Par Odon Vallet
Propos recueillis par Jamila Aridj
Le Point.fr : Quel avenir pour les chrétiens d'Orient ?
Odon Vallet : Il faut distinguer soigneusement leur situation dans chaque pays. En Irak, le choix c'est la valise ou le cercueil. Depuis vingt ans, le nombre de morts est très élevé, et la moitié des chrétiens irakiens sont déjà partis. L'avenir n'est guère souriant pour ceux qui sont restés. La situation est un peu différente en Égypte. Le choix est plus fréquemment entre soumission et conversion. Les chrétiens d'Égypte ont un statut de citoyen de seconde zone. On voit depuis une trentaine d'années un déclin de la communauté copte dans les postes à responsabilité : ils représentaient 50 % des fonctionnaires avant la Seconde Guerre mondiale, aujourd'hui ils sont moins de 5 %.
Les chrétiens du Moyen-Orient, frappés dans la nuit du 31 décembre par un attentat à Alexandrie, sont souvent en proie à un sentiment d'insécurité et d'exclusion © Landov / Maxppp |
Entre ces deux extrêmes, il y a les pays intermédiaires, comme la Jordanie où les chrétiens ont traditionnellement un sort plutôt enviable grâce au roi Hussein et à son successeur, le roi Abdallah, qui ont toujours protégé les chrétiens qui sont avec les Bédouins des soutiens au trône.
Il faut également noter que le tableau est d'autant plus sombre que les chrétiens sont divisés. Il y a en Israël-Palestine, comme au Liban, une quinzaine de confessions chrétiennes rivales. Il n'y a guère qu'en Égypte où, face à l'opposition des musulmans intégristes, les coptes font front : 95 % dépendent du patriarcat copte et 5 % sont unis à Rome.
Ces chrétiens sont-ils condamnés à l'exil ?
Nous sommes marqués par l'arrivée en France d'Irakiens persécutés. Mais dans d'autres pays, l'exode n'est pas si important. En fait, le déclin démographique des chrétiens d'Orient est dû à la fois à une natalité moins élevée que celle des musulmans et à leur départ vers l'étranger. Il est toutefois extrêmement difficile de faire des prévisions. La seule certitude, c'est qu'il est impossible pour les puissances occidentales d'intervenir militairement. Nous ne sommes plus à l'époque du second Empire où Napoléon III pouvait venir au secours des chrétiens libanais. Qui va aller faire la guerre ou la police dans des pays qui jouissent d'une pleine souveraineté territoriale ? Ce ne serait d'ailleurs pas rendre service à ces chrétiens.
Peut-on être à la fois arabe et chrétien ?
C'est une question qui se pose depuis le VIIe siècle, avec des fluctuations selon les époques. Il existait dans certains pays le statut de dhimmi, de croyant non-musulman en terre d'Islam, qui leur imposait d'être d'une catégorie sociale inférieure, mais qui leur offrait des garanties. Aujourd'hui, on a le sentiment que pour certains musulmans seul l'islam est source de droit et de ligne de conduite. Le pire étant l'Arabie saoudite où le culte chrétien est interdit, alors qu'il y a des centaines de milliers de travailleurs philippins.
Peut-on parler de "christianophobie" ?
Il existe une "christianophobie" dans ces pays, comme il y a de l"'islamophobie" en Europe. Le radicalisme religieux vaut dans les deux sens. Depuis le 11-Septembre 2001, le durcissement entre religions prédomine, et la crise économique accroît ce phénomène.
Le christianisme est-il condamné à disparaître en terre d'Islam sous la pression des fondamentalistes musulmans ?
Le christianisme est né au Proche-Orient et une religion peut disparaître là où elle est née. Nous avons l'exemple du bouddhisme qui est né au nord de l'Inde et qui en a quasiment disparu.
Au IVe siècle, 80 % des chrétiens vivaient au Proche-Orient, en Asie, en Afrique et en Europe méditerranéenne. Aujourd'hui, les chrétiens d'Orient représentent 11 à 12 millions de personnes, c'est-à-dire 0,5 % des 2 milliards de baptisés du monde. Est-ce que le mouvement va se poursuivre ? À court terme, c'est à craindre. À plus long terme, nul n'est prophète.
Doit-on redouter une montée des tensions inter-religieuses ?
Il y a souvent des événements politiques qui les précipitent. Il faudra surveiller le déroulement, le 9 janvier, du référendum au Soudan et son éventuelle partition entre un Sud chrétien et un Nord musulman. En Égypte, la succession de Hosni Moubarak sera également un événement important. Ailleurs, cela dépend surtout de l'issue du conflit irakien et du départ des troupes américaines.