1907
Naissance à Port-au-Prince de Jacques Roumain, premier des onze enfants d'Auguste Roumain, grand propriétaire terrien, et d'Émilie Auguste, dont le père, Tancrède Auguste, avait occupé la présidence de la république en 1912-1913. Il appartenait donc à la meilleure aristocratie haïtienne:
«Je suis fier, en tant qu'individu et que citoyen d'Haïti, de ce qu'un de mes ancêtres, le général André Rigaud, combattit à Savannah en 1799 [sic pour 1779] pour l'indépendance de l'Amérique du Nord. Il fut l'un des huit cents hommes de couleur libres qui s'embarquèrent en Haïti sous les ordres du comte d'Estaing». (J. Roumain, Discours au YMCA, 15 novembre 1939)
1915
Débarquement des marines états-uniens. Haïti est mise sous tutelle, et le restera jusqu'en 1934.
1921 ou 1922
Jacques Roumain avait commencé ses études chez les Frères, au prestigieux collège Saint-Louis de Gonzague:
«Il fut un enfant terrible à Saint-Louis de Gonzague: volontaire, aimant discuter avec le professeur, batailleur, brave jusqu'à la témérité». (L. Garoute, Instantanés, 1942, p.33)
Quittant la maison familiale du Bois-Verna, quartier aristocratique de la capitale, Jacques Roumain est envoyé en pension en Suisse
«[...] le pays le plus vulgaire qui soit et le plus artificiel: pays d'agence Cook pour touristes confortables». (J. Roumain, Mon Carnet XVIII, 1929)
À l'Institut Grünau, à Berne, puis à l'école polytechnique de Zurich (où il devient champion universitaire de boxe dans sa catégorie, et réussit à courir les 100 mètres en 11 secondes), Jacques Roumain poursuivra ses études:
«La seule chose que je fasse avec passion est la lecture de Schopenhauer, Nietzsche, Darwin et les vers de Heine et de Lenau». (J. Roumain, Lettre de pension citée par Fowler, A Knot in the Thread, 1980, p.3)
1926
Roumain quitte la Suisse pour l'Espagne, afin d'entreprendre des études d'agronomie, mais:
«En fait de zootechnie, je m'intéressais surtout aux courses de taureaux». (J. Roumain, Entre nous..., p.105)
Il abandonne les études, s'enthousiasme pour Les Bestiaires d'Henry de Montherlant, et suit des cours de tauromachie. Son poème en prose Corrida, daté Madrid, mai 1926, sera publié dans la Revue indigène de septembre 1927.
Ce sont ses frères Pierre, Jean et Raymond qui deviendront agronomes et veilleront sur les terres de la famille.
1927
Retour de Jacques Roumain en Haïti. Il a vingt ans.
«[...] il se reconnaissait enfin, [...] écoutant fondre en lui la glace amassée en Europe, disparaître de son cœur ce qu'il nommait avec amertume «le grand silence blanc» [...] Maintenant il était parmi ses frères et son peuple». (J. Roumain, «Préface à la vie d'un bureaucrate», La Proie et l'ombre, p.59)
1er juillet. Premier numéro de La Trouée. Premier numéro de La Revue indigène le même mois. Entre le 27 juillet 1927 et le 14 septembre 1929, vingt-deux poèmes de Jacques Roumain paraîtront dans ces périodiques ou dans La Presse.
«Ce qui caractérise les poèmes de jeunesse, [...] c'est, pour la forme, un certain modernisme et une maîtrise déjà remarquable du vers libre, et pour le fond, l'individualisme et le pessimisme...» (P. Laraque, «La rosée de l'espoir», Rencontre, Port-au-Prince, n° 4, 1er trim. 1993, p.21)
Décembre. Fondation du Petit Impartial, qui va attaquer le gouvernement du président Louis Borno, accusé de «collaborer» avec l'occupant.
«Y eut-il jamais dans ce pays, excepté à la belle époque de l'Épopée révolutionnaire, un plus grand épanouissement de crânerie tel qu'en montrent un Jolibois fils, un Élie Guérin, un Jacques Roumain, un Georges J. Petit?» (J. Price-Mars, Une étape..., 1929, p.87)
1928
22 février. Jacques Roumain est nommé Gérant Responsable du Petit Impartial, dont Georges J. Petit est le Directeur.
«Monsieur Roumain est un jeune dont la flamme patriotique brûle d'un feu ardent. [...] Nous lui souhaitons du succès en lui recommandant du calme et de la pondération». (Le Nouvelliste, 24 février 1928)
Comme Jacques Roumain était encore mineur, c'est sur ses parents que retombe la responsabilité légale. À partir du numéro du 7 mars, il devient donc Rédacteur en chef, et ce n'est qu'à sa majorité qu'il reprend le titre de Gérant Responsable avec le numéro du 13 juin.
Avril. Fondation de la Ligue de la Jeunesse Patriote Haïtienne sous la présidence de Jacques Roumain.
26 mai. Le Nouvelliste annonce les fiançailles de Mademoiselle Marie-Henriette Roy avec Monsieur Jacques Roumain.
13 décembre. Arrestation de Jacques Roumain, Georges Petit et Élie Guérin pour délit de presse.
«Hier à la tombée de la nuit, nos confrères Élie Guérin, G. Petit et Jacques Roumain ont été arrêtés et déposés en prison.
Pourquoi? Serait-ce pour leur campagne anticléricale ou leur campagne antigouvernementale?
Dans un et l'autre cas c'est une maladresse et une grande faute que leur arrestation». (Le Nouvelliste, 14 décembre 1928)
1929
22 janvier. Le Petit Impartial publie un article injurieux pour Louis Roy, dont la fille Marie-Henriette était fiancée à Jacques Roumain. Réélu président du très sélect Cercle Port-au-princien, Louis Roy se voit traité de traître et de «triste valet de Louis Borno». Le détenu Jacques Roumain ayant refusé de désavouer l'article de son journal, les fiançailles sont rompues.
1er avril. Ouverture du procès de Jacques Roumain et ses camarades pour délit de presse et outrages à l'adresse de M. Borno. La conduite du juge Léon Lahens ayant exaspéré l'assistance,
«le tumulte fut si formidable qu'on dut tout simplement renvoyer le jugement à une date ultérieure». (Le Nouvelliste, 2 avril 1929)
21 avril. À la suspension de l'audience, Jacques Roumain ayant, semble-t-il, cru qu'un membre des forces de l'ordre bousculait sa sœur qui voulait s'approcher de lui, se précipita à sa défense. Il reçut un coup à la tête et fut emporté tout ensanglanté.
«Quand l'audience vit couler le sang de ce jeune homme, des cris partirent de toutes parts et se répercutèrent dans la rue où des femmes des quartiers avoisinants se précipitèrent, en protestant, en criant. Ce fut une scène indescriptible de douleur, de tristesse et d'indignation». (Le Nouvelliste, 22 avril 1929)
Rapporté par toute la presse, l'incident fit un bruit considérable.
29 avril. Jacques Roumain et Georges Petit sont condamnés à un an de prison et une amende de 5.000 gourdes chacun.
19 juin. La condamnation est ramenée en appel à six mois de prison et 2.500 gourdes en tout d'amende. Les condamnés ayant déjà purgé leur peine en préventive auraient dû être libérés. Ils sont néanmoins retenus en prison, sous inculpation d'un autre délit de presse. Jacques Roumain, ayant protesté contre cette mesure, passe deux jours au cachot disciplinaire au pain et à l'eau.
1er août. Jacques Roumain et Georges Petit sont renvoyés hors de cause par le tribunal correctionnel, et libérés le lendemain.
17 août. Quinze jours après sa mise en liberté, Jacques Roumain fait paraître la première de quarante-cinq chroniques intitulées «Mon Carnet», publiées d'abord dans La Presse puis dans Le Nouvelliste. La publication est définitivement interrompue par son arrestation le 19 octobre.
19 octobre. Jacques Roumain, Victor Cauvin et Antoine Pierre-Paul sont arrêtés pour avoir enfreint la «loi sur les associations de vingt personnes ou plus», et pour avoir lancé «un appel séditieux».
Les associations de jeunes à tendances politiques foisonnent après le déclenchement de la grève des étudiants de l'école d'agronomie de Damiens le 4 novembre. Union nationale des jeunes, Ligue de la jeunesse patriote haïtienne, Collaboration patriotique des jeunes...se fédèrent et choisissent Jacques Roumain comme président d'honneur et Justin D. Sam comme président.
17 décembre. Suite à l'amnistie de tous les prisonniers politiques, Jacques Roumain est libéré.
29 décembre. Le Nouvelliste annonce le mariage de Jacques Roumain avec Nicole Hibbert, descendante d'une vénérable famille israélite de Miragoâne, et fille du romancier Fernand Hibbert. (L'oncle paternel de Nicole Hibbert avait, lors d'un séjour à Santiago de Cuba, tenu Fidel Castro sur les fonts baptismaux). La cérémonie se déroula à Pétionville, dans les salons de M. et Mme André Vieux, beau-frère et sœur de la mariée.
1930
Une commission d'enquête envoyée par le président américain Herbert Hoover débarque à Port-au-Prince. Dès le 20 février, les associations politiques et patriotiques s'étaient constituées en «Comité fédératif des Groupements patriotiques d'Haïti», convenant que dans chaque chef-lieu d'arrondissement serait choisi un délégué d'arrondissement qui se joindrait aux autres délégués. Le président devait être élu par l'assemblée des Délégués et par le Conseil d'État.
20 mars. Les trente-quatre délégués se réunirent et forment un bureau présidé par le poète Etzer Vilaire, assisté du Dr Jean Price-Mars et de Jacques Roumain, respectivement premier et deuxième secrétaires.
1er juin. Après la chute du président Borno, Jacques Roumain est nommé Chef de Division du Ministère de l'intérieur par le président par intérim Eugène Roy.
«Le pouvoir, en faisant de Roumain un fonctionnaire, veut se donner bonne figure. Roumain, qui ne se trompe pas sur ses intentions, démissionne après quelques mois». (R. Dorsinville, Jacques Roumain, 1981, p.66)
Fin août. Parution de La Proie et l'ombre:
«La Proie et l'ombre est une peinture de la misère intime de notre jeunesse meurtrie et retenue dans son évolution par une imbécillité bourgeoise alliée à des préjugés stupides. Roumain nous exhibe les bassesses de notre milieu, sa laideur». (E. Brutus, «Jacques Roumain», La Relève, Port-au-Prince,1er octobre 1933).
«Témoin, accusateur, juge, Roumain est sans pitié pour les fils de bourgeois et intellectuels de sa classe qui ne méritent que le mépris d'eux-mêmes et des autres». (P. Laraque, «La Rosée de l'espoir», Rencontre, Port-au-Prince, n° 4, 1er trim. 1993, p.22).
24 septembre. Jacques Roumain démissionne du Ministère de l'intérieur afin de pouvoir faire campagne pour la candidature de Sténio Vincent à la présidence. Son candidat est élu le 8 novembre.
Naissance de son fils Daniel.
1931
Février. Jacques Roumain est renommé à son ancien poste au Ministère de l'intérieur par le nouveau président Sténio Vincent.
Parution du recueil de nouvelles La Proie et l'ombre.
21 décembre. Le Nouvelliste annonce avoir reçu Les Fantoches:
«L'écrivain a campé, avec le sourire désabusé du philosophe, tous ces hommes ballons, véritables fantoches, esprits mutinés qui s'acharnent à se concevoir autres qu'ils ne sont dans une société inexistante». (F. Duvalier, «Les Fantoches», Médaillons (Souvenirs d'autrefois), 1968, p.166)
La Montagne ensorcelée paraît en même temps:
«Sa «Montagne ensorcelée» n'est pas seulement un échantillon de son talent d'écrivain, c'est la vision certaine d'un psychologue qui sait pénétrer de par là notre démarche habituelle le ressort caché de nos actions secrètes». (J. Price-Mars, Préface, p.13)
Rencontre avec le poète Noir américain Langston Hughes, en visite à Port-au-Prince. Les deux hommes font amitié et se reverront à Paris, puis à New York:
«Langston Hughes est le plus grand poète noir de l'Amérique et il n'est point, à mon sens, d'écrivain de sa race qui l'égale comme romancier». (J. Roumain, «Présentation de Langston Hughes», Haïti-Journal, 8 août 1931)
1932
Début de l'année. Voyage à New York et Washington en compagnie de Christian Beaulieu, pour étudier la traction animale (d'après R. Gaillard), pour prendre contact avec les communistes américains (d'après C. Fowler).
17 juillet. Jacques Roumain écrit du Dewey Square Hotel de New York à Alain Locke (Professeur à Howard University) pour le remercier de son accueil à Washington.
24 décembre. Retour en Haïti. Jacques Roumain, bien que toujours Chef de Division du Ministère de l'intérieur, est convoqué par le Procureur de la république, qui enquête sur de possibles activités subversives.
Fin décembre. Craignant d'être arrêté pour conspiration communiste, Jacques Roumain entre dans la clandestinité.
1933
2 ou 3 janvier. Pour éviter des représailles à ses parents et ses camarades, Jacques Roumain se présente à la police. Il est arrêté et écroué au Pénitencier national.
«Je suis communiste. Aucune puissance au monde ne peut m'enlever ce droit...» (J. Roumain, Lettre [à Léon Laleau], 5 janvier 1933)
9 février. Jacques Roumain et Max Hudicourt, également accusé de conspiration, font la grève de la faim pour protester contre les lenteurs de l'instruction. Ils sont libérés deux jours plus tard.
1934
Juin. La publication de l'Analyse schématique 1932-1934, à laquelle Christian Beaulieu et Étienne Charlier ont collaboré avec Jacques Roumain, marque la fondation du Parti Communiste Haïtien. Roumain, Secrétaire général du parti, siège à son Comité Central.
«Le Parti communiste haïtien appliquant son mot d'ordre: «La couleur n'est rien, la classe est tout», appelle les masses à la lutte sous sa bannière». (J. Roumain, Analyse schématique 1932-1934, p.VI)
Début août. Arrestation de Jacques Roumain.
15, 16 et 17 octobre. Jugement de Jacques Roumain devant la cour militaire ou prévôtale. On l'accuse de comploter avec l'étranger, d'en recevoir des tracts et des armes, de préparer des attentats. Il est condamné à trois ans de prison le 23 octobre.
De décembre 1934 à juin 1936. Jacques Roumain est en prison. Il y commence probablement son roman inachevé Le Champ du potier.
1935
Jacques RoumainÀ la nouvelle de la condamnation de Jacques Roumain et à l'initiative de Langston Hughes, un «Committee for the Release of Jacques Roumain» ( «Comité pour la libération de Jacques Roumain») est formé aux États-Unis:
«As a fellow writer of color, I call upon all writers and artists of whatever race who believe in the freedom of words and of the human spirit, to immediately protest to the President of Haiti and to the nearest Haitian Consulate the uncalled for and unmerited sentence to prison of Jacques Roumain, one of the few, and by far the most talented of the literary men of Haiti».
(En tant qu'écrivain de couleur moi aussi, j'appelle tous les écrivains et artistes sans distinction de race qui tiennent à la liberté de l'homme et de la parole, à protester immédiatement auprès du président d'Haïti et du consulat haïtien le plus proche contre la condamnation et l'emprisonnement injustes et immérités de Jacques Roumain, un des rares hommes de lettres d'Haïti, et de loin le plus talentueux). (L. Hughes, «Free Jacques Roumain», Dynamo, New York, mai-juin 1935, p.1)
L'appel de Hughes a également été publié en France dans plusieurs périodiques de gauche, dont Commune.
1936
8 juin. Jacques Roumain est libéré, mais reste étroitement surveillé par la police du président Sténio Vincent. Sa santé restera ébranlée des suites de sa détention: il y a contracté un paludisme dont il souffrira désormais de crises récurrentes.
15 août. Jacques Roumain quitte Haïti pour Bruxelles, où il rejoint son frère Michel et s'installe au 1, avenue de la Floride, en compagnie de Nicole et de leur fils Daniel.
«À ma libération, j'ai été placé sous la plus stricte surveillance de la police. Cette vigilance [...] signifie être réduit à l'impuissance. [...] C'est ainsi que je me suis vu forcé de prendre, avec l'assentiment du C.C. la décision de m'exiler momentanément d'Haïti». (J. Roumain, Lettre au Committee to Free Jacques Roumain, 16 août 1936)
Il semble en fait que Roumain ait tout simplement fait l'objet d'une mesure d'expulsion.
19 novembre. Le Parti Communiste Haïtien est interdit.
Entre décembre 1928 et juin 1936. Jacques Roumain aura fait quatre séjours sous les verrous, pour un total d'environ trente-deux mois.
1937
4 avril. Naissance à Bruxelles de sa fille Carine.
16 et 17 juillet. Jacques Roumain, aux côtés de ses congénères les poètes cubain Nicolas Guillén et américain Langston Hughes, assiste à Paris au Congrès des écrivains pour la défense de la culture, et y prend la parole. Une crise d'hépatite l'empêchera d'assister à celles des séances du Congrès qui se dérouleront à Madrid.
Septembre. La famille quitte la Belgique pour s'installer à Paris. Le 20 janvier, Jacques Roumain, en rapide visite à Paris, avait écrit à Nicole:
«Je regrette Bruxelles, cette ville qui ne m'est rien et qui pourtant m'est devenue chère, puisque nous y vivons, que nous essayons d'y être heureux».
1938
10 mars. Ouverture à la Préfecture de Police de Paris du dossier d'étranger de Jacques Roumain sous le numéro 943 912.
«Cependant [...] il ne subsiste dans mes services qu'une fiche de référence [...] M. Roumain été muni d'une carte d'étranger valable jusqu'au 10 juin 1938. Il demeurait alors 14, parc de Montsouris, à Paris 14e». (Lettre de la Préfecture de Police du 3 novembre 1999)
À Paris, Roumain collabore à des revues de gauche: Regards, Commune et Les Volontaires. Il s'inscrit à l'Institut d'ethnologie, et devient l'un des assistants de Paul Rivet au Musée de l'Homme.
«Sentía, me dijo en 1944, la necesidad de una preparación más amplia que lo habilitara a mejor comprender la sociedad haitiana [...]. [En París fué] alumno del Dr. Paul Rivet, de Marcel Mauss y del abate Breuil «sus viejos maestros» como decía años más tarde con cariño».
(Il me disait en 1944 avoir senti le besoin d'une préparation plus profonde, qui le mette à même de mieux comprendre la société haïtienne [...]. [À Paris, il fut] l'élève du Dr Paul Rivet, de Marcel Mauss et de l'abbé Breuil «ses vieux maîtres» comme il disait affectueusement des années plus tard). (Rémy Bastien, «Jacques Roumain», Cuadernos americanos, México, juillet-août 1954, p.247)
Mi-avril. À la demande du Quai d'Orsay, sur plainte de la légation de la République dominicaine, Jacques Roumain et Pierre Saint-Dizier, gérant de la revue Regards, sont arrêtés et inculpés d'outrages à un chef d'état étranger. Était mis en cause l'article de Roumain «La Tragédie haïtienne», paru dans le numéro du 18 novembre 1937 de la revue (c'est-à-dire cinq mois plus tôt), qui accuse de génocide le dictateur dominicain et de complicité le président Sténio Vincent. C'est la première fois qu'un journal français est poursuivi pour «outrage à chef d'état étranger».
L'audience a lieu le 5 décembre devant la 12e Chambre correctionnelle. Les écrivains Romain Rolland, Jean Cassou et Charles Vildrac et de nombreuses autres personnalités protestèrent contre les poursuites.
13 décembre. Après plusieurs ajournements, Jacques Roumain et Pierre Saint-Dizier sont jugés et condamnés à quinze jours de prison avec sursis et 300 francs d'amende.
«Quant au chef d'état outragé, c'est un nommé Léonidas y Trujillo [sic], dictateur de Saint-Domingue, ce pays où, en octobre 1937, on massacra des centaines de chômeurs venus de la république voisine (Haïti). C'est tout». (Le Canard enchaîné, 21 décembre 1938)
Raphaël Léonidas Trujillo, lui, obtient un franc symbolique de dommages intérêt.
1939
Devant les menaces de guerre, Roumain renvoie sa famille en Haïti. Après des difficultés pour trouver un passage, il finira, le 27 mai, par s'embarquer à Rouen sur un petit cargo bananier, le «Maurienne», avec deux autres passagers. Il débarque à la Guadeloupe le 8 juin, et passe tout de suite en Martinique pour attendre que ses amis lui obtiennent un visa américain, puisqu'il a été interdit de séjour par le gouvernement de Sténio Vincent. À Fort-de-France, il descend à l'hôtel Gallia, 3, rue de la Liberté.
«Fort-de-France est une ville où [...] je souffre dans une atmosphère saturée de préjugé de couleur». (Lettre à Nicole, 19 juillet 1939)
10 août. Jacques Roumain débarque à Miami et s'envole immédiatement pour New York; il y est accueilli par ses amis le Professeur L. Bradley et sa femme Francine (à qui il dédiera Bois d'ébène, le plus célèbre de ses poèmes), qui l'hébergent, d'abord dans leur maison de campagne, puis chez eux au 74 Macdougal Street, avant qu'il ne s'installe à Saint Nicholas Avenue à Harlem. Il s'inscrit à Columbia University, mais abandonne les études quelques mois après.
Nicole lui rendra visite «quelques brèves semaines» à l'automne.
15 novembre. Une réception en l'honneur de Jacques Roumain est organisée au YMCA de Harlem. Il fréquente des syndicalistes comme Lucas Prémice (lui-même d'origine haïtienne), le journaliste Ernest Tisch et retrouve son ami le poète noir américain Langston Hughes.
Sa vie matérielle est cependant difficile; il donne des leçons de français, mal rétribuées; Nicole ayant ouvert une boutique de mode à Port-au-Prince, il lui envoie régulièrement de la marchandise. Néanmoins:
«Je préfère cette dure existence au partage d'un ignoble bonheur, fait de la souffrance des autres». (Lettre à Nicole, 8 décembre 1939)
1940
13 novembre. Jacques Roumain participe à un symposium sur le thème «The Frustrated Harlem Renaissance» au Newspaper Guild Club de New York. Son intervention sera publiée, sous le titre «Is Poetry Dead?» dans New Masses en janvier 1941.
À la fin décembre 1940, soi-disant sur les conseils de son médecin, Jacques Roumain quitte les États-Unis pour La Havane.
«Je croyais que je n'aimais pas beaucoup cette ville [New York] mais je me trompais. Il y a des rues, des endroits que je n'oublierai pas». (Lettre à Nicole, 20 décembre 1940)
À La Havane, Jacques Roumain est reçu par son ami Nicolas Guillén:
«Les amis de Cuba, ainsi que bon nombre d'écrivains, d'artistes m'ont fait un accueil des plus cordial [sic]». (Lettre à Nicole, 22 janvier 1941)
1941
Mai. Élie Lescot ayant été élu à la présidence, Jacques Roumain va pouvoir retourner en Haïti. Il débarque à Port-au-Prince, après presque six ans d'exil, le 18 mai, surlendemain de la prise de pouvoir du nouveau président.
«Quand je retournerai en Haïti, je serai entouré de visages étrangers. Une génération naît et une autre a grandi depuis mon dernier emprisonnement et ces jours d'exil». (Lettre à Nicole, 21 mars 1941)
Peut-être l'autorisation de revenir au pays ne lui avait-elle été accordée qu'à la condition de s'abstenir d'activités politiques. En tout cas, c'est aux travaux scientifiques qu'il va consacrer son temps à Port-au-Prince.
17 juillet. Première rencontre avec l'anthropologue Alfred Métraux.
«Dans ma vie d'homme de science, je n'ai connu que très peu de collègues capables d'apporter à leurs recherches une passion aussi jeune et aussi forte». (A. Métraux, «Jacques Roumain, archéologue et ethnographe», Cahier d'Haïti 4 novembre 1944, p.25)
Le Nouvelliste du 23 juillet 1941 annonce une conférence de Jacques Roumain à l'Institut Haïtiano-Américain sur Le Culte de l'assotôr, avec la collaboration de Mme Fussman-Mathon.
26 juillet-6 août 1941. Voyage à l'île de la Tortue avec Alfred et Rhoda Métraux. Il procède également à des fouilles dans la région de Fort-Liberté pour retrouver des vestiges des Indiens Ciboneys.
31 octobre. Décret-loi fondant le Bureau d'Ethnologie de la République d'Haïti, sous la direction de Jacques Roumain, qui va également enseigner l'archéologie précolombienne et l'anthropologie préhistorique à l'Institut d'Ethnologie fondé par le Dr Jean Price-Mars.
«Quand je revins en Haïti, en 1944, le Bureau d'Ethnologie, fondé par Jacques Roumain, avait sauvé des flammes d'importantes collections, et entrepris diverses enquêtes sur des aspects peu connus du vaudou». (A. Métraux, Itinéraires I, 1978, p.124)
Le romancier de Gouverneurs de la rosée profitera des connaissances accumulées par l'homme de terrain:
«Mais ce n'est pas seulement la manière de l'écrivain qui, dans Gouverneurs de la rosée, est à son zénith. C'est aussi le talent de l'ethnologue qui y atteint son acmé. [...] observations ethnographiques et ses réflexions ethnologiques, dans leur substance, et sous une forme adéquate, passent dans son roman et l'enrichissent de cette matière qui en fait un admirable document sociologique». (Claude Souffrant, "Actualité de Jacques Roumain", Europe 54.569 (septembre 1976): 73).
1942
Mars. Jacques Roumain prend une part active à la lutte contre la «Campagne anti-superstitieuse» menée par le clergé catholique, avec l'appui du président Lescot. En mars il publie «Sur les superstitions», (plus tard publié en volume sous le titre À propos de la campagne anti-superstitieuse), et «Réplique au Révérend Père Foisset» suivis en juin par «Réplique finale au R. p. Foisset».
«[...] on voulut salir l'Église, le Clergé d'Haïti [...]. Cette attaque partit d'un ennemi acharné de l'Église et du Christ-Jésus, d'un homme professant ouvertement un communisme athée [...]. Il s'agit de Monsieur Jacques Roumain et de son opuscule «À propos de la campagne Anti-Superstitieuse» [qui] obtint une grande vogue et fit un mal considérable...» (C.E. Peters, La Croix contre l'asson, 1960, p.149)
24 septembre. Le Nouvelliste annonce la nomination de Jacques Roumain comme Chargé d'affaires d'Haïti à Mexico.
«Le directeur du Bureau d'Information à la Presse et Madame Raoul Rouzier ont offert hier soir, en leur résidence de l'avenue du Travail, une très belle réception en l'honneur de notre collaborateur Jacques Roumain, nommé chargé d'affaires au Mexique.
[...] Après avoir remercié M. Raoul Rouzier, Jacques Roumain rendit hommage à la politique résolument antifasciste du président Ávila Camacho». (Le Nouvelliste, 9 oct.).
Jacques Roumain avait déclaré en 1933: «Je ne serai plus jamais fonctionnaire d'aucun gouvernement» («Je ne suis pas un arriviste», Haïti-Journal, 9 novembre). Il est possible qu'il ait néanmoins été forcé d'accepter cette nomination, peut-être exil doré imposé par un pouvoir soupçonneux; ou encore Roumain a pu estimer que son devoir était de collaborer avec un gouvernement qui, quoique autoritaire, avait pris parti contre les puissances de l'Axe.
«J'ai accepté ce poste comme un grand sacrifice, un service à rendre à la cause de mon pays». (Lettre à Nicole, 29 mars 1943)
De passage à La Havane en allant rejoindre son poste, Jacques Roumain est interviewé par le quotidien Hoy. Arrivé à son poste le 28 octobre, il s'installe dans le quartier de Coyahuacán. Il participe à la fondation de l'Institut international d'études afro-américaines, et travaille à Gouverneurs de la rosée.
28 octobre. Formation de la Société haïtiano-cubaine de relations culturelles. («telle était la mission de Nicolas Guillen, collaborateur de Jacques Roumain»).
Novembre. Il installe la légation au 204 Luz Saviñon.
1943
1-2 août. Le Matin annonce le retour à Port-au-Prince de Madame Roumain mère et de son fils Michel qui, avec Nicole, s'étaient rendus à Mexico au chevet de Jacques, tombé gravement malade:
«Jacques Roumain est maintenant en pleine convalescence. Mme Jacques Roumain est restée auprès de son mari. Ils rentreront bientôt en Haïti, où Jacques Roumain achèvera de rétablir complètement sa santé».
16 août. Jacques Roumain et Nicole débarquent à Port-au-Prince:
«[...] il y passera environ un mois, pour se remettre de sa grave maladie». (Le Matin)
22-23 août. Le Matin annonce:
Nous avons eu le grand plaisir de recevoir en nos bureaux la visite de Mr. Jacques Roumain [...] qui passera un mois parmi nous [...] complètement remis de la grave maladie qui avait mis ses jours en danger et inquiété ses nombreux amis».
23 septembre. Le même journal annonce que Jacques Roumain présidera la délégation haïtienne au Congrès démographique international qui s'ouvrira à Mexico le 11 octobre.
2 octobre. Accompagné de sa femme, Jacques Roumain prend l'avion de la Panam pour regagner son poste à Mexico.
1944
7 juillet. Roumain termine et date de Mexico Gouverneurs de la rosée.
24 juillet. Roumain écrit à Guillen qu'il pense arriver à La Havane le 3 août, et y rester une journée.
6 août. Jacques Roumain et sa femme rentrent en Haïti après une brève escale à La Havane où Jacques revoit Nicolas Guillen.statue Jacques Roumain
Samedi 18 août. Mort de Jacques Roumain à dix heures du matin, par empoisonnement selon certains, de paludisme selon d'autres, ou encore d'un ulcère au duodénum ou d'anémie pernicieuse...Il est enterré sous une pluie diluvienne.
«[...] son médecin m'a affirmé que Roumain est mort d'une cirrhose du foie...» (G. Gouraige, La Technique de Jacques Roumain..., 1971, p.218)
«Manuel, gouverneur de la rosée, est mort sous le couteau d'un frère de classe. Jacques Roumain n'a pas été assassiné, mais c'est tout comme, s'il avait vécu: ses frères de cause ont été dispersés, embastillés, portés disparus; un immense silence est tombé sur la terre de Manuel...» (R. Dorsinville, Jacques Roumain, p.13)
Décembre. Parution posthume de Gouverneurs de la rosée.
«Son livre est digne du terme chef-d'œuvre. Il le mérite, non seulement par l'importance du sujet, mais encore par la beauté de sa langue, par l'habileté de son métier, par ce sens merveilleux du tragique simple [...] qui, ça et là éclate en scènes inoubliables, qui resteront parmi les plus belles de notre littérature». (S. Alexis, «Gouverneurs de la rosée», Cahiers d'Haïti, Port-au-Prince, février 1945, p.25)
«Lisez ce livre comme un livre haïtien. Sachez ouvrir les yeux, les oreilles, apprêtez-vous à rire... et, qui sait, peut-être à pleurer». (J. Corzani, «Préface», Gouverneurs de la rosée, Fort-de-France, 1977, p. xv).
1945
Publication posthume du recueil de poèmes Bois d'ébène.
1964
Publication aux éditions Progrès, à Moscou, des Œuvres choisies de Jacques Roumain, avec une préface de Jacques-Stephen Alexis, qui avait évoqué Roumain (sous le nom de Pierre Roumel) dans son roman Compère Général Soleil (1955).
Source: http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/roumain_bio.html