SOURCE: LE FIGARO
Les régimes anticancer sont à la mode. Les ouvrages à fort tirage fleurissent, chacun y allant de ses recettes. Mais les études se suivent et se contredisent sur les prétendus bienfaits d'aliments portés aux nues la veille. Les cinq fruits et légumes quotidiens n'ont pas échappé à la règle. Enquête auprès des cancérologues et épidémiologistes : ces régimes existent-ils?
À quel saint se vouer ? Certains aliments et nutriments réputés anticancer semblent connaître, au fil des recherches, le même destin que ces idoles d'un jour ou d'une saison condamnées à être bientôt précipitées aux oubliettes. Soudain portés aux nues pour leurs vertus bénéfiques, ils sont souvent contestés le lendemain par des études contradictoires.
On se souvient ainsi de l'histoire tragique du bêtacarotène, projeté sur le devant de la scène pour ses bienfaits supposés contre le cancer du poumon. Jusqu'à ce qu'une enquête portant sur 18 000 personnes mette fin sans délai à l'expérience : pris sous forme de gélules, le carotène favorisait précisément... la tumeur qu'il était censé combattre.
Autre exemple : le lycopène, qui donne à la tomate sa belle couleur rouge, déclaré par de nombreux travaux comme antioxydant majeur contre le cancer, s'est vu recaler, faute de preuve suffisante, par l'Agence américaine de l'alimentation et des médicaments (FDA). Le soja et le lait subissent actuellement une traversée du désert après avoir été vantés par des nutritionnistes réputés.
À l'inverse, le vin, voué aux gémonies par l'Institut national du cancer (Inca), prévenant d'un risque de cancer dès le premier verre, connaît une forme de réhabilitation par la grâce d'un avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Une bonne fortune partagée par les graisses, longtemps décriées et à présent gratifiées, dans les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), d'un supplément dans la quote-part des apports énergétiques journaliers souhaitables, qui passe de 35 à 40%.
25... ou 3%
Ces effets de balancier ou retours de fortune affectent jusqu'aux sacro-saints «cinq fruits et légumes quotidiens», qui voient leur statut quasi mythique entaché par une analyse récente, menée par Paolo Boffetta, chercheur à l'École de médecine Mount Sinai, à New York. Le bénéfice d'une consommation quotidienne de fruits et légumes, recommandée depuis 1990 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), serait en réalité bien moindre que les 20 à 25% de réduction de risques annoncés. Il s'agirait «seulement» de 3% de risques de cancer en moins par portion journalière de 200 grammes de fruits et légumes... Ce qui est déjà ça.
Mais cette étude n'en a pas moins fait l'effet d'une pierre dans le jardin potager nutritionnel, venant nourrir le doute sur l'existence d'«aliments santé » : les régimes anticancer existent-ils vraiment? Certainement, si l'on veut croire les nombreux ouvrages publiés sur la question, et qui font un tabac en librairie, certains dépassant le million d'exemplaires vendus. De Anticancer, de David Servan-Schreiber, au Vrai régime anticancer,du Pr David Khayat, jusqu'aux Aliments contre le cancer, du Dr Richard Béliveau, pionniers d'une nouvelle science, la nutrathérapie, qui vise à faire de notre alimentation une arme contre la maladie du siècle. Ces derniers, au-delà de marottes pour ou contre tel ou tel nutriment, prônent sagement une nourriture saine et équilibrée. Et réagissent face à cette étude dissonante.
David Servan-Schreiber est le premier à être monté au créneau: «Il est difficile d'imaginer que les fruits et légumes, pris isolément, puissent avoir un effet majeur contre la maladie. Mais un régime anticancer global, lui, est capable de produire une différence. Et l'on sait qu'en prévention du cancer, tous les fruits et légumes n'ont pas la même efficacité.» De son côté, le Dr Laurent Chevallier, nutritionniste et auteur de Mes ordonnances alimentaires, regrette que l'analyse «ne tienne pas compte des légumes bio ou non bio, ce qui pourrait avoir une incidence».L'étude dérange, y compris certains des épidémiologistes qui y ont participé, comme Marie-Christine Boutron- Ruault, directrice de recherche à l'Inserm. «Je m'inquiète de la récupération qui pourrait en être faite par les tenants de la junk food. Parce qu'il ne suffit pas d'ajouter des fruits et légumes à une alimentation par ailleurs mauvaise pour être protégé. C'est ce que montre une de nos études sur le cancer du sein et l'alimentation.»
Cacophonie
En revanche, pour le Pr Dominique Belpomme, cancérologue, cette étude n'a rien de surprenant et vient confirmer de précédents travaux. «Aucun régime ne protège de la survenue de cancers ou n'en est à l'origine. L'OMS a affirmé sans preuve scientifique que consommer cinq fruits et légumes par jour éviterait l'apparition de cette maladie. De la même manière, l'opinion médicale cible les graisses animales alors qu'il n'a pas été démontré de façon formelle que ces dernières, bien qu'étant un éventuel facteur favorisant, initiaient des cancers.» Et d'ajouter que «les végétariens font autant de cancers que les omnivores». Pour le Pr Belpomme, ce sont les contaminants (résidus de nitrates, pesticides, dioxine) et les additifs alimentaires (conservateurs, colorants azoïques) qui sont les véritables agents cancérigènes.
La cacophonie est à son comble quand les naturopathes de tout poil et les «Rika Zaraï de l'assiette» profitent de la vogue du «manger sain, manger soin» pour prôner les vertus de poudres de perlimpinpin, de la restriction calorique, du jeûne ou des bienfaits des aliments crus... Voire pour lancer des fatwas à l'encontre de produits consommés, de manière culturelle, au fil de traditions culinaires séculaires. «S'il existait un régime anticancer efficace, cela se saurait,témoigne le Pr Claude Maylin, chef du pôle imagerie-cancérologie à l'hôpital Saint-Louis de Paris.
Et, quand la maladie est là, il n'y a pas de recette miracle. Aucun aliment ne peut se substituer aux traitements. Bien au contraire, il faut éviter qu'un régime inapproprié vienne affaiblir le patient et augmenter sa résistance aux soins. » Or, ceux qui ont ou ont eu un cancer, plus que tout autre, sont sensibles aux messages nutritionnels. Prêts à suivre tous les conseils, sans trier le bon grain de l'ivraie. «Nous, cancérologues, poursuit le Pr Maylin, devons répondre à leurs questions, les orienter et veiller à leur poids, qui fluctue en fonction de la progression ou de la régression de la maladie. Pour ma part, je m'en tiens au bon sens et aux recommandations traditionnelles : une alimentation équilibrée, diversifiée, en évitant l'alcool et le tabac, en privilégiant les fruits et légumes et en effectuant une activité physique adaptée à l'âge.»
Ces recommandations sont connues : elles sont fondées sur les deux rapports du World Cancer Research Fund International, l'un publié en 1997, l'autre en 2007, qui font référence dans la mesure où ils s'appuient sur les résultats d'études répétées et confirmées. L'Inca, tout comme le Réseau national alimentation cancer recherche (Nacre) ou le Fonds mondial de recherche contre le cancer (FMRC) s'inscrivent dans cette ligne : régime équilibré avec des fruits et légumes, pas trop de sucre ni de sel, de l'activité physique, pas ou peu d'alcool, pas de tabac...
Le tout en veillant au surpoids et à l'obésité, dont les liens avec le cancer, eux, sont formellement démontrés. Des recommandations trop banales, trop timorées, trop consensuelles pour les uns ; pas assez précises, pas assez complètes, pas assez engagées pour les autres. Mais la prudence s'impose, face à la complexité des liens entre nutrition et cancers. «Il n'y a pas de recette miracle, reprend le Pr Belpomme.D'autant qu'il faut également tenir compte des modes de préparation, de cuisson et de conservation des aliments, qui peuvent s'ajouter aux effets cancérigènes des substances chimiques présentes dans l'alimentation.»
Une cinquantaine de formes de cancer
Sans oublier que les causes du cancer, qui compte une cinquantaine de formes différentes, sont multifactorielles. Parmi elles, le tabac (30%), les hormones naturelles ou artificielles (30%), les agents infectieux, les facteurs environnementaux(20%), génétiques (5%) et le vieillissement. L'effet direct de l'alimentation sur le cancer reste donc difficilement quantifiable. Il est évalué entre 20 à 30% et se manifeste dans la durée.
«Cependant, nuance le Pr Dominique Maraninchi, président de l'Inca, les expositions aux risques varient selon les lieux géographiques, les cultures et les antécédents. » De plus en plus, les épidémiologistes peaufinent leurs études. Les premières ont été effectuées sur la base de recueil d'informations rétrospectives faisant appel à la mémoire des sujets. Ce qui n'est pas sans imprécisions ni erreurs, et explique pour partie les contradictions entre travaux. Les enquêtes les plus récentes ont été menées sur des cohortes impressionnantes suivies durant de nombreuses années. Les prochaines feront appel à des marqueurs sanguins qui permettront d'étudier la façon dont les organismes métabolisent les aliments. Tous les chercheurs sérieux s'accordent au moins à reconnaître la réelle difficulté qu'il y a à appréhender les effets de la nutrition, une science relativement jeune où l'on découvre que des milliers de protéines, lipides et autres substances interagissent entre elles, mais aussi avec l'organisme... «Chacun métabolise les aliments de manière spécifique. Et les besoins diffèrent selon les populations, les âges, les périodes de la vie», ajoute Isabelle Romieu, chef de la section de nutrition au Centre international de recherche sur le cancer. D'où un certain consensus sur ce simple message : tout est dans le sens de la mesure et de l'équilibre cher à nos grands-mères...