Source: Agoravox
nsupporter Sarkozy implique-t-il de voir en Laurent Gbagbo un "révolutionnaire progressiste", un "libérateur" de l’Afrique ?
Depuis le début de la crise politique engendrée par l’obstination de Laurent Gbagbo à s’accrocher au pouvoir, certaines voix s’élèvent pour le défendre, non pas tant d’un point de vue formel quant aux résultats réels de l’élection présidentielle, mais parce que Gbagbo serait l’un des derniers ou bien le tout nouveau "résistant" à la domination du monde occidental. Ce sont la plupart du temps des hommes de gauche voire des " révolutionnaires anti-capitalistes " et autres altermondialistes qui montent au créneau pour défendre le présumé "socialiste", avec des arguments qui puisent dans les coups tordus des 50 années de la "Françafrique" ou qui piochent dans l’histoire du continent africain.
Maître Vergès frappe à la tombe du général Bigeard en invoquant Diên Biên Phú. Le Suisse tiers-mondiste Jean Ziegler se joint à un "appel" d’autoproclamés "intellectuels" qui osent la comparaison avec le destin tragique de Patrice Lumumba en 1960, comparant même les forces de l’Ecomog aux tirailleurs sénégalais de l’époque coloniale.
Le Sénégalais Amath Dansokho, leader du Parti de l’Indépendance et du travail (PIT) invoque lui les immenses richesses minières de l’Afrique et estime que « c’est là qu’il faut rechercher les causes des guerres ».
La détestation du fait colonial et les cris de révolte naturels qu’engendrent les coups tordus du néocolonialisme font-ils de Gbagbo un leader "progressiste" comme le furent des Lumumba ou des Sankara ?
Honnir le sarkozisme et Sarkozy lui-même n’implique pas de détester le vélo parce que Sarkozy aime enfourcher sa bicyclette de temps à autres.
Hélas, mille fois hélas, Gbagbo n’est ni Sankara, ni Lumumba et encore moins Mugabe ! Et il y a fort à parier que les révolutionnaires des années 60, panafricanistes dans l’âme, auraient vomi le Gbagbo ultranationaliste des années 2000, un Gbagbo qui a usé, abusé et exacerbé la xénophobie malheureusement solidement incrustée dans l’esprit de beaucoup.
Sur le fond comme sur la forme, Gbagbo n’est en rien révolutionnaire et encore moins l’un des derniers remparts contre la voracité du capitalisme.
Sur la forme d’abord. Et en premier lieu, sur ses prestations électorales. Amath Dansokho tient pour argument que « Laurent Gbagbo avait été élu en 2000 et reconnu par la communauté internationale. Jusqu’au coup d’État manqué de 2002, fomenté par des officiers travaillant pour Ouattara, qui n’en était pas à son premier coup. » « Tout cela, on l’oublie », ajoute ce monsieur au demeurant très respectable comme le sont Vergès, Ziegler et d’autres.
Gbagbo n’a jamais été élu président de la République, ou du moins n’a jamais été élu à l’occasion d’une élection normale, et monsieur Dansokho le sait bien, lui qui n’a jamais cessé de se battre pour la transparence et la régularité des élections dans son pays le Sénégal. Les défenseurs de Gbagbo d’aujourd’hui oublient eux aussi bien vite dans quelles conditions, à la fois scandaleuses, puis ignobles, Gbagbo a gravi les marches du palais présidentiel en octobre 2000. Un petit rappel bien nécessaire s’impose.
Quand Houphouët-Boigny décède en 1993, personne n’a jamais remis en cause la nationalité d’Alassane Ouattara, et personne n’a jamais évoqué le fumeux concept d’Ivoirité. Le problème électoral dénoncé par Gbagbo sous le régime d’Houphouët était celui du vote des étrangers. C’est Henri Konan Bédié qui mit ce concept d’Ivoirité sur la table pour une simple et unique raison : sa faiblesse électorale à venir.
La Côte d’Ivoire n’échappe pas à la règle qui prévaut quasiment dans toute l’Afrique, règle qui veut que les populations ne votent pas sur un programme mais pour un leader, et en premier lieu parce que ce leader est le représentant d’une ethnie ou d’une région, voire d’une religion. Les Fons du Bénin ont toujours voté les yeux fermés et voteront toujours même la tête recouverte d’un sac en toile de jute pour Nicéphore Soglo ; les côtiers et autres Ewe du Togo ont toujours voté les yeux bandés pour Gilchrist Olympio ; Savimbi et l’UNITA angolaise ont forgé leur base au sein des populations Ovimbundu. Point barre.
Et quand l’importance de l’ethnie est réduite comme au Sénégal, alors c’est la caste ou la confrérie religieuse qui prend le dessus. Qui n’a pas l’onction de l’une ou l’autre des deux grandes confréries religieuses, Mourides ou Tidjane, peut rester chez lui le jour d’un scrutin. Qu’a fait Abdoulaye dès le lendemain de sa première élection à la présidence en l’an 2000 ? Il a foncé à Touba, siège de la confrérie Mouride, pour y préparer les législatives à venir.
Et si d’aucuns contestent cette analyse, qu’ils aillent assister à une campagne électorale à Conakry, où la division ethnique des quartiers de la capitale de Guinée entre Peuls, Susu et Malinkés offrent de visu ce qui sortira des urnes à chaque élection.
Les rares exceptions - il y en a - ont lieu quand le phénomène de rejet du président sortant est plus fort que le lien créé par l’appartenance ethnique. Ainsi, l’opposant John Fru Ndi au Cameroun, quand il créa son parti le Social Democratic Front (SDF) en 1990, eut le privilège d’élargir sa base électorale bien au-delà de sa région d’origine (l’Ouest anglophone en l’occurrence pour Fru Ndi), tant le rejet de Paul Biya, un francophone, était fort dans ce pays.
Pour le reste, il suffit de connaître les statistiques sur les composantes ethniques d’un pays pour connaître les grandes tendances des résultats qui sortiront des urnes.
Aussi, quand Bédié va devoir passer par le suffrage universel en 1995 pour légitimer son pouvoir, il a toutes les raisons du monde d’être inquiet : Alassane Ouattara, qui a créé son parti le Rassemblement des Républicains (RDR), a toutes les chances de remporter la présidentielle à venir, son électorat potentiel étant essentiellement composé des populations issues du Nord de la Côte d’Ivoire et à majorité musulmane. Et ces populations sont - qu’on le veuille ou non - majoritaires dans le pays.
Des statistiques des années 95-98 estimaient les populations Akan (supposé favorable à Bédié) à 42,1 %, les Krou (avec entre autres les Bété, l’ethnie de Gbagbo) à 12,7 %, les Mandé du Nord (supposé pro-Ouattara) à 16,5 %, les Voltaïques (aussi supposés pro-Ouattara) à 17,6 %, et les Dan du Sud (proches du Liberia) à 10 %. Une calculette en main, Ouattara pouvait espérer rafler près de 45 % de l’électorat en incluant les naturalisés qui totalisait à l’époque environ 85 000 personnes.
D’autres statistiques faisaient état de la prédominance des Musulmans avec environ 38 %, suivis des chrétiens (32 %) et des animistes (12 %).
Le concept d’Ivoirité créé par Bédié n’avait qu’une visée électorale : écarter Ouattara de toute compétition et entraîner dans la foulée l’abstinence forcée de son électorat. Le résultat de cette politique est connu : boycott de la présidentielle de 1995 par le Front républicain dans lequel se battaient côte à côte le RDR de Ouattara et le FPI (Front populaire ivoirien) de Gbagbo. Puis le coup d’Etat de Noël 1999 qui aurait pu ou qui aurait dû replacer Ouattara dans le jeu électoral. Il n’en fut rien. L’apprenti putschiste que fut le général Gueï a cru un temps lui aussi en son "destin national" et, de concert avec Gbagbo, il fit voter une réforme constitutionnelle en juillet 2000 qui écartait de nouveau Ouattara de toute élection.
Ce denier a pourtant appelé à voter "oui" à ce référendum constitutionnel, nous dira-t-on ! Oui, et c’est là sans doute une faute majeure qu’il a commise, croyant que l’article 35 du projet de constitution imposant à tout candidat d’être né de père "ou" de mère ivoirienne ne s’appliquerait pas à sa personne, étant persuadé que la justice reconnaîtrait in fine sa nationalité d’Ivoirien.
Mieux encore, car on oublie aussi un peu vite la grosse entourloupe commise par le général Gueï, qui modifia le 17 juillet et par décret cet article 35, alors que la campagne électorale pour ce référendum était déjà lancée. Gueï prit sa plume ce jour-là pour tout simplement rayer le "ou" et le remplacer par un "et", histoire de mettre quelques bâtons supplémentaires dans les roues de Ouattara.
Gbagbo le "légaliste pointilleux" d’aujourd’hui ne pipa mot, guère scandalisé de voir un projet constitutionnel modifié à la va-vite par le stylo présidentiel, alors que la campagne électorale était déjà lancée et que les leaders politiques s’étaient déjà prononcés pour un projet qui fut modifié en cours de route. Le droit, rien que le droit répète aujourd’hui à l’envi Laurent Gbagbo qui s’accommoda fort bien en ce mois de juillet 2000 d’un droit allégrement bafoué. On ne peut pas être légaliste tout le temps.
Et puisque l’objet de cet article porte sur les convictions de Gbagbo, rappelons aussi qu’à l’époque des voix - réellement internationalistes et de gauche - s’élevaient contre cette réforme constitutionnelle.
En juillet 2000, quand Gbagbo, "l’homme de gauche", n’avait rien à redire sur cette réforme constitutionnelle xénophobe, d’autres s’indignaient comme le professeur Samba Diarra, auteur des "Faux complots d'Houphouët-Boigny", qui écrivit, dans le quotidien Le Jour, que d’avoir remplacé le "ou" par le "et", maudite conjonction de coordination, « constitutionnalise l'exclusion de millions de métis ivoiro-étrangers que compte la population ivoirienne, en ces temps d'union africaine et de mondialisation ».
D’autres voix s’élevèrent comme ce collectif d'ONG opposées à l'exclusion - "Tous ivoiriens", "Génération" et "SOS exclusion" - qui estimèrent qu'avec ce projet de constitution « les Ivoiriens ne sont plus égaux, des millions d'entre eux seront désormais considérés comme des sous-citoyens, exactement comme l'étaient les noirs face aux blancs sous le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud ».
Une autre organisation dénommée "Sang pour sang" qui regroupait des métis de Côte d'Ivoire appela à voter non, estimant que « dire non à ce texte c'est dire oui à l'égalité des droits et devoirs pour tous les Ivoiriens ». Ces Ong révoltées par ce concept d’Ivoirité étaient-elles les suppôts du capitalisme ? La cinquième colonne de la Françafrique ? Permettez d’en douter.
Un autre rappel s’impose. En ce mois de juillet 2000, quand on entérinait par référendum constitutionnel la ségrégation ethnique dans son pays, où était-il passé le Gbagbo qui, le 11 décembre 1994 précisément, déclarait à propos de Ouattara que « Cet homme est donc né de père et de mère ivoiriens. » ?
En ce dimanche de décembre 1994 et pour la première fois depuis l'avènement du multipartisme en Côte d'Ivoire en 1990, l'ensemble des leaders de l'opposition se retrouvaient côte à côte à la tribune du stade Champroux à Abidjan lors d’un meeting devant dix mille personnes. A la tribune, Bamba Moriféré, président de l'Union des Forces démocratiques (UFD), Djény Kobina du Rassemblement des Républicains (RDR) et un certain Laurent Gbagbo, secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI).
Un Gbagbo qui clama à la foule : « S'ils ne veulent pas tricher, pourquoi ont-ils peur d'une commission électorale indépendante ? (…) Si c'est ADO qu'ils visent, ils se trompent car l'histoire viendra au secours du droit. »
Un Gbagbo précis comme un clerc de notaire qui lança à la foule : « ADO est né en 1942 à Dimbokro. Sa mère vient d'Odienné, en Côte d'Ivoire et son père est né dans la région de Banfora (au sud de l'actuel Burkina Faso). Mais, à ce que je sache, jusqu'en 1960, la Côte d'Ivoire partait d'Abidjan jusqu'à Ouagadougou. Cet homme est donc né de père et de mère ivoiriens. »
Bamba Moriféré, qui applaudissait des deux mains ce jour-là à la tribune, homme de gauche s’il en est et qu’Amath Dansokho doit bien connaître, était-il lui aussi déjà une marionnette de la Françafrique ?
Au lendemain des résultats de ce référendum constitutionnel de juillet 2000 (86,53 % de "oui"), le quotidien Notre Voie, l’organe du FPI de Laurent Gbagbo, titra en Une : « Oui massif pour la 2ème République. Les Ivoiriens désavouent Dramane Ouattara. » On ne pouvait être plus clair quant à la finalité de cet amendement constitutionnel qui ne visait qu’une seule personne, en l’occurrence Ouattara et lui seul.
A l’inverse, le journal Le Patriote, proche d’ADO, titra : « Fin de course pour Dramane. A présent le RDR peut faire son deuil de l'ambition présidentielle. »
C’est en ce mois de juillet 2000 que Gbagbo a enfourché le cheval de l’Ivoirité, et sans aucun scrupule, uniquement pour arriver au pouvoir, appliquant à la lettre la méthode Bédié de 1995. Ouattara, futur écarté de l’élection présidentielle à venir, Bédié l’était déjà, la junte ayant lancé contre lui un mandat d'arrêt international pour "détournement de fonds publics".
La suite, on la connaît. Octobre 2000, se tient donc une élection présidentielle avec seulement deux candidats car l’on n’oserait faire injure à Francis Wodié, Théodore Mel Eg et Nicolas Dioulo, en faisant mine de croire qu’ils prirent au sérieux leur candidature. Gueï contre Gbagbo, rien d’autres. Que monsieur Dansokho nous dise ce qu’il penserait d’une élection présidentielle au Sénégal où ne seraient en lice qu’Abdoulaye Wade et Idrissa Seck ?
Avant le scrutin, Gbagbo avait prévenu : « Je ne suis pas candidat au poste de Premier ministre. Je suis candidat au poste de président de la République. »
Il avait aussi tenu à préciser en quoi il était "socialiste" : A la veille du scrutin du 22 octobre, il déclara : « Au FPI, nous avons estimé que le poste de président de la République n'est pas un poste pour des retraités hauts fonctionnaires d'autres pays ... Ce n'est pas une prise de position contre un musulman, contre un homme du nord. Les socialistes ne sont pas laxistes, ils sont aussi patriotes. »
Le socialisme se résumant pour Gbagbo au patriotisme, la chasse aux Mossis put donc passer pour un acte d’engagement politique …
Après la mobilisation populaire lancée par le FPI de Gbagbo pour empêcher Robert Gueï de se proclamer vainqueur de cette présidentielle, Ouattara décida le 25 octobre de lancer lui aussi ses partisans dans la rue pour réclamer un nouveau scrutin. L'affaire tourna vite à l'affrontement, à une guerre inter ethnique avec des relents religieux, plusieurs mosquées étant la cible d'attaques.
« Qu'un sang impur abreuve nos sillons » semblait donc être le mot d’ordre des nervis lancés dans la rue par le FPI pour asseoir Gbagbo au pouvoir. Dans les rues d’Abidjan, ce n’est pas l’Internationale que l’on chantait mais « Alassane, Burkinabé, va dans ton pays » ou encore : « Burkinabé, on veut pas ! ». Rien d’étonnant. Avant le scrutin et après le référendum, un éditorialiste de Notre Voie, le quotidien du FPI, avait appelé à « faire rendre gorge à ce dangereux faussaire » de Ouattara.
Les massacres commis lors de ces maudites journées d’octobre 2000 ne furent pas le fait de tirailleurs sénégalais ni de la bande de débiles du général Bigeard mais ils furent commis bel et bien par des gendarmes ou des jeunes "patriotes" qui ne faisaient qu’exécuter une ligne politique prônée au sommet.
Gbagbo "élu" ? Gbagbo "majoritaire" dans cette Côte d’Ivoire d’octobre 2000 ? Encore un autre rappel s’impose pour les historiens d’aujourd’hui. Les résultats du scrutin furent à l’image de cette parodie d’élection.
Laurent Gbagbo a été proclamé président de la République ivoirienne le 26 octobre par le président de la chambre constitutionnelle de la cour suprême, Tia Koné, un Tia Koné qui validait les résultats publiés par la Commission nationale électorale (CNE). Selon ces résultats, Gbagbo obtint 59,36 % des suffrages au premier tour (1.065.597 voix), contre 32,72 % au général Gueï (587.267 voix). Rien à redire. Sauf que les "majoritaries" furent en fait les abstentionnistes.
La participation ne fut que de 37,42 %, avec 2.049.018 votants sur 5.475.143 inscrits. 254.013 bulletins nuls furent comptabilisés. 63 % d’abstention !
Qui pourrait aujourd’hui admettre avec sincérité que la présidentielle de l’an 2000 qui a porté au pouvoir Laurent Gbagbo fut une élection légitime, "ouverte" et démocratique ?
Laurent Gbagbo peut se targuer d’avoir été "élu" avec 59,36 % des suffrages exprimés, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur 5.475.143 d’électeurs inscrits, il n’a obtenu que 1.065.597 voix. A peine 20 % des électeurs inscrits !
Gbagbo, "président légitime" comme aimaient à le rappeler certains, ou Gbagbo "président gagne-petit" ?
Mal élu, Laurent Gbagbo aurait pu profiter de son mandat pour réconcilier les Ivoiriens en pratiquant une franche politique d’ouverture et en associant réellement les frères ennemis du passé à la gestion du pays. Il s’est plutôt acharné dès les premiers mois de son régime à tenter d’enraciner définitivement l’exclusion d’Alassane Ouattara de la vie politique ivoirienne et de réduire à la portion congrue l’électorat potentiel de l’ancien Premier ministre.
La suite, on la connaît aussi. Des législatives de décembre 2000 tronquées, avec une nouvelle fois Ouattara sur la touche, des régionales perdues par le FPI en 2002. Le RDR obtint 27 % des suffrages et se positionna comme le premier parti politique du pays devant le FPI (22 %), et le PDCI (21,31 %).
Mais ces élections donnèrent toute la mesure de ce que peut être le discours d’un "socialiste" en campagne électorale du côté d’Abidjan où l’on a pu entendre le Premier ministre de Gbagbo, Pascal Affi N'Guessan, déclarer : « On évoque des questions de certificat de nationalité. Si vraiment ce sont des problèmes de papiers qui préoccupent certains partis politiques, qu'ils laissent tomber la politique pour créer une ONG de défense des sans papiers, un Rassemblement des sans papiers. » Un discours "fort", avec des arguments électoraux bouleversants à n’en point douter.
La suite et la fin, ce furent la tentative de coup d’Etat de septembre 2002. Et ce coup de force métrite lui aussi que l’on s’y attarde. Dans nombre d’argumentaires avancés aujourd’hui pour soutenir Laurent Gbagbo, on peut entendre que ce coup fut monté par la France de Jacques Chirac pour installer Ouattara au pouvoir. 2010 ne serait qu’un bis repetita de 2002.
Permettez encore une fois d’en douter. Quand les rebelles du MPCI de Guillaume Soro se sont emparés des préfectures et autres sous-préfectures du Nord de la Côte d’Ivoire en septembre 2002, ils y ont découvert des milliers de papiers d’identité qui pourrissaient dans des cartons car jamais distribués aux intéressés. Qui étaient les heureux bénéficiaires de ces papiers retenus en préfectures ? Des Koné, des Coulibaly, avec ou sans "y" à la fin, avec ou sans "k" au début, des Bamba, des Moussa, tous des supposés pro-Ouattara, car l’exclusion du leader entraîna aussi celle de ses supporters. Des centaines de milliers d’Ivoiriens n’étaient plus rien grâce à ce fumeux concept d’Ivoirité applaudi des deux mains par Gbagbo. Plus rien. Sans nationalité et donc sans droit. Pas seulement sans le droit de la voter, sans "droits" tout court. Nous avions rencontré à l’époque un conseiller diplomatique du président du Toumani Touré du Mali, dont l’épouse était Ivoirienne, et par malchance originaire de la ville d’Odiénné. Sans avoir pu faire renouveler ses papiers d’identité, cette femme ne pouvait même plus faire valoir ses simples droits de propriétés en Côte d’Ivoire. L’exclusion, c’était aussi cela. Des milliers de personnes, originaires du Nord de la Côte d’Ivoire ou dont les parents ou grands-parents étaient orginaires des pays limitrophes comme le Mali ou le Burkina Faso, se sont ainsi retrouvés apatrides sans le vouloir. Aussi, ne fallait-il pas s’étonner de voir la formidable symbiose qui prévalait à l’époque entre les rebelles en armes et les populations du Nord de la Côte d’Ivoire. Pas un moustique qui ne soutienne la rébellion, même si cela déplaît à certains. Les motivations des milliers de manifestants dans les rues de Korhogo ou de Bouaké à l’époque étaient à mille lieux de celles supposées de la Françafrique. Ces gens qui soutenaient la rébellion retrouvaient tout simplement leur dignité et leurs sourires retrouvés qui illuminaient leurs visages n’étaient pas motivés par des futurs contrats juteux qu’auraient ourdis à leur insu les mafieux de la Françafrique. Les rebelles du MPCI leur permettaient de ne plus se sentir à l’écart dans un pays où ils vivaient, où ils travaillaient et où ils mourraient sans doute, mais un pays dans lequel ils n’avaient mot à dire dès qu’il s’agissait de politique. En sillonnant le Nord de la Côte d’Ivoire à cette époque, on ne pouvait que s’émouvoir à la vue de ces hommes et de ces femmes redressés parce qu’enfin reconnus comme citoyens à part entière.
Ne pas prendre en compte cet aspect primordial qui a permis à la rébellion de tenir aussi longtemps, et vouloir faire croire que les rebelles du MPCI de Soro furent manipulés par les réseaux chiraquiens pour installer Ouattara au pouvoir est pour le moins réducteur, si ce n’est à mille lieux de la réalité. Quand les vieux des villages du côté de Korhogo ou Ferkessedougou accompagnaient leurs fils qui s’en allaient au combat en montant dans les "bâchés" siglés MPCI pour aller pour défendre Bouaké ou Man, ce n’étaient sûrement pas pour faire plaisir à Martin Bouygues.
Il aura fallu cette guerre, puis dix ans de tractations de réunions, de concertations, de pressions et de médiations pour qu’enfin Gbagbo accepte que Ouattara puisse se présenter aux élections, et dix ans pour qu’une grande partie de la population retrouve ses droits en obtenant des papiers d’identité et une carte d’électeurs.
L’Ivoirité a commencé en 1994 et s’est achevée en 2010. Elle a débuté parce que, arithmétiquement parlant, tout un chacun savait que Ouattara avait toutes les chances d’être président, et elle s’est achevée en 2010 parce que l’arithmétique a démontré à Guy Labertit, l’ancien monsieur Afrique du parti socialiste français, soutien inconditionnel de Laurent Gbagbo, que 2+2 font 4.
Rien de moins, rien de plus.
C’est peut-être regrettable au regard des débats d’idées, navrant pour qui aime les conflits idéologiques, mais c’est ainsi. Et pour ceux qui estimeraient qu’un tel vote, fortement guidé par l’appartenance ethnique ou régionale est détestable, voici quelques extraits de la haute pensée révolutionnaire du camarade socialiste Laurent Gbagbo. Ecartez Sankara, car il pourrait s’agiter dans sa sépulture.
Voici quelques extraits de discours du "révolutionnaire", du "progressiste", du "socialiste" …
Quand c’est Dieu qui décide, alors rien à redire. Discours de Gbagbo au peuple de l’Agneby, lors de la commémoration la troisième année de conflit, le dimanche 02 octobre 2005 :
« Comme ils voient que l’enfant du village voisin a gagné, ils prennent les fusils pour lui faire la guerre. Le fusil ne fait pas partie de la règle du jeu. J’ai dit à un ami d’ADO de dire à ce dernier de venir me remercier parce que sous Bédié, Ouattara était pourchassé pour faux et usage de faux. Il y avait un mandat d’arrêt international contre lui. Et sous Gueï Robert, il lui était interdit de sortir de la Côte d’Ivoire. Je lui ai donné la liberté de voyager, la nationalité et même l’éligibilité. Et au lieu de me remercier, il m’attaque. C’est pourquoi, il ne gagnera jamais. Parce que c’est injuste, or Dieu n’aime pas cela. »
Toujours le même jour, mais un peu trop "matérialiste dialectique" à notre goût :
« Nous sommes 17 millions d’habitants. Si c’est moi qui suis Président de la République, cela veut dire quelque chose spirituellement. Il faut se mettre à la hauteur de ce choix spirituel et laisser des traces que le Plus Haut attend de moi. C’est parce que ces traces sont importantes que le diable se débat, comme il le fait actuellement. Mais nous nous battrons et nous gagnerons parce que nous avons raison. »
Discours de Gbagbo face aux populations du V Baoulé, le vendredi 26 août 2005. Là, c’est un Gbagbo à deux doigt du trotskisme qui parle :
« Je ne suis pas de ceux qui veulent gouverner des cimetières. Je veux gouverner des hommes, donc, il faut que les hommes vivent.
Et puis, je suis un croyant. Quant tu regardes dans la Bible, Jésus est allé au cimetière deux fois. Une fois, pour ressusciter Lazare et une autre fois pour être lui-même enterré et ressuscité. Il a toujours été pour la vie. Quand tu regardes tous les miracles de Jésus, c’est pour rendre la santé aux gens et leur donner à manger. La politique pour moi doit consister à donner la santé et la nourriture aux gens. »
Le même jour, à propos des rebelles et de leur supposé mentor, Ouattara :
« Vous enterrez des bœufs, depuis trois ans contre quelqu’un. Mais tous les matins, ce dernier se réveille en pleine forme. Comprenez que le Dieu qu’il prie tous les matins et soirs avant de dormir est plus fort que vous, que ce Dieu n’est pas dans vos affaires de sacrifices. »
Et encore le même jour. Comment développer une région ? Tout simple, il suffit d’appeler Israël à la rescousse … :
« Comment a-t-on pu laisser des régions du centre et du Nord sans développement agricole ? J’ai déjà contacté des Israéliens. Je vais développer le Centre et le Nord du pays. Je vous donne ce pari. Je vous donne ce rendez-vous. C’est pourquoi j’en appelle à la paix et à la réconciliation.
Allons à la paix.
Je vous remercie.
Que Dieu vous bénisse ! »
Une réflexion de Gbagbo sur les rapports entre monarchie et démocratie. Sankara en aurait été jaloux, lui qui n’avait de cesse de dénoncer et de vouloir lutter contre « les forces rétrogrades qui tirent leur puissance des structures traditionnelles de type féodal de notre société ».
Pour Gbagbo, cela donne ceci, à l’occasion du 15ème anniversaire de l’intronisation du Roi de Moossou, Nanan Assoumou Kanga, le 06 mai 2006, à Grand-Bassam :
« En théorie, entre la Monarchie et la République, il existe des contradictions. Mais en pratique, en ce qui concerne la Côte d’Ivoire, il n’existe pas de contradiction. C’est pourquoi aucun Président de la République, depuis Houphouët Boigny jusqu’à Laurent Gbagbo, n’a pensé à casser ces monarchies, puisqu’elles n’ont jamais gêné la République. Je voulais le dire haut et fort qu’en Côte d’Ivoire il n’y a pas de contradiction entre les Monarchies et la République. »
Ou encore, histoire de préciser sa pensée révolutionnaire :
« Je vais faire une petite réflexion sur la notion du Pouvoir parce qu’il y en a qui n’ont pas compris grand-chose en Côte d’Ivoire. Moi, j’ai souvent observé et étudié les monarchies en Afrique.
En Afrique la personne qu’un monarque place à ses côtés, c’est quelqu’un qui ne peut pas être roi. C’est quelqu’un qui ne peut donc pas faire un coup d’Etat parce que lui-même, dans son essence, ne peut pas être roi. »
Une très fine allusion au fait qu’Houphouët-Boigny avait pris Ouattara comme Premier ministre. Trop profond Gbagbo pour l’édification des masses ! Un Gbagbo qui conclut ce jour-là magistralement :
« Les gens ne savent pas que c’est Dieu qui donne le pouvoir. C’est la règle constitutionnelle de la monarchie Abouré qui a permis à Nanan Kanga Assoumou d’être le roi du peuple Ehê de Moossou, du point de vue de la famille de sa mère. Mais Il est venu, il est assis là. Si on ne veut pas respecter les lois qu’on se donne soi-même, on sort en ridicule. »
Avec Gbagbo, la politique, c’est tout simple. Au 19ème jour de l’insurrection, alors qu’il pense que son armée va reprendre la ville de Bouaké aux mains des rebelles, le mardi 8 octobre 2002, il s’adresse à la Nation. Une analyse magistrale de la crise, à faire rougir de honte Lumumba :
« Que le Dieu tout-puissant qui nous a créés et qui a mis chacun à sa place. Que le Dieu tout-puissant qui fait la paix, qui fait aussi la guerre, que le Dieu tout-puissant qui sait tout ce qui s’est passé et tout ce qui arrive, qu’il bénisse la Côte d’Ivoire et qu’il nous libère des méchants. » Ah, si seulement Lumumba avait pensé à invoquer Dieu en janvier 1961 pour vaincre les "méchants".
Toutefois, quand il y va de son intérêt, Gbagbo se souvient que "socialisme" peut parfois rimer avec "internationalisme" », comme dans son discours au peuple de l’Agneby après trois ans de conflit, le dimanche 2 octobre 2005 :
« Nous travaillons pour la Côte d’Ivoire, mais au-delà de notre pays, nous travaillons pour toute l’Afrique. C’est pourquoi je vous appelle à rester dignes de l’Afrique et à rester debout. C’est pourquoi j’appelle aussi tous les dirigeants de l’Afrique libre, démocrate et progressiste à se dresser et à prendre position pour la Côte d’Ivoire. Le Seigneur a commencé son œuvre. Lentement mais sûrement, nous avançons. »
Laissons Dieu à ses affaires et plongeons-nous dans le vaste programme du camarde Gbagbo en ce qui concerne l’émancipation féminine. Là, il vaut mieux éloigner les petites filles !
« Femmes, ne soyez pas paresseuses ! Je parle aux femmes, d’abord, parce qu’elles ont demandé à venir me voir et ensuite, parce que je sais que dans un endroit, quand les femmes sont courageuses, les choses marchent.
Dans un foyer, il se peut que l’homme soit paresseux. Mais, si la femme se bat, les enfants réussiront.
Moi, mon papa m’a dit ce que je devais devenir. Mais, c’est ma mère qui, chaque jour, allait au champ, cassait le bois… pour avoir un peu d’argent.
Il faut travailler. Quand vous avez des enfants, vous avez un devoir vis-à-vis d’eux. Et votre devoir, c’est leur réussite. Tant qu’ils n’ont pas réussi, c’est vous qui avez échoué.
Un enfant délinquant qu’on arrête, c’est l’échec de la famille. Donc, c’est l’échec de la femme. Faites en sorte que vos enfants aient le minimum. Même si vous n’êtes pas riches, au moins, ils peuvent courir pour venir à la maison, manger un morceau de pain, un peu d’attiéké, boire un peu d’eau. » (Extrait de son discours prononcé le 29 mars 2007 devant les femmes Sakassou en pays Baoulé)
Sankara, lui, pensait ainsi : « Femme-source de vie mais femme-objet. Mère mais servile domestique. Femme-nourricière mais femme-alibi. Taillable aux champs et corvéable au ménage, cependant figurante sans visage et sans voix. Femme-charnière, femme-confluent mais femme en chaînes, femme-ombre à l’ombre masculine.
Pilier du bien-être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse, cuisinière, messagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse, vendeuse, ouvrière. Elle est une force de travail à l’outil désuet, cumulant des centaines de milliers d’heures pour des rendements désespérants. »
Il ajoutait même : « Rouées et brimées, les femmes, nos soeurs et nos épouses, paient pour avoir donné la vie. Socialement reléguées au troisième rang, après l’homme et l’enfant, elles paient pour entretenir la vie. Ici aussi, un Tiers Monde est arbitrairement arrêté pour dominer, pour exploiter. »
(Extrait d’un discours prononcé par Sankara le 8 mars 1987, intitulé « La libération de la femme : une exigence du futur », prononcé à l’occasion de la Journée de la femme)
Un Sankara, qui ne croyait pas forcément aux vertus du « si la femme se bat, les enfants réussiront » de Gbagbo et qui ajoutait même : « Dominée et transférée d’une tutelle protectrice exploiteuse à une tutelle dominatrice et davantage exploiteuse, première à la tâche et dernière au repos, première au puits et au bois, au feu du foyer mais dernière à étancher ses soifs, autorisée à manger que seulement quand il en reste ; et après l’homme, clé de voûte de la famille, tenant sur ses épaules, dans ses mains et par son ventre cette famille et la société, la femme est payée en retour d’idéologie nataliste oppressive, de tabous et d’interdits alimentaires, de surcroît de travail, de malnutrition, de grossesses dangereuses, de dépersonnalisation et d’innombrables autres maux qui font de la mortalité maternelle une des tares les plus intolérables, les plus indicibles, les plus honteuses de notre société. (…)
Scolarisées deux fois moins que les hommes, analphabètes à 99 pour cent, peu formées aux métiers, discriminées dans l’emploi, limitées aux fonctions subalternes, harcelées et congédiées les premières, les femmes, sous les poids de cent traditions et de mille excuses ont continué de relever les défis successifs. Elles devaient rester actives, coûte que coûte, pour les enfants, pour la famille et pour la société. Au travers de mille nuits sans aurores. »
Faignante la femme ivoirienne ? Peut-être et même parfois frivole car non mariée. Inadmissible pour le "progressiste" Gbagbo. Là, n’écartez personne mais accrochez-vous car c’est du sévère, ça touche aux fondamentaux de toute société :
« Mesdames, chères amies, ne mentez pas. Ne mentez pas à vos supérieurs. Cela va vous coûter cher quelquefois. Mais, si vous voulez que la Côte d’Ivoire soit debout, ne mentez, ni sur les chiffres, ni sur la situation des individus. Si on vous demande par exemple la situation matrimoniale d’une femme que vous proposez à une promotion, et que vous dites qu’elle est mariée alors qu’elle est célibataire, vous allez pousser le Président à prendre une fausse décision. Parce qu’il y a, certes, des postes pour lesquels il a besoin de femmes célibataires. Mais il y a des postes pour lesquels il a nécessairement besoin de femmes mariées. Quand les autres Etats me soumettent une proposition d’Ambassadeur à accréditer auprès de la Côte d’Ivoire, la première question que je pose, est celle de savoir s’il est marié ou pas. Il n’y a rien de plus neutre qu’un Curriculum Vitae. Donc, il faut chercher au-delà des CV. Si on me dit que la personne à accréditer est célibataire, je dis au Ministre des Affaires Etrangères que je n’en veux pas. C’est un des critères importants sur lesquels je m’appuie. Il faut être socialement intégré pour représenter un pays. Il faut être socialement accompli, assis. Mais, si on me ment sur cela, je vais prendre une décision qui n’est pas conforme avec ma manière de voir le poste d’Ambassadeur. Parce que je n’ai pas les moyens de vérifier. C’est cela, l’Administration. »
(Discours de Gbagbo a l’occasion de l’investiture officielle du Bureau exécutif national du Réseau ivoirien des femmes administrateurs (Rifemad), le 2 juin 2008)
Et qu’en pensait Sankara de ces femmes de peu de vertu qui ne voient pas dans le mariage le nec plus ultra de la réussite sociale ? Ceci :
« Rien d’étonnant alors que, dans sa phase conquérante, le capitalisme, pour lequel les êtres humains n’étaient que des chiffres, ait été le système économique qui a exploité la femme avec le plus de cynisme et le plus de raffinement. C’était le cas, rapporte-t-on, chez ce fabricant de l’époque, qui n’employait que des femmes à ses métiers à tisser mécaniques. Il donnait la préférence aux femmes mariées et parmi elles, à celles qui avaient à la maison de la famille à entretenir, parce qu’elles montraient beaucoup plus d’attention et de docilité que les célibataires. Elles travaillaient jusqu’à l’épuisement de leurs forces pour procurer aux leurs les moyen subsistance indispensables.
C’est ainsi que les qualités propres de la femme sont faussées à son détriment, et tous les éléments moraux et délicats de sa nature deviennent des moyens de l’asservir. Sa tendresse, l’amour de la famille, la méticulosité qu’elle apporte à son oeuvre sont utilisés contre elle, tout en se parant contre les défauts qu’elle peut avoir. »
Et Sankara osait même ajouter à propos des femmes libres :
« Non ! il nous faut redire à nos soeurs que le mariage, s’il n’apporte rien à la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable, et doit même être évité. Au contraire, montrons-leur chaque jour les exemples de pionnières hardies et intrépides qui dans leur célibat, avec ou sans enfants, sont épanouies et radieuses pour elles, débordantes de richesses et de disponibilité pour les autres. Elles sont même enviées par les mariées malheureuses pour les sympathies qu’elles soulèvent, le bonheur qu’elles tirent de leur liberté, de leur dignité et de leur serviabilité.
Les femmes ont suffisamment fait la preuve de leurs capacités à entretenir une famille, à élever des enfants, à être en un mot responsables sans l’assujettissement tutélaire d’un homme. La société a suffisamment évolué pour que cesse le bannissement injuste de la femme sans mari. Révolutionnaires, nous devons faire en sorte que le mariage soit un choix valorisant et non pas cette loterie où l’on sait ce que l’on dépense au départ mais rien de ce que l’on va gagner. Les sentiments sont trop nobles pour tomber sous le coup du ludisme. »
Gbagbo, un frein à la voracité du capitalisme ?
Gbagbo progressiste à tout crin comme on vient de le voir, ne serait-il pas aussi tant décrié par l’Occident parce qu’il veut faire bouger les lignes de la mondialisation, résister à la pieuvre capitaliste occidentale ? C’est du moins ce que pensent certains. D’autres, les Bouygues (SODECI- pour l’eau, CIE pour l’électricité mais aussi concessionnaire de la centrale thermique Ciprel et avec EDF de la centrale thermique d’Azito), les Bolloré (concessionnaire du port d'Abidjan par la SETV, mainmise sur le chemin de fer par la Sitarail), France Telecom (leader de son secteur d'activité avec Orange-CI), la Société Générale, Total (actionnaire majoritaire de la Société ivoirienne de raffinage et qui gère quelque 160 stations service dans le pays), sans oublier le viniassier Castel, pardon le spiritueux Castel ou la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille associée à la Sofreavia qui a la concession de l’aéroport international d’Abidjan, ou encore la CFAO-Pinault dans la distribution, AXA, leader du secteur assurance, la Compagnie Fruitière et sa filiale SCB qui rafle 65 % du marché de la banane et 29 % du marché de l’ananas en Côte d’Ivoire, sans oublier toutes les filiales du groupe BGI (Société des Brasseries et Glacières Internationales) que sont la Solibra (limonade et brasserie), la Sadem (eaux minérales) et Sucaf (le sucre), et même la Cipharm (filiale d’Aventis et de Sanofi-Synthélabo), première productrice de médicaments génériques, des médicaments qu’il faut bien faire distribuer par Laborex, Copharmed (Groupe CFAO) ou DPCI (filiale de CERP Bretagne Nord), eux, doivent bien sourire. On vous épargne les projets pharaoniques et inutiles de Yamoussoukro confiés pour la plupart à des groupes français.
Alors, oui, n’ayons pas peur des mots : en cela Gbagbo fut un bien beau révolutionnaire des années 2000. L’économie française a du mal à s’en remettre …
Si Mugabe fut en butte et l’est encore avec le monde occidental, c’est parce que, lui, a fait bouger les lignes, parce qu’il a tenté de mettre fin à une situation injuste et ignoble issue d’un siècle de colonisation raciste et cupide, en voulant récupérer les terres volées et accaparées par les colons blancs. Gbagbo ne joue pas dans la même cour que Mugabe.
Mugabe a fait vingt ans de guerre, passé une bonne dizaine d’années en prison, touché de la kalache. Gbagbo a fait six mois de prison puis passé quelques années d’exil chez son ami Guy Labertit en France. Gbagbo Mugabe même combat ? Ces deux-là ne sont pas du même bois, ils n’ont pas la même écorce. La détestation des Blancs chez Mugabe n’est pas due au racisme, elle est due à ce que les Blancs ont fait au Zimbabwe et aux Zimbabwéens. D’où provient la haine de Gbagbo vis-à-vis de Ouattara ? Six mois de prison en 1992 ? Suffisant pour vouloir rayer de la carte "Côte d’Ivoire" plus du tiers des habitants en leur déniant le droit de se revendiquer "Ivoiriens" ? Pure farce.
Le socialiste français Roland Dumas, qui vole aujourd’hui au secours de Gbagbo, pourrait lui raconter une bien belle histoire que celle de son ancien camarade de parti aujourd’hui décédé, Raymond Forni, fils d’Italiens qui n’est devenu français qu’à l’âge de 17 ans et à qui l’on confia le troisième poste de l’Etat français, en l’occurrence la présidence de l’Assemblée nationale entre 2000 et 2002. Qu’aurait pensé monsieur Roland Dumas si, à l’Assemblée, sur les bancs du RPR de l’époque, l’on s’était mis à hurler : « Rital, dehors ! »
Socialisme rime-t-il avec crimes odieux ?
Comment, pour finir, ne rappeler sommairement le bilan "humain" des dix ans du régime de Gbagbo ! Ce fut un véritable jeu de massacres. On a tué de mille manières, en mille occasions, et en règle générale des pauvres hères qui n’avaient pas l’heur de plaire au régime : des civils, des "étrangers", des "non-autochtones" …
Dès son arrivée au pouvoir, Thomas Sankara, dans son premier discours « Discours d’orientation politique », prononcé le 2 octobre 1983, aborda la question des rivalités ethniques et l’usage que l’on en faire ainsi :
« Une des préoccupations essentielles du CNR, c’est l’union des différentes nationalités que compte la Haute-Volta dans la lutte commune contre les ennemis de notre révolution. Il existe en effet dans notre pays, une multitude d’ethnies se distinguant les unes des autres par leur langue et leurs coutumes. C’est l’ensemble de ces nationalités qui forment la nation voltaïque. L’impérialisme dans sa politique de diviser pour régner, s’est évertué à exacerber les contradictions entre elles, pour les dresser les unes contre les autres. La politique du CNR visera à l’union de ces différentes nationalités pour qu’elles vivent dans l’égalité et jouissent des mêmes chances de réussite. »
Gbagbo aborda le problème tout autrement. Les tueries ont commencé dès le lendemain de son élection, quand les sympathisants de Ouattara ont réclamé dans la rue la reprise de la présidentielle avec tous les candidats dignes de ce statut. Entre le 24 et le 27 octobre 2000, des centaines de Dioulas, de Musulmans, de "Nordistes" ou tout simplement des Etrangers ont été tués, qui à l’arme blanche, qui par les forces de l’ordre, qui arrêtés sur dénonciations. Laurent Gbagbo stabilisait son nouveau pouvoir d’une bien étrange manière.
En septembre 2001, les autorités ont publié un bilan officiel de ces violences : 303 morts, 65 disparus et 1.546 des blessés.
Il y eut aussi un charnier, le fameux « charnier de Yopougon », mais point d’enquête internationale. Une instruction ivoirienne aboutit des mois plus tard à un non-lieu pour un petit groupe de gendarmes mis en cause dans cette affaire. Pourquoi se gêner ?
Un mois plus tard, en novembre 2000, la répression qui frappa à nouveau les partisans d’Alassane Ouattara qui réclamaient cette fois que leur leader puisse être candidat aux élections législatives fut encore sanglante. On a dénombré entre les 4, 5 et 6 décembre, à la suite des violents affrontements entre partisans de Ouattara et forces de l’ordre, au moins 20 morts et des centaines d’arrestations à l’issue desquelles les pauvres gars sortaient des commissariats ou de l’école de police d’Abidjan dans un triste état.
Le Comité international de la Croix-Rouge et la Croix-Rouge ivoirienne ont secouru 256 blessés pendant ces trois jours.
Amnesty International estima que « Parmi les personnes arrêtées, certaines sont des prisonniers d'opinion, détenues uniquement en raison de leur origine étrangère ou de leurs sympathies supposées pour le RDR. » Des représentants d’Amnesty International qui avaient visité l’école de police, y virent une trentaine de détenus sanguinolents portant « des traces visibles de brûlures ».
Des témoignages concordants ont fait état à l’époque de viols de femmes arrêtées à l’Ecole de police, par des policiers ou par des "civils anti-RDR".L’Association ivoirienne des droits des femmes (AIDF) avait enregistré au moins 10 cas de femmes violées à cette Ecole de police et Gbagbo lui-même dut même ordonner une enquête sur ces allégations. Résultat de l’enquête menée par l'Inspecteur général des services de police, Kouadio N'Goran : « Aucun cas de viol n'a été signalé comme ayant eu lieu à l'Ecole nationale de police. » Simone Gbagbo déclara à propos de ces femmes violées qu’elles « n'avaient pas à être sur les lieux de manifestations. » …
Le 26 décembre, des gendarmes ont exécuté Bakary Kaba, 60 ans, en présence de sa femme et de ses enfants. Pas de chance, il était Dioula. Pas d’enquête …
Le même jour, c’est Babou Coulibaly, membre du secrétariat particulier de Ouattara qui est battu à mort par des éléments de la Garde présidentielle.
Et toujours le 26 décembre, c’est un certain Jean-Claude Lama, âgé de 16 ans, qui est lui aussi battu à mort dans les locaux de l’Ecole de Police. Une enquête conclura qu’il s’est "suicidé".
Fin 2002, après le déclenchement de la rébellion, les tueries reprennent de plus belle, mais cette fois dans l’ombre avec l’entrée en scène des escadrons de la mort.
Le 18 octobre, deux personnes sont tuées par des hommes en uniforme à Abidjan lors de l’enterrement d’un membre de la famille d’un haut responsable du RDR.
Le 8 novembre, c’est le Dr Benoît Dacoury-Tabley qui est retrouvé mort, criblé de onze balles. Il avait été enlevé par trois hommes se présentant comme des membres des forces de l’ordre dans la clinique où il exerçait. Son frère aîné, Louis-André Dacoury-Tabley, ancien compagnon de route de Gbagbo, venait d’annoncer la veille son ralliement à la rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).
Fin novembre, le corps d’Emile Téhé, président d’un petit parti d’opposition, le Mouvement Patriote ivoirien, est retrouvé criblé de balles dans une forêt à Abidjan après son arrestation par des gendarmes.
Mi-décembre, deux responsables d’un mouvement de jeunesse fondé par le défunt général Gueï, l’Union pour la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire (UDPCI), Souleymane Coulibaly et Souhalio sont retrouvés tués de plusieurs balles près d’une semaine après leur enlèvement à Abidjan par des hommes armés en civil.
Le 6 janvier 2003, l’imam de M’pouto, Mahmoud Samassi, est assassiné devant son appartement à Cocody par 4 individus armés.
Camara H., comédien et militant du RDR de Ouattara, est retrouvé mort le matin du dimanche 2 février à Abidjan après avoir été “arrêté” la veille par des “hommes en uniforme”.
Dans les quartiers populaires d’Abidjan, on rasa aussi gratis. Des hommes armés vinrent de nuit dans les bidonvilles, et, après avoir frappé aux portes et menacé les habitants, mettaient le feu aux maisons. Gbagbo ne faisait que de se protéger contre d’éventuelles caches d’armes …
Le Bureau pour la Coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) s’insurgea et publia un rapport accablant sur ces exactions dans les quartiers pauvres de la banlieue d’Abidjan. Selon ce document daté du 31 janvier, des « hommes en tenue militaire ont fait irruption dans la nuit du 27 au 28 janvier dans le quartier Abdoulaye Diallo où ils ont brutalisé la population et mis le feu à une cinquantaine de maisons du quartier ».
Les dignitaires musulmans furent aussi les cibles favorites des Escadrons de la mort. Mahamoud Samassi, tué le 6 janvier 2003, Mohamed Lamine Sangaré, tué le 19 février 2003 ou encore Fanny Mory, prédicateur, tué le 20 février 2003.
Faut-il oublier le massacre de Bangolo (ouest de la Côte d'Ivoire) qui a fait au moins 60 victimes, hommes et femmes confondus, au mois de mai 2003, et qui a été commis par des miliciens se réclamant du gouvernement ivoirien, qui ont reconnu appartenir à une force de supplétifs libériens, les Guérés ?
La réponse de Gbagbo a toutes ces tueries ? « La Côte d'Ivoire n'est pas gouvernée par un assassin. Je n'ai jamais tué quelqu'un. Ma femme n'a jamais tué quelqu'un. »
Emile Téhé, retrouvé criblé de balles le 2 novembre 2002 à Abidjan ? « Il ne représentait rien au plan politique, il n'a jamais été élu nulle part, même pas conseiller municipal. Quel intérêt Gbagbo Laurent, président de la République, a-t-il à tuer Téhé Emile ? ».
L'assassinat du Dr Benoît Dacoury-Tabley ? « En quoi sa vie est-elle gênante pour le président de la République et son épouse ? En rien du tout. »
Le meurtre de Camara Yéréfé, dit "H" ? « Je ne le connais même pas, je ne l'ai jamais vu (...). On m'a dit qu'il était acteur et qu'il faisait des sketches à la télé. Quel est le mobile ? »
A qui profite le crime alors ? Réponse de Gbagbo : « C'est toujours les mêmes qui découvrent les crimes, je trouve que c'est suspect (...). C'est toujours un gars du MPCI ou du RDR qui annonce la mort. » Et le même dans la foulée : « Je suis un combattant, je me battrai contre les gens du mal. S'ils me cherchent, ils me trouveront (...). Je vais les piétiner pour qu'ils comprennent que je suis là. »
12 octobre 2003, cette fois ce sont des Bété, l’ethnie de Gbagbo qui s’en prennent à des Maliens, dans le village de Mahinadopa proche de Gagnoa. Bilan : plusieurs morts, des dizaines de maisons brûlées, 500 Maliens expulsés du village.
11 décembre 2003, des fusillades entre des forces de l'ordre et des hommes en armes dans la nuit à Abidjan, font 20 morts. Les "assaillants" auraient été des jeunes patriotes placés sous la houlette d’Eugène Djué. Une enquête sera ouverte pour n’aboutir à rien.
Près d’une vingtaine d’étrangers aux yeux des populations autochtones sont massacrés à la mi-janvier 2004 par des miliciens locaux dans le Grand Ouest en guise d’avertissement contre leur présence jugée inopportune dans les plantations de cacao. Burkinabé, Guinéens et Baoulés ont été tués à coups de machettes ou de balles de kalachnikov. Pour Alan Bledoh, porte-parole des rebelles ivoiriens du Front de libération du Grand Ouest (FLGO), ces exécutions sont un « avertissement ». « Ces attaques ont pour but de défendre les populations locales, mais comme les Burkinabé se montraient menaçants et ne voulaient pas laisser leur terre, on a voulu leur donner une leçon. », dira-t-il.
Le bain de sang des 24 et 25 mars 2004
Une marche pacifique organisée par l’opposition est mâtée dans le sang par un déploiement sans précédent de forces armées à Abidjan. Le bilan est lourd : 37 morts de source officielle, 200 morts selon le Mouvement ivoirien des droits de l’Homme (MIDH) tandis que l’opposition a parlé de 350 à 500 morts.
De nombreuses personnes auraient été tuées, non du fait de la répression de la manifestation proprement dite, mais lors d’exactions nocturnes postérieures. Militaires et policiers ont opéré des exécutions sommaires aux domiciles mêmes de supposés sympathisants du RDR.
Le jeudi 25 mars, les forces de l’ordre et l’armée ivoiriennes ont bouclé Abidjan avant l’aube, déployant blindés, hélicoptères et avions de combat pour empêcher toute manifestation. Les forces françaises et ouest-africaines déployées sous mandat de l’Onu ne sont pas intervenues alors que les exactions commises ont duré au moins jusqu’au 27 mars.
Pour se disculper, le ministre ivoirien de la Sécurité, Martin Bléou, a attribué ces exactions à des « forces parallèles en uniforme ».
Les tueries ont lieu aussi dans le sens contraire, mais comment en serait-il autrement vu la passivité complice du pouvoir ? Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2005, à Duékoué, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants de l'ethnie locale des Guérés sont été tués par balles, à l'arme blanche ou brûlés vifs par des assaillants non identifiés, probablement des Dozos, les chasseurs traditionnels du Nord de la Côte d’Ivoire. Le lendemain, des actes de vengeance commencent et une douzaine de Dioulas sont assassinés à coups de couteaux, de barres de fer et de bâtons.
Le 16 juin 2005, toujours en représailles, Samba Samalaye, un bijoutier sénégalais, est assassiné par des miliciens toujours à Duékoué.
Faut-il aussi mettre au crédit du "progressiste" Gbagbo la tentative d’ivoirisation des emplois menée en février 2004 par les ministres FPI de la Fonction publique, Hubert Oulaye, et celui de l’Economie et des Finances, Paul Bohoun Bouabré, une politique qui aurait rendu jaloux Le Pen ?
Une bien belle mesure de gauche que celle-là selon laquelle toute vacance de poste dans une entreprise ivoirienne devait désormais « faire l’objet d’une publication » pendant deux mois auprès des organismes de placement agrées par l’Etat et qui imposait aussi que « toute demande de visa de contrat au profit d’un travailleur non ivoirien soit accompagnée d’un plan d’ivoirisation du poste, approuvé par le ministre en charge de l’emploi ». Adopté par un arrêté ministériel, cette mesure foulait du pied le traité de l’UEMOA (Union Economique et monétaire ouest-africaine), dont l’article 91, ratifié le 29 janvier 2003, instaura « l’abolition entre les ressortissants des Etats membres de toute discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne la recherche et l’exercice d’un emploi. » Le rapporteur pour les droits de l’homme de l’ONU, le Sénégalais Douddou Dienne s’en émut. Devant le tollé général et sous-régional provoqué par cette mesure, elle fut retirée, mais elle eut le mérite d’exister pur tout ceux qui ne sauraient pas ce que "socialisme" veut dire du côté de la Lagune d’Ebrié.
Arrêtons-là ce tour d’horizon du personnage. Oui, Bouygues et consorts nous insupportent, ici comme ailleurs. Oui, nous avons envie de pleurer quand un sans-papiers préfère se noyer en se jetant dans la Marne du côté de Joinville-le-Pont pour fuir des flics de France qui font du chiffre. Oui, nous détestons tout cela aussi, comme nous détestons le nationalisme exacerbé et tous les morts inutiles qu’il a toujours engendrés. En tout temps et partout.
Philippe Cartero