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Loi et société - L’Anjou, la République et ses juges : l’épuration du corps judiciaire, entre réaction de légitime défense et instrument de consolidation du régime (1883)

Source: criminocorpus.revues.org
Par Vincent Bernaudeau
L’histoire des rapports entretenus en France entre le pouvoir politique et la justice est émaillée de tensions récurrentes1, dont l’écho semble à la mesure de la sensibilité plus ou moins aiguisée de « l’opinion publique » à l’égard de l’indépendance des magistrats et dont l’intensité est à mettre en regard avec les crises institutionnelles qui surviennent tout au long du XIXe siècle. Des années 1810 aux années 1880, la fréquence des changements de régimes et de gouvernements donne en effet l’occasion aux autorités d’exprimer leur volonté de remanier les « grands corps » de l’État à leur convenance. L’épuration des fonctions publiques d’autorité, incarnées en particulier par le Conseil d’État, le corps préfectoral ou la magistrature2, s’impose progressivement telle une pratique banalisée ; pratique à laquelle n’échappe pas la Troisième République elle-même, dont les partisans affirment hériter d’une justice « de classe » mise à contribution depuis des décennies à des fins partisanes3 et d’un corps judiciaire jalousement gardé par les représentants d’une « bourgeoisie au carré4 » et d’une noblesse réfractaire à ses principes.

Pour les tenants du régime républicain, la magistrature « n’a [non seulement] pas su rester neutre au milieu de la mêlée des partis [, mais pire encore, elle] n’a pas craint de s’associer à toutes les tentatives de réaction5 ». Elle a apporté son concours énergique aux juridictions d’exceptions en 18526, soutenu l’entreprise électorale des conservateurs en 1877, et tenté, trois ans plus tard, de faire obstacle à la mise en application des décrets anti-congréganistes7. Avec l’armée et l’Église, elle leur apparaît comme l’un des plus importants bastions d’opposition et son attitude résolument hostile les a convaincus des nécessités d’une reprise en main rapide. Pour faire en sorte que le régime naissant ne soit pas servi par ses ennemis ni par ses détracteurs, les cabinets Waddington et Freycinet engagent ainsi une vaste épuration des parquets et des justices de paix au cours de l’année 1879. Puis, désireux que l’action de la majorité sortie des urnes ne soit pas entravée par ceux-là même qui ont mission de la faire comprendre et acceptée des citoyens, ils envisagent, dès 1880, de se débarrasser des magistrats du siège qui peuplent ces « compagnies où règnent l’esprit de caste et la haine des idées libérales8 ».

En dépit du « grand acte national » de janvier 1879, le régime naissant reste en butte aux attaques des bonapartistes et des monarchistes qui n’ont pas abdiqué leur rêve de restauration. En Anjou, cadre emblématique choisi pour la présente contribution, la « réaction » qui est socialement puissante et politiquement structurée a réussi - souvent mieux qu’ailleurs - à entraver la poussée démocrate ; en particulier grâce aux soutiens venus des franges conservatrices de la fonction publique et du clergé qui, sous la houlette de Mgr Freppel, a su mobiliser des « comités » locaux disséminés dans les œuvres et les cercles de tous ordres9. Les suffrages en faveur des candidats républicains n’ont certes pas cessé de progresser dans le Maine-et-Loire depuis l’année 1877, mais les représentants de la droite catholique, volontiers contre-révolutionnaires, conservent encore quatre des sept sièges de députés que compte le département en 188110. Le combat idéologique y est acharné depuis le milieu des années 1870 et les rares parlementaires de gauche ne jurent que par un changement profond du personnel de l’administration ; faisant de l’épuration du corps judiciaire un objectif prioritaire pour acclimater le régime et assurer son enracinement.

Certes la justice est une branche singulière de l’administration et s’en prendre à l’inamovibilité des gardiens de la loi revient à atteindre l’une des garanties essentielles de leur indépendance autant qu’à empiéter sur l’un des principes fondamentaux de l’état de droit. Néanmoins, l’épuration envisagée à l’aube des années 1880 – qui n’est du reste pas sans faire surgir de réels dilemmes politiques dans les rangs républicains, ni sans soulever d’épineux écueils juridiques – interroge aussi bien les relations entre l’administration et le pouvoir que la légitimité de chacun d’eux sous un régime démocratique. Pour le gouvernement en place, conduire une telle opération avec vigueur et célérité, c’est d’abord s’assurer de ne pas désorganiser l’institution et de ne pas entraver son fonctionnement interne. C’est aussi (et peut-être même surtout) ne pas menacer la légitimité du processus épuratoire lui-même, en usant d’un moyen qui paraît approprié pour conforter l’autorité de l’exécutif, déjà confronté à des turbulences sinon de réelles contestations.

Faciliter la défense des institutions nouvellement installées et assurer l’enracinement de l’idéologie au pouvoir, telles sont les ambitions des projets républicains qui, en Anjou plus que dans tout autre ressort, occasionnent une agitation politico-judiciaire inédite (I). Tandis que la loi du 30 août 1883 entérine une réforme attendue de l’organisation judiciaire – réforme toutefois en demi-teinte qui, à bien des égards, n’en porte que le nom – (II), la campagne de « proscriptions » mise en oeuvre à l’automne 1883 achève de « républicaniser » les rangs de l’institution (III)11 plutôt que d’en ouvrir massivement les portes à de « nouvelles couches » sociales.

Magistrature et République : le temps des tensions exacerbées

Entre 1871 et 1883, plusieurs dizaines de projets et propositions de lois surgissent à la Chambre et au Sénat au sujet de la réorganisation judiciaire et de la réforme de la magistrature héritée du premier XIXe siècle12. Très nombreux sont les ouvrages qui se saisissent de ces questions et les articles qui font état, dans des revues le plus souvent spécialisées, des solutions envisagées par les praticiens eux-mêmes afin de remédier aux défauts du système en place13. De ce foisonnement scriptural, il ressort nettement que les juridictions sont en trop grand nombre (au regard du contentieux qu’elles traitent annuellement), que certaines chambres de cours d’appel ou certains postes dans les tribunaux de première instance peuvent être supprimés (sans préjudice, dit-on, pour « l’administration de la justice »), que l’étendue des juridictions cantonales doit être modifiée par une remise à plat de la carte judiciaire, que la suppression des classes entre juridictions s’impose au même titre qu’une augmentation des traitements des magistrats et que le mode de désignation de ces derniers gagnerait à être repensé. Les velléités de réformes structurelles ou d’aménagements techniques ne manquent pas, mais les priorités que les uns et les autres s’assignent diffèrent sensiblement.

Aux mesures préconisées par les députés Boysset, Floquet, Clémenceau et Madier de Montjeau (mars 1879) répondent notamment celles de leurs collègues Brisson, Boulard ou Mir (décembre), ainsi que celles du garde des Sceaux Cazot (janvier 1880). Ce dernier, entre autres, réclame la nomination des premiers présidents de cours d’appel et des présidents de tribunaux pour une durée de cinq ans et par décret rendu en conseil des ministres, la diminution du nombre de chambres dans les juridictions du second degré et de première instance, ainsi que la réduction du personnel judiciaire et le redéploiement des effectifs ainsi maintenus dans un délai d’un an. De telles préconisations suscitent aussitôt la réaction indignée des juristes conservateurs les plus en vue, tel Robinet de Cléry14, qui estime l’initiative inspirée de « récriminations outrageantes »15 ; le projet gouvernemental, selon lui, se résumant à sacrifier un corps composé d’hommes « de mérite, de talent et d’honneur », au profit « des fruits secs du Barreau et des intrigants du jour, des complaisants et des hypocrites16 » soudainement ralliés au régime.

Adopté par la Chambre à l’automne 1880, le projet n’obtient cependant pas les honneurs de la discussion au Sénat ; non que les parlementaires républicains s’effraient des difficultés liées à la reforme profonde qui est suggérée, ni que les conclusions du rapport du sénateur Bérenger, au nom de la commission qu’il préside, s’annoncent particulièrement défavorables, mais parce que dans la perspective des élections législatives toutes proches (prévues en 1881), le gouvernement préfère opter pour la prudence et retirer son texte. La famille républicaine est de fait divisée : les opportunistes reconnaissent volontiers la nécessité de réduire les postes et les effectifs, mais ils comptent sur leur présence durable au pouvoir pour remodeler l’institution et souhaitent par-dessus tout que l’exécutif garde une certaine mainmise sur ses membres (raison pour laquelle ils sont favorables à la suspension de l’inamovibilité plutôt qu’à sa suppression pure et simple), tandis que les radicaux, eux, ont des idées beaucoup plus avancées et se montrent partisans d’une véritable politique de la « table rase », estimant que la République doit asseoir son autorité sur une justice totalement refondée dans ses pratiques et sur un corps entièrement régénéré17.

À l’issue des élections dont ils sortent renforcés, les choix à opérer sont pour eux des plus clairs : ce sont ceux formulés par Gambetta dans le programme politique qu’il a exposé à Belleville, où, disait-il, « la magistrature est comme l’arbre de couche qui met en mouvement tout l’appareil : quand cet arbre est véreux, on est en présence d’une véritable calamité sociale18 ». À leurs yeux, il est particulièrement inacceptable que le gouvernement dépositaire de la souveraineté nationale ne puisse pas soumettre le corps judiciaire à une « nouvelle investiture ». L’inamovibilité leur paraît être un principe « monarchique », une sorte de paravent derrière lequel se retranchent les juges, et non un gage d’indépendance ou une protection pour les justiciables. Elle fait obstacle à la « bonne administration » de la justice et n’a aucune raison d’être, ce qui les déterminent en faveur de sa suppression et de son remplacement par l’élection des juges au suffrage universel ; idée inscrite dans le « catéchisme républicain », abandonnée en 1848 et 1871, mais dans laquelle « les premières générations de radicaux voyaient un retour aux sources de la Révolution, mise au goût du jour par les modèles suisse et américain19 ».

D’éminents juristes proches de la gauche modérée s’alarment cependant des projets qui ne visent qu’à « domestiquer » la magistrature. Répudiant les expédients employés par les régimes passés, il en est, comme Martin-Sarzeaud, qui mettent en garde contre « les errements arbitraires, le régime du bon plaisir et le despotisme20 ». Georges Picot, pour sa part, ne craint pas de dénoncer les illusions de « l’esprit révolutionnaire » qui veut « détruire de fond en comble hommes et institutions pour faire naître d’un coup de baguette un système nouveau21 ». Certes, l’un et l’autre sont favorables aux mesures individuelles capables d’écarter de leurs fonctions les magistrats les plus hostiles à la République, mais ils se montrent partisans d’« un esprit de réforme sage22 ». Soucieux de maintenir l’intégrité du corps judiciaire, ils refusent de voir le pouvoir central céder aux « appétits des comités locaux reliés entre eux et aboutissant au député tout puissant dans son arrondissement23 ». Ce qu’ils préconisent avant tout, c’est le maintien de l’inamovibilité, l’augmentation des traitements et l’instauration d’un concours d’entrée dans la carrière24.

Quelques-unes des mesures ainsi avancées sont reprises – il est vrai à la marge – dans le projet présenté par le garde des Sceaux Humbert au début de l’année 1882, mais la suspension de l’inamovibilité et la suppression des cours d’appel (celles qui, annuellement et au cours des années 1877-1881, ont rendu moins de deux cents arrêts contradictoires) semblent pour autant entérinées. Or, c’est précisément ce dernier point, cet article 6 légitimé par la seule raison statistique, qui met aussitôt les ressorts concernés en ébullition : ceux de Bastia, Bourges, Chambéry, mais aussi de Limoges, Orléans, Pau et Angers ; Angers, où les milieux judiciaires sont les plus prompts à exprimer leur réprobation à l’égard de la mesure et les plus déterminés à pétitionner pour réclamer le maintien du statu quo. En s’adressant à tous les conseils électifs, aux tribunaux de commerce, aux chambres d’avoués, d’huissiers et de notaires, le Barreau de la ville crée d’ailleurs « une véritable agitation25 » dans les départements de Maine-et-Loire, de la Sarthe et de la Mayenne au cours de l’année 1882.

À la date du 8 avril, le Conseil de l’Ordre expédie un exemplaire de ses Observations au Président de la République, au garde des Sceaux, aux présidents des Chambres et aux membres de la commission chargée d’examiner le projet de loi. Parmi les arguments invoqués figurent d’abord la situation géographique du ressort et ses facilités de communications internes (qui, dit-on, en font « l’un des mieux dotés26 » de France). Ensuite, il est fait remarquer que le ressort se situe au 12e rang national pour sa population, qu’il se hisse au 10e par sa contribution foncière et qu’Angers occupe la 8e place des villes les plus peuplées parmi les sièges de cour d’appel. La juridiction du second degré y recevant par ailleurs les appels de douze tribunaux de première instance et de six tribunaux de commerce, l’intensité de l’activité judiciaire est marquée dans le nombre même des avocats inscrits au tableau, qui, dit-on, est « supérieur à trente depuis de très longues années ». Enfin, les considérations financières ne sont pas oubliées puisque l’Ordre souligne que le département et la ville d’Angers, à l’invitation de l’État, ont consenti à engager plus d’un million de francs de travaux en vue de la construction d’un nouveau Palais de justice.

Du point de vue territorial ou professionnel, les intérêts en jeu sont considérables. Si l’on en juge par le discours officiellement tenu, le maintien de la cour d’appel d’Angers est exigé « par le respect dû aux droits acquis de l’une de nos plus grandes villes », et les praticiens locaux n’hésitent pas à invoquer, « par dessus tout, l’intérêt de l’ensemble des justiciables du ressort27 ». On ne saurait toutefois s’y tromper, dans cet engagement du Barreau, la situation des auxiliaires de justice compte au moins autant que le fonctionnement de l’institution judiciaire, que le sort des magistrats concernés ou que les besoins des justiciables. De l’aveu même d’un observateur attentif du Palais, « en perdant son principal domaine, le Barreau diminuerait [en effet] de nombre comme de supériorité. Les grands talents s’éloigneraient et cette suppression aurait des résultats désastreux [du point de vue socio-économique] : abandon de cinquante maisons, et des principales, occupées par des familles aisées, abaissement du prix des loyers, etc.28 » Si le Barreau est le premier à engager ainsi la contestation, dans son sillage, les autres instances professionnelles, ainsi que les collectivités territoriales et même les sociétés savantes émettent de vives protestations.

Pour elles, les questions budgétaires et économiques ne sont pas moins inquiétantes que les conséquences judiciaires. Invoquant les nuisances que la suppression de la cour apporterait à la « prospérité matérielle et morale » de la ville, à « l’accroissement de sa population, de son commerce et de son industrie29 », le conseil municipal d’Angers émet le vœu, lors de la séance du 17 avril 1882, de voir maintenue la juridiction. Le surlendemain, le Conseil général du département le réclame à son tour à l’unanimité, puis le Conseil d’arrondissement d’Angers s’en fait l’écho un mois plus tard. Si la Chambre des notaires du chef-lieu décide quant à elle d’adresser un Mémoire aux députés, celle de commerce proteste, à la même époque, contre un projet de loi qui « viole injustement des droits acquis et porte préjudice aux intérêts économiques de la circonscription30 ». Enfin, quelques sociétés savantes soulignent le rôle prépondérant des membres de la magistrature dans leur épanouissement et demandent pareillement le retrait du projet de suppression31. Intérêts locaux et corporatistes, amitiés politiques et solidarités sociales se réveillent donc ici pour faire obstacle aux intentions républicaines. Mais la contestation gronde aussi au sein de la magistrature, où les tensions qui affleurent en disent long sur l’état d’esprit du personnel.

La situation est d’autant plus prégnante que la commission parlementaire chargée d’examiner le projet gouvernemental a renchéri en proposant, en mai 1882, la création de magistrats ambulants, l’institution d’assises correctionnelles et la suppression de l’inamovibilité. Auteur de plusieurs essais remarqués sur le sujet, le conseiller angevin d’Espinay assure dès lors que la « nouvelle investiture » qu’on promet n’est rien moins qu’une « mesure inique de despotisme intolérable32 ». Selon lui, les républicains n’ont pour seule ambition que de « livrer l’institution à l’arbitraire » et d’exclure les magistrats « désagréables au pouvoir » sans aucun souci des « droits [professionnels] légitimement acquis33 » par l’ancienneté. A contrario, son collègue Jeanvrot, de tendance il est vrai radicale, estime que l’inamovibilité a été rendue illusoire et impuissante à assurer l’indépendance des magistrats. Ces derniers, dit-il, sont « constamment aux genoux du pouvoir » pour leur avancement, sont exposés aux interventions politiques les plus diverses, y compris dans le cadre de leur activité, et depuis l’An VIII, « ce principe [d’inamovibilité] n’a permis [, en réalité,] que la soumission par de perpétuels appâts à l’ambition34 ».

Certes, de telles incursions dans le débat public résultent d’engagements strictement individuels et impliquent avant tout des fonctionnaires qui sont « marqués » politiquement. Mais au vu du contexte, et comme le souligne lui-même à la Chambre le député Legrand, en mai 1882 : « il est temps que la magistrature sache enfin sous quel régime nous entendons qu’elle vive35 ». Dans de nombreux ressorts, les incidents tendent en effet à se multiplier et des juges particulièrement hostiles aux visées républicaines n’hésitent plus à faire assaut de surenchères provocatrices. Profitant par exemple des assises qui se tiennent au Mans en 1882, le conseiller Morry vitupère contre le ministère public et « se place sur l’estrade » afin de se livrer à des « démonstrations inconvenantes » en faveur du Journal de la Sarthe, de ses patrons réactionnaires et de ses défenseurs, dont il est « l’ami politique36 ». Puis, quelques semaines plus tard, il récidive à l’issue d’une réunion de la chambre du Conseil de la cour d’Angers, en tenant cette fois des propos outrageants à l’égard de plusieurs de ses collègues, du procureur général et du gouvernement37.

Rendant compte au garde des Sceaux de cette tension grandissante au sein de sa compagnie, le premier président de la cour peut ainsi souligner :

« L’affaire dont je vous entretiens n’a pas d’autre gravité que celle qu’elle tire de la crise aiguë que traverse en ce moment la magistrature. Elle est à la fois un signe et une conséquence des temps. J’en tire un argument à l’appui de ceux qui pensent, et je suis de ceux-là, qu’il est éminemment désirable qu’une solution sur la question judiciaire intervienne avant la rentrée prochaine. Il n’est pas un magistrat, pas un chef de cour qui n’appelle de tous ses vœux, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice et de l’honneur du corps judiciaire, la fin d’une attente pleine de périls, d’émois et de dégoûts pour tous. J’aurais voulu que si la vieille magistrature doit succomber sous les coups de ses ennemis et sous le poids de préventions accumulées, elle mourut au moins dignement et sans donner le triste spectacle de dissensions intestines lamentables. Je souhaite que les pouvoirs publics statuent sans tarder sur notre sort38 ».
La loi du 30 août 1883 : une entreprise de légitimation politique

En ce milieu d’année 1882, les discussions relatives au projet de la commission parlementaire se poursuivent dans le cadre d’échanges souvent envenimés, mais la détermination de la Chambre semble néanmoins arrêtée à la date du 10 juin. Contre l’avis du gouvernement, les députés adoptent l’amendement Douville-Maillefeu (du nom de son auteur) préconisant à la fois la suppression de l’inamovibilité et la reconnaissance du principe électif. C’est là une victoire pour les radicaux, mais une victoire en demi-teinte et de courte durée, car, dès janvier 1883, certains responsables républicains (et non des moindres, puisque l’on remarque parmi eux Jules Roche et Waldeck-Rousseau) opèrent une spectaculaire volte-face39. Prenant en quelque sorte conscience du danger que représenterait pour eux et pour l’exécutif, la mise en place du principe électif (qui impliquerait un renforcement de l’indépendance des juges, faisant de facto surgir le spectre d’un « pouvoir judiciaire » autonome, spécialement dans les circonscriptions « tenues » par des opposants au régime), ils repoussent leur choix initial, et à quelques mois d’intervalle, se déjugent sur la question centrale que constitue le mode de désignation des juges.

C’est là un évènement crucial « qui sanctionne un entre-deux singulier40 », puisque tout en restant convaincus des nécessités de la réforme, les républicains se montrent une nouvelle fois partagés sur l’économie du projet qu’il convient d’adopter. Celui que leur présente le garde des Sceaux Devès à la fin du mois de janvier 1883 est nettement édulcoré par rapport à celui de la commission, mais il n’est pas pour autant mis en discussion. Le changement ministériel qui intervient en consacre cependant le retrait, et c’est en mars 1883 que son successeur, Martin-Feuillée, dépose à son tour trois textes distincts sur le bureau de la Chambre. Le premier (qui deviendra la loi du 30 août 1883) a trait à la réforme de l’organisation judiciaire et du personnel, le second est relatif à la compétence des juges de paix et le dernier à l’institution d’assises correctionnelles. Chacun semble porteur d’innovations audacieuses, mais les options qui sont prises à cet instant et les débats qui ont lieu ensuite au Parlement, entre mai et juillet, marquent nettement les limites des intentions réformistes et la nature du compromis – a minima – qui est trouvé.

D’emblée, on ne retient que le premier de ces projets, car comme l’indique l’exposé des motifs, l’essentiel est d’établir une « entière harmonie » entre les pouvoirs publics pour assurer un fonctionnement « régulier » des institutions41. La commission qui est saisie le 19 mai n’apporte pas de modifications substantielles à la mouture initiale du texte, tant et si bien que les débats qui s’engagent le 24 se focalisent presque immédiatement sur la réduction du personnel. Des députés opportunistes se font certes entendre à propos de la suppression des postes inamovibles, de la diminution des chambres dans les cours d’appel ou au sujet des conditions de nominations aux fonctions de juge et de parquetier. Mais il n’y a là que des critiques mineures au regard de celles formulées par les radicaux, qui avaient espéré une réforme d’envergure incluant l’élection des juges et n’entrevoient en lieu et place qu’un simple « expédient gouvernemental42 ». Sommé de s’en expliquer, le garde des Sceaux indique d’ailleurs clairement qu’un choix délibéré a été fait, de « réformes partielles », pour ne pas avoir à renoncer aux « réformes utiles43 » ; ce qui, en creux, revient à admettre que les intérêts politiques attachés à l’impératif d’instituer une magistrature « républicaine » ont prévalu sur toutes autres considérations, fussent-elles de principe.

À l’image des députés du département de Maine-et-Loire, les opposants conservateurs au texte dénoncent avec virulence ses aspects « vengeurs », mais marchent en ordre particulièrement dispersé tout au long de la discussion. L’ancien conseiller de Soland, élu de la 1re circonscription d’Angers, n’intervient par exemple qu’à deux reprises et pour présenter des amendements qui sont immédiatement rejetés. Quant au bouillonnant Freppel, évêque ultramontain du diocèse, il tente bien un coup d’éclat lors de la clôture de la discussion générale, le 4 juin, en dénonçant la loi comme le point de départ de la « Saint-Barthélemy des magistrats44 ». Mais la mise en cause de la légalité formelle de l’épuration n’a alors plus aucune portée et les critiques contre les éliminations sont vaines. L’ensemble du projet est transmis au Sénat et adopté le 31 juillet 1883 – non sans avoir été sérieusement retouché –, puis par la Chambre le 1er août, de manière définitive et à une très large majorité. Le sort du personnel judiciaire est désormais scellé, tout comme sont arrêtées les mesures tendant à la réorganisation de l’institution.

Si la loi s’attache à préciser le nombre de magistrats nécessaires à la validité des arrêts et des jugements (art. 1 et 4), se penche sur les motifs de récusations (art. 10), traite de la question des pensions (art. 12) ou celle des délégations (art. 6), les véritables modifications qu’elle apporte tiennent en cinq points : création d’un Conseil supérieur de la magistrature45 (art 13 à 17), harmonisation des classes entre juridictions et augmentation des traitements (art. 3 à 7), suppression de postes dans les tribunaux de première instance et réduction du nombre de chambres dans certaines cours d’appel (art. 2 et 5)46. Le législateur ne souhaitant pas la diminution du nombre de circonscriptions judiciaires ni la modification de leur découpage géographique, c’est la réduction des sièges au sein des cours et des tribunaux qui a été privilégiée47. Ne voulant pas non plus qu’il y ait de suprématie d’une juridiction à l’autre, ni de disparités de traitements trop prononcées entre les magistrats d’appel, il décide d’assimiler toutes les cours, hors celle de Paris, et de diminuer de six à trois le nombre de classes des tribunaux de première instance (art. 3) ; l’augmentation des traitements accordée ne constituant nullement une charge nouvelle pour le budget de l’État, compte tenu de la baisse des effectifs décidée. En réalité, l’essentiel de la loi tient dans les articles 14 et 11 relatifs à la discipline et à la réduction de personnel.

En stipulant, d’une part, que toute « manifestation ou démonstration d’hostilité » aux principes ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, et que, d’autre part, toute « délibération » est défendue aux corps judiciaires, le premier de ces articles ajoute une exigence de neutralité collective à l’obligation de loyauté individuelle prescrite aux fonctionnaires. Certes, cette loyauté compte déjà depuis des années comme l’un de leurs devoirs essentiels, et de ce point de vue, le texte de 1883 ne fait donc que réaffirmer (tout en insistant sur son caractère absolu) le principe selon lequel tout manquement de cette nature expose celui qui s’en rend coupable à l’application des peines disciplinaires prévues. Mais la reconnaissance de la notion de neutralité du service public de la justice constitue une innovation réelle, puisque dorénavant les compagnies judiciaires elles-mêmes doivent se renfermer dans une attitude de rigoureuse réserve. Il y a là une disposition qui forme en quelque sorte le corollaire du principe d’égalité des citoyens devant la loi et qui est d’autant plus importante que, par le passé, dans des circonstances particulières, ces compagnies ne s’étaient pas privées de prendre des postures nettement « politiques » (par exemple, en adressant des félicitations ou des adhésions aux gouvernements… qui, eux-mêmes, ne se faisaient d’ailleurs jamais faute de les y encourager !).

L’article 11, pour sa part, entérine la diminution des effectifs judiciaires, prévoit que les « éliminations » seront mises en oeuvre dans un délai de trois mois à partir de la promulgation de la loi et qu’elles porteront « sur l’ensemble du personnel indistinctement ». Certes, l’alinéa 4 vise plus particulièrement les magistrats qui, après le 2 décembre 1851, ont fait partie des commissions mixtes de triste mémoire pour les républicains. Mais la portée de cet article revêt un caractère nettement plus général, puisque le principe de l’inamovibilité, reconnu implicitement par l’article 15, n’est applicable qu’« après l’expiration de la période de réorganisation judiciaire » et qu’aucune distinction n’est admise entre les juges du siège et leurs homologues du ministère public. Ainsi les « proscriptions » peuvent-elles porter, à discrétion du gouvernement et de manière quasi exclusive, sur les magistrats inamovibles ; faculté dont ce dernier ne se prive d’ailleurs pas, en révoquant plus de six cents d’entre eux et en nommant, à concurrence du chiffre des postes supprimés, en lieu et place, plus de deux cent trente parquetiers républicains. Alors que certains parlementaires avaient envisagé donner des garanties statutaires nouvelles aux magistrats et leur assurer une plus grande indépendance vis-à-vis du pouvoir, le texte du 30 août 1883 vient ici anéantir leurs espoirs.

Malgré la précipitation, les divisions et les renoncements qui ont contribué à réduire la portée des ambitions réformistes, la loi préserve l’essentiel : à savoir, la capacité pour le gouvernement d’avoir les mains libres en vue de procéder à une compression de postes inégalée et à l’épuration la plus importante que la magistrature ait connue depuis la Révolution. La cour d’Angers, qui comprenait jusqu’alors trois chambres, n’en compte plus désormais qu’une seule. Le nombre de sièges de conseillers est divisé de moitié, passant de vingt-quatre à douze, et l’un des postes de substitut existant est supprimé. Dans les arrondissements, les tribunaux de première instance de Cholet, Saumur et Segré voient disparaître leur unique substitut, tandis qu’à Baugé, le procureur préserve son collaborateur, mais pourra, à l’avenir, le voir détaché à Saumur si le parquet général estime que les besoins du service l’exigent. Enfin, le tribunal d’Angers apparaît comme le seul bénéficiaire de la loi, puisqu’il se voit renforcer par l’arrivée d’un quatrième juge.

Du point de vue de la réduction du personnel, la cour d’Angers est sans conteste l’une des plus touchées de métropole48 ; à preuve, le nombre moyen de magistrats proscrits, évalué à sept par département, dépasse largement ce seuil pour les juridictions du Maine-et-Loire qui en comptabilisent vingt-neuf. Vingt-sept d’entre eux appartiennent au siège, dont seize à la cour d’appel… qui est décimée en moins de quinze jours49 ! À titre de comparaison, seul un tiers des membres des cours d’appel de Rennes, Poitiers ou Douai est au même moment évincé50. Dans les tribunaux de première instance, où l’opération est menée avec une célérité tout aussi évidente, la situation n’est guère plus enviable pour les titulaires de poste : la moitié est en effet écartée, dont trois des cinq présidents et cinq des sept juges, auxquels il faut ajouter l’unique vice-président qui siège à Angers. Seuls les chefs de juridictions et les juges d’instruction de Saumur et Segré ne sont pas affectés par l’application de la loi, mais tous ont été nommés dans leurs fonctions depuis l’installation au pouvoir des républicains en 1879. Ainsi donc, c’est par le biais des trois décrets rendus les 15 septembre, 6 et 23 octobre 1883 que la recomposition complète de la magistrature angevine est achevée.

Les magistrats qui ne sont pas maintenus dans leurs fonctions ou qui se déclarent démissionnaires ont la possibilité de faire valoir leurs droits à la retraite. La pension qui leur est allouée, quel que soit leur âge, est fondée sur une quotité de traitement et reste proportionnelle aux années de services qu’ils ont accomplis ; pour ne prendre que les deux cas de figures extrêmes, ceux qui en comptent plus de trente peuvent prétendre à l’équivalent d’un soixantième de leur traitement moyen pour chaque année de service allant au-delà, alors que ceux qui en ont moins de six ne bénéficient que du cinquième du traitement moyen dont ils ont pu jouir jusqu’alors. Toutefois, ces dispositions contenues dans l’article 12 ne sont pas applicables aux magistrats qui, s’ils étaient restés en poste jusqu’à l’âge limite (à savoir 70 ans), n’auraient pu acquérir droit à une pension complète (par ancienneté, après 30 ans de service)51. Pour eux, la loi prévoit le versement d’une simple indemnité annuelle qui cesse d’être servie à 70 ans et n’est pas réversible sur la tête de la veuve ni des orphelins. En usant d’une telle procédure dérogatoire au décret du 1er mars 1852 et à la loi du 9 juin 1853 (sur les retraites), le gouvernement confirme ainsi son peu d’égard pour les magistrats en place.

Proscriptions subies et démissions consenties : vers une hécatombe judiciaire

Tout en consacrant « l’enlisement des grands projets républicains52 », la loi permet de mettre en œuvre une opération de légitimation politique d’ampleur inédite. Déjà largement investis par des magistrats acquis au régime, les postes du parquet ne sont que très peu concernés. En revanche, la République frappe violemment les fonctionnaires du siège, et notamment ceux qui occupent des postes à responsabilité, ceux qui détiennent en quelque sorte une influence aussi importante du point de vue social que « néfaste » du point de vue politique. Malgré un « zèle vigilant et une fermeté constante », le parquet général d’Angers reconnaît d’ailleurs lui-même que, depuis 1879, il a été incapable de « modifier l’esprit d’une magistrature réfractaire à tous les principes sur lesquels sont basés les institutions53 ». L’Anjou reste le fief d’un catholicisme intransigeant, voire d’un cléricalisme outrancier, et les juridictions qui y sont installées constituent autant de citadelles d’opposants monarchistes et bonapartistes. Comme l’indique l’enquête réalisée par les services de police d’Angers en 1880, sur les vingt conseillers que compte alors la cour, trois seulement sont ainsi « libéraux » ou « républicains » ; les autres étant tantôt qualifiés de « conservateurs-libéraux »(3), « bonapartistes-cléricaux »(2), « légitimistes-cléricaux »(11) ou « clérical »(1)54.

S’il est acquis pour ses détracteurs que le gouvernement a comme seul dessein de « livrer le corps judiciaire aux appétits de parti pour mieux distribuer des places à ses amis55 », encore faut-il opérer un choix des magistrats à exclure. Or, de toute évidence, celui-ci n’est pas effectué d’après les seules notations hiérarchiques contenues dans leurs dossiers personnels ; à quelques exceptions près, tous bénéficient d’appréciations favorables sinon élogieuses quant à leur moralité, leur droiture et leurs « habitudes sociales », ainsi qu’au regard de leur instruction juridique, de leur assiduité au travail et de leur expérience. L’âge et l’état de santé de ces fonctionnaires ne sont pas non plus directement mis en cause, même s’il y a là des paramètres non négligeables dans l’appréciation qui est faite de ce point de vue. En réalité, les principaux griefs retenus contre eux tiennent à la fois aux convictions politiques qu’ils affichent, voire au militantisme dont ils ont pu faire preuve par le passé, sinon aux conceptions qui sont les leurs des rapports sociaux, à leurs fréquentations publiques (ou privées) et à la manière dont ils ont rempli leurs fonctions. Ces magistrats, dont on estime en effet qu’ils ne « marchent » pas avec leur temps, sont autant redevables de leurs actes que de leurs propos ou relations.

Pour s’être élevé contre le mépris de la chancellerie à l’égard de son droit de présentation, autant que pour s’être opposé au procureur général et à certains de « ses acolytes56 », le premier président Charles Jac57 compte au nombre des premières victimes. Des deux présidents de chambre révoqués à sa suite, l’un est dépeint comme un « clérical proche des partis opposés à la République58 ». Promu en 1851 à la tête du tribunal de Saint-Calais qui paraissait alors « travaillé » par les doctrines socialistes », Coutret y a déployé un zèle répressif incontestable qui lui a valu un rapide avancement, puis, neuf ans plus tard, s’est signalé par sa présence à une cérémonie religieuse célébrant la mémoire des morts de Castelfidardo ; en outre, il n’a cessé, après l’installation de la République, d’entretenir des relations d’amitiés avec certains membres de l’évêché59. Quant à Bigot, second président de chambre placé sur la sellette, c’est un « bonapartiste » qui s’est lui aussi exposé depuis longtemps aux foudres républicaines : démissionnaire de ses fonctions de parquetier en 1870, élu député conservateur de la Mayenne l’année suivante, il a violemment manifesté son anti-républicanisme au 16 mai 1877, avant de prendre part, en 1880, à plusieurs arrêts de la chambre des mises en accusation favorables aux congréganistes60.

De tous les magistrats de la cour d’Angers qui, comme eux, se sont investis dans le combat contre la République, le conseiller Félix Morry appartient sans conteste à la catégorie des plus irréductibles. Dans un rapport spécial adressé au ministre de la justice en 1882, le procureur général le signale d’ailleurs comme « le plus dangereux de tous les magistrats du ressort. C’est lui, [dit-il,] qui intimide ceux qui chercheraient, sinon à se rallier, au moins à avoir une attitude moins incorrecte. Il passe pour avoir des accointances fort suivies avec la rédaction du Courrier d’Angers et, armé de son journal bonapartiste, publie contre les magistrats républicains les articles les plus venimeux. Il est en réalité le vrai chef de la magistrature du ressort qui lutte contre le gouvernement et, lorsqu’il s’agit de jouer quelque méchant tour au parquet ou aux magistrats républicains, c’est lui que l’on va consulter61 ». Une telle attitude vaut naturellement à Morry d’être mis sur la sellette et de rejoindre l’imposante cohorte des révoqués ; cohorte qui compte déjà de très nombreux magistrats de première instance, pareillement compromis pour leur opposition idéologique.

En 1879, par exemple, le président du tribunal de Baugé a manifesté son hostilité à la politique d’enseignement du gouvernement en faisant circuler dans sa ville une pétition signée de sa qualité de magistrat. En 1882, le même Couscher de Champfleury s’est cru autorisé à exiger l’escorte de la gendarmerie pour se rendre, à titre personnel et en robe, aux prières publiques qui y étaient organisées, et en avril 1883, il a fait de nouveau parler de lui au Palais après avoir protesté « contre les projets de lois relatifs à la réforme de la magistrature62 ». Parmi ses homologues auxquels on reproche une attitude tout aussi hostile, il faut également mentionner celui de Cholet, qui a « instamment engagé les familles à envoyer leurs enfants à l’école des frères63 » lors d’une réunion électorale organisée en 1879 par un conseiller d’arrondissement monarchiste, ou encore le vice-président du tribunal d’Angers qui, en 1883, a eu la maladresse (ou la volonté délibérée) d’afficher ses convictions religieuses en participant aux processions de la fête-Dieu aux côtés des professeurs de la faculté catholique de la ville64 ; autant de manifestations incompatibles avec la réserve attendue des magistrats, autant de prises de positions qui apparaissent comme des manquements graves aux « devoirs de son état65 ».

Par solidarité avec leurs collègues évincés, quelques conseillers de la cour démissionnent avec fracas à l’automne 1883 : Monden-Gennevraye, par exemple, mais aussi Adolphe Lair, qui bien que maintenu dans ses fonctions invoque auprès du garde des Sceaux des « scrupules personnels66 ». À Cholet, « dès que la liste des victimes est close67 », c’est le juge Baguenier-Desormeaux qui décide de quitter sa fonction en signe de protestation. À Angers, son homologue Peltier indique au ministre qu’il ne souhaite pas non plus siéger aux côtés de collègues républicains68. S’affirmant « magistrat réactionnaire », le juge Baillergeau explique pour sa part ne pas vouloir « faire tache avec le nouveau personnel69 » du tribunal de Baugé. Enfin, le juge-suppléant de Cholet qui a été candidat conservateur aux élections cantonales de 1879 et qui appartient à la « fraction du tribunal totalement hostile au parquet70 » républicain n’attend pas la sanction qu’il sait inéluctable, en démissionnant dès le début du mois de septembre 1883. Non seulement ces magistrats font corps avec les proscrits, mais l’application de la loi leur fournit l’occasion d’afficher publiquement leurs positions puisque, « chaque jour ou presque, les feuilles cléricales publient leurs lettres71 » de départ emplies de protestations.

Comme dans bien d’autres ressorts, l’épuration menée en Anjou atteint « la puissance financière et sociale de l’opposition72 » à la République. Qu’ils soient fils de propriétaires terriens, issus de la noblesse d’État (fils de magistrats, de préfets, etc.) ou de la grande bourgeoisie conquérante post-révolutionnaire (fils de négociants, d’industriels, d’avocats, etc.), tous incarnent ces notabilités locales enracinées et qui vivent dans une confortable aisance économique. Quelques-uns, comme le président de chambre Giraud, sont dans une « excellente situation73 », tandis que d’autres, comme le conseiller Jousset, sont « en possession d’un patrimoine considérable74 ». Ensemble, ils représentent une oligarchie confinée dans ses préjugés de classe et, individuellement, chacun affiche la conviction de sa supériorité sociale. Ils forment une « famille judiciaire » repliée sur elle-même qui, par la densité de ses réseaux et par leur puissance, a su traverser les turpitudes politiques des changements de régimes antérieurs ; non seulement en ayant ce souci constant de la continuité inter-générationnelle au sein du corps, mais aussi parce que les épurations précédentes n’ont pas été suffisamment massives pour pouvoir les contrecarrer.

Si d’aucun se sont compromis au cours de leur carrière en étant recommandés par des dignitaires de l’Église, d’autres ont participé de manière active au renouveau catholique et à la lutte contre les idées laïques75. Bigot, par exemple, était l’un des plus importants financiers des établissements congréganistes d’Angers dès les années 1870 ; possédant notamment un portefeuille d’actions d’un montant très élevé dans la Société anonyme des cloîtres Saint Martin, la Société anonyme d’éducation de la rue Saint-Julien, les Sociétés civiles immobilières des Plaines Saint-Léonard ou encore les Écoles de filles d’Andrezé76. Quant au président du tribunal de Baugé, il avait eu pour « œuvre de choix » les cercles catholiques d’ouvriers, dont il avait recueilli la direction à la mort d’Hervé-Bazin et « à laquelle il consacr[ait] tout son zèle, avec le concours de M. Lucas, professeur de droit77 » à la faculté catholique de la ville. En d’autres termes, en frappant ces acteurs de la charité privée ou ces artisans de l’assistance institutionnelle (beaucoup sont membres de bureaux de bienfaisance, fondateurs de sociétés philanthropiques, etc.), la loi de 1883 atteint un milieu paternaliste qui véhicule à travers ses actions une conception figée et hiérarchisée des rapports sociaux.

Aristocrates royalistes ou roturiers bonapartistes, tous ont en commun un profond rejet de la République et une aversion marquée pour l’anticléricalisme. Recrutés sous l’Empire, certains ont eu à briser l’opposition au coup d’État de 1851 et à poursuivre les membres de sociétés prétendument secrètes au sein desquelles se trouvaient nombre de républicains78. Promus par l’Ordre moral, ils appartiennent au « parti dévot » qui s’est réveillé en mai 1877 et qui, quelques années plus tard (1880), a fait droit aux demandes formulées par les religieux congréganistes79. Ils apparaissent d’autant plus suspects que leur ascension aux fonctions inamovibles s’est effectuée avant l’arrivée au pouvoir des républicains, souvent en récompense de « services » rendus dans les positions militantes du parquet, voire de la politique ; ici comme député, à l’image de Bigot (entre 1871 et 1875), là comme conseiller général ou comme conseiller d’arrondissement, tels Monden-Gennevraye, Hiron et Goizet (entre 1871 et 1874). L’épuration sanctionne ainsi des pratiques professionnelles et des comportements collectifs attestant la défense intransigeante d’un ordre révolu, mais aussi des attitudes individuelles et des conduites privées jugées pareillement intolérables80.

Le zèle épurateur que déploie le gouvernement à leur encontre se nourrit d’ailleurs des informations transmises au parquet général ou à la chancellerie par un certain nombre d’acteurs locaux républicains, particulièrement bien renseignés sur leur situation : auxiliaires de justice, candidats malheureux face à leurs amis conservateurs lors des élections, justiciables ayant eu à souffrir de leurs jugements, etc. Tous, à des degrés divers, participent aux dénonciations, fréquemment anonyme, et les vengeances comme les règlements de compte trouvent un « terrain privilégié81 » dans cette épuration qui fait la part belle aux considérations politiques. Dans les juridictions angevines, seuls deux magistrats (l’un et l’autre conseillers à la cour) parviennent du reste à échapper à la révocation : Mérot, parce qu’il « ne fait pas de politique, [qu’]il s’est toujours gardé d’avoir des relations avec les cléricaux [et que, selon le procureur général nommé en 1879], c’est un homme d’une grande dignité de vie, de rapports faciles avec ses collègues et d’une déférence absolue vis-à-vis de ses chefs82 » républicains. Quant à Aubry, lui aussi épargné, il est « d’allures solennelles et d’un ton quelque peu empathique, [c’est] le type même du vieux magistrat dévoué à ses fonctions, qu’il remplit avec science et gravité83 » sans se préoccuper (ouvertement du moins) des débats qui agitent l’opinion.

Bien qu’il s’agisse d’un enjeu d’importance, la réorganisation de la magistrature apparaît moins comme le moteur de la réforme (d’ailleurs timide et partielle) de 1883 que comme un prétexte à l’épuration d’un corps auquel on cherche à offrir une légitimité nouvelle. L’inamovibilité établie au début du XIXe siècle (en contrepartie à la nomination des juges par le pouvoir) est certes perçue par quelques parlementaires républicains comme un gage de stabilité pour l’institution et comme une garantie d’indépendance pour la justice. Mais dans le « système de représentations » construit par la plupart - dont les radicaux -, la magistrature est demeurée fidèle à son passé, en se plaçant « sous la bannière de l’obscurantisme84 », et le statut particulier dont elle continue de bénéficier ne relève, en réalité, que d’un privilège de caste garantissant l’impunité aux détracteurs les plus virulents du régime. À défaut de pouvoir s’entendre sur le principe de sa suppression pure et simple, l’accord, dans le camp républicain, s’opère donc sur une solution a minima : sa suspension provisoire (pour quelques mois), afin de faciliter la reprise en main de l’institution et de rendre le corps politiquement « sûr ».

Prolongeant et complétant l’épuration pratiquée dans les parquets en 1879, celle opérée au sein du siège s’apparente tout autant à une réaction de légitime défense qu’à un instrument de consolidation du régime. Les circonstances y sont particulièrement favorables, mais il faut aussi noter qu’aucun processus de cette nature n’a jusqu’alors été conduit avec une telle vigueur et une telle rigueur, et ce, à tous les niveaux de la hiérarchie. Contrairement à ses devancières de 1848 et de 1870, cette épuration ne constitue pas en effet un simple rite sacrificiel, propre à éliminer les fonctionnaires qui, ici ou là, se sont personnellement compromis sous les régimes déchus. Loin de se cantonner à des mesures individuelles, elle consacre au contraire un mouvement d’exclusion à grande échelle qui, cela se doit d’être souligné, représente un épisode propice aux « réparations » pour un régime naissant ayant une « clientèle » à satisfaire et de « nouvelles couches » sociales à gratifier85. Aux sanctions qui frappent massivement les juges dont les choix idéologiques sont reconnus incompatibles répondent ainsi de nombreuses opportunités de carrière pour tous ceux qui ont été tenus à l’écart des avancements ou des recrutements depuis 1878, en raison même de leur adhésion sincère aux principes républicains.

Certes, la loi de 1883 consacre une réforme en demi-teinte86, et la légitimité donnée à la « nouvelle » magistrature reste fragile puisque celle-ci ne gagne guère en autonomie face au pouvoir politique. Pourtant, l’épuration réalisée ne peut pas être considérée comme un phénomène sans lendemain, comme une altération passagère liée à un soubresaut tel que le corps en a déjà connu depuis le premier XIXe siècle. Bien plus, elle s’apparente à une « révolution judiciaire87 » qui viendrait initier une métamorphose profonde, sur la longue durée, de la physionomie des carrières et de la configuration sociale de l’institution. Entreprise de légitimation politique et de « régénération » sociale, elle contribue à précipiter la transition d’une magistrature de fonction, enracinée et repliée sur elle-même, à une magistrature de carrière, ouverte et « nationale », dans laquelle les notables sont peu à peu concurrencés par de « nouvelles couches », mobiles et soucieuses de promotions88. Séisme socioprofessionnel s’il en est, l’épuration annonce à cet égard l’avènement d’une justice républicaine, mais aussi, dans une certaine mesure, la crise des fonctions et des représentations que connaîtra l’institution quelques années plus tard, au tournant des XIXe et XXe siècles89.

Documents annexes

Notes

1  Voir notamment Charle (Christophe), « État et magistrats. Les origines d’une crise prolongée », Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97, mars 1993, p. 39-48 et Krynen (Jacques), L’état de justice, France, XIIIe-XXe siècles, t. 1. L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, Gallimard, 2009.
2  L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération. 150 ans d’histoire judiciaire, Histoire de la justice, n° 6, 1993 ; Les épurations administratives XIXe-XXe siècles, Paris, Publications du Centre de recherches d'histoire et de philologie de la IVe section de l'ÉPHE, Genève, Droz, 1977 ; Wright (Vincent), « L’épuration du Conseil d’État en juillet 1879 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 19, oct.-déc. 1972, p. 621-690.
3  Farcy (Jean-Claude), « Les doléances des justiciables au début de la Troisième République », Histoire de la justice, n° 3, 1990, p. 7-30.
4  Charle (Christophe), Les hauts fonctionnaires en France au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1980, p. 125.
5  Engelhard (Maurice), La réforme de la magistrature, Paris, Marpon, Flammarion, 1880, p. 8.
6  Lecocq (Pierre), Martinage (Renée), « Les magistrats et la politique au XIXe siècle. L’exemple des commissions mixtes de 1852 », Revue d’histoire du droit, L, fasc. 1, n° 1, 1982, p. 19-47.
7  Royer (Jean-Pierre), Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 2010, 4e éd., p. 741 et suiv. ; Humbert (Sylvie), « Du rouge au noir : l’indépendance des magistrats lors des décrets du 29 mars 1880 », in Juges et criminels. Études en hommage à Renée Martinage, textes réunis par Serge Dauchy et Véronique Desmars-Sion, Lille, L’Espace juridique, 2001, p. 595-604 ; Lecomte (Catherine), « Avocats et magistrats au cœur de la tourmente », in Deperchin (Annie), Derasse (Nicolas), Dubois (Bruno) (dir.), Figures de justice. Études en l'honneur de Jean-Pierre Royer, Lille, CHJ, 2004, p. 213-222.
8  Engelhard (Maurice), op. cit., p. 7.
9  Voir notamment Gadille (Jacques), La pensée et l’action des évêques français au début de la IIIe République, Paris, Hachette, 1967, 2 vol.
10  Marais (Jean-Luc), « Pourquoi le Maine-et-Loire n'est-il pas devenu républicain au début de la IIIe République », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 99, n° 4, 1992, p. 441-454.
11  La présente contribution se fonde, pour l’essentiel, sur l’analyse des dossiers individuels des magistrats qui ont été déposés aux archives nationales (série BB. Ministère de la justice), sur l’exploitation de la correspondance judiciaire et administrative conservée aux archives départementales de Maine-et-Loire (séries U et M) et des documents parlementaires imprimés.
12  Essentiellement au cours de la période 1879-1883, où l’on en comptabilise 22. Sur cette question, voir notamment Mendiondou (Jean), Étude des projets de réforme de la magistrature sous la IIIe République, Thèse de droit, Paris, Larose et Tenin, 1912, 168 p.
13  À titre d’exemples, citons la Gazette des tribunaux, la Revue critique de législation et de jurisprudence, la Revue catholique des institutions et du droit,la France judiciaire, la Revue de la réforme judiciaire.
14  Avocat général près la Cour de cassation, il a été révoqué par Cazot quelques semaines plus tôt (janvier 1880).
15  Robinet de Cléry (Gabriel-Adrien), « La réorganisation de la magistrature », Revue catholique des institutions et du droit, vol. 14, 1880, p. 341-343.
16  Robinet de Cléry (Gabriel-Adrien), « La magistrature française en 1880 », Revue de France, 1er février 1880, p. 536.
17  Pelletan (Eugène), Le programme républicain. La magistrature, Paris, Colas, 1881 ; Kayser (Jacques), Les grandes batailles du radicalisme (1820-1901), Paris, Rivière et Cie, 1961.
18  Crastre (François), Les grand orateurs républicains. Les plus beaux discours de Gambetta, Paris, s.d., p. 179.
19  Poumarède (Jacques), « La République et la magistrature : le débat sur l’élection des juges en 1882 », Revue historique de droit français et étranger, n° 4, oct.-déc. 1975, p. 703.
20  Martin-Sarzeaud (Georges), Recherches historiques sur l’inamovibilité de la magistrature, Paris, Marchal, Billard et Cie, 1881, p. 503.
21  Extrait de l’article publié par Georges Picot dans la Revue des deux mondes le 15 janvier 1881, p. 413.
22  Idem, p. 414.
23  Picot (Georges), La réforme judiciaire en France, Paris, Hachette et Cie, 1881, p. 4-7.
24  Voir Martin-Sarzeaud (Georges), « De la réforme judiciaire », Le Droit, 27-28 février et 1er mars 1882 ; Picot (Georges), op. cit., p. 243 et suiv.
25  Archives Nationales (AN). BB30. 1477. 197. Extrait du journal Le Français daté du 2 juin 1882.
26  Archives municipales d’Angers (AMA). I 3/149. Observations présentées au nom de l’Ordre des avocats à la cour d’appel d’Angers sur l’article 6 du projet de loi relatif à la réorganisation de la magistrature, Angers, Lachèse et Dolbeau, 1882, p. 11.
27  Ibid.
28  Cosnier (Léon), « Suppression de la cour d’appel d’Angers », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, t. 24, 1883, p. 151.
29  AMA. 1 D 32. Discussion et délibérations du conseil municipal d’Angers, séance du 17 avril 1882.
30  Lettre de la Chambre de commerce d’Angers à M.M. les députés, Angers, Germain et Grassin, 1882, p. 8.
31  AN. BB30. 1477. 197. Adresse de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers au garde des Sceaux, reproduite dans le journal L’Union de l’Ouest, daté du 9 mai 1882.
32  « L’inamovibilité de la magistrature et la nouvelle investiture dont elle est menacée », France judiciaire, t. 3, 1re partie, 1878-1879, p. 3.
33  Espinay (Gustave-Marie d’), Les juges sont-ils inamovibles ou seulement irrévocables ?, Paris, Marescq, 1881, p. 4.
34  Jeanvrot (Victor-Félix-Louis), La magistrature, t. I. L’inamovibilité sous la monarchie, sous la Révolution et depuis le dix-huit Brumaire, Paris, A. Cotillon et Cie, A. Marescq Aîné, 1882, p. 5 et 207 ; Bernaudeau (Vincent), « Justice, politique et franc-maçonnerie. Un conseiller à la cour d’appel d’Angers, Victor Jeanvrot », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 26/27, 2003, p. 201-226.
35  Journal officiel. Extrait du rapport déposé par Pierre Legrand au nom de la commission parlementaire le 6 mai 1882.
36  AN. BB6II. 308. Rapport du parquet général d’Angers concernant les assises de la Sarthe, 2e trimestre 1882.
37  Ibid. Note de la chancellerie, 16 août 1882.
38  AN. BB6II 308. Lettre du premier président Jac au garde des Sceaux, 1er juin 1882. Sur cette crise du corps judiciaire, on consultera notamment Clère (Jean-Jacques), « Malheurs et malaises de la magistrature française au début de la III République », Le bonheur est une idée neuve. Hommage à Jean Bart, Dijon, Publications du Centre Georges Chevrier, vol. 15, 2000, p. 65-110.
39  Poumarède (Jacques), « L’élection des juges en débat sous la IIIe République », J. Krynen, L’élection des juges. Étude historique française et contemporaine, Paris, PUF, 1999, p. 113-136.
40  Chauvaud (Frédéric), Le juge, le tribun et le comptable. Histoire de l’organisation judiciaire entre les pouvoirs, les savoirs et les discours (1789-1930), Paris, Anthropos, 1995, p 293-297.
41  Journal Officiel, Chambre des députés, Exposé des motifs du projet de loi présenté par le garde des Sceaux.
42  Déclaration incisive faite par Pelletan lors de la discussion générale. Voir Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 28 mai 1883.
43  Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 25 mai 1883. Propos cités par Simonet (L.-C.), « Loi sur la réforme de l’organisation judiciaire du 30 août 1883 », Lois nouvelles, 1re partie, 1883, p. 80.
44  Formule rapportée dans La semaine religieuse du diocèse d’Angers, 7 décembre 1883, p. 583.
45  Clère (Jean-Jacques), « L’exercice du pouvoir disciplinaire dans la magistrature depuis les débuts du Consulat jusqu’à la loi du 30 août 1883 », Histoire de la justice, n° 12, 2000, p. 115-140.
46  Bulletin des lois n° 788, 2e semestre 1883, Loi sur la réforme de l’organisation judiciaire, p. 213-226.
47  Réduction opérée sur la base des affaires jugées annuellement par chacune des juridictions.
48  Pour une vue d’ensemble, voir notamment Machelon (Jean-Pierre), « L’épuration républicaine : la loi du 30 août 1883 », Histoire de la Justice, n° 6, 1993, p. 87-101.
49  À la rentrée judiciaire 1884, la cour présente une physionomie radicalement nouvelle. Voir Annexe n°1. Annuaire statistique de Maine-et-Loire, 1884.
50  Martinage (Renée), « L’épuration des magistrats du Nord en 1883 », Revue du Nord, t. 66, n° 260, 1984, p. 409-410, 68, 270, 1986, p. 663-678 ; Tanguy (Jean-François), « La plus grande épuration judiciaire de la France contemporaine, 1879-1883. Application au cas de quelques magistrats de l’Ouest », Répression et prison politique au XIXe siècle en France et en Europe, Paris, Créaphis, 1990, p. 127-144 ; Veillon (Didier), Magistrats au XIXe siècle en Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vienne et Vendée, La Crèche, Geste, 2001 ; Machelon (Jean-Pierre), « La magistrature sous la IIIe République à travers le Journal Officiel », Annales de la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université de Clermont I, fascicule 21, 1984, p. 5-124.
51  Les parlementaires ont considéré qu’entrés trop tard dans la magistrature, ils auraient été atteints par la limite d’âge avant d’avoir accomplis ces trente ans de service.
52  Machelon (Jean-Pierre), La République contre les libertés ? Les restrictions aux libertés publiques de 1879 à 1914, Paris, Presses de la FNSP, 1976, p. 77-84 et 296-301.
53  AN. BB6II. 440. Rapport du procureur général d’Angers au garde des Sceaux, 5 février 1880.
54  Archives départementales de Maine-et-Loire (AD 49). 1M3/9. Rapport du commissaire central d’Angers au préfet de Maine-et-Loire, février 1880 (Annexe n° 2).
55  Cette critique émane du Journal de Maine-et-Loire (AD 49. 72 Jo 79, 30 août 1883), hebdomadaire conservateur le plus solidement implanté dans le département, puisqu’à cette époque il tire déjà à près de 4000 exemplaires.
56  Anonyme, La magistrature épurée de 1878 à 1884, Paris, Imprimeries réunies D., 1884, p. 133.
57  Annexe n° 3 : Portrait du premier président Jac.
58  AD 49. 1M3/9. Rapport du commissaire central d’Angers au préfet de Maine-et-Loire, 22 avril 1880. Sur les étapes de sa carrière, voir Farcy (Jean-Claude), Annuaire rétrospectif de la magistrature, XIXe-XXe siècle, http://tristan.u-bourgogne.fr:8080/4DCGI/Fiche/41688
59  Au lendemain même de sa révocation, il affirmera d’ailleurs à l’un d’entre eux qu’il s’agit là de « l’acte le plus éclatant d’une longue et laborieuse carrière » (Archives de l’évêché d’Angers. 9E31. Lettre du 20 sept. 1883).
60  AD 49. 1M3/9. Rapport du commissaire central d’Angers au préfet de Maine-et-Loire, 22 avril 1880. Sur son parcours, voir Farcy (Jean-Claude), Annuaire rétrospectif de la magistrature, XIXe-XXe siècle, http://tristan.u-bourgogne.fr:8080/4DCGI/Fiche/2397
61  AN. BB6II 308. Rapport du procureur général d’Angers au garde des Sceaux, 24 mai 1882.
62  AD 49. 2 V 11. Rapport du sous-préfet de Baugé au préfet de Maine-et-Loire, 18 janvier 1882 ; AN. BB6II 103. Note de la division du personnel, avril 1883.
63  AD 49. 6 V 22. Rapport du sous-préfet de Cholet au préfet de Maine-et-Loire, 10 juin 1882.
64  AD 49. 2 V 24. Rapport du commissaire central d’Angers au préfet de Maine-et-Loire, 28 mai 1883.
65  Sur cette question, voir Bancaud (Alain), « La réserve privée du juge », Droit et société, n° 20/21, 1992, p. 229-247.
66  AN. BB6II 234. Lettre d’Adolphe Lair au garde des Sceaux, 4 novembre 1883.
67  Anonyme, La magistrature épurée de 1878 à 1884, op. cit., p. 85.
68  AN. BB6II. 328. Lettre de Peltier au garde des Sceaux, 8 octobre 1883.
69  AN. BB6II. 14. Lettre de Baillergeau au garde des Sceaux, 30 octobre 1883.
70  AN. BB6II. 187. Rapport du procureur de Cholet au procureur général d’Angers, 11 août 1880.
71  AD 49. 31 Jo 16. Extrait du journal radical Le Courrier de Saumur, 4 octobre 1883.
72  Martinage (Renée), op. cit., p. 666.
73  AN. BB6II. 185. Extrait d’une notice individuelle établie par le procureur général d’Angers, 11 octobre 1874.
74  AN. BB6II. 222. Lettre de Boudet, premier vice-président du Sénat, au Garde des Sceaux, 7 mai 1867.
75  Marais (Jean-Luc), « La contre-offensive catholique (1870-1906) », in Lebrun (François) (dir.), Histoire du diocèse d’Angers, Paris, Beauchesne, 1981, p. 213-222 (coll. « Histoire des diocèses de France », vol. n° 13).
76  AD 49. 3Q 2076. Déclaration de mutation par décès de Bigot, Bureau d’Angers, juin 1914.
77  Lair (A.), « M. Couscher de Champfleurry », Revue de l’Anjou, t. 46, mars-avril 1903, p. 186-187.
78  Sur ce point, on pourra se reporter à la contribution de Jacques-Guy Petit, « Marianne en Anjou : l’insurrection des ardoisiers de Trélazé (26-27 août 1855) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 104, n° 3, 1997, p. 187-200.
79  Bernaudeau (Vincent), « La magistrature dans la balance au temps de la République combattante : l’affaire des décrets, prélude à la “ révolution judiciaire ” dans l’Ouest de la France », Histoire de la Justice, n° 15, 2003, p. 199-218 ; Lecomte (Catherine), « Les expulsions en 1880-1883 à l’abbaye bénédictine de Solesmes », Églises et pouvoir politique, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1987, p. 361-378.
80  Comme par exemple le refus de pavoiser son domicile le 14 juillet 1883. À cet égard, voir AD 49. 1M7/42. Rapport du commissaire central d’Angers au préfet de Maine-et-Loire, 20 juillet 1883.
81  Machelon (Jean-Pierre), op. cit., p. 99.
82  AN. BB6II. 187. Notice individuelle établie sur ce magistrat par le procureur général d’Angers, 4 avril 1887.
83  AN. BB6II. 440. Notice individuelle établie sur ce magistrat par le procureur général d’Angers, 4 mai 1887.
84  Chauvaud (Frédéric), « Le jugement de Marianne. La République et ses juges », Crises, trimestre 4, 1994, p. 69-75.
85  Sur cet aspect de l’épuration, voir en particulier les développements de Christophe Charle, « Conclusions et perspectives », in Bernaudeau (Vincent), Nandrin (Jean-Pierre), Rochet (Bénédicte), Rousseaux (Xavier), Tixhon (Axel) (dir.), Les praticiens du droit du Moyen Âge à l’époque contemporaine. Approches prosopographiques (Belgique, Canada, France, Italie, Prusse), Rennes, PUR, 2008, p. 343-347.
86  Bien des aspects importants, comme par exemple la question des modalités de recrutement et d’avancement des magistrats, ont été escamotés lors de la discussion et n’ont pu aboutir à des avancées significatives.
87 Royer (Jean-Pierre), Martinage (Renée), Lecocq (Pierre), Juges et notables au XIXe siècle, Paris, PUF, 1982, p. 359 et suiv.
88  Voir Farcy (Jean-Claude), Les carrières des magistrats (XIXe-XXe siècles). Annuaire rétrospectif, rapport à la Mission de recherche Droit et justice, juin 2009 ; Bernaudeau (Vincent), La justice en question. Histoire de la magistrature angevine au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2007, p. 239 et suiv. ; Martin (Benjamin F.), « The Courts, The magistrature and promotions in Third Republic France, 1871-1914 », American historical review, 4, 87, 1982, p. 977-1009.
89  Chauvaud (Frédéric) (dir.), Le sanglot judiciaire. La désacralisation de la justice (VIIIe–XXe siècles), Grâne, Créaphis, 1999 et « L’insaisissable modèle. L’identité brouillée de la justice républicaine (1880-1914) », in Baruch (Marc-Olivier), Duclert (Vincent) (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française (1875-1945), Paris, La Découverte, 2000, p. 325-336 ; Fillon (Catherine), Boninchi (Marc), Lecompte (Arnaud), Devenir juge. Mode de recrutement et crise des vocations de 1830 à nos jours, Paris, PUF, 2008.

Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Bernaudeau, « L’Anjou, la République et ses juges : l’épuration du corps judiciaire, entre réaction de légitime défense et instrument de consolidation du régime (1883) », Criminocorpus, revue hypermédia, [En ligne]Varia, mis en ligne le 03 janvier 2011, consulté le 03 janvier 2011. URL : http://criminocorpus.revues.org/328

Auteur

Vincent Bernaudeau

Docteur en histoire, membre-associé du CERHIO (UMR 6258, Angers).

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Source: criminocorpus.revues.org