors des mises au points des bombes atomiques. En 1934, l’italien Enrico Fermi crut avoir synthétisé les éléments 93 et 94, et les appela Ausonium (Ao) et Esperio (Es), noms anciens désignant le pays Italie. Le régime fasciste d’Italie le força à appeler l’un des éléments Littorio, en référence à un symbole impérial romain ré-utilisé pendant la dictature. Le doyen de la faculté répondit sarcastiquement qu’il serait malchanceux pour le régime d’être associé à un élément ayant une période de quelques secondes… Finalement ce fut McMillan et Abelson qui obtinrent l’élément 93 neptunium à l’université de Berkeley, par irradiation d’uranium avec des neutrons. Il fut nommé d’après la planète Neptune, suivant Uranus. En 1941, l’élément 94 plutonium fut découvert par bombardement d’uranium avec du deutérium, et nommé d’après la seconde planète après Uranus : Pluton, découverte en 1930. La découverte du plutonium resta secrète jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, et fut publiée dans le Journal of the American Chemical Society en 1948, avec la découverte du neptunium.

En 1945, le prométhium fut la dernière des terres rares à être découverte lors du Manhattan Project, dans les sous-produits de fission de l’uranium. Son nom provient ainsi du grec Prométhée, le titan ayant réussi à voler une parcelle de feu au char du Soleil pour l’offrir à l’humanité.

Après cela, les appellations des nouveaux éléments dépassèrent les joutes nationalistes pour se focaliser sur les patronymes ou les universités, honorant non pas les découvreurs mais la communauté scientifique. On trouve alors le curium (n° 95, en 1944, par Marie Curie, le « m » de Cm étant pour « Marie »), l’américium (n° 96, 1945), le berkélium (n° 97, 1949), le californium (n° 98, en 1950), einsteinium (n° 99, 1952), fermium (n° 100, détecté en 1953 parmi les résidus de l’explosion de la première bombe H de novembre 1952), mendélévium (n° 101, 1955), nobélium (n° 102, 1958), lawrencium (n° 103, 1963), rutherfordium (n° 104, 1964), dubnium (n° 105, 1970), seaborgium (n°106, 1974 ; cependant les débats de l’UICPA furent intenses, certains ne souhaitant pas de noms de personnes vivantes, bien que ce fût déjà arrivé avec l’einsteinium et le fermium), bohrium (n° 107, 1976), meitnerium (n° 109, en 1982, pour honorer Lise Meitner, physicienne autrichienne spécialiste de l’étude des rayonnements liés à la radioactivité, juive exclue du régime Nazi, qui refusa de travailler sur la bombe atomique et partit travailler en Suède), hassium (n° 108, en 1984, rappelant l’état allemand de Hesse), darmstadtium (n° 110, 1994), roentgenium (n° 111, 1994).

L’élément 112 découvert en 1996 a été nommé copernicium le 29 décembre 2009 en hommage à Copernic.

Depuis, les éléments 114 (1999), 116 (2000, deux atomes), 118 (2002, deux atomes), 113 et 115 (2003) sont nommés d’après le numéral latin (ununquadium, ununpentium…) et attendent le prochain congrès de l’UICPA pour recevoir leur nom.

Références

LLNL April 2010 News Release ; Physical Review Letters, April 9, 2010