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Internet et société - Facebook : de la nécessité de protéger ses données "relationnelles", par Guilhem Fouetillou

Le débat autour de la vie privée sur Facebook a pris un nouveau tournant avec les déclarations de Marc Zuckerberg, fondateur de Facebook et celles d'Erik Schmidt, CEO de Google affirmant que l'ère de la vie privée était révolue et que nous vivions une époque d'exposition n'inquiétant que ceux qui ont des choses à se reprocher. Le combat s'intensifie donc avec d'un côté les défenseurs de la vie privée, qui rappellent que c'est là un droit fondamental des citoyens, et de l'autre l'industrie du Web 2.0, pour qui la commercialisation de ces données auprès de tiers, principalement des acteurs du marketing, est une mine d'or potentielle, seule susceptible de contrebalancer les coûts immenses engendrés par les infrastructures techniques du réseau au 400 millions de comptes. Après le Canada, qui a attaqué Facebook, c'est au tour de l'Allemagne, par une association de consommateurs d'appeler au boycott du réseau pour non-respect de la vie privée de ses utilisateurs. De son côté Facebook, alors qu'il vient d'annoncer la diffusion de données privées à des tiers – annonce qui reçoit de très vives critiques – a obtenu la destruction des archives de 210 millions de comptes réalisées par un chercheur (Pete Warden) démontrant sa fébrilité sur le sujet et sa détermination à préserver ce capital informationnel pour lui seul.

L'ensemble de ces initiatives et inquiétudes pour protéger ses données personnelles ne vont pourtant pas aujourd'hui assez loin car au-delà de l'âge, sexe ou lieu de vie, la véritable valeur que Facebook cherche à exploiter et à protéger se situe dans la simple structure du réseau composé par l'ensemble des amis et groupes auxquels on est inscrit.

Expliquons cela. Chaque fois que l'on ajoute un ami sur Facebook on crée un lien, chaque fois que l'on s'inscrit à une page ou à un groupe, on crée un autre lien d'appartenance à ce groupe. Si l'on agrège l'ensemble de ces liens pour un ensemble de groupes et de personnes, on obtient un graphe de relations. Ce graphe situe les individus au sein de leur réseau social et l'appartenance à des groupes contextualise ce réseau par les centres d'intérêt des individus (voir illustration). L'analyse de la structure de ce simple graphe permet donc de décrire avec une précision étonnante les positions sociales des individus et leurs préoccupations.

Le fait que des individus se rassemblent autour de sujets d'intérêt commun n'est évidemment pas une découverte, la sociologie a décrit depuis longtemps ce phénomène et lui a même donné un nom : "homophilie". Ce qui est nouveau, par contre, c'est que sur Facebook chaque personne possédant un compte inscrit et archive l'ensemble de ses relations d'homophilie. Il devient alors possible de mesurer et d'analyser ces relations sur la totalité du réseau et de cerner avec précision le profil d'individus qui pourtant ont mis tous leurs curseurs de vie privée au maximum dans Facebook.

Car quel que soit le paramétrage de son compte Facebook, l'information, apparemment anodine, de qui est membre de tel ou tel groupe et des relations d'amitié entre ces membres est librement accessible. A partir de ces simples informations, il est possible en réalisant des mesures sur la structure du réseau de statuer sur les orientations sexuelles de chacun (projet Gaydar du MIT), de poser des hypothèses sur des appartenances politiques, de repérer les individus les plus centraux et influents de réseaux d'activistes ou de comprendre quelles personnes cibler en priorité pour démanteler un réseau contestataire. On voit facilement comment ce type d'informations est d'une valeur inestimable pour des marques souhaitant déployer des stratégies de "marketing comportemental" mais aussi pour des organisations cherchant à repérer et à surveiller étroitement des groupes d'individus considérés comme "structurellement" à risque.

Ce ne sont donc pas uniquement nos données personnelles qu'il faut aujourd'hui maîtriser mais bien l'ensemble de nos liens, de nos relations, tant celles-ci communiquent de ce que nous sommes. C'est à Facebook aujourd'hui de donner à chacun le choix de rendre accessible et exploitable – tant par Facebook que par des tiers – le réseau de ses relations, indépendamment de ses données personnelles. De plus, cette action ne devrait pas être uniquement répercutée sur nos propres comptes mais aussi sur l'ensemble des comptes des personnes avec qui nous sommes liés car il s'agit bien là de relation nécessitant d'être verrouillées des deux côtés si l'on ne souhaite pas les voir diffusées.

L'éducation aux enjeux sociétaux et économiques des réseaux sociaux est évidemment centrale dans ce débat, mais, devant la complexité du sujet et le manque de connaissances des utilisateurs, ces données devraient être par défaut protégées, laissant à chacun la possibilité de les rendre visibles à tous si tel est son désir. Facebook est un magnifique outil mais chacun doit sciemment pouvoir choisir d'entrer ou de ne pas entrer dans l'ère de la médiatisation à tous de son réseau relationnel.

Guilhem Fouetillou est cofondateur de linkfluence, institut d'étude spécialisé dans l'analyse et la cartographie du Web social.