Ils sont venus de tous les horizons du savoir. Les chercheurs et érudits d’ici et d’ailleurs ont répondu nombreux présents au colloque international sur le règne et l’œuvre de Dè-Tofa, l’un des plus grands souverains du royaume de Hogbonou. C’est dans le cadre des festivités marquant la commémoration du centenaire de la mort de ce roi. Du 26 au 28 avril 2010, ces savants nous aideront à mieux cerner le profil d’un souverain dont tout le monde parle sans le connaître vraiment.
Cette noble entreprise a notre soutien. Comment un peuple peut-il traverser la vie dans l’ignorance de ce qu’il fut ou aborder les rivages de l’avenir sans la mémoire de son passé ? Citation : « Vivre sans histoire c’est être une épave sans racine, ou alors un arbre coupé qui cherche à se brancher sur des racines étrangères » (fin de citation). Tome I de l’Histoire générale de l’Afrique.
Notre drame peut s’énoncer en ces termes : l’Histoire n’informe pas assez notre présent, n’éclaire que si peu les chemins de notre avenir. Il n’y a pas, nous semble-t-il, une volonté politique clairement affirmée pour une dissémination intelligente des résultats de la science historique, si tant est que celle-ci trouve les conditions nécessaires à son élaboration et à son affirmation. Nos écoles en sont sevrées, et par ricochet nos programmes d’enseignement et d’éducation. Pourquoi alors s’étonner de nos difficultés pour construire une nouvelle conscience d’être Béninois, d’être Africain, pour développer de nouveaux comportements face aux exigences d’un développement indépendant ?
Le professeur Félix Iroko est l’un de nos éminents historiens. Ses travaux sur l’histoire des groupes humains, nombreux et divers, qui peuplent l’espace géographique de l’ancien « Dahomey » devenu depuis « Bénin », font autorité. Et Dieu sait que le professeur rend compte des résultats de ses recherches, manifestant en plus un souci pointilleux de vulgarisation et de partage, par les canaux de la presse. Mais qu’a-t-on fait ou que fait-on de cette somme scientifique pour la restauration de nos bases identitaires ? Quelle initiative, de quelle autorité, dans quel secteur aide à articuler la volonté d’une appropriation de ce riche et incomparable patrimoine ?
On manifestera les mêmes regrets au sujet des recherches d’un autre historien émérite, le professeur Jérôme Alladayé. Dans son dernier ouvrage, « Fresques Dahoméennes », publié en 2009 aux Editions du Flamboyant, l’historien béninois révèle, dans une approche novatrice, quelques facettes de l’histoire du royaume du Danxomè.
Nous avons retenu de cette étude, pour ne prendre que deux exemples, d’une part le corpus législatif de quarante et une lois dont le souverain fondateur du Danxomè, Hwegbadja (1645-1685) a doté son royaume ; d’autre part, l’histoire de Tasi Hangbé (1685-1711), une femme qui, fait exceptionnel au royaume du Danxomè, règna avec son frère jumeau Akaba.
S’agissant des quarante et une lois de Hwegbadja, si rien n’était bancal dans notre pays et que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, aucune faculté de droit, de n’importe laquelle de nos universités, ne devrait les ignorer. Certains articles de ce code ont des accents d’une modernité étonnante. Trois échantillons pour nous en convaincre.
• Article 3 : Aucun sujet de mon royaume ne doit refuser l’hospitalité aux étrangers. Après trois ans de séjour parmi nous, tout étranger sera admis à jouir du statut de Guédévi. Dès lors, il aura droit à une propriété foncière dans les formes fixées à l’article 2 de la présente réglementation. Le domaine ainsi attribué prendra le nom de Houelodjou.
• Article 21 : Jusqu’à présent, seuls pouvaient se marier les hommes ayant la faculté de payer une dot. J’ordonne que désormais ceux qui n’ont pas les moyens de payer une dot aient la faculté de s’unir aux jeunes filles qui acceptent de vivre avec eux.
• Article 27 : Celui qui aidera une femme à se débarrasser d’une grossesse mérite la mort, car il réduit la population de mon royaume.
Quant au règne de Hangbé à qui n’est accordée la moindre place dans la généalogie officielle du royaume, aucune entreprise féministe digne de ce nom ne devrait ignorer cette grande figure de notre histoire. Nous sommes en présence d’un cas aussi exceptionnel qu’édifiant. Cela doit résonner dans la conscience collective d’un peuple attelé à renouveler l’idée et l’image qu’il s’est jusqu’ici fait de la femme.
Au total, l’histoire ne sera jamais de trop dans la quête identitaire d’un peuple soucieux de connaître ses racines et d’éclairer les chemins de son devenir. C’est en s’enracinant dans l’humus de sa culture qu’on s’offre les meilleures chances de s’ouvrir aux autres et de grandir avec les autres.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 28 avril 2010