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Philosophie - Le concept de la paix

Un concept multiple


Certains politiques et philosophes définissent la paix comme étant le meilleur état des relations entre les personnes et entre les groupes humains, excluant ce qui perturbe le déroulement de l'existence ordinaire; d'autres développent une conception plus négative, considérant la paix comme une absence de guerre; «la paix règne quand le commerce entre les nations ne comporte pas les formes militaires de la lutte» (Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, 1962). La paix pourrait être la sanction de la guerre qui s'achève, la mise en place de nouvelles hiérarchies mais aussi la poche à venin de la guerre à venir; «le processus d'accumulation d'hommes, de biens et d'énergies où puisera la guerre» (Bouthoul) car «ce sont les mêmes hommes qui font la guerre et qui aiment la paix» (Alain).

La colombe et une branche d'olive à son bec
Symbole de la paix
Il est finalement difficile de penser la paix indépendamment de la guerre: «la paix démontre et confirme la guerre; la guerre à son tour est une revendication de la paix» (P. J. Proudhon, la Guerre et la Paix, 1927).

L'innovation pacifiste consiste à penser la paix en soi, indépendamment de son support politique et non plus sur la base de traités consignant un rapport de forces.

Philosophie et histoire

Si le philosophe prête une attention particulière à l'aspect spirituel et individuel de la paix, l'historien retient surtout sa manifestation collective, dans les rapports entre les classes, les catégories socioprofessionnelles, les nationalités homogènes ou encore entre les Etats constitués. Aussi, la paix apparaît-elle comme un état essentiellement instable et ne s'étend-elle jamais simultanément à l'ensemble des pays.

On a pu dire que l'histoire du monde était l'histoire des guerres et jusqu'au XIX e siècle, les historiens ont surtout mis l'accent sur la volonté de puissance des peuples conquérants, qu'il s'agisse de communautés à vocation impérialiste, comme les Assyriens ou les Romains, ou bien de tribus dominatrices au sein des populations primitives.

C'est après des conflits particulièrement graves que les hommes se sont généralement préoccupés de garantir la stabilité de la paix rétablie. Tout au long de l'histoire, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, deux situations semblent avoir particulièrement favorisé la stabilité et la durée des périodes de paix: l'équilibre entre les forces de deux grands, comme Rome et Carthage au II e siècle av. J.-C. ou les Etats-Unis et l'URSS après la Seconde Guerre mondiale; et l'impérialisme - expression de la volonté et de l'autorité du plus fort - telle l'hégémonie de Rome sur les peuples du Bassin méditerranéen, ou de la Grande-Bretagne et de la France sur ceux de l'Afrique ou de l'Asie du Sud-Est, qui avait pour effet de contraindre d'anciens ennemis à vivre en paix sous une même domination.

L'évolution du concept de Paix

La sagesse philosophique antique, et principalement les stoïciens, donnaient à la paix le nom d'ataraxie. L'Eglise au Moyen Age, tout en n'hésitant pas, parfois, à se servir de princes chrétiens contre d'autres ou à les jeter tous ensemble dans des «guerres saintes» dont les plus fameuses sont bien sûr les croisades, exprime un idéal pacifiste. Ce dernier, cependant, tend moins à bannir la guerre qu'à en modérer les excès, par des institutions comme la paix, puis la trève de Dieu. A l'époque monarchiste, au prix de constants marchandages, la paix résulte d'un équilibre entre Etats voisins.

Après les campagnes napoléoniennes, les puissances victorieuses, auxquelles la France elle-même ne tardera pas à se joindre, savent bien que l'étouffement, d'ailleurs provisoire, des idées révolutionnaires et l'élimination de l'empereur des Français et de sa dynastie ne suffiront pas à garantir la paix. La Sainte-Alliance, qu'elles instituent, est une tentative pour maintenir durablement l'équilibre et le statu quo européen. Mais, essentiellement conservatrice, elle ne tient pas compte des aspirations nationalistes qui ne vont cesser de se manifester tout au long du XIX e siècle.

Pendant le XVIII e siècle, les spéculations d 'Emmanuel Kant (Projet de paix perpétuelle, 1795) ou de l'abbé de Saint-Pierre (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1795) ouvrent la voie à une réflexion plus générale et débouchent sur des systèmes de paix universelle, mais qui restent utopiques. A l'opposé, les hommes politiques, comme les spécialistes, ne s'expriment pas sur le sujet, craignant précisément de passer pour des utopistes.

Karl Marx a insisté sur le rôle des déséquilibres économiques comme facteurs de guerre. Mais le fanatisme racial ou religieux n'en constitue pas moins, surtout au sein des nations en voie de développement, une menace constante pour la paix. «Il est extrêmement rare qu'on cherche à savoir à quoi pourrait ressembler une vie de paix sur la Terre.» (Alexander Mitscherlich).

Dans son ouvrage Malaise dans la civilisation (1930), Freud se demande si le progrès de la culture «va lui permettre de prendre le dessus sur les perturbations que les pulsions d'agressivité et d'autodestruction provoquent dans la vie collective».

L'aube du XX e siècle voit se réunir les conférences de la paix de 1899 et de 1907, tenues à La Haye, qui créent la Cour permanente d'arbitrage, première institution internationale habilitée à résoudre pacifiquement les conflits qu'on acceptera de lui soumettre. C'est l'embryon de la conception qui reconnaît à chaque Etat un droit égal et qui compte sur le recours arbitral pour empêcher que les conflits internationaux ne dégénèrent en guerres générales.

La mise en place d'une paix mondiale

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'idéalisme du président des Etats-Unis, Woodrow Wilson - principal instigateur de la Société des Nations - se heurte aux exigences des peuples victorieux. Pour ceux-ci, les souffrances subies, de même que les traditions de la diplomatie européenne, rendent nécessaire et juste l'application aux vaincus de véritables sanctions. Le traité de Versailles (1919) s'efforce certes de donner aux pays européens des frontières qui coïncident à la fois avec les réalités ethniques et historiques, mais sans résoudre vraiment le problème allemand; aussi porte-t-il en lui tous les germes d'une nouvelle guerre.

La Société des Nations (1920), première organisation internationale chargée de la sécurité collective, apparaît, au cours des années marquées par ce qu'on appellera l'esprit de Genève et la personnalité d'hommes tels qu'Aristide Briand, comme la meilleure garantie d'une paix durable. Mais, impuissante à rassembler ou à retenir en son sein les principaux Etats, à réaliser la réduction et la limitation des armements, à obtenir la constitution d'une force de police internationale, elle perd progressivement l'autorité morale qui constituait l'essentiel de son pouvoir et elle se montre incapable de résoudre les vrais problèmes: ainsi ceux que lui pose l'intervention italienne en Ethiopie (1935) ou allemande en Europe en vue de réaliser la Grande Allemagne.

Pas plus que les conventions multilatérales régionales, signées pour pallier ces insuffisances, ou que l'inefficace «pacte de renonciation à la guerre» de 1928, la SDN n'est en mesure d'empêcher le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, l'Organisation des Nations Unies est constituée pour sauvegarder la paix mondiale. Elle aura à intervenir, à plusieurs reprises, pour tenter de rétablir l'ordre et la sécurité.

Depuis lors, la paix est assurée tant bien que mal, ne serait-ce que par ce qu'on appelle l'équilibre de la terreur. Mais un phénomène nouveau apparaît, la vocation à la paix des peuples nantis, qui se traduit, dans l'hémisphère Nord, par une «bande de paix» presque absolue englobant l'Amérique du Nord, l'Europe, l'URSS et la Chine.

La volonté actuelle n'est plus seulement de maintenir la paix, après la signature des accords, dans le silence des armes; la mémoire collective contribue à faire reposer la paix sur l'hégémonie, l'équilibre des forces. La conception pacifiste, allant de la non-violence absolue au désarmement progressif, reconnaît la nécessité des traités, mais requiert les indispensables réunions internationales au sommet et la concertation.

Dans les pays en voie de développement, en revanche, les antagonismes religieux ou bien raciaux, et surtout les disparités économiques créent fréquemment des situations de tension qui dégénèrent souvent en conflits localisés mais néanmoins menaçants pour la paix dans le reste du monde. En effet, les grandes puissances, par l'aide économique, technique et militaire qu'elles fournissent aux nations du tiers-monde, font de celles-ci le champ clos de leurs propres affrontements.

Faut-il d'abord établir un archétype de la paix ou continuer de la positionner vis-à-vis de la guerre?: «car la connaissance de la paix est tout entière dans l'étude de la guerre» (P. J. Proudhon). La paix n'exclut pas les rivalités, les luttes et les conflits, mais sans armes; Herbert Marcuse assigne à l'homme «une existence apaisée» comme fin dans l'Histoire.