Géopolitique - WikiLeaks : impunité totale pour les trafiquants internationaux au Kenya

Source: Lemonde.fr
Cette histoire de trafic massif de cocaïne remonte à décembre 2004, mais elle demeure d'une cruelle actualité. Le titre du télégramme diplomatique rédigé à l'époque par l'ambassade américaine à Nairobi (Kenya), obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde, est sans ambiguïté: "Les gangs internationaux de trafiquants de drogue bénéficient de l'impunité au Kenya."
Depuis, la situation ne semble pas avoir radicalement changé. Le 16 novembre 2010, l'ambassadeur américain à Nairobi a ainsi averti publiquement que le Kenya est "un pays significatif pour le transit de la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud vers l'Europe". "Le trafic de drogue a substantiellement augmenté ces dernières années et constitue une menace croissante majeure", ajoutait Michael Ranneberger.
Il annonçait dans la foulée que "quatre hauts responsables gouvernementaux et un homme d'affaires de premier plan sont définitivement interdits de séjour aux Etats-Unis".
ERREMENTS DE LA JUSTICE KENYANE
La saisie de 1,1 tonne de cocaïne en 2004 et ses suites judiciaires – ou plus exactement les errements de la justice kenyane pour traiter ce qui était à l'époque la plus grosse saisie de "blanche" en Afrique – illustre un système qui, visiblement, fonctionne toujours.
A l'époque, l'ambassade américaine écrivait que "l'absence de condamnations dans d'importantes affaires de cocaïne ainsi que pour le meurtre, le jour de l'an, de l'officier de police en charge de la lutte contre le trafic de drogue dans le port de Mombasa démontre pleinement que les gangs internationaux de trafiquants ont fait d'importantes percées au Kenya, corrompant, intimidant et tuant jusqu'à opérer avec une relative impunité".

En décembre 2004, la police kenyane avait agi sur la base d'informations de première main fournies par les Pays-Bas qui venaient de saisir plusieurs centaines de kilos de cocaïne à bord d'un porte-containers en provenance du Kenya. Plusieurs personnes avaient été arrêtées en Europe, dont "le fils d'un ancien député kenyan".
Mais à Nairobi, les policiers locaux s'étaient hâtés lentement malgré les indications transmises par les Néerlandais leur "précisant où trouver plusieurs tonnes de cocaïne". "Lorsque, une semaine plus tard, les autorités kenyanes se décidèrent à bouger, plusieurs suspects avaient tranquillement quitté le territoire, et seulement une tonne fut retrouvée", lit-on dans ce câble.
"DES PREUVES ONT ÉTÉ ENTERRÉES"
La suite judiciaire fut à l'avenant. Sept inculpés furent acquittés "faute de preuve". "Rose Ougo, la présidente de la Cour, a sévèrement critiqué la police et le procureur pour leur incapacité à établir le lien entre les accusés et le trafic de drogue, et même à établir que la substance saisie était bien un narcotique."
Faute d'expertise, "ni la Cour ni le gouvernement n'ont pu confirmer que ce qui était entreposé était de la cocaïne et pas de la farine", ironise le diplomate qui rappelle l'existence "d'écoutes téléphoniques effectuées par les Néerlandais reliant des politiciens kenyans avec les trafiquants".
Selon un haut magistrat kenyan entendu par les diplomates américains, "des preuves ont été enterrées" afin de dissimuler qu'un gang international agit au Kenya. Et le diplomate américain de conclure: "Il y a des raisons de s'inquiéter de ce que le gouvernement kenyan et/ou des responsables de la police soit protègent ceux qui sont impliqués, soit sont eux-mêmes impliqués dans le trafic de drogue."
Christophe Châtelot